La Couronne de Cuivre

Le Luménien ne pouvait le savoir, mais c'était justement de son sort que l'on discutait à quelques pas de là.
Lorsque Hubert avait rejoint les instructeurs, ceux-ci lui avaient réservé un joyeux accueil, de chaleureuses poignées de main et des remarques enthousiastes quant au tournoi de la fin de journée - lui demandant s'il s'était bien reposé et laissant entendre que Robert et lui ne seraient peut-être pas les seuls participants. Pour sa part, abordant la question des entraînements, Edgar annonça qu'ils officieraient toute la matinée avec des élèves du même niveau que la veille et demanda au paladin s'il souhaitait qu'ils fonctionnent de la même manière ou s'il préférait que, cette fois, ils se répartissent véritablement les effectifs. Enfin, le chevalier, après l'avoir amicalement salué, le prit à part pour l'entretenir d'Albérich.
-La règle étant la règle, je vais devoir lui faire passer un petit test, pour l'évaluer et choisir dans quel groupe l'envoyer. Cependant, cela ne doit pas vous empêcher de me parler de son niveau et d'en discuter avec son futur instructeur : vous pourrez ainsi mettre en avant certains points auxquels il se montrera particulièrement attentif.

Hubert s'était mêlé à ses confrères avec bonne humeur, plaisantant avec les uns et les autres, se réjouissant d'apprendre que le tournoi de la fin de journée serait peut-être moins confidentiel que prévu. Malgré son manque de sommeil, il sentait l'énergie lui revenir, un effet du lever de soleil, peut-être, ou simplement du plaisir qu'il anticipait pour les heures à venir. Il proposa à Edgar qu'ils travaillent encore en binôme ce matin-là, puis qu'ils prennent le temps de discuter de la répartition des combattants. Il imaginait qu'ils pourraient intervertir les groupes chaque jour, cependant, histoire de leur offrir une formation plus complète.
Lorsque Robert lui parla d'Albérich, le paladin hésita une seconde. Evoquer la manière de combattre de quelqu'un, c'était donner à un adversaire potentiel des informations critiques, dangereuses, et le paladin n'était pas certain de vouloir confier la question de la sécurité d'Albérich à quiconque d'autre que lui-même. Même si c'était officieux, il avait bien l'intention de demeurer son garde du corps, exactement comme il le lui avait annoncé. Mais Robert était un allié et certaines choses seraient de toute façon manifestes dès qu'il le testerait.
" Il est moins doué qu'un clerc de son expérience qui aurait continué à s'entraîner un minimum. Il n'est pas motivé. Il n'est offensif que quand il est de mauvaise humeur. Il est plutôt direct, pas très habile mais avec une force de frappe certaine. "
Il faillit mentionner le flanc droit mais se retint. Cela aurait été une sorte de trahison. Et Robert, ou l'instructeur désigné, s'en rendrait bien compte de lui-même.
" Je crois que c'est un peu près tout. Il a progressé, ces derniers mois. Il a heureusement une bonne condition physique, ça aide. Enfin sauf quand il a chevauché juste avant. Je pense qu'il a encore une bonne marge de progression. Il a des bases, mais il y a beaucoup de poussière dessus."

Robert hocha la tête.
-Merci pour ces informations. Je vois déjà le groupe qu'il pourrait rejoindre : il est composé de personnes auxquelles des prédispositions naturelles ou une formation passée confèrent un potentiel non-négligeable mais qui n'ont aucune envie de le développer... Malgré tout, comme je dois veiller à ce que tout le monde soit logé à la même enseigne, il ne pourra être dispensé du test. Ce sera bref, cependant, et je ne doute pas qu'il confirmera ce que vous venez de me dire. J'aurais néanmoins une autre question, si vous le permettez... Le conseiller peut-il accepter d'être un peu rudoyé, ou cela risque-t-il de le bloquer complètement ? Vu les caractéristiques et l'état d'esprit de ses élèves, l'instructeur qui a toutes les probabilités de l'avoir en charge est souvent amené à les piquer au vif... Pour les faire réagir.

Hubert se sentit envahi d'un brusque élan protecteur qui le laissa déstabilisé un moment et incapable de répondre. Il était bien conscient de n'avoir aucune envie que quelqu'un d'autre que lui entraîne Albérich, et bien conscient aussi qu'il était forcé de l'accepter. Mais l'idée que l'instructeur puisse le malmener était tout bonnement... insupportable. Il se fendit néanmoins d'un sourire, réprimant ce qui l'agitait.
" C'est difficile de prévoir... Il est relativement changeant de ce point de vue, répondit-il, sincère. S'il est en colère, je vous l'ai dit, il sera meilleur que d'ordinaire... Mais en général, il finit alors par ranger son matériel et quitter la pièce. Ce qu'on gagne en qualité, on le perd en temps de travail, en somme."

