La Couronne de Cuivre

Il fit la moue, à la fois dubitatif et mal à l'aise.
-Je ne pense pas être la personne indiquée pour lui parler, vraiment... murmura-t-il. Quant à son avenir... J'avoue que cela m'inquiète. Nous sommes si peu nombreux, nous avons besoin des efforts, du concours de chacun. Mais pourquoi se battrait-il, lui, s'il n'a rien à espérer, sinon la prison, l'exil ? Les Mélandiens ne sont pas les bienvenus à Luménis, et il doit le savoir... Pourquoi nous aiderait-il, si nous ne lui promettons rien ? Si nous ne nous engageons pas à interférer en sa faveur, sinon à cacher son identité lorsque viendront les Luméniens ?

" Parce qu'il veut vivre, simplement." fit Elerinna, en le dévisageant avec un sourire. " C'est ce qui motive la plupart des gens, vivre. On sait ce qu'on a, pas ce qu'on pourrait perdre. Vivre, c'est tout. C'est suffisant. Les gens qui se laissent mourir, qui se tuent, sont rares. Même parmi les esclaves de Mélandis. Les miséreux dans les quartiers oubliés. Les prisonniers qui savent qu'ils ne sortiront jamais de leur cellule. Les gens qui comme toi, apparemment, songent que tirer sa révérence est une option, sont l'exception. Il veut vivre. Même prisonnier, même en exil. Il n'a besoin de rien d'autre. Et il se battra pour conserver sa vie. Comme moi. Comme nous tous."

Le barde soupira.
-Je suis peut-être une exception. Sans doute est-ce pour cela que je n'arrive pas à comprendre ce désir de vie à tout prix. A quoi bon vivre, sans liberté ? Sans proches ? Sans espoir d'amélioration ? Me dirait-on, dans l'instant, que je vais survivre à ceci pour finir mes jours entre les quatre murs humides d'une geôle, sans plus revoir les miens, que je me trancherais les veines sans la moindre hésitation. Au mieux attendrais-je d'être certain que vous, vous allez vous en sortir.

" Parce que l'espoir est l'apanage de tous. Même des jeunes Mélandiens qui se vouent à un dieu cruel. Parce que la vie est faite de petits bonheurs... et que ces petits bonheurs dépendent de l'endroit où on place sa barre... Tu as été un voyageur errant, libre, tu as souffert sans doute, mais évidemment, tes rêves sont quelque part dans le ciel, élevés, féériques... Que sais-tu de ce qui fait vivre les petites gens qui n'ont rien ? Les hommes et les femmes qui doivent s'avilir chaque jour pour gagner leur croûte ? Que sais-tu de la joie d'un esclave, comme l'elfe qui s'est sacrifié là en haut, peut-être pour te sauver, me sauver, sauver son maître ? "
Elle tourna les yeux vers le Mélandien.
" Peut-être est-il comme moi... Peut-être a-t-il l'espoir que cet exil ou cette prison renfermeront un nouveau départ... Peut-être compte-t-il sur la proverbiale miséricorde des Luméniens ? Ou alors espère-t-il vivre assez vieux pour rentrer chez lui ? Qui sait ? Peut-être n'y pense-t-il pas pour l'instant, aussi... Il est seul. Il a peur. Mais il a encore plus peur de ce dont il ne sait rien. Les Enfers promis par Talos, Cyric et Shar ne sont probablement pas des plus riants, quant on est un jeune marchand de rien..."

Taliesin la dévisagea, ébahi.
-Mais qui crois-tu que je suis, Elerinna ? lâcha-t-il, presque indigné. Un seigneur en goguette ? Un prince égaré par erreur ? Oui, j'ai connu la vie de cour, les draps de soie, les festins. Et sans doute est-ce une chance aussi gigantesque qu'imméritée. Mais cela n'a duré que quelques années. Quelques années au milieu du reste. J'ai aussi connu la prison. Et l'esclavage, en quelque sorte, avec pour seule joie la journée de repos qu'on nous accordait parfois, où le principal soulagement était de ne pas devoir descendre à la mine. Pour le reste, j'ai grandi dans une maison de rondins, avec des forestiers humains qui me faisaient l'honneur de me considérer comme l'un de leurs nombreux enfants, ce dont je leur suis à jamais redevable. Et depuis que j'ai commencé mon apprentissage de barde, j'ai parcouru les routes, les villages. J'ai joué dans des tavernes, devant des ivrognes qui n'hésitaient pas à m'insulter, si d'aventure ce que je faisais ne leur plaisait pas, où si je commettais une erreur, une fausse note. Croutons de pain ou chopes de bière, les projectiles pouvaient être variés, surtout quand j'en étais à mes débuts. "L'apprentissage du métier", disait mon maître. Moi, j'avais l'impression de m'avilir. Évidemment, ça n'en a pas toujours été ainsi, mais c'est arrivé. J'ai connu les bons lits et la paille moisie des granges, sinon le creux entre les racines d'un arbre. J'ai partagé la vie des gens du commun, et j'ai toujours préféré leur compagnie à celle des nobles, des bourgeois...
Il prit une profonde inspiration, recommença à essuyer la vaisselle.
-Quant à mes rêves féériques, ils sont derrière moi. Ne crois pas que... Que je vis dans une tour d'ivoire, avec des aspirations sans limites, Elerinna. Je ne suis pas un seigneur en goguette ni un prince égaré par erreur. Aujourd'hui, j'aspire juste à vivre avec les miens. C'est déjà énorme, je le sais bien. Déjà inespéré... de pouvoir espérer cela. Je connais le prix de mes rêves actuels.

" Mais tu restes un être d'absolus. Tu refuses de te contenter de ce qui motive la survie de la majeure partie d'entre nous... Et c'est tout à ton honneur. Mais la majeure partie des gens ne se posent même pas la question en ces termes. Ils survivent. Si tous les malheureux se donnaient la mort, il ne resterait pas grand monde sur ce plan. Et personne pour se charger de toutes les menues tâches nécessaires à faire tourner nos sociétés. Mais le malheur, comme le bonheur, ne sont pas des absolus. Et l'instinct de survie... Je ne sais pas si tu peux le comprendre. Je pense que c'est quelque chose de profondément ancré en nous. Peut-être est-ce l'apanage des humains. Nos vies sont courtes. Nous n'en avons qu'une. Peut-être qu'au bout d'un siècle, on est plus prompt à estimer que la vie n'en vaut plus la peine."
Elle haussa les épaules.
" Enfin. Le Mélandien n'est pas condamné. Cela lui suffira. Tu ne dois pas douter de sa coopération."

Il reposa son chiffon : il ne restait plus rien à essuyer.
-Les elfes ne diffèrent pas des humains, sur ce plan. Quand ils vivent entre eux, il ressentent le temps d'une autre manière, voilà tout. Et ils tiennent à leur vie autant que les autres. Moi... Et bien, sans doute ais-je trop perdu pour accepter de continuer si je dois voir disparaître ce que j'ai retrouvé. Et je ne suis pas certain que les parents de la petite fille et du bébé, dans l'autre groupe, tiennent à sauver leur existence, s'ils viennent à se retrouver seuls...
Il grimaça.
-Ou peut-être que si. Je n'en sais rien, au fond. Et je me garderai bien de présumer d'autrui, tout comme je m'abstiens de juger : je ne peux parler que... de mon propre ressenti.
Il jeta un regard au Mélandien.
-Il n'empêche : je crois que nous devons... le ménager. Et lui montrer qu'il fait partie des nôtres. Mais je dis ça, alors que tu le fais déjà...

Elerinna sourit.
" Je ne t'ai pas suggéré de le torturer pour lui extirper tous les secrets de Mélandis. Parfois, faire parler les gens de ce qu'ils sont... c'est ce dont ils ont besoin. C'est reconnaître qu'ils existent. Nier ce qu'il est, ça ne l'aidera pas davantage."
Elle soupira.
" Tu sais, ce sont ces moments qui font avancer les choses. Je ne m'attends pas à ce qu'il se métamorphose en bon petit Lathandrite en deux jours, mais c'est une opportunité pour tout le monde."
Elle lui jeta à nouveau un coup d'oeil.
" Evidemment, il est dans un état second, mais cela s'améliorera sans doute avec le temps."

-J'espère... murmura-t-il. Mais nous le sommes tous un peu, dans un état second...
Il entreprit de se charger de bols, d'assiettes, de couverts...
-Je verrai si l'occasion se met de lui parler, même si je persiste : je ne suis sans doute pas la personne la plus indiquée... Et en attendant, si tu as d'autres choses à me faire faire, n'hésite pas : je sèche complètement.
Il eut un sourire plus léger.
-Oui, je sais, un barde en panne d'inspiration, c'est navrant. Mais je suis quelqu'un d'assez navrant, au fond.

" Je suis désolée, mais je n'ai rien à te faire faire. Je n'ai rien à me faire faire non plus. Trier les épices par ordre alphabétique ? Composer les menus des veilles à venir ? Faire les lits ? Il va falloir apprendre à patienter. Nous autres, coincés sur un îlot depuis des lustres, avons appris à le faire. Appris à ne rien faire. Jouer aux cartes. Bavarder. Gratter nos instruments. Raconter des histoires. Il n'y aura pas beaucoup d'autres choses à notre disposition, du moins jusqu'au retour de Martin et de son groupe."

Il soupira.
-Bon, et bien... Bon courage, dit-il enfin.
Et, sur un salut, il alla s'assoir sur son lit.
Il n'avait même pas de harpe à utiliser, et refusait de gaspiller un sort pour en convoquer une : il n'était malheureusement pas impossible qu'il y ait, les dieux seuls savent quand, dans une heure comme dans cent, un besoin impérieux de magie...
Il observa les autres, qui paraissaient s'occuper de leur mieux. Il ne pouvait faire rien d'autre qu'attendre une ouverture, une place vacante pour une partie de carte, un solitaire avec qui discuter...

En l'absence de George, il manquait de fait un joueur à la table de cartes, et Taliesin fut rapidement réquisitionné. S'il espérait cependant répliquer ses parties tranquilles d'avant l'arrivée des pirates, il en fut pour ses frais : c'était une toute autre paire de manches. Il s'avéra que Jehan trichait avec aplomb, que Victor ne supportait pas de perdre et que Fred pinaillait sans cesse sur les règles, quand il n'en introduisait pas de nouvelles. Le Mélandien était retourné s'asseoir sur son lit et les observait de loin. Elerinna avait rejoint Bellyra et elles bavardaient à mi-voix, allongées sur leurs lits. Goran et Guéric discutaient autour d'une carte qu'ils traçaient à main levée.

Dans un premier temps, Taliesin avait essayé de satisfaire tout un chacun, s'arrangeant pour laisser quelques victoires à Victor, fermant les yeux sur les tricheries de Jehan, soutenant Fred sur quelques points de règles. Mais il avait affaire à de fortes têtes, se rendait bien compte qu'il ne pourrait contenter tout le monde... Alors, bientôt, il prit le parti de rentrer dans leur jeu et, à son tour, de s'en donner à cœur joie. Il inventa des procédures abracadabrantes, sorties de nulle part, qu'il assénait pourtant avec applomb et bonhomie ; il tricha comme il n'avait jamais triché, allant jusqu'à sortir discrètement de ses manches des cartes tirées d'autres jeux, avançant que "Si les paquets ont été mélangés, il fallait faire avec, comme nous l'a appris un grand stratège cartomancien - et gnome - dont le nom m'échappe" ; il intrigua tant et si bien, fit preuve de tant de mauvaise foi tandis que les parties viraient au grand n'importe quoi, qu'il en vint à toutes les gagner... Il essaya, ce faisant, de rester joyeux, de montrer qu'au fond, tout cela n'était... qu'un jeu. Il devait l'admettre, toutefois : plus qu'une leçon de morale, il cherchait à se détendre en faisant l'imbécile, comme de coutume.
Restait à espérer - et il s'y employait - que la bataille de cartes ne finirait pas en dispute ou ne se déplacerait pas sur un autre terrain, un nouveau mode d'affrontement de nature à rendre nerveux les autres occupants de la caverne. Il devrait faire preuve de sagesse...
Mais en était-il capable ?

Mais si Taliesin avait décidé de prendre leur partie à la rigolade, il ne trouva d'écho qu'auprès de Jehan, lequel prit le pli de perdre le plus platement possible. Ni Fred, ni Victor ne trouvèrent la situation drôle. Le Luménien finit par se désintéresser complètement de ce qui se passait autour de la table, ne posant plus ses cartes que d'une main molle, et réfléchissant déjà manifestement à une autre activité. Victor s'énerva, bouillit de colère, puis finit par balancer ses cartes à travers la table en pestant.
" Je ne joue plus ! Vous me cassez les pieds, tous les deux !" hurla-t-il, surprenant l'ensemble de la petite communauté.
Puis il partit vers son lit où il alla se cacher.

Taliesin grimaça. Il n'avait fait qu'adopter leurs manières, après tout... Et il tombait des nues en constatant à quel point Victor était mauvais joueur. Le petit garçon avait son caractère, d'accord, mais...
-Bon, et bien, je crois qu'on va oublier les cartes un moment... murmura-t-il.
Puis, se tournant vers Jehan :
-Hum, tu vois un truc qui améliorerait l'humeur de Victor ?

Jehan avait du mal à masquer son hilarité, mais il se reprit.
" Non, je crois qu'on fait mieux de le laisser râler dans son coin..." fit le gamin avec le sourire. " Ça lui passera."
Il ramassa les cartes et entreprit de les classer. Fred s'était esquivé.
" On joue à un truc à deux ? Tu connais des chouettes jeux ?"

Le barde était mal à l'aise. Mais s'il allait voir Victor dans l'instant, il se ferait rebuter assez sauvagement.
-Oui, dit-il finalement. A deux, il y a pas mal de jeux marrants... Mais il faut d'abord qu'on trie, j'ai, hum, vraiment tout mélangé...
Il s'affaira à séparer les cartes des différents jeux puis, quand ce fut chose faite, expliqua brièvement à Jehan les règles d'ailleurs fort simples de la "Fin-de-soirée". Dans les auberges, on y jouait souvent tard, comme son nom l'indiquait, quand on était trop ivre pour suivre des mécanismes complexes. Du hasard, surtout. Mais beaucoup d'amusement.

Ils y jouaient depuis une petite demi-heure environ lorsqu'il y eut du bruit dans un des conduits qui menaient à la grotte et les trois cartographes du jour reparurent. Ils étaient couverts de boue et de poussière, manifestement éreintés, et ils se laissèrent tomber autour d'une table, comme de gros sacs de voyage que l'on lâche. Bien sûr, un attroupement se forma rapidement autour d'eux.
" On a deux nouvelles." fit Martin. " Une bonne et une mauvaise. Même s'il y a de la bonne nouvelle dans la mauvaise."
" Espèce d'optimiste, le Luménien t'a contaminé." grommela Ruyven en enlevant ses bottes.
Ses pieds dégageaient un délicat parfum de fromage fait mais il n'en eut cure malgré la grimace explicite de Bellyra.
" On a trouvé la grotte qui donne dans la mer."
" Mais il y a des pirates qui ont commencé à descendre." ajouta George.

Le barde ne put réprimer une grimace.
Ainsi, les pirates s'étaient lancés dans l'exploration des cavernes. De ce qu'en avaient dit les nouveaux venus, il ne pouvait encore savoir si c'était uniquement dans la grotte maritime ou dans les autres tunnels.
C'était une mauvaise nouvelle en soi, de toute façon. Une très mauvaise nouvelle.
Silencieux, déjà tendu, il attendit la suite.

