La Couronne de Cuivre

Dymphéa acquiesça.
" A chaque jour suffit sa peine, comme disent les humains." fit-elle, avec un sourire las.
Elles atteignirent le ruisseau et la centaure s'immobilisa.
" C'est le début de la piste de la pinède. Il faut remonter le ruisseau jusqu'à ce qu'il entre dans la pinède. Tu verras qu'elle est très clairement délimitée, car tu devras d'abord traverser un grand pré. Tu seras à découvert, mais les humains ne vont jamais aussi loin. Ne rentre pas dans la pinède mais suis son orée. Elle va doucement s'incurver vers l'ouest, continue à en suivre la courbe, et suis-la aussi quand elle rencontre la forêt de feuillus. Reste toujours à la limite de la pinède, tu arriveras à la falaise sans croiser de zones impraticables. Ensuite, il suffit de progresser le long de la falaise pour atteindre Montequine, par l'ouest."

Astrée écouta attentivement les explications.
"L'ouest, c'est le bon côté, celui où l'ombre vient le plus tôt le soir..."
Elle suivit le ruisseau des yeux avec un petit pincement au coeur : il lui fallait quitter une amie pour plonger en territoire hostile... Et elle réalisait qu'au fond d'elle, elle avait peur. Mais elle devait réussir.
Spontanément, elle étreignit la centaure, puis s'écarta en rougissant, un peu gênée.
"Je te ramènerai Byron, je te le promets, fit-elle d'une voix un peu rauque. Et... Merci de m'avoir accueillie. Salue Neffen de ma part si tu le vois !"

La centaure avait les yeux un peu humides aussi et elle la tint par les épaules.
" Bonne chance à toi, Astrée... Ne te mets pas en danger. Je ne voudrais pas que la liberté de Byron te coûte la tienne, ou pire..."
Elle adoucit ses paroles d'un doux sourire.
" Pense à moi et à la tornade rousse qui va me tomber sur le dos s'il t'arrive quelque chose... Comme tu es une gentille fille, je suis certaine que tu auras pitié et que tout ira bien. Bonne route."

Astrée ne put s'empêcher de sourire à la mention de la tornade rousse. Elle aurait bien voulu entendre le son de sa voix, ces derniers jours. Juste pour se sentir moins seule à affronter tout cela.
"Je serai prudente, c'est promis !"
Elle lui serra les deux mains, une dernière fois, et s'en fut en direction de Montequine. Longer le ruisseau jusqu'à la pinède. Puis longer la pinède vers l'ouest. Puis la falaise. C'était plus simple que l'itinéraire de la veille. La veille... elle avait l'impression que c'était tellement plus vieux que ça...
Il fallait qu'elle se souvienne qu'elle était de nouveau en zone dangereuse. Sa cacher, prendre garde au moindre bruit, au moindre signe de présence hostile. Et surtout, s'efforcer de ne laisser aucune trace tant qu'elle serait dans cette zone transitoire entre le territoire humain et le territoire centaure, aucune piste que les humains ne puissent remonter.
Machinalement, elle plongea la main dans sa poche, tâtonnant à la recherche de la corde de luth soigneusement roulée... et y trouva, surtout, le petit écureuil qui s'y cachait. Elle n'était pas complètement seule finalement.

Prince, qui s'était fait discret jusque là, en profita pour sortir de sa cachette et s'élancer dans les arbres. Elle percevait sa présence, petite flamme rousse bondissant de branche en branche, tandis qu'elle cheminait, veillant à ne laisser aucune trace, dans l'humus et les fougères, le long du ruisseau. Celui-ci était vigoureux, musical, renforcé par la fonte des neiges, sans doute, en ce printemps magnifique. Le ciel cracha une brusque giboulée juste avant qu'elle n'atteigne l'alpage dont avait parlé Dymphéa, mais si les frondaisons des arbres crépitèrent sous sa violence, Astrée fut épargnée par les grêlons. La prairie, par contre, paraissait dévastée par la brusque averse, l'herbe trempée et les fleurs couchées. Les oiseaux, cependant, reprirent rapidement leurs chansons et le soleil chassa les nuages. La pinède se dressait, sombre, en face de la jeune femme et de son petit étalon qui se permit un grand galop d'éclaboussures dans les graminées.