Le chevalier esquissa une grimace, hésita un instant puis, sur un soupir, se lança :
-Hubert, il n'aura pas le droit d'agir ainsi. En signant le contrat, en signant la charte, il s'est engagé à respecter les règles de notre communauté, lesquelles insistent sur le principe d'égalité absolue entre les membres, quels que soient leur origine, leur passé, leur carrière, lesquelles incluent un entraînement martial pour tous ceux qui sont en âge de le suivre. Aucun de ces éléments ne lui a été caché, et si la bienveillance est de rigueur dans nos rangs, les manquements ne peuvent être admis. Commencer à les accepter pour l'un d'entre nous, ce serait un précédent catastrophique et, pour dire le moins, le début de la fin, vu l'endroit où nous nous rendons, vu ce qui nous attend. Aucun d'entre nous n'a eu de fonctions aussi élevées que celles qu'il a occupées, certes, mais nous sommes loin de ne compter parmi nous que des petites gens. Et si nous savons, d'expérience, qu'il n'est pas évident, pour des personnes habituées à être obéies, à agir à leur guise, de se plier aux règles communes. Il n'y a pas d'autre choix. Sauf à remettre en cause tous les principes de notre projet, notre cohésion et nos chances de succès.

Misère, songea Hubert. J'aurais mieux fait de me taire.
Albérich l'avait averti qu'il ne s'était jamais bien entendu avec les militaires et la situation promettait de se reproduire à nouveau. C'était probablement inévitable mais de son côté, il n'avait pas amélioré les choses. Il aurait vraiment mieux fait de prétendre ne rien savoir : le Luménien allait le tuer s'il avait vent de cette conversation.
" Je ne voulais pas sous-entendre qu'Albérich avait l'intention de déroger aux règles en vigueur, dit-il néanmoins, embarrassé. Je voulais juste dire que... non, je ne pense pas qu'il soit une bonne idée de le rudoyer si vous voulez qu'il progresse."
Maintenant, était-ce vraiment nécessaire ? Hubert continuait à penser que si le combat arrivait jusqu'à eux, si leurs adversaires avaient été capables de défaire les véritables guerriers, les soldats de métier, les chevaliers sur leurs montures, il serait complètement ridicule d'imaginer que quelqu'un comme Albérich arriverait à autre chose qu'à se donner l'illusion d'avoir tenté de résister. Mais peut-être était-ce ça. Une forme de stratégie psychologique. Il n'était pas convaincu de son utilité.

Le chevalier se gratta la tempe, pensif.
-Il y aurait bien un autre groupe... Ses membres ont également du potentiel mais, à la différence de ceux de l'autre, ils ne sont pas allergiques aux entraînements et n'ont rien contre le développer, surtout si c'est pour aider la communauté. Simplement, ils manquent de confiance en eux, souvent parce que leurs origines ou leur métier ne les prédisposent en rien à devenir des combattants... Par conséquent, j'ai choisi pour s'occuper d'eux un instructeur très patient, très délicat, très encourageant. Toutefois, si le conseiller est vraiment réfractaire aux armes, malgré sa bonne volonté, j'entends, je ne suis pas certain que cela fonctionne avec lui, qu'il progresse ne serait-ce qu'un minimum....

Hubert poussa un léger soupir, assorti d'un tout aussi léger sourire.
" Pourquoi ne le testez-vous pas tout de suite, pour vous faire une idée ? dit-il. Je ne sais pas comment il va réagir. Je ne pense pas qu'il se comportera avec un inconnu comme il se comporte avec moi. Mais je crois aussi que vous n'en ferez jamais un véritable combattant. Il n'en a pas envie. Vous ne le changerez pas, Robert. Il se conformera à ce que vous lui imposerez, mais n'ira pas plus loin."

-Hormis pour les plus doués, le but de ces entraînements n'est pas de former des guerriers, mais de rendre les gens capables de se défendre ou de défendre les autres en cas de besoin. Semblables cas ne sont déjà pas rares dans les régions civilisées, alors dans les Landes... Aussi vigilantes que soient nos forces armées, aussi grandes que soient les précautions que nous prendrons, des créatures malveillantes pourraient se faufiler jusqu'aux civils, en se glissant entre les sentinelles ou en profitant d'un moment où le gros de nos soldats sont occupés ailleurs. Si cela advient, il est impératif que la réaction soit immédiate, que certains soient en mesure d'intervenir instantanément, pour éliminer le mal ou, au moins, le retarder le temps qu'arrivent des renforts. Je suis sûr que même les plus hostiles aux activités martiales seront heureux de pouvoir défendre des innocents grâce aux exercices qu'ils auront suivis, plutôt que de devoir se contenter de les regarder se faire massacrer, simplement parce qu'ils n'auront pas pu, un moment, pour le bien commun, se faire un minimum violence.

Hubert dévisagea un moment le chevalier, les bras croisés, puis secoua doucement la tête.
" Ce n'est pas moi que vous devez convaincre, Robert." dit-il finalement, très calme.
Même si le paladin avait toujours l'intention de se laisser battre lors du tournoi, il commençait à avoir une légère envie de secouer un peu ce valeureux chevalier prompt aux grands sermons. Egalité ne voulait pas dire interchangeabilité. Même un foudre de guerre devait être capable de s'en rendre compte.
" De surcroît, je vous ai dit qu'Albérich ferait le nécessaire pour vous satisfaire. Maintenant, si vous avez un problème avec ça, je vous suggère de lui en parler directement. Je ne suis pas son représentant. Et puisque vous mentionnez l'égalité, je vous suggère aussi de ne pas lui en demander plus que ce que vous demandez aux autres."
Hubert s'était tendu et il essaya d'assortir sa dernière phrase d'un sourire amical pour en désamorcer la sécheresse. Il ne manquait plus qu'il se mette Robert à dos à cause de choses qui n'avaient pas encore eu lieu ! Tout ceci était ridicule.

-N'ayez crainte : je lui demanderai exactement la même chose que ce que je demande aux autres personnes dans sa situation, c'est à dire aux autres personnes ayant en elles la capacité de se battre et de sauver des vies si le besoin s'en fait sentir, répondit-il d'un ton tranquille. On m'a élu pour que je veiller à la sécurité des membres de cette expédition, et c'est ce que j'essaie de faire, de mon mieux, quitte à ce que les gens m'évitent ou m'en veuillent, quitte à ce qu'ils me vouent une franche inimitié. Je ne doute pas un seul instant que vous ayez agi de même lorsque vous étiez capitaine de la garde à Solarcis et, par conséquent, que vous me comprendrez.
Il sourit à son tour.
-Mais vous avez raison, je vais aller lui parler. Autant profiter de ce moment où tout le monde est encore occupé à déjeuner pour procéder à l'évaluation loin des regards indiscrets : ainsi le conseiller sera-t-il moins mal à l'aise.
Et, sur un salut, de s'éloigner en direction du Luménien.

En le voyant s'éloigner, Hubert ne put s'empêcher de grommeler à mi-voix, mais se contenta de pousser un profond soupir. Pourquoi fallait-il que les choses tournent déjà à l'aigre, alors qu'ils n'avaient même pas encore levé le camp ? Mais peut-être était-ce normal : un peu de frictions au départ, le temps de s'adapter, et puis tout rentrerait dans l'ordre.
Il avait envie de dire au chevalier que jamais il n'aurait imposé à quiconque d'entrer dans la garde de Solarcis, que c'était quand même une différence fondamentale d'avec la situation présente. Mais il ne pouvait nier qu'il avait forcé Albérich à s'entraîner chaque matin depuis plus de deux mois, maintenant. En cela, il savait qu'il était nécessaire de l'y contraindre. Mais il y avait la manière, l'attitude et le sens.
Il regretta aussi de ne pas avoir eu le temps de signaler à Robert qu'Albérich n'était plus conseiller et que s'adresser à lui de la sorte équivalait à retourner le couteau dans une plaie qui saignait encore abondamment. Mais il était trop tard, il y penserait la prochaine fois. Aussi se tourna-t-il vers ses homologues et retrouva-t-il légèrement le moral dans leur camaraderie chaleureuse.

De son côté, le Luménien vit approcher le chevalier avec une appréhension qu'il essaya de cacher au mieux. Les choses sérieuses allaient commencer, à son grand désespoir.

-Bonne chance, lui souffla Agathe.
-Ce n'est qu'un mauvais moment à passer, ajouta Rebecca.
-Un mauvais moment avant un autre mauvais moment encore plus long et plus désagréable, grommela Ignace.
Le chevalier n'entendit rien, ou fit mine de ne rien avoir entendu.
-Si vous voulez bien me suivre, Albérich...dit-il après lui avoir serra la main. Il faut que nous nous affrontions l'arme à la main, pour que je puisse évaluer votre niveau. Mais voyez le bon côté des choses : ce sera une première occasion de vous venger de ces entraînements que vous allez devoir subir par notre faute !

Le Luménien sourit à ses compagnons de misère puis emboîta le pas du chevalier, espérant que cette démonstration n'aurait pas un caractère trop public. En même temps, autant s'y habituer au plus vite. Il allait regretter les cours particuliers du paladin, un comble...
" La vengeance n'est généralement pas dans mes habitudes." dit-il cependant, placide.

-Je me doute : c'était juste une boutade, répondit-il, lui adressant un sourire encourageant.
Il le conduisit alors jusqu'aux râteliers, où Albérich put choisir une masse et un bouclier à sa convenance - le chevalier prit pour sa part une épée et un écu - puis l'entraîna en direction de là route, jusqu'à un endroit dégagé qu'Hubert aurait pu choisir pour leur entraînements matinaux. Ici, aucun des membres de la communauté massés sur le pré ne les verrait et puisqu'il était encore très tôt, les chances pour qu'ils doivent affronter les regards de voyageurs étaient extrêmement minces.
-Bon, nous y sommes...annonça son guide. J'aimerais à présent que nous nous affrontions et, même si je sais que ce genre d'activité ne vous plait en rien, que vous essayiez de vraiment me montrer ce dont vous êtes capable. Je pense que les exercices seront moins désagréables si je suis en mesure de vous trouver le groupe et l'instructeur qui conviennent. Moins désagréables... et plus utiles, aussi. Toutefois, comme vous n'avez pas pu assister aux débats qui nous ont amenés à les instituer, comme je suis bien conscients que le combat n'est pas votre tasse de thé, je peux, si vous le souhaiter, vous présenter les motifs qui ont présidés à la mise en place de telles mesures.

Albérich lui sourit doucement.
" Vous ne devez pas vous justifier, Sir. Je me suis engagé à respecter les décisions de la communauté et si je ne peux promettre que je n'en contesterai aucune, je le ferai dans le cadre établi des assemblées, en tentant de gagner la majorité à ma cause. Et rassurez-vous, les entraînements obligatoires sont loin d'être sur ma liste de priorités. Grâce aux bons soins de vos instructeurs, je vais de surcroît pouvoir manger à ma faim sans craindre de prendre du poids."
Il soupesa la masse d'un air distrait.
" Vous avez raison, cependant. Le combat n'est pas ma tasse de thé. J'en ai payé le prix autrefois, mais la leçon ne m'a apparemment pas suffi."
Il eut un sourire personnel.
" Mais Hubert m'entraîne depuis deux mois, à présent. Même si je n'ai nul goût pour la violence, je n'ai pas envie de lui faire honte et je tâcherai donc de vous démontrer que j'ai eu un excellent professeur."

-Essayez de vous dire, aussi, que même si nous ferons tout notre possible pour que cela n'arrive pas, que même si nous prions pour que ce ne soit jamais le cas, pourrait venir un moment, au cours de l'expédition, où vous serez contraint de brandir votre arme pour protéger votre vie ou celle de vos compagnons. C'est cette idée qui permet à Ignace, à Marthe et aux autres de supporter ces entraînements. Toutefois, votre cas est un peu différent : vous avez été formé et je suis sûr que si le besoin s'en fait sentir, si vous êtes convenablement préparé, vous serez capable de terrasser de dangereux ennemis. Par conséquent, et je vous en demande d'avance pardon, nous risquons d'être plus exigeants envers vous qu'envers eux, puisque leur marge de progression est plus limitée. Quoique... Il arrive parfois qu'on se découvre, à son corps défendant, des talents que l'on ne soupçonnait pas : ainsi parlons-nous encore, entre nous, de ce jour ou Rebecca, particulièrement de mauvaise humeur, à mis à mal son instructeur...
Il sourit.
-Rassurez-vous, cependant : nous ferons en sorte que ce soit le moins désagréable possible. D'autant que je n'ai pas envie qu'Hubert m'inscrive sur la liste de ses pires ennemis : il n'a pas eu l'air d'apprécier, tout à l'heure, quand je lui ai dit que nous tenterions de développer au mieux votre potentiel, quitte à vous pousser à vous faire violence...

Il est franchement mal placé pour s'offusquer de ce genre de choses, songea Albérich, se remémorant les multiples fois où le paladin l'avait poussé à bout.
En même temps, il était touché qu'Hubert veille à ses intérêts. Et aussi inquiet de ce qu'il avait bien pu raconter à Sir Robert.
" Je ne suis pas certain que me rappeler que nous allons au devant de graves dangers soit la meilleure manière de me motiver. Le stress, c'est chose connue, est généralement cause de paralysie chez les débutants et cause de surpassement chez