La Couronne de Cuivre

Les paroles d'Arthur - quoiqu'elles lui paraissent un peu exagérées - lui avaient tout de même ôté un poids des épaules. Elle ferait en sorte de ne plus être en retard aux prochains entraînements mais elle pouvait au moins se rassurer sur le fait qu'on ne lui en tiendrait pas autant rigueur qu'à l'académie helmite. C'est donc avec un grand sourire renouvelé qu'elle suivit le jeune-homme et évoqua l'entraînement du matin :

- Il ne m'en ont pas tenu rigueur et j'ai pu un peu dépoussiérer mes réflexes à la rapière avec un paladin étonnant. Il s'agit de Sire Amray, tu en as peut-être déjà entendu parler ?

Elle se sentait l'envie de partager ses sensations avec l'homme qui avait pris tant de place dans sa vie. Pour autant, elle savait devoir se montrer prudente : Arthur avait manifesté son désir de ne pas savoir ce qu'elle faisait au temple et elle en comprenait d'autant mieux les raisons après sa conversation avec Aphrodite.

" Non, jamais entendu parler." dit Arthur avec une grimace désolée.
Ils bifurquèrent en direction des quais.
" Mais tu sais, les paladins sunites ne sont presque jamais à Luménis. Il n'y a pas de commanderie. Ils restent généralement quelques jours puis ils repartent remplir leurs missions... Je ne les connais pas personnellement."
Il s'empourpra et Chandara devina qu'il songeait sans doute à ses déboires récents.

Chandara - quant à elle - retint qu'il était peu probable qu'elle passe beaucoup de temps à Luménis en empruntant la voie qu'elle s'était choisie. Mais elle s'efforça bien vite de chasser ces nuages de son esprit : ils trouveraient un moyen pour passer du temps ensemble et surtout en profiter. Comme le moment présent.

Devinant qu'Arthur n'était pas à l'aise, elle tenta de changer de sujet tout en pressant le pas à ses côtés pour arriver le plus vite possible à la plage :

- Je ne suis pas très versée en géographie Hellonienne mais il me semble qu'Antelucas n'est pas très éloignée de Luménis. Surtout avec vos bateaux rapides...

Une façon à peine voilée d'exprimer ses espoirs et de lui annoncer ses intentions.

" Je crois que ça prend quatre ou cinq jours, pour descendre jusque là. Je n'y suis jamais allé, je dois dire. C'est une ville... et bien... dont je n'ai jamais vraiment compris l'attrait. Mais c'est très prisé par certains. Beaucoup de Luméniens y vont en vacances... Il parait que les plages y sont magnifiques."
Ils avaient atteint les quais et se dirigèrent vers un étrange petit bosquet qui semblait pousser directement sur les pavés. Arthur le contourna et suivit un fin sentier qui longeait le quai, puis descendait en contrebas vers la plage...

Attention du double post

Chandara avait compulsé donc le document récupéré au Salon des naturalisations avec curiosité et même une certaine application : n'avait-elle pas promis au juge qu'elle le lirait après tout ? Mais elle devait bien reconnaître qu'elle avait un peu la tête ailleurs et à ses démarches qui la mènerait en différents quartiers de la ville.

Et, pour profiter qu'il faisait encore jour, elle se dirigea vers le quartier animé du port, se fiant à ses souvenirs de son escapade en compagnie de Valentine. L'escapade lui prit une bonne partie du temps qu'elle avait convenu avec Arthur et elle tenait à ne pas être en retard mais c'est tout de même très satisfaite - et assurée de pouvoir passer à la suite des préparatifs sans arrière-pensée - qu'elle retourna dans le quartier sud de la ville en passant par le parc.

Elle dut demander à plusieurs passants de lui indiquer son chemin pour rejoindre l'adresse qu'elle avait soigneusement récupéré quelques jours plus tôt à la Grande Bibliothèque. En y arrivant, elle douta un peu du bienfondé de sa démarche et surtout si on n'allait pas la prendre pour une folle mais elle ne recula pas et négocia avec le tenancier l'accord qu'elle avait en tête.

Le ciel s'assombrissait quand elle reprit la direction de la commanderie désormais toute proche et elle se sentait tout à fait enthousiaste, impatiente d'obtenir la dernière information qui lui manquait pour parfaire son plan mais aussi et surtout de découvrir l'endroit qu'Arthur n'avait certainement pas manqué de dégoter pour elle.

Arthur se trouvait dans les écuries quand Chandara arriva à la commanderie. Il lui demanda une dizaine de minutes pour terminer son travail puis la rejoignit dans la cour.
" Ça va, tu as pu faire tes... préparatifs ?" demanda-t-il.
A sa mine, la jeune femme devina qu'il était toujours incertain — un peu inquiet, certainement — de ce qu'elle avait prévu. Sans doute craignait-il quelque chose d'extravagant qui cadrerait mal avec son tempérament tranquille. Mais il sourit.
" Je t'ai trouvé une chambre, pour ma part. Si tu veux, nous pouvons y aller tout de suite. C'est sans doute mieux pour que tu aies le temps de t'installer."

La jeune-femme répondit à sa première question avec calme mais un petit sourire en coin trahissait tout de même son enthousiasme et son goût pour le mystère concernant cette affaire :

- Oui, j'ai pu m'assurer de la plupart des préparatifs et j'aurais le temps de finir demain...

Se doutant qu'Arthur ne poserait certainement aucune question, elle embraya aussitôt sur l'autre sujet, dissimulant mal sa propre curiosité :

- Oui, ça me plairait beaucoup de voir la chambre que tu m'as trouvée ! Et aussi de profiter de tes bras solides pour m'aider à porter une partie de mon fatras !

" Bien sûr." répondit-il en retournant vers l'intérieur de la commanderie et sa propre chambre, où Chandara avait entreposé ses affaires dernièrement.
La pièce était grande ouverte quand ils arrivèrent et ils entendirent un sifflotement à l'intérieur : un des novices était en train de nettoyer.
" La chambre que je t'ai trouvée est déjà dans le quartier du port, dit-il en attendant que l'adolescent termine. Je n'ai pas osé prendre une auberge de ce coin-ci, les prix me semblent vraiment prohibitifs. Mais en même temps, tu ne m'as rien dit de tes moyens, donc... Si ça se trouve, tu peux te le permettre."
Il haussa les épaules.
" Il est toujours temps de changer. Je ne sais pas non plus combien de jours encore tu comptes rester à Luménis."

Elle aurait tout de même préféré une chambre dans les environs immédiats pour faciliter ses déplacements mais le quartier portuaire n'était au final pas si éloigné... Et elle ne voulait surtout pas donner l'impression à Arthur de désavouer ses choix : le connaissant, il avait certainement composé au mieux de ses intérêts. Elle répondit donc avec entrain :

- Tu as bien fait : j'ai sans doute les moyens mais je vais avoir de gros frais et je ne voudrais pas dilapider mon pécule en quelques jours ! Et je pense que je partirai au cours de la prochaine veille après avoir trouvé un bateau et réglé quelques affaires... Mais j'anticipe : allons voir cette chambre !

Il leur fallut traverser tout le quartier sud et remonter vers l'ouest, un chemin que Chandara commençait à connaître par coeur, pour regagner la zone portuaire, une bonne demi-heure de marche, bien agréable cependant sous le soleil estival de la fin de journée. L'auberge qu'avait choisie Arthur se trouvait cependant juste à la frontière entre les deux quartiers, dans une rue agréable, avec de belles maisons de deux ou trois étages, aux façades colorées et aux fenêtres fleuries.
Une enseigne en bois peint était suspendue à front de rue et invitait le voyageur à se reposer aux Songes de la Dryade.

Quête : Un autre appel

Venus de la rue, Chandara et Arthur réalisèrent qu'on avait dérogé aux habitudes en sortant les tables dans la cour pour un banquet improvisé. C'était sans doute une occasion de dire au revoir aux preux qui se mettraient bientôt en route pour leur longue mission de recrutement. Les paladins étaient en train de s'installer, bavardant entre eux tout à la lueur des bougies que les novices disposaient sur les tables. Arthur et Chandara trouvèrent aisément une place auprès de leurs compagnons habituels : Sullyan, Kyle et Geoffroy, notamment.

Chandara était tout à fait ravie de pouvoir dîner à l'extérieur : nul doute que l'ambiance n'en serait que plus informelle et bon enfant même si elle n'avait d'inquiétude à ce sujet. Et pour bien commencer la soirée, elle salua comme il se devait les visages connus à la table qu'avait naturellement choisi Arthur.

Elle chercha aussi du regard la figure de Sire Armand : elle tenait vraiment à lui parler au cours de la soirée ne serait-ce que pour le remercier de son hospitalité et lui annoncer un peu plus officiellement qu'elle entendait prendre congé. L'officier était très certainement déjà au courant mais c'était une question de politesse : elle espérait sincèrement pouvoir rester en bons termes avec le commandant d'Arthur et avec ses compagnons d'armes.

