La Couronne de Cuivre

" Je sais... Ce n'est pas évident... En réalité, je pense que... un dieu qu'on prie gagne en puissance... Il transmet sa puissance à ses clercs et ses paladins, s'il en a... Il a de son côté plus de force pour lutter contre les principes ennemis, à son niveau, qui nous dépasse... Pour les gens... Les clercs sont la première ligne. Ils peuvent sans doute davantage intervenir au quotidien que les dieux eux-mêmes..."
Il eut un léger sourire.
" Je me suis posé les mêmes questions que vous... et c'est la conclusion à laquelle je suis arrivé."

-A mon modeste niveau, je ne suis pas loin de penser la même chose : les clercs et les paladins constituent le principal moyen par lequel les dieux aident l'humanité. Cependant... Aussi puissants, utiles et dévoués soient-ils, les prêtres et les guerriers divins ne peuvent pas faire grand chose, dans certains domaines. Sinon rien du tout. Et pour ceux là...
Elle haussa les épaules.

Il ne savait pas à quoi elle faisait référence, mais elle n'avait pas tort : ils n'étaient pas tout-puissants, ni infaillibles. Et il était bien placé pour savoir que de nombreux clercs refusaient d'aider ceux qui ne pouvaient pas les payer.
" Bien sûr. Nous restons les serviteurs très humains de ces divinités formidables. Rien de plus." murmura-t-il.

-Ce n'était cependant pas une critique... fit-elle, gênée. Enfin, vous me demandiez si j'avais eu une mauvaise expérience avec les dieux et je pense donc que la réponse est oui. Ce qui rend humiliant, quelque part, ce... besoin de spiritualité. Humain, mais humiliant quand même. J'ai eu ce besoin jadis, je n'ai pas résisté, cela ne m'a apporté que de faux espoirs, je me pensais guérie pour toujours et au final... non, voilà que ça revient.

" Je comprends votre sentiment. Vous êtes en colère et vous estimez que les dieux ne méritent pas cet élan... L'erreur est de penser à eux comme à des membres de notre famille ou des amis qui nous auraient trahis ou abandonnés... Les dieux sont... autres."
Il aurait voulu lui parler de la nécessaire humilité de l'être humain face à la divinité, mais les gens peu religieux étaient généralement allergiques à ce type de discours, aussi s'en abstint-il sagement.
" Je pense qu'un dieu comme Lathandre... est à même d'accepter votre colère et vos prières à la fois.. Et si cela peut vous... conforter... Sachez que les dieux n'ont pas été sourds à notre situation, ici, à Clairétoile. Sans l'aide de Chauntéa, de Lathandre et de Sunie, nous ne nous en serions pas sortis. En cela, cette fois, ils méritent sûrement nos remerciements."

Elle acquiesça.
-Bien sûr, et ils n'auront pas affaire à des ingrats. Mais je doute qu'ils soient intervenus... pour la Communauté. Ils sont intervenus parce que le monde était en danger, parce que cela s'inscrivait dans la lutte éternelle entre le bien et le mal... Cela ne change rien au rôle crucial qu'ils ont dû jouer et au fait que cela nous ait grandement aidé, bien sûr, mais... Voilà, ça ne change pas grand chose non plus si on se place au niveau de l'individu, des soucis personnels plus... ordinaires.

" Vous avez raison, dit Albérich. Dans le même temps, nous sommes engagés dans une entreprise qui ne peut que leur plaire. Il n'y a pas de raison qu'ils se détournent aujourd'hui... Evidemment, leur empreinte continuera à s'exercer au travers du pouvoir de leurs prêtres. Mais c'est ainsi que cela devrait être, je pense : nous gardons ainsi le contrôle sur nos vies et les chemins que nous empruntons. Si les dieux commençaient à se mêler de notre quotidien... Je doute que seules les entités bienveillantes le fassent... Aujourd'hui... Hélonna est une terre qui nous appartient. Nous sommes libres d'en faire ce que nous voulons."

-Je suis totalement d'accord avec vous. Seulement, à force de prier et de prier encore, on aimerait bien, parfois, avoir un signe. Quant un bateau coule, par exemple, on y voit la marque d'Umberlie : pourquoi Valkur, pourtant vénéré par les marins avant et après le départ, n'a-t-il pu intervenir pour éviter le naufrage ? Et pourquoi Chauntéa ne fait pas en sorte d'épargner les mauvaises récoltes aux paysans qui, tout au long de l'année, lui rendent hommage ? Il y a sans doute une question d'équilibre, je me doute bien, et puis, on en revient à la question des intermédiaires que sont les prêtres. Le seul point que je voulais souligner, c'est... Pourquoi les gens ordinaires ont-ils ce fichu besoin de prier, alors qu'il ne leur apporte rien, concrètement ?