Astrée avait cédé à la tentation du galop, et prit plaisir à chevaucher un moment. Il faudrait bientôt que Prince redevienne écureuil, avant qu'ils rejoignent le territoire humain. Ses traces étaient trop reconnaissables.
Cet itinéraire était plus dégagé, et c'est sans doute celui que prendrait Byron s'il parvenait à fuir. Le paysage était magnifique, et les oiseaux semblaient saluer le printemps et le renouveau. La saison de l'espoir. Elle en avait bien besoin en ce moment. En d'autres circonstances, elle aurait apprécié la promenade. Mais l'heure était trop grave...

Elle pénétra légèrement à l'intérieur de la pinède, pour être à couvert, et en longea l'orée. Elle avait demandé à Prince de redevenir discret, et surveillait à nouveau ses traces. Le territoire des humains approchait. Elle allait s'avancer, comme la veille, et observer. Voir si les sentinelles étaient toujours six, et si elles gardaient la même position. Si elles guettaient essentiellement en direction de la forêt ou si elles paraissaient aussi surveiller les centaures. Déterminer quel côté était le plus sûr pour fuir. Voir, aussi, si les centaures domestiques s'approchaient parfois des bois, au cas où elle ait l'occasion d'en attirer un. S'ils étaient étroitement surveillés ou non.

Elle réfléchissait à ce qu'elle pouvait faire pour aider Byron au moment fatidique. Il lui fallait voir si elle trouvait des cachettes pour s'approcher davantage sans être vue. Quel genre de diversion pourrait-elle tenter ? Faire un feu, quelque part, sans se faire repérer, pour attirer l'attention ? Simplement se tenir prête avec son arc et tirer des flèches pour faire croire que des centaures étaient là en soutien à Byron ? Ou ne rien faire, et attendre plus loin pour ne courir aucun risque ? Il fallait qu'elle se concerte avec Byron... Il faudrait, aussi, qu'elle examine de près les entraves de ses bras. Peut-être pouvait-on les fragiliser pour qu'il puisse les arracher lui-même ?
Mais pour l'heure... Le village était de plus en plus proche. Elle devait se montrer prudente. Ouvrir ses yeux et ses oreilles.

Astrée longea la pinède pendant un certain temps, tandis que peu à peu les corolles de la prairie se redressaient, et déversaient leurs couleurs fantastiques vers le ciel comme un défi. Prince demeura cheval un moment, puis se refit écureuil et reprit ses déambulations aériennes. La jeune femme vit bientôt approcher l'orée de la forêt de feuillus et l'endroit où il lui faudrait suivre la frontière entre les deux types d'arbres. Comme elle y pénétrait, il refit subitement sombre. Elle entendit presque immédiatement des craquements sonores dans le sous-bois, signe que quelque chose s'y promenait, peu soucieux de rester discret.

Astrée se figea immédiatement sur place, aux aguets. Elle recula légèrement, cherchant du regard un arbre dans lequel elle pourrait monter se cacher avant que les craquement n'approchent trop. Si toutefois ils s'approchaient. Ce pouvait être un gros animal sauvage, mais elle était maintenant suffisamment près du village pour qu'il y ait un risque que ce soit un homme... surtout vu le manque de discrétion. En tout cas c'était quelque chose qui n'avait pas peur d'être repéré, donc qui se sentait plus fort que les autres créatures arpentant les bois.
Elle devait impérativement rester hors de vue. Ce serait encore mieux si elle pouvait voir ce qui se tramait, mais il n'était pas question de prendre le moindre risque. Elle ne voulait se trouver nez à nez ni avec un ours ni avec un villageois. Elle reprendrait sa route lorsqu'elle serait certaine que l'homme ou la créature se soit suffisamment éloigné pour ne pas s'apercevoir de sa présence.

Mais le bruit ne se déplaçait pas réellement. Astrée put déterminer qu'il n'y en avait qu'une source, qui fourrageait le sol, et en s'approchant un rien, discrètement, à pas de loups, elle finit par apercevoir le dos hirsute d'un sanglier de taille respectable, un mâle solitaire, probablement, qui fouillait l'humus à la recherche de glands ou de champignons. Si la bête ne la vit, ni ne l'entendit, elle s'immobilisa cependant soudain, et leva son groin vers le ciel. Sans doute avait-il flairé quelque chose.

Était-ce sa présence que la bête avait repérée ? Ou autre chose ? La rôdeuse essaya de déterminer le sens du vent, pour savoir si c'était son odeur que pouvait avoir flairé le sanglier. Si l'odeur venait d'ailleurs... elle avait tout intérêt à observer sa réaction pour essayer de deviner si c'était quelque chose de potentiellement dangereux.
Par prudence, elle recula pour se dissimuler un peu mieux, sans perdre l'animal de vue.

Le vent soufflait, léger, dans la direction du sanglier. C'était donc plus que probablement l'odeur de la rôdeuse qu'il avait repérée. Il poussa un grognement et commença à se déplacer dans sa direction, tantôt fouissant le sol, tantôt humant l'air chargé des senteurs de la forêt. Il était beaucoup plus gros qu'un sanglier normal, tout bien considéré, et ses petits yeux noirs semblaient scruter les fourrés.

Astrée grimaça. Ce sanglier était vraiment énorme. Etait-ce un sanglier sanguinaire, comme les chasseurs l'avaient mentionné, ou n'en parlaient-ils que pour lui faire peur ? Toujours est-il qu'il en avait après elle, cette fois-ci c'était certain.
Elle continua à reculer, plus rapidement, s'efforçant de rester hors de vue et de s'éloigner encore. Il fallait qu'elle se sorte de la direction du vent... et qu'elle se mette à l'abri. Cette bête-ci, si elle décidait de charger, pouvait la tuer ou la blesser grièvement.
Tout en reculant aussi vite qu'elle le pouvait sans risquer de se faire repérer, elle chercha des yeux, à tout hasard, un arbre solide aux branches suffisamment basses pour qu'elle puisse y grimper rapidement, et au feuillage assez dense pour bien la dissimuler. Si elle faisait vite, si elle parvenait à s'y réfugier avant qu'il ne soit suffisamment près pour la voir, il perdrait la trace de son odeur... Mais il fallait éviter qu'il ne la voie... et choisir un arbre qu'il ne puisse pas déraciner au cas où.

La rôdeuse se mit donc à reculer, tandis que le sanglier continuait à progresser dans sa direction, lentement. Même s'il ne faisait nul signe de changer de rythme, il paraissait l'avoir plus ou moins située, car lorsqu'elle changea légèrement de trajectoire, pour essayer d'échapper au vent et se rapprocher d'arbres susceptibles de l'abriter, il incurva la sienne. Elle sentit Prince bourdonner autour d'elle, incertain quant à la marche à suivre. Elle devina qu'il hésitait à se faire cheval, mais le sanglier était énorme et il n'était pas clair qu'il puisse faire quoi que ce soit d'utile, sinon prendre un risque important.
A cette limite entre les deux types de forêts, les feuillus étaient minces, ombrés par les énormes pins, lesquels disposaient de branches basses mais cassantes, dans lesquelles il aurait été risqué de s'aventurer sans craindre de tomber.

Astrée continua de reculer. Pas d'arbre solide dans lequel se réfugier, à moins qu'il lui laisse le temps de s'enfoncer davantage dans la forêt de feuillus. Et si elle parvenait à se réfugier dans un arbre, il était peut-être capable de l'attendre au pied un certain temps... et pas sûr que les flèches parviennent à percer son cuir. L'autre solution était de fuir sur le dos de Prince : il irait probablement plus vite que le sanglier, surtout à travers l'espace dégagé de la prairie toute proche.
Elle incurva donc sa trajectoire en direction de la prairie, et fit savoir à Prince de se tenir prêt à se faire cheval et à fuir avec elle.

Mais le sanglier sembla deviner ses intentions, car il se déplaça aussitôt en direction de la prairie, comme pour lui couper la route. Il paraissait devenir de plus en plus nerveux et frappait tout ce qui passait à sa portée de ses défenses recourbées, traçant des sillons dans l'écorce des arbres et l'humus noir. La rôdeuse entendit alors un léger feulement dans son dos, puis le son d'une brindille craquant sous un pas léger. Elle ne pouvait se retourner sans perdre le sanglier de vue, mais Prince repéra un félin brun, tapis dans la pinède, qui venait également dans leur direction.

Ce sanglier était beaucoup trop rusé à son goût. Elle s'efforçait d'estimer ses chances d'atteindre la prairie avant lui quand elle sentit la présence du félin. Elle pâlit. Même si elle tentait de fuir sur le dos de Prince, lui les rattraperait certainement. Et le sanglier semblait prêt à charger. Elle sentit la panique affleurer, prête à la submerger. Elle réfléchissait à toute vitesse, mais ses pensées désordonnées revenaient toujours à la même chose : impossible de fuir, impossible de se réfugier dans un arbre, impossible de se cacher, impossible de combattre... Son seul espoir était qu'ils s'en prennent l'un à l'autre. Il fallait qu'elle se mette à l'abri absolument.
Elle opta résolument pour la forêt de feuillus. Trouver un arbre, n'importe lequel, suffisamment gros.

Dès qu'elle infléchit son parcours, le sanglier se mit à courir dans sa direction. Prince, sous sa forme d'abeille, fila vers la bête, mais les poils drus de l'animal l'empêchèrent d'agir d'une quelconque manière, et Astrée entendit le fracas du galop effréné de la créature retentir derrière elle. Le félin bondit dans l'instant, l'obligeant à obliquer rapidement vers un grand hêtre, encore distant, malheureusement... Elle courut le plus vite qu'elle put, devinant les deux animaux sur ses traces, leur souffle, leur colère, et puis soudain... le sol se déroba sous ses pas.
Elle heurta la terre, dure, beaucoup plus bas, et vit momentanément des étoiles. Loin, au-dessus, il y avait de la lumière. Et la vague tête d'un sanglier fouillant les ténèbres de ses petits yeux sombres. Elle était tombée dans un trou profond.

Elle resta un moment immobile, le souffle coupé par la chute. Le choc avait été violent, la tête lui tournait et elle avait mal partout, mais peut-être n'étaient-ce que des contusions. Et c'était un miracle que le sanglier ne lui soit pas tombé dessus.
Elle leva les yeux vers le trou de lumière au-dessus. Il était toujours là. Il la cherchait... Elle s'efforça de ne pas bouger, espérant qu'il la croirait morte et renoncerait. Ou qu'il s'en prendrait au félin. Qu'il s'éloignerait. Et ensuite...
Ensuite elle était coincée. Elle sentit ses mains se mettre à trembler, l'angoisse l'envahir. Elle n'allait jamais pouvoir sortir de là...

Le trou faisait cinq ou six mètres de profondeur, ses parois étaient noires de terre, percées ça et là d'une racine gracile. Le sanglier lorgnait toujours vers le bas, puis il recula et quelques instants plus tard, une autre silhouette, humaine, cette fois, s'encadra à contrejour dans l'ouverture. Elle ne resta penchée que quelques secondes, pourtant, après quoi Astrée entendit des voix, distantes.
"... est dedans...
— ... nécessaire... mieux pas...
— ... même... ressortira...
— ... marche."

Astrée resta interloquée. Des hommes, ici ? Elle ne s'était pas aperçue de leur présence... Et plus étrange, le sanglier ne les avait pas attaqués ? Elle n'y comprenait rien... Les seuls humains vivant par ici étaient les Montequins. Ils s'aventuraient rarement aussi loin... et surtout, ils n'étaient certainement pas alliés avec un sanglier. Et pourtant... pourquoi ces hommes n'avaient ils pas peur du sanglier ? Ou alors... Peut-être n'était-ce pas un sanglier ordinaire... pouvait-il s'agir du familier d'un rôdeur ? Un rôdeur du village ? En ce cas, ils savaient désormais qu'elle était ici. Et ils allaient la guetter là-haut.
Elle chercha à entrer en contact avec Prince pour lui demander de rester extrêmement discret, et de suivre les humains... et le sanglier. Elle voulait juste savoir dans quelle direction ils se rendaient, vers le village ou vers la harde, et si l'un d'eux restait posté à guetter sa sortie.