La déclaration de George avait laissé tout le groupe silencieux et tendu.
" Attendez, ils sont dans la grotte maritime ?" demanda Guéric, exprimant une interrogation partagée.
" Non, non." fit Martin. " La grotte ouverte sur la mer est une chose. Elle se trouve là..."
Il déroula rapidement la carte et indiqua un emplacement approximatif.
" L'ouverture est belle, il y a assurément moyen d'en sortir... Mais le souci est d'y faire pénétrer l'embarcation... En pièces détachées." dit Ruyven.
" Les pirates, eux, sont descendus par là."
Il désigna un autre secteur.
" Pour l'instant, rien ne nous permet de penser qu'ils explorent les grottes. Mais ils ont trouvé une belle entrée... qui pourrait nous servir de sortie."
" En fait, ils se servent de la caverne qu'ils ont trouvée comme d'une sorte d'entrepôt..."
" Moi j'ai eu l'impression qu'ils y construisaient quelque chose..."
" En fait, on n'a pas bien vu, parce qu'on n'a pas trouvé le conduit qui y mène... Juste une fissure qui nous a permis de les voir..."

Taliesin réprima un soupir.
Pourquoi les pirates utiliseraient-ils la grotte comme un entrepôt ? Ils pouvaient employer tous les bâtiments de l'île, puisqu'ils n'avaient pas été incendiés.
Et que pourraient-ils y construire ? A moins, évidemment, qu'ils n'envisagent de se bâtir un repaire souterrain qui demeurerait invisible aux yeux des voyageurs de passage... ou des renforts qu'ils pouvaient les soupçonner d'avoir mandés.
Tant de conjectures... Et inutiles, de surcroît. Car les faits étaient là : les hommes du Squale avaient découvert le réseau de cavernes, et si celle dans laquelle il s'affairaient ouvrait sur des tunnels, ce qui était plus que probable, ils ne manqueraient pas de les explorer, tôt ou tard.
-Il va falloir que nous les surveillions... lâcha-t-il d'un ton qu'il espérait neutre.

" Immanquablement..." soupira Guéric.
" Il reste possible que cette grotte ne soit pas reliée au réseau général... L'île en est littéralement truffée." dit Martin.
" Mais c'est un risque que nous ne pouvons pas prendre." fit le halfelin. " Nous devons commencer la surveillance dès que possible. Par deux. Roulements de quatre heures."
" Quel bonheur..." souffla Bellyra.
Guéric lui jeta un regard incisif.
" Et je m'y colle en premier. Rinna ?"
" Je viens avec toi. Juste le temps d'attraper des couvertures et de quoi manger."

Taliesin ne dit rien, sachant très bien qu'ils feraient tous le guet, à un moment où à un autre. La perspective était peu réjouissante, mais il fallait que chacun mette la main à la pâte, et il ne comptait pas se défiler.
Des heures à surveiller la caverne... Et à prendre garde de ne faire aucun bruit... Car en surveillant les pirates, ils courraient le risque de se faire surprendre. Sans parler de celui de se faire prendre à revers, si les forbans envoyaient des explorateurs plus avant dans les souterrains...
Ils n'avaient pas le choix, toutefois.

Elerinna et Bellyra furent bientôt sur le départ et Martin leur donna une carte, leur expliquant en détails la route à suivre. Aucune des deux n'avait participé à une expédition de repérages et le courtisan semblait inquiet de les lancer à l'aveugle dans les ténèbres.
" On devrait piéger cette partie des grottes aussi, sans doute." dit finalement Goran.
" Et trouver le conduit qui mène à cette caverne. S'il y en a un." ajouta Ruyven.
Guéric soupira.
" Notre objectif n'est pas de cartographier tout le sous-sol de Mersant. Nous devons réfléchir à ce qui nous est utile, rien de plus." fit-il, sombre.

-Connaître au mieux le réseau pourrait être utile en cas d'assaut ennemi, fit Taliesin. Nous serions à même de les semer, de les perdre... Mais vu le travail que ça représente, et vu ce qu'on n'a déjà fait, on peut effectivement se concentrer sur des choses prioritaires.
Avisant l'air ennuyé de Martin, il se leva.
-Je peux essayer de vous guider, si vous voulez... proposa-t-il aux deux courtisanes.

Guéric se leva et rejoignit leur petit attroupement.
" Est-ce que ce n'est pas un peu loin ? J'aimerais autant que tu sois en forme pour ce soir, puisque nous allons sortir. Ruyven ou George peuvent y aller."
" Ils sont crevés, Guéric." intervint Martin. " Fred pourrait éventuellement y aller, mais je pense que Belenn... c'est à lui de voir ce qu'il en pense. Ça doit bien faire une heure et demi de marche jusque là."
" Par les oreilles de Cyric, je vais changer de bottes." s'exclama Bellyra, face à cette révélation.

-Cela fait donc... Trois heures aller-retour ? s'exclama l'elfe, surpris.
La chose lui paraissait incroyable : en surface, il fallait quelques minutes seulement pour traverser l'île. Mais les tunnels étaient tortueux, c'était le moins que l'on puisse dire. Un avantage, d'ordinaire. Là, un inconvénient.
-Il faut renoncer aux relèves toutes les quatre heures : non seulement les trajets nous épuiseraient tous un peu, mais de surcroît, nous risquerions, par ces allers et ses retours incessants, d'attirer l'attention des pirates...
Il soupira.
-M'est avis qu'il faut des équipes de trois personnes qui resteront au moins une demi-journée là-bas. Avec de quoi manger, boire...

" Il a raison." dit Martin.
" Quand même, une heure et demi, comment est-ce possible ?" fit Elerinna, reprenant tout haut l'interrogation du barde.
" Nous avons exploré la majeure partie des conduits principaux." ajouta Martin. " A présent, nous avançons dans les couloirs plus étroits, moins accessibles... La progression n'est pas toujours évidente, loin de là. Je ne devrais pas vous donner de détails, vous allez renoncer..."
" Il faut ramper, c'est ça ?"
" La question devrait être : peut-on parfois marcher debout..." fit le courtisan avec une grimace.
" Est-ce vraiment utile d'aller les espionner, dans ce cas ? Il suffirait de boucher un passage ou un autre..."

-Il faut bien savoir ce qu'ils font... avança l'elfe, d'un ton qui signifiait clairement qu'il aurait aimé penser le contraire. Ou au moins s'assurer que leur grotte n'a pas d'autre issue... Sans quoi, nous ne verrons pas s'ils commencent à explorer vraiment les cavernes. Et tandis que nous les explorerons, nous, nous pourrions très bien tomber face à eux, à l'improviste. Et là...
Il laissa sa phrase en suspens. Inutile de verbaliser ce que tout le monde savait : s'ils croisaient des pirates, ce serait la catastrophe. Car ils faudrait arriver à les tuer, d'abord. Et s'ils y arrivaient, leur absence serait remarquée par leurs comparses.
Et les explorations ennemies - quoi qu'il faudrait plutôt parler de traques - recommenceraient de plus belle.

" Nous ne saurons si leur grotte a une autre issue que si nous terminons d'explorer les conduits qui sont liés à celle-ci. Enfin, ça nous permettra au moins de savoir si les deux espaces communiquent. Il n'est pas impossible que leur grotte soit liée à un tout autre réseau." dit Martin. " Mais nous sommes presque au bout. Je l'espère du moins. Je ne m'attendais pas à ce qu'il y ait autant de galeries et autant de niveaux sur un si petit caillou. Je crois que les derniers conduits descendent tellement profonds que seuls des gnomes ou des nains verraient un quelconque intérêt à s'y aventurer."
" Bon, faisons ce que Belenn propose. Nous sommes treize, dont trois inutiles, nous formerons trois groupes de trois. Martin, tu n'en seras pas tant que tu n'as pas terminé le relevé des grottes." fit Guéric, puis se tournant vers Taliesin. " J'aimerais autant que tu ne sois pas dans ce premier groupe. Je compte toujours sur notre sortie nocturne. Fred peut aller avec les filles et Bellyra les guidera dans le noir sans difficultés."
" Puis Fred apprécie vraiment notre compagnie, lui, au moins." fit Bellyra.
" Vous allez surveiller les pirates, Bellyra." lui rappela Guéric, et elle lui tira la langue.

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