" Je pense que même dans la prière d'un laïc, il y a un écho de la divinité. Il n'y a peut-être pas de contact direct, mais il y a une conscience... quelque chose qui peut nous emplir et nous ancrer dans l'instant... pour peu qu'on ait la foi..."
Il croisa les bras.
" Il est sûrement des moments où nous prenons la mesure de notre... faiblesse... face à la grandeur du monde... Il est alors naturel d'avoir besoin de se tourner vers quelque chose de plus grand, d'immuable, pour y puiser un certain sens... Je suppose. C'est difficile pour moi de me le représenter. Je n'ai connu qu'une courte année sans contact divin et... je n'ai pour ainsi dire jamais prié."

-Je n'ose imaginer à quel point ce contact est galvanisant... murmura-t-elle. Cependant, je pense que si les laïcs ont ce besoin de prier, et que s'ils continuent à le faire même si cela ne leur apporte rien de concret, rien de tangible... c'est que ça leur fait du bien, quelque part. Dès lors, pourquoi se poser de grandes questions ?
Elle soupira.
-Je pense que je viendrai à votre prochaine cérémonie. En mettant mon orgueil et mes interrogations dans ma poche.

" Venez et jugez sur pièce, Lara. Si l'amertume est trop forte... Personne, jamais, ne vous forcera à prier un dieu contre votre gré. Moi je suis convaincu que Lathandre, même s'il ne peut nous aider à tout moment, même s'il est parfois immobile quand nous traversons des moments critiques... Je suis convaincu qu'il nous entend, quelque part, et qu'aucune parole d'amour n'est jamais perdue."
Il sourit.
" Mais je suis clerc de Lathandre, donc mon objectivité est absolument nulle."

Elle rit.
-Et personne, jamais, ne vous en tiendra rigueur. Un clerc qui ne tiendrait pas ce genre de discours concernant son dieu, cela n'inspirerait pas vraiment confiance.
Elle sourit.
-Merci pour la conversation, en tout cas.

" Merci à vous, Lara."
Il se leva, la salua, puis quitta la grande salle. Il avait l'intention de retrouver Hubert, à présent, et de sortir. Respirer. Voir le ciel, vraiment, avant que le soleil ne se couche. Et contacter César à Combeloup. Il ne savait pas ce qu'il ferait s'il ne rencontrait que le vide. Elisa veillerait sur Bastien, bien sûr, ce n'était pas son rôle, il n'était qu'un oncle, le revenant, parmi les quatre enfants qu'avait encore le berger. Mais il était l'aîné, et il ne savait pas où étaient Renaud et Hortense. Où et qui.
Il se rendit à la salle d'entraînement, espérant y dénicher le paladin.

Hubert s'y trouvait, oui.
Et il s'y livrait à un jeu difficile, à savoir... dispenser des conseils sans se lancer dans aucun duel et faire mine de ne remarquer aucun des regards ou des signes que lui lançaient tous ceux qui rêvaient de croiser le fer avec lui.

Aussi parut-il ravi de voir Albérich et traversa-t-il la pièce à grands pas, dans sa direction.
" Albérich ! Tu voulais me voir !"
Ce n'était pas une question. Il l'attrapa par le coude et l'entraîna dans le couloir.
" En quoi puis-je t'aider ?
— Heu... Je... voulais aller au temple de Lathandre. Brièvement. Je dois prévenir Alaric que nous sommes tirés d'affaire... et contacter mon père."
Hubert pinça les lèvres.
" Bien sûr, murmura-t-il.
— Je vais demander à Marcus de gérer la gemme pour que nous puissions rentrer. Retrouve-moi au téléporteur, d'accord ?
— Ça marche."
Le paladin semblait avoir envie de lui poser des questions mais il n'en fit rien, et Albérich fila vers les cuisines.

Marcus leva évidemment les yeux au ciel, comme si ce qu'on lui demandait allait lui faire prendre du retard sur ses autres travaux en corus mais... il ne protesta pas, évidemment.
Ainsi Albérich et Hubert purent-ils gagner l'atmosphère si agréable du temple de l'aube qu'embrasaient les lueurs du crépuscule.
Le lieu était toujours aussi désert qu'à l'accoutumée et n'avait été victime d'aucune dépradation.

Albérich marcha un moment dans la lumière chaleureuse de la fin de journée, tendu. Hubert resta à distance, le suivant des yeux sans oser l'approcher. Puis le Luménien s'immobilisa et incanta. Il avait pensé contacter Elisa pour ne pas risquer de s'exposer au vide, mais il fallait qu'il ait confiance. Le diable avait menti et son père allait parfaitement bien.

Albérich -> Communication à distance -> César

Oui, le diable avait menti.
Albérich ?
La voix de son père trahissait une immense surprise.