De son côté, elle observa de plus près la paroi pour voir si elle avait une chance de les escalader, tout en continuant à réfléchir intensément. Et le félin ? Pourquoi les deux animaux l'avaient-ils poursuivie de concert ? Ça n'avait pas de sens, ce n'était pas un comportement normal... Ou alors ils étaient tous les deux les familiers de rôdeurs ? Ou de druides ? Ou alors... Les deux animaux étaient des humains métamorphosés ? Non, c'était insensé. Enfin, peut-être pas tant que ça après tout. Mais elle ne parvenait pas à croire qu'il y ait au village des humains capables d'une telle prouesse. Si cela avait été le cas, il y a longtemps qu'ils seraient allés explorer les profondeurs des forêts et auraient découvert la harde. Mais Prince lui en apprendrait sans doute bientôt plus en les suivant.

Malheureusement, Prince n'était pas à la surface. Il était en bas avec elle. Au moment où il avait réalisé que le sanglier était intouchable, il était retourné s'agripper à l'épaule de sa rôdeuse, attendant une opportunité de se montrer plus utile. Il entreprit donc de remonter, petite abeille bourdonnante, vers le sommet du trou, tandis qu'Astrée constatait que la terre autour d'elle était trop friable pour offrir une bonne prise. Elle suivit donc la remontée de l'insecte des yeux, quand la silhouette humaine s'encadra à nouveau devant le trou. Puis il fit brusquement noir. On avait refermé le trou comme par un couvercle qui ne laissait passer aucune lumière. Prince était heureusement tout juste passé, et Astrée perçut, dans les ténèbres, sa panique lorsqu'il réalisa qu'ils étaient désormais séparés.

Astrée sentit la panique l'envahir.
"Sortez-moi de là!" cria-elle, bien inutilement : ils n'en avaient visiblement aucune intention. Mais il ne servait plus à grand-chose de faire la morte puisqu'elle n'avait aucun moyen de s'échapper.
Elle s'efforça de se calmer. Elle avait peut-être un moyen : envoyer Prince chercher Dymphéa. Sauf qu'elle ne se souvenait pas avoir présenté son compagnon à la centaure, et qu'il aurait bien du mal à se faire comprendre dans ces conditions... certes, s'il se transformait, insistait, peut-être qu'elle chercherait à savoir quel était ce prodige. Mais ça n'était pas sûr.
Elle s'efforça tant bien que mal de rassurer Prince, et lui demanda de surveiller ce que faisaient les deux humains. S'ils étaient en train de remonter sa piste jusqu'aux centaures, s'ils revenaient vers le village. Juste un moment, sans trop s'éloigner. Elle voulait savoir... Et ensuite, il lui faudrait chercher de l'aide auprès de Dymphéa.
Elle ferma les yeux. Pourvu que l'aide ne traîne pas trop à arriver... Byron l'attendait, il allait s'angoisser...
Mais qui étaient ces hommes ? Si c'étaient des villageois, pourquoi ne l'avaient-ils pas plutôt faite prisonnière ? Enfin, en un sens, c'était peut-être ce qu'ils avaient fait en refermant ce trou. Enfin... ce piège. Oui, elle se trouvait sans doute tout simplement dans un piège à gros gibier.

Malgré la panique, Astrée trouva en elle la concentration nécessaire pour retrouver l'esprit de Prince qui bourdonnait sans savoir quoi faire de ses six pattes. Il lui fallut un certain temps pour arriver à l'arracher à sa confusion et elle apprit alors qu'il n'y avait pas là deux humains, mais bien deux centaures, et qu'ils s'éloignaient à présent à travers les bois, dans une direction indéterminée, mais davantage vers la harde que vers le village, sans doute. Le sanglier et le fauve, par contre, étaient toujours à proximité, l'un dans un arbre, l'autre couché dans les feuilles mortes.

Astrée n'y comprenait rien. Des centaures ? Pourquoi l'avaient-ils attaquée ? Était-ce des centaures de la harde qui craignaient qu'elle les trahisse et révèle leur position aux villageois ? Ou alors s'agissait-il de centaures domestiques ? Non, ils n'auraient pas été laissés sans surveillance. A moins que les humains soient suffisamment sûrs de leur docilité ? Non, certainement pas. Mais pourtant... elle avait bien entendu des humains, non ? Des centaures n'auraient pas parlé, entre eux, le commun. Ou était-ce pour la leurrer ? Et puis, l'attitude des deux prédateurs continuait de lui paraître étrange. Mais si c'étaient des bêtes ordinaires, ils finiraient bien par s'éloigner. Tout cela n'était pas clair... Des centaures pouvaient-ils être rôdeurs ou druides, et avoir des familiers ? Ce pouvait être une explication...
Elle finit par soupirer, et conclure que de toute façon, se creuser ainsi la cervelle ne lui dirait pas comment sortir de ce piège. La seule personne qui pourrait la tirer de là était Dymphéa. Si seulement ils n'avaient pas refermé le trou, elle aurait pu écrire un mot, le transmettre à Prince... Dymphéa comprendrait-elle sans cela ? De toute façon, elle était son seul espoir. Il faudrait que Prince parvienne à se faire comprendre. Elle lui demanda donc d'aller rejoindre la centaure, aussi vite que possible... mais surtout, surtout, sans prendre de risque. Et de revenir avec de l'aide.

Un fois informé de ce qu'il était censé faire, Prince s'éloigna sous sa forme d'abeille, afin de ne pas attirer l'attention des animaux qui demeuraient à proximité, et Astrée perdit rapidement tout contact avec son esprit. Elle se retrouva donc seule au fond du trou, dans une obscurité qui refusait de s'éclaircir, une odeur forte de terre saturant l'air autour d'elle. Le sol était très humide, elle sentait le froid s'infiltrer dans ses vêtements. Plus un son ne lui parvenait. Ni le vent, ni les oiseaux. Tout était silence et ténèbres.

Astrée s'en voulait de s'être faite piéger aussi bêtement. Byron avait besoin d'elle. Ces deux centaures étaient en train de lui faire échouer sa mission. Elle était en colère contre eux, en colère contre elle-même. Et elle sentait la peur l'envahir, insidieuse. Et si Prince n'arrivait pas à se faire comprendre ? Non, il était tenace. Il trouverait un moyen, elle en était certaine. Elle devait y croire, absolument. C'était le seul espoir qu'elle avait, elle devait s'y accrocher de toutes ses forces.

Elle frissonna. Elle avait froid, et peur. Elle en avait ras-le bol des trous obscurs où les centaures aiment à enfermer les humains. Au moins, cette fois-ci, avait-elle son sac avec elle. Elle s'enveloppa dans une couverture, trouva à tâtons de quoi grignoter un peu. Très peu : il fallait qu'elle économise ses provisions. Elle ne savait pas combien de temps les secours mettraient à arriver. Ni s'ils arriveraient, souffla une petite voix dans sa tête. Elle serra les dents, et résista de son mieux au désespoir qui menaçait de l'envahir. Les secours arriveraient, tôt ou tard. Prince réussirait. Et puis, il y avait aussi Reynald, qui finirait bien un jour par entrer en communication avec elle, et qui pourrait prévenir Dymphéa. Elle viendrait à son secours.
Tout reposait sur la centaure... mais si les autres l'empêchaient d'agir ? Non. Elle ne devait pas l'envisager. Surtout pas. Pas encore en tout cas. Se laisser aller au désespoir ne lui apporterait rien. Elle viendrait.

Le temps commença à s'égrener, lentement. Sans la moindre lumière, Astrée n'avait aucun moyen de mesurer facilement le passage du temps, et dans sa situation, celui-ci ne pouvait que lui paraître long. En fouillant dans son sac pour y trouver de la nourriture, elle réalisa qu'elle avait l'épaule gauche endolorie et que certains mouvements plus amples lui occasionnaient une douleur particulièrement vive. En réalité, c'était un miracle qu'elle s'en sorte à si bon compte, vu la hauteur du trou. Mais ses jambes, son dos, sa tête, le reste semblait fonctionner correctement. Elle était bien sûr noire de boue et l'odeur de terre s'était faite plus pourrissante au fur et à mesure que l'air se raréfiait dans la fosse.

Elle avait l'impression qu'il faisait de plus en plus froid. De plus en plus humide aussi. Et elle avait la sensation d'être pleine de terre jusqu'au plus profond des poumons tant l'odeur lui paraissait prégnante. De plus en plus, d'ailleurs. Ou était-ce elle qui ne le supportait plus ?
Elle avait trop mal à l'épaule. Elle alluma brièvement un bout de bougie avec son briquet, le temps de trouver un baume pour essayer de calmer cette douleur lancinante. S'activer lui faisait du bien, lui donnant la sensation de pouvoir agir... même si ce n'était que pour calmer une douleur. Et la lumière était un réconfort, même si elle accentuait le désespoir de sa situation, face à la réalité du trou profond, étroit, noir. Elle sentait l'air de plus en plus saturé d'humidité.

Puis elle se mit à tousser. Elle avait du mal à respirer. L'odeur de terre, sans doute. Ou bien... le manque d'air ? Elle sentit une sueur froide couler dans son dos. Ils avaient fermé le trou trop hermétiquement... Et elle allait finir par manquer d'air. Elle souffla la bougie aussitôt, et se retrouva à nouveau dans le noir complet. La gorge sèche. Elle but une gorgée d'eau. Elle allait manquer d'air. Manquer d'air... Elle sentit les battements de son coeur s'accélérer, elle eut la sensation d'étouffer. Besoin de respirer, plus fort. Elle tenta de se répéter que non, elle ne manquait pas encore d'air, qu'elle avait du temps devant elle, que les secours allaient arriver. Peine perdue. Elle sentit des larmes de désespoir couler. Non, ça ne sert à rien de pleurer, ça ne sert à rien de paniquer, c'est pire comme ça... Ils vont venir, c'est sûr. Prince va réussir. Calme-toi. Respire calmement. Mais l'odeur de terre la faisait tousser, l'asphyxiait. Elle se répéta que ce n'était qu'une impression... Non, ça n'était pas qu'une impression.
Elle se blottit dans sa couverture avec la sensation absurde qu'elle y respirait encore moins bien. Elle ferma les yeux, appuya son dos contre la paroi de terre. Ça ne servait à rien de penser. Elle n'y arrivait plus de toute façon. Il fallait qu'elle se calme. Qu'elle respire lentement. Doucement.

Si elle parvint un rien à s'apaiser, les ténèbres demeurèrent et l'air vicié continua de l'encercler, de plus en plus pesant. Le silence était désormais total. Il lui sembla entendre le hurlement d'un oiseau de nuit... Peut-être le soleil était-il couché, peut-être était-il trop tard... Le jeune centaure captif allait l'attendre et réaliser qu'elle l'avait abandonné. Une humaine parmi les autres. On ne pouvait pas leur faire confiance.

Et puis soudain, la lumière revint. Elle était plus ténue, plus grise, les heures avaient passé, immanquablement, c'était le crépuscule. Une bouffée d'air frais glissa jusqu'en bas du gouffre, nettoyant les poumons de la jeune femme, lui rendant comme un souffle de vie. Puis une corde dégringola jusqu'à ses pieds.
" Est-ce que ça va, là-dessous ? fit alors la voix de Neffen. Je peux te hisser, au besoin."

Astrée aspira les goulées d'air avec une sorte de frénésie. Les secours, enfin. Neffen... Prince avait réussi.
Elle saisit la corde, et grimaça en sentant son épaule endolorie.
"Merci... fit-elle d'une voix rauque, déclenchant une quinte de toux. Je veux bien que tu me hisses. Attends, je m'attache...
Ses mains tremblaient tant qu'elle eut toutes les peines du monde à fixer la corde autour de sa taille et à y attacher ensuite son sac. Elle sentit des larmes de soulagement couler. Elle était sauvée.
"Vas-y, tu peux tirer..."
Sa voix tremblait, trahissant son émotion, ses larmes. Elle avait eu tellement peur...

La Couronne de Cuivre

[Quête] Montequine