Sire Armand présidait, comme de coutume, assis entre deux paladins de sa génération, ou presque. Il serait sans doute plus simple de l'aborder plus tard dans la soirée, quand les gens auraient commencé à se lever. Les novices courraient en tout sens pour apporter les plats sur les tables. Au nombre d'une dizaine, un peu plus de garçons que de filles, ils semblaient gagnés par la douce ambiance du repas en dépit de leurs tâches. Une odeur de viande grillée flottait dans l'air et Chandara en détecta bientôt la provenance : on avait mis un demi-boeuf à rôtir à la broche, sans doute depuis le début de l'après-midi. La conversation tourna rapidement autour du départ, qui aurait lieu le surlendemain à la mi-journée.

Chandara était parvenue à la même conclusion : il serait plus facile et surtout moins dérangeant de parler à Sire Armand en aparté à la fin du repas. En attendant, elle entendait bien profiter de ce dernier et de la bonne compagnie qui se trouvait à sa table.

Quand la conversation tourna – de façon inévitable – autour du départ des paladins, son humeur s’en ressentit un peu et son visage se ferma. Mais cela ne dura qu’un instant : pour l’heure, Arthur était toujours là et il fallait profiter de ces moments qui seraient toujours trop rares étant donné leurs choix respectifs.

Elle profita de ce que son compagnon réponde à une question de l’un de ses compagnons pour se pencher vers Sullyan, sa voisine de table. Elle lui adressa un sourire penaud avant de se décider à se lancer en parlant suffisamment bas et près de son oreille pour ne pas être entendue du jeune paladin :

- Seriez-vous disposée à trahir un petit secret concernant Arthur ?

Sullyan lui rendit un regard surpris et sourit doucement.
" Je ne suis pas certaine de connaître le moindre secret concernant Arthur... dit-elle. Mais dites toujours."

Chandara s’était évidemment attendue à ce genre de réponses mais Sullyan ne semblait tout de même pas contraire à sa demande. La jeune-femme lui rendit donc un sourire complice et entreprit de la rassurer sur l’innocence de sa requête :

- J’imagine que ce n’est pas un secret et vous le connaissez bien… Voilà, je eux lui préparer une surprise et je souhaiterais savoir s’il y a un plat qu’il apprécie tout particulièrement.

La paladine eut un sourire mutin.
" Arthur est un vrai Luménien. Il aime le poisson, les fruits de mer, tout ce qu'on trouve dans la baie... Mais ce qu'il préfère, ma foi... Vous feriez mieux de demander à Geoffroy ou à Kyle... Je ne suis pas exactement très proche de lui."

Chandara jeta un œil dans la direction d’Arthur pour vérifier qu’il ne s’intéressait pas à leur conversation puis répondit d’un ton joyeux à la paladine :

- Je ne m’étais pas trompé jusque-là alors mais je vais mener ma petite enquête. J’espère que ces deux-là seront discrets : après tout, les garçons passent leur temps à pérorer, non ?

Bon, parler discrètement aux deux amis d’Arthur semblait illusoire tant qu’ils se trouvaient à table mais elle devrait parvenir à en intercepter l’un ou l’autre au cours de la soirée.

L'opportunité, Chandara dut la guetter, car même si le repas se déroulait dans une ambiance détendue, les gens n'avaient pas réellement de raison de se lever. Finalement, après le plat principal, Geoffroy partit chercher une nouvelle bouteille de vin pour la tablée. C'était peut-être la seule ouverture qu'aurait Chandara avant le moment où tous partiraient se coucher... Et comme Arthur la raccompagnerait certainement, ce serait sans doute bien compliqué...

Restait à trouver une excuse pour se saisir de cette opportunité et la jeune-femme prétexta vouloir remplir leur corbeille de pain pour se lever et rejoindre Geoffroy près de la table où se trouvait les différentes victuailles. Arrivant près de l’ami d’Arthur, elle l’interpela à mi-voix tout en faisant mine d’accomplir la tâche qu’elle avait annoncée :

- Geoffroy, est-ce que je peux vous parler un instant ?

Le paladin lui sourit.
" Bien sûr que vous pouvez me parler. Quelle question bizarre."

Elle se soudain bien ridicule et la question qu’elle comptait aborder n’allait certainement pas arranger cette impression. Tout de même un peu rassurée par le sourire qui lui était adressé, elle répondit donc avec une certaine hésitation :

- Alors voilà, vous semblez bien connaître Arthur… Et j’aurais voulu savoir quelque-chose le concernant. Sans qu’il devine pourquoi sinon je lui aurai posé directement la question.

Misère, elle s’enfonçait en circonvolutions inutiles qui devaient donner l’impression qu’elle n’avait certainement pas besoin de la nouvelle bouteille de vin que Geoffroy rapportait…

- Hum… Donc. Je voudrais savoir si vous connaissez le plat préféré d’Arthur. Quelque chose qui lui ferait vraiment plaisir.

Le paladin parut tout à fait surpris, puis il sourit en secouant la tête.
" Ah la la, la jeunesse... Enfin. Je dois dire que je n'ai jamais été à l'auberge avec Arthur, et ici, on mange ce qu'on nous sert, sans possibilité de choisir. Mais de manière générale, il aime bien les produits de la mer."
Il prit un air mutin.
" Vous savez, Arthur n'est pas quelqu'un de démonstratif, j'imagine que vous l'aviez remarqué... Ce n'est pas le genre de gars qui va subitement s'extasier devant son assiette en poussant des cris de joie... et... essayez quand même de ne pas trop l'embarrasser, Chandara, hein... Sinon vous allez juste le faire fuir."
Il sourit à nouveau.
" Il me semble qu'il aime particulièrement les crustacés... Peut-être surtout le crabe et le homard. Mais ce ne sont pas des choses faciles à manger... Demandez qu'on vous les prépare sinon votre souper romantique va être une catastrophe."

Chandara rosit légèrement de dévoiler ainsi ses projets à l’un des amis d’Arthur. Mais c’était pour la bonne cause ! Geoffroy n’était pas le premier à la mettre en garde contre les grandes démonstrations potentiellement gênantes mais elle espérait tout de même que la soirée qu’elle avait imaginée pourrait plaire à son compagnon. Qu’elle puisse les rapprocher et leur faire un beau souvenir avant les mois difficiles qui s’annonçaient. Elle répondit au paladin d’un ton amical avant de le suivre vers la table :

- Merci pour vos suggestions ! Et je compte aussi sur votre discrétion !

" Bien sûr. Mais souvenez-vous de ce que je vous ai dit." dit-il avec un clin d'oeil avant de déposer triomphalement sa bouteille de vin sur la table, au son des vivats de ses camarades.
Les paladins ne paraissaient pas prêts à aller se coucher malgré l'heure tardive. Kyle s'était lancé dans un récit épique sur leurs tentatives de sauver contre son gré une grand-mère dont la cabane avait été emportée par une rivière et qui refusait de descendre de son toit.

Chandara n’était pas non plus pressée que la soirée prenne fin : elle se trouvait en agréable compagnie, la chère était savoureuse et écouter le récit de Kyle la fit s’esclaffer plus d’une fois. Demain arriverait bien trop vite et il fallait savoir profiter de l’instant.

Elle se souvint néanmoins tardivement qu’elle avait l’intention de parler au commandant d’Arthur avant qu’il ne se retire : partir sans un mot aurait été plus que malpoli : elle ne voulait pas ternir ainsi le séjour et l’accueil chaleureux qui lui avait été fait.

Contrairement aux plus jeunes, qui paraissaient prêts à passer la nuit dehors, Sire Armand, plus sérieux et plus âgé, se retirerait sans doute avant eux. Chandara l'aperçut d'ailleurs glissant quelques mots à l'oreille de son second, avant de se lever et de souhaiter bonne nuit à ses plus proches voisins. Quand la jeune femme se leva précipitamment pour l'intercepter avant qu'il ne disparaisse, elle eut le temps de voir la grimace d'Arthur, qui craignait manifestement cette initiative...

Mais c’était quelque-chose qu’elle se devait de faire. Non pas que la démarche lui soit désagréable mais elle était aussi nécessaire de son point de vue. Pour son honneur. Elle adressa un sourire un peu penaud au jeune-homme quand elle nota sa réaction puis poursuivit son chemin vers la table de Sire Armand.

Elle se sentit soudain au centre de l’attention et se demanda si elle ne faisait tout de même pas une bêtise en imposant ainsi sa présence au commandant. Peut-être le moment était-il mal choisi… Mais maintenant qu’elle était debout, elle ne dévia pas de sa trajectoire et engagea la conversation d’un ton un peu intimidé :

- Sire Armand, me ferez-vous l’honneur d’une courte conversation ? Je tenais à vous remercier…

Le commandant lui fit signe de le suivre et ils s'écartèrent quelque peu de la table.
" J'espère que votre séjour n'aura pas été trop désagréable. Nous n'avons pas l'habitude de recevoir des... visiteurs."

La jeune-femme esquissa un sourire franc et lui répondit avec beaucoup de sincérité, mise en confiance qu’elle était par cette entrée en matière :

- Bien au contraire : vous et les vôtres avez tout fait pour que je me sente un peu comme chez moi. Je ne veux pas vous donner l’impression d’avoir pris la décision de m’éloigner parce que je ne plais pas ici car ce n’est pas du tout le cas. C'est simplement que je me sens... appelée ailleurs.

La Couronne de Cuivre

[Bâtiment] La Commanderie des Paladins de Lathandre