Oh dieux, merci.
Albérich prit la mesure de l'angoisse qui l'avait étreint jusque là, insidieuse et profonde. Il faillit s'asseoir dans le vide, mais Hubert avait anticipé le choc et le soutint.
Tu vas bien. J'avais... On m'avait...
Trente mots, et il était en train de les gaspiller.
Je reviendrai bientôt. J'espère... que vous allez tous bien.

César garda le silence un moment. Sans doute s'interrogeait-il sur cette mystérieuse source d'informations erronées et cherchait-il la meilleur façon de rassurer le Luménien.
Sois tranquille : ici, tout le monde va bien, dit-il finalement. Tu es le bienvenu quand tu le souhaites mais prends ton temps. J'espère que tout va bien pour toi.

Il acquiesça pour le vide, frissonnant.
Je vais bien. Mieux. Transmets mes amitiés à tous.
Il était au bout de son sortilège. Il espérait que son père pouvait percevoir quelque chose d'autre que juste ces mots...

D'accord.
Puis ce fut le silence : César aussi avait atteint sa limite de mots.

" Est-ce que ça va ?" demanda Hubert, en le voyant émerger.
Albérich acquiesça, gagna un banc avec son aide.
" Le diable avait menti." murmura-t-il simplement.
Hubert le serra contre son épaule, posant le menton sur le sommet de son crâne.
" Tant mieux."
Albérich prit une profonde inspiration.
" Après Maleval, nous irons à Combeloup, d'accord ?"
Le paladin pinça les lèvres.
" Tu as toujours l'intention de partir ?
— Je ne sais pas. Toi ?
— Je crois que je devrais rester."
Ils s'observèrent un moment, Albérich finit par sourire et s'appuyer contre lui.
" Si tu restes, je reste."
Hubert rit doucement.
" Ça ne marche pas comme ça. Nous pouvons... nous devons en discuter.
— Plus tard.
— Si tu veux."
Albérich se détacha de son étreinte à regrets et se releva. Il lui restait à prévenir Alaric que l'alerte était passée... plus ou moins.

Le contact s'établir aussitôt et sans mal aucun.
Par ailleurs, connaissant parfaitement les pénibles limitations du sortilège, Alaric se contenta d'une brève salutation avant de laisser son prédécesseur dire ce qu'il avait à dire.

La crise est en passe d'être résolue. Plus d'urgence en tout cas.
Pourtant, le problème des Ithiliens demeurait... Alaric n'avait jamais rien su de la faille.
Des nouvelles du Prince ?

Ton monte entre Antelucas et lui mais reste dans jeu diplomatique. Nie toute implication et dit vouloir enquêter mais sait qu'il aura ennuis s'il envoie troupes.

Duc probablement mort. Plus d'informations bientôt.
Albérich savait qu'il lui parlerait des Enfers, de la faille, des diables... mais pas comme ça, en quelques mots lâchés dans le néant. Il rentrerait à Luménis pour obtenir la permission de créer un Temple à Clairétoile, avec une mission particulière, appuyée par l'Ordre qu'Hubert avait en tête. Cela devrait attendre le printemps, cependant.
Lathandre veille. Je te recontacterai.

Ainsi la communication prit-elle fin. Ils auraient pu recourir à un nouveau sortilège mais ni l'un ni l'autre n'en voyait manifestement la nécessité. Après tout, les nouvelles étaient plutôt encourageantes...
Le crépuscule brillait de ses derniers feux, emplissant le temple de teintes écarlates et pourpres, sublimant sa beauté.
Le quitter, comme toujours, serait une manière de petit déchirement...

Ils allèrent ensemble jusqu'au porche et s'offrirent le droit de regarder à l'extérieur un moment. Hubert enserra à nouveau les épaules d'Albérich, celui-ci glissa un bras autour de sa taille, et ils demeurèrent silencieux, l'un contre l'autre.
" Contre toute attente, nous sommes toujours là, dit finalement le Luménien.
— Pensais-tu que nous ne reviendrions pas ?
— Je ne sais pas. Je ne crois pas que je pensais encore très droit."
Hubert poussa un léger soupir.
" Et à présent ?
— A présent, je veux souffler."
Il se tourna vers le paladin et ils s'embrassèrent longuement.
" Rentrons."
Hubert acquiesça, le sourire aux lèvres, et ils regagnèrent le téléporteur.

Les voilà de retour au deuxième étage de palais où, en dehors de Guillermo, ne venaient guère que les amateurs d'art.
La pénombre progressait rapidement. Au rez-de-chaussée, les préparatifs du repas devaient battre leur plein.
Ensuite, ce serait la veillée. Leur première au sein de la Communauté depuis que la faille avait été refermée. Nul doute que l'ambiance serait moins tendue qu'auparavant...

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue