La Couronne de Cuivre

Le repas terminé, il ne fut guère difficile de trouver un endroit dépourvu de racines ou de cailloux pour s'étendre. Les gamins, que leur inconfortable somme du jour n'avait au final reposé qu'à demi, sombrèrent aussitôt après s'être couchés. Quant à Brus et Chandara, ils ne tardèrent pas à les imiter, et cela n'eut rien d'étonnant : l'un comme l'autre étaient littéralement épuisés.
La nuit fut paisible. Le quatuor fraichement apparu put dormir sans être dérangé tandis que, pour les hommes de Gaspard, s'enchaînaient des tours de garde au cours desquels aucun ennemi d'aucune sorte ne se manifesta. Enfin, les ténèbres cédèrent la place à l'aube. Au-dessus de leurs têtes, à travers les épaisses frondaisons, ils apercevaient des pans d'un ciel d'azur sans tâche. La journée s'annonçait splendide.
Sur le plan météorologique, en tout cas.

Bien que littéralement épuisée par les nuits trop courtes, la débauche d'énergie et de vitalité, la nuit de Chandara ne fut pas totalement aussi reposante qu'elle l'aurait espérée. Trop souvent, elle avait été interrompue par quelque cauchemar concernant ce qui allait les attendre le lendemain. Simples fantasmes ou rêves prémonitoires, elle se sentait inquiète de ce qu'il avait pu advenir d'Arthur, de l'état dans lequel ils le retrouveraient si tel était bien le cas.

La paladine n'en était pas moins déterminée et quand vinrent les premières lueurs de l'aube, elle songea que Lathandre - le dieu de son ami - veillerait peut-être sur eux en cette journée critique. Le moindre coup de pouce supplémentaire s'avèrerait des plus appréciables étant donné le peu de forces qu'ils pourraient opposer aux implacables mélandiens et à leurs alliés mort-vivants. C'est donc une Chandara d'humeur un peu sombre mais qui tâchait de ne pas le montrer qui se leva avant de s'équiper en hâte et rejoindre les hommes déjà éveillés, sans doute ceux de la dernière garde. Et les salua poliment mais sans lever la voix pour éviter de réveiller ceux qui gagnaient encore quelques minutes de sommeil bien méritées.

Gaspard avait l’habitude de dormir à peu près n’importe où, dans à peu près n’importe quelle situation. Et très curieusement, il était surtout habitué au contexte militaire, dont les nuits précédant les batailles. Bref, il se reposa bien, fit son tour de garde, se reposa encore. Lorsque Chandara arriva, le prêtre était déjà debout. L’un de ses hommes l’aidait à ajuster son imposante armures. Il leva les yeux vers la paladine, la salua sobrement puis, une fois équipé, s’éloigna de quelques pas. Le moment était venu de prier Tempus. Pas d’heure fixe en campagne. Le colosse communiait lorsqu’un combat s’annonçait. Il plaça le symbole du seigneur de la guerre sur une pierre, s’agenouilla devant, joignit les mains et procéda en silence. A peine quelques murmures filtraient parfois...

Chandara ne manqua pas d'observer le prêtre s'éloignant pour prier son dieu. La paladine ne partageait certainement pas sa foi mais une part d'elle lui enviait le lien qui l'unissait à son dieu. Cela faisait si longtemps qu'elle-même n'avait su trouver le courage ou la volonté de prier. A quoi bon quand on avait perdu son dieu ? Et pourtant elle savait que rien d'autre ne saurait jamais combler le vide qui s'était creusé en elle ce jour sinistre où elle avait réalisé qu'elle n'était plus paladine. Pourquoi alors se faisait-elle ainsi souffrir à contempler un homme communier avec son dieu, un dieu qui prêchait une foi qui lui était étrangère, dont les dogmes allaient à l'encontre de ceux qu'elle avait suivi sur bien des points. Pourquoi cela la faisait-elle souffrir ? Elle sentit une larme humidifier sa joue mais elle détourna la tête et l'écrasa sans ménagement. Elle ne voulait pas revivre le moment honteux où elle s'était ridiculisée devant Arthur pour la même raison. Surtout pas devant ces hommes et leur commandant bourru. Lui ne saurait certainement pas la rasséréner comme le luménien avait pris soin de le faire. Lui ne prendrait pas cette peine. Et elle ne voulait de toute façon pas de sa compassion si ça avait été le cas.

Rien ne vint perturber les réflexions des uns, les prières des autres et, bientôt, les derniers dormeurs s'éveillèrent. Ils entendirent les jumeaux s'agiter, s'étirer ; l'instant suivant, ils les virent bondir sur leurs pieds, déjà débordants d'allant et d'énergie.
-Bon, on déjeune et on se met en route ? lança Hans.
-Parce qu'il faudra quand même peut-être une demi-heure pour arriver à la grotte, ajouta sa sœur, tout aussi pleine d'entrain.
-Et suive le tunnel puis grimper les escaliers, ça sera sans doute encore plus long !

« Oui, nous allons partir sous peu. »

Gaspard était de retour au milieu du camp, fin prêt à livrer bataille. Il invita les enfants à manger, distribua quelques ordres à l’intention de ses hommes puis se tourna vers Chandara.

« Vous, j’ai quelques mots à vous dire. Venez. »

Le ton était martial, neutre, et donc ne laissait pas transparaitre autre chose que la rudesse du prêtre. Il désigna un endroit légèrement à l’écart... histoire de ne pas être entendus par les jumeaux.

Chandara ne put s'empêcher de frémir légèrement quand Gaspard s'adressa directement à elle de son ton rude et sans fioritures. Après tout, il s'était quasiment contenté de l'ignorer purement et simplement depuis son retour et la paladine pressentait que la conversation qu'il avait en tête ne ferait pas office de discours de bienvenue. Mais que pouvait-il avoir à lui dire qui nécessite qu'ils s'isolent ainsi. Peut-être qu'il ne voulait pas d'elle pour cette mission, qu'il voulait qu'elle se retire dès que les enfants aurait mis ses hommes sur le chemin du passage secret. Peut-être n'avait-il même pas la patience d'attendre jusque-là, que sa vue l'insupportait trop. La paladine avait blêmi et l'avait suivi sans un mot, la gorge sèche mais néanmoins prête à protester : il était hors de question qu'elle ne puisse pas participer au sauvetage d'Arthur, même diminuée comme elle l'était.

Sitôt à l’écart, Gaspard fit face à Chandara. Il débuta sans tarder, sur le même ton, mais un peu plus bas pour être certain de ne pas être entendu.

« Il est hors de question que les gamins nous accompagnent dans le château. Je suppose que sur ce point, nous sommes d’accord. Dès qu’ils nous auront montré la grotte, j’ai l’intention de les laisser sous la garde d’un de mes hommes. Mais ils risquent de faire des difficultés. J’ai autre chose à faire que de gérer des caprices, ou pire des bêtises. Vous les connaissez mieux que moi. A vous de leur faire entendre raison le moment venu. Puis-je compter sur vous ? »

Elle s'était apprêté à essuyer l'orage et à protester dès les premières paroles de Gaspard mais celui-ci la prit presque totalement au dépourvu : ainsi il entendait simplement protéger les enfants et surtout il l'avait clairement associée à l'expédition. Elle en resta coite pendant quelques instants avant de réaliser qu'il lui avait posé une question. Elle prit à peine le temps de remettre ses idées en place avant de répondre précipitamment :

- Euh... Oui, bien sûr ! Les enfants ne peuvent pas nous accompagner et ils pourront rester avec celui qui gardera vos chevaux. Je m'inquiétais à ce sujet... Non pas que je ne m'en remette pas à vous... Enfin, je m'exprime mal : nous sommes bien d'accord et je me chargerai de convaincre les enfants. Je ferai aussi bien de leur parler maintenant pour éviter tout esclandre une fois près de la forteresse, non ?

« Réglez ça comme vous voulez, du moment que c’est fait dans les temps. Autre chose. »

Le regard de Gaspard se fit plus dur, plus perçant.

« Arthur est notre priorité. J’espère que vous en êtes consciente. J’espère aussi que vous savez ce que cela implique. Il y aura peut-être d’autres prisonniers dans ce château, des gens qu’on ne pourra peut-être pas aider sans compromettre notre objectif. Ce qui s’est passé l’avant-veille, je n’en veux plus. Si vous venez avec nous, vous suivez mes ordres. On fera notre possible pour porter secours aux éventuels captifs mais Arthur passe avant ! Est-ce bien clair Chandara ? »

Chandara baissa d’abord les yeux avant de parvenir à soutenir le regard du colosse : on venait au sujet qui fâche… La paladine prit longuement le temps de déglutir pour chercher ses mots et livrer le fond de sa pensée de la façon la plus honnête possible : Gaspard aurait certainement favori un oui indéfectible mais elle ne voulait pas lui donner à nouveau sa parole au risque de se désavouer par la suite :

- Arthur est ma priorité. Pas seulement parce que c’est de mon devoir ou de mon devoir en tant que manostienne. Je suis bien consciente des enjeux et je suis prête à sacrifier ma vie si cela peut contribuer à le libérer. J’obéirai à vos ordres car je suis bien consciente que vous êtes sa meilleure chance. Vous devez néanmoins savoir que je compte sur vous pour envisager toutes les autres possibilités qui s’offriraient à nous de libérer d’autres otages ou de récupérer le grimoire maudit qui fait peser une menace terrible sur toute la région. Tant que cela ne remet pas en cause la sécurité d’Arthur cela va de soi. Et si je devais agir pour libérer d’autres prisonniers, je saurais me retenir de le faire tant que je ne suis pas assurée que vous pouvez le mener hors du château sans mon aide.

Il y avait de la détermination dans ses propos et dans son attitude. En somme, elle se plaçait sous son commandement mais n’hésiterait pas à poursuivre sa propre route dès qu’Arthur aurait regagné la sécurité du passage secret menant hors de la forteresse. Elle avait toutefois la conviction qu’elle ne verrait sans doute pas le manostien réussir sa mission et mener Arthur jusqu’à leurs lignes.

Le grimoire... Il l’avait presque oublié celui-là. Effectivement, il fallait le retrouver. Comment ? C’était une autre histoire et le prêtre doutait franchement pouvoir accomplir tous les objectifs avec le peu de moyen dont il disposait.

« On est d’accord. »

Chandara devrait se tenir à carreaux jusqu’à ce qu’Arthur soit en sécurité. Le lieutenant n’en demandait pas plus. Déjà il se détournait.

« Si vous voulez vous occuper des gamins, c’est le moment. On va partir dans quelques minutes. »

Chandara avait grand peine à en croire ses oreilles : ainsi le lieutenant Gaspard Hurlegloire était d'accord avec elle ? Elle répliqua d'un ton qui laissait par trop - d'après elle - résonner son incrédulité :

- Très bien lieutenant, je vais leur parler. Ils sont têtus mais vous pouvez me faire confiance pour les raisonner.

Peu probable étant donné qu'il ne devait pas vraiment la considérer fiable pour tout le reste... Quoi qu'il en soit, le tempusien avaient un accord et elle s'efforcerait de s'y tenir tant que lui-même accomplirait sa part du marché. Elle le laissa donc s'éloigner et réunit son courage et toute la patience dont elle était capable en cet instant avant de s'approcher des enfants et de déclarer :

- Hans, Greta, j'aurais quelques mots à vous dire si vous voulez bien...

Les gamins, qui avaient déjà fini de déjeuner et se tenaient prêts à partir, échangèrent un regard entendu.
-Faites pas cette tête, m'dame : on sait bien qu'on va pas vous accompagner dans le château !
-C'est logique, vous aurez autre chose à faire que nous surveiller.
-On restera au début du corridor secret, avec les chevaux : comme ça, vous aurez pas à vous faire de souci, puisque vous nous aurez pas dans les pattes...
-Et puisque aucun Mélandien se promenant dehors aura de chance de nous trouver.

Chandara était agréablement étonnée de ne pas se heurter à plus de résistance que cela de la part des deux enfants. Peut-être n'aurait-elle pas dû les méjuger à l'aune de la réaction de Hans quand elle avait voulu l'examiner. En tous cas elle ne s'était pas préparée à cela et elle mit quelques secondes à trouver quoi répondre en leur adressant un sourire :

- C'est bien les enfants : je suis fière de vous et je sais que je peux vous faire confiance et que vous ne me décevrez pas.

Devait-elle tout de même se méfier ? Non, elle avait vraiment envie de penser que les deux gamins - bien plus mâtures que leur âge ne laissait à penser - avaient conscience des enjeux et qu'ils mettraient tout le groupe en plus d'eux-mêmes en danger s'ils ne restaient pas cachés en sécurité. Et puis ils ne voudraient pas la décevoir, non ?

Gaspard, bien que plus éloigné, avait entendu l’échange. Diable, si tout continuait d’aller aussi bien, peut-être qu’Arthur allait les attendre à l’autre bout du passage secret, le livre maudit sous un bras. Bizarrement, il n’y croyait pas. Ayant l’habitude d’Antoine, qui était une vraie tête de mule, il soupçonnait les jumeaux de mener Chandara en bateau. L’avenir allait le dire.

« En selle ! Les enfants, l’un de vous va monter avec Chandara et l’autre, avec moi. Guidez-nous à cette grotte. »

Les jumeaux s'exécutèrent sans tarder - et sans paraître intimidés. Quelques instants plus tard, la petite troupe était en route.
Ses guides s'avérèrent efficaces et pour cause : ils connaissaient bien les environs, pour y avoir grandi. Ils ne s'égarèrent donc pas, marquèrent seulement une ou deux brèves hésitations et, après une demi-heure de trajet, menèrent l'escouade jusqu'à l'entrée d'une grotte peu profonde. Là, les gamins sautèrent de cheval, pénétrèrent à l'intérieur et, au bout de quelques quelques minutes de recherche minutieuse, déclenchèrent un mécanisme qui fit s'escamoter la paroi du fond, paroi dont, pourtant, tout semblait indiquer qu'elle était parfaitement ordinaire.
Au-delà débutait un souterrain obscur où il serait effectivement possible d'abriter les montures, si le plan soumis par les enfants agréait au lieutenant.

Tout semblait effectivement se dérouler au mieux Et Chandara ne manqua pas de remercier les enfants à sa façon pour la découverte du passage secret. Se retenant au dernier moment de déposer une bise sur leurs fronts, elle posa tout de même une main sur leur épaule et les félicita à voix basse :

- Vous avez été formidables les enfants. Et maintenant j'ai besoin que vous restiez en sécurité ici.

Elle tourna son regard vers le lieutenant et son cœur se mit à battre plus vite : non pas parce que le colosse l'intimidait cette fois mais parce qu'elle était impatiente qu'ils se mettent en mouvement. Arthur était tout proche. Et en vie. Elle n'avait aucun moyen de le savoir mais elle avait besoin d'y croire.

« Bon travail les enfants », déclara Gaspard en démontant.

Pour l’instant, rien à redire, l’opération se déroulait bien. Le lieutenant considéra le passage avec attention avant de refaire face au groupe.

« On conduit les chevaux à l’intérieur du passage secret. Toi, tu restera avec les enfants. Attends ici jusqu’à notre retour. Si d’ici quelques heures, on n’est toujours pas arrivé, regagne le camp de base avec les enfants. Informe la hiérarchie de ce qui sait passé. »

Le colosse s’était adressé à l’un de ses hommes. Celui-ci acquiesça. Le prêtre reprit :

« Vous autres, avec moi ! Je veux du silence ! Plus tard l’ennemi découvrira notre présence, mieux ce sera ! »

Après avoir allumé quelques torches, la colonne se mit en route dans le ténébreux tunnel taillé dans le roc. Ils y marchèrent longtemps, dans un silence presque absolu, dans des ténèbres que la lueur de leurs flambeaux ne faisait que repousser temporairement et qui reprenait ses droits sitôt après leur passage. Enfin, après un temps indéterminé, ils parvinrent au pied d'un escalier en colimaçon. Débuta alors une lente et pénible ascension qui, elle aussi, parut ne jamais devoir finir. Elle finit pourtant : au sommet les attendait un pallier carré, des murs de pierre... et un mécanisme qui, à n'en pas douter, ferait glisser l'une des parois dès qu'on appuierait dessus.
Le silence, lui, était toujours aussi profond.

Chandara ne voyait aucune raison de désobéir aux instructions du colosse aussi s'était-elle gardé de répondre autrement que par hochement de tête et en prenant sa place dans le groupe de soldats.

Avant d’abandonner la monture que Gaspard lui avait confiée, elle avait pris soin de récupérer le maximum du matériel dont elle pouvait se charger sans trop s’encombrer. Sa gourde, son nécessaire de premiers secours, son arme et son armure bien entendu et – après réflexion – elle choisit également de prendre une couverture et de la rouler dans son sac à dos. Même s’ils n’avaient pas à bivouaquer selon toute vraisemblance, elle pourrait se révéler utile si on avait privé Arthur ou un autre prisonnier de vêtements décents.

Ensuite, elle avait tâché de se positionner avec les combattants de corps à corps et aussi proche que possible du lieutenant pour se rendre immédiatement disponible mais sans pour autant interférer dans l’ordre naturel de la colonne. Et elle avait avancé dans les ténèbres, vers l’inconnu sans plus laisser place aux doutes, aux anticipations et aux mille réserves qu’elle avait nourries jusque-là. Et pourtant, le chemin interminable et la tension qui progressait à chaque pas avaient amené d'autres questions, toutes sans réponses jusqu'à ce que l'escalier prenne soudain fin. Que cachait ce mécanisme : allait-il déclencher un piège qui mettraient brutalement fin à tous ses espoirs ? La paladine se tourna vers le lieutenant puis vers Brus : la suite dépendant bien plus de leur responsabilité que de la sienne.

Gaspard se colla à la paroi de pierre qui allait vraisemblablement coulisser et tenta de percevoir le moindre son. Il resta ainsi près de trente secondes. Le silence était opaque. Soit il n’y avait personne de l’autre côté. Soit le mur était trop épais pour laisser filtrer les bruits. Soit des gens montaient silencieusement la garde. Il fallait se préparer à cette éventualité. Le prêtre se recula, fit face au groupe et déclara à voix basse :

« On va ouvrir. Il n’y a pas de raison pour qu’on ait droit à un comité d’accueil. Mais sait-on jamais. Préparez-vous à tuer aussi discrètement que possible les éventuels adversaires qui se présentent. Toi, tu actionne le levier à mon signal. »

Il venait de parler à un épéistes. Il voulait toutes les arbalètes disponibles. Mine de rien, quelques carreaux bien placés, cela faisait le ménage sans bruit. Quand tout le monde serait prêt, le colosse donnerait le signal. Dès que le passage serait ouvert, il s’agirait de très vite se déployer et de sécuriser la zone.

Chandara s'estimait aussi prête qu'elle pouvait l'être, tenant son fidèle marteau à la main au cas où les arbalétriers ne suffisent pas à abattre l'éventuelle menace. La paladine sentait chaque fibre de son corps tendu dans la perspective du combat à venir. Elle se força à se détendre mais le souvenir de son dernier échec cuisant contre le groupe du nécromancien la hantait tout de même. Serait-elle à la hauteur cette fois ?

S'ils avaient compté être discrets, ils en furent pour leurs frais.
Sitôt le mécanisme activé, on entendit un grondement si fort qu'il semblait susceptible d'être entendu par tous les occupants du château.
Lentement, l'un des murs du pallier se mit à coulisser, laissant filtrer de la lumière.
Peu à peu, ils découvrirent une pièce. Une cave, plutôt, car elle contenait des fûts, dont l'un, massif, avait été poussé contre une porte de bois qui leur faisait face.
On s'était barricadé, ici.
Qui, "on" ?
Trois hommes.
A la lumière d'une torche déjà bien consummée, ils aperçurent ainsi deux Mélandiens, mines éberluées mais épées tirées.
Ils aperçurent, aussi, un combattant dont Gaspard comprit aussitôt, à son équipement, qu'il n'était pas du même bord que les précédents.
Un combattant que Chandara identifia immédiatement.
C'était Arthur.
Arthur qui avait l'air de tout sauf d'un prisonnier, puisqu'il portait son armure... et son épée.

Arthur réalisa immédiatement, malgré son état vaseux, que les choses étaient problématiques. Il s'interposa entre l'escouade manostienne et les deux Mélandiens, levant une main en direction des nouveaux arrivés. Hector et Rodolphe ne pouvaient pas filer aisément : ils avaient fait en sorte de barricader la porte avec leur gros tonneau avant de s'installer.
" Rendez-vous, leur dit le Luménien, embarrassé. Ils sont nombreux, je ne voudrais pas que... les choses se terminent mal pour vous..."
Il se tourna à nouveau vers les Manostiens, avec une grimace, qui se mua en sourire très embarrassé quand il croisa le regard de Chandara. Elle était là, c'était incroyable... Jamais il n'aurait cru... Dieux, qu'elle était belle.
Il reprit ses esprits.
" Ces hommes ne sont pas des ennemis... Enfin si... mais pas vraiment..."

Chandara pensait s'être préparée à tout avant que l'homme désigné par Gaspard ait actionné le levier. Elle avait imaginé une armée de goules, une escouade de soldats mélandiens armés, un nécromancien. Peut-être même des horreurs plus indicibles encore. Mais ça ? Non, elle n'aurait jamais pensé qu'ils allaient simplement rencontrer Arthur. Arthur revêtant sa belle armure, fier représentant de son ordre malgré les traces de combat qu'elle pouvait y voir. Elle ne put s'empêcher de se demander si elle avait à moitié aussi fière allure que lui en cet instant. Assurément, elle aurait aimé se préparer à ces retrouvailles et en cet instant elle devait donner l'impression d'être une idiote muette et stupéfaite. Elle avait du mal à embrasser la situation pour le moine inexplicable aussi fit-elle aussitôt part de ses doutes. Le commandement de silence du lieutenant n'avait plus lieu d'être après tout :

- Arthur ? C'est bien vous ?

Evidemment que c'était lui : son cœur avait répondu depuis bien longtemps à cette question. Aussi ajouta-t-elle pour paraître un peu moins stupide peut-être :

- Ces hommes sont avec vous ?

Il fallait parler : elle avait la sensation qu'un seul mauvais geste de part ou d'autre et la rencontre se solderait par un bain de sang. Il fallait à tous prix éviter que des hommes soient perdus inutilement : le luménien le premier.

Par Tempus, quel était ce délire ? Pour sûr, Gaspard n’aurait jamais pu se préparer à ce cas de figure. Arthur les attendait bel et bien de l’autre côté du passage secret. Et libre. Et équipé de pieds en cape. Et avec deux Melandiens pour compagnon. Etait-ce une trahison ? Peu probable compte tenu de la réaction du paladin et de la barricade de fortune. Quelque chose s’était passé ici. Fallait-il y voir l’œuvre du grimoire ?

Quoi qu’il en soit, après deux secondes de latence et un regard vers Chandara, le prêtre fit signe à ses hommes de ne pas tirer. Ils s’avancèrent tout de même dans la cave de quelques pas, le colosse en premier. Celui-ci, très direct comme à son habitude, prit la parole. Il cachait sa surprise derrière son heaume et son ton martial.

« Arthur Maelwedd, je m’attendais à vous trouver dans une tout autre situation. Que se passe-t-il ici ? »

Les Mélandiens, pour leur part, n'avaient pas pipé mot. Ils n'avaient pas bougé non plus. Pas beaucoup, du moins : bien que la situation semble profondément les déconcerter, ils demeuraient dans une attitude défensive, leur bouclier brandis pour se protéger d'une éventuelle salve de carreaux. De même, ils n'avaient pas rengainé leurs lames. Cependant, ils les avaient quelque peu abaissées, en signe sans doute de bonne volonté, et ils se gardaient de tout mouvement hostile.

Rassuré sur l'attitude des uns et des autres, Arthur, sans quitter sa position centrale, jeta un oeil vers le colosse bardé d'acier qui lui faisait face. Il reconnut le symbole de Tempus sur son armure. Peut-être parviendrait-il à s'entendre avec son homologue mélandien... ou pas.
« Et bien… C’est un peu compliqué… dit le paladin. Il y a deux factions mélandiennes qui sont en conflit. Il y a les vraiment méchants, avec le nécromancien, le bouquin, plein de zombies et une brume verte qu’il vaut mieux ne pas respirer. Et il y a les moins méchants, avec le comte et le clerc de Tempus, qui tiennent… normalement… le donjon, dans lequel il y a des soldats, et des otages manostiens… et qui espéraient des renforts. Je ne crois pas que vous étiez les renforts qu’ils attendaient. »
Il grimaça.
« Moi, hum… comme j’étais en froid avec le nécromancien… parce que je suis paladin… et que le comte manquait d’hommes pour défendre le donjon… et qu’il a promis de libérer les prisonniers manostiens en échange de mon aide… et bien… j’ai signé. Je veux dire… Je suis toujours de votre côté ! Mais ça me paraissait raisonnable. Ils ont un sens de l'honneur assez impeccable, ces Tempusiens. Et puis Hector et Rodolphe… C’est juste des gens qui sont nés du mauvais côté de la frontière… Ils ne torturent pas les chatons, ou quoi. »
Il jeta un œil à ses compagnons.
« Et puis on n’est plus que nous trois parce que quand le nécromancien a demandé qu’on me livre en échange de leur survie, il y a eu une mutinerie, et leur officier est mort pour me protéger, et donc… Je leur dois la vie, quelque part. Alors j’aimerais bien qu’on trouve un arrangement. Si c’est possible. »

Un peu compliqué était un doux euphémisme de l'avis de Chandara : de ce qu'elle comprenait, Arthur - se retrouvant entre deux feux - avait semble-t-il dû composer avec des nuances de gris. Elle ne pouvait pas lui reprocher de s'être allié à leur ennemi pour faire face à une menace encore bien moins recommandable. Cela n'avait pas dû être une décision facile à prendre pour le luménien mais s'il l'avait prise, elle avait envie de lui accorder sa confiance à défaut de l'accorder à ses deux compagnons. Il restait de nombreux points à éclaircir et elle redoutait la réaction du lieutenant : d'un côté il y avait le fait que ces hommes étaient mélandiens et donc les ennemis qu'il avait fait le serment de détruire. D'un autre côté, Gaspard s'était souvent montré pragmatique et ces hommes étaient - ou avaient été - dirigés par un membre de son obédience. Pour ce qui la concernait, elle sentait que la meilleure chose à faire était effectivement de trouver un arrangement. Le nécromancien, sa horde de zombis, le livre en sa possession et - plus important encore - les otages étaient autant de points de préoccupation à prendre en compte. Avant que le colosse ne s'exprime, elle osa exprimer ses inquiétudes d'une voix qu'elle voulait assurée mais qui ne l'était pas autant qu'elle aurait espéré :

- Arthur, nous sommes venu pour vous sortir de là en premier lieu. Vous êtes... très important. Mais est-ce qu'il y a une chance d'atteindre ces otages ou le livre ?

La Couronne de Cuivre

[Quête] Guerre des plaines brûlantes : un certain goût pour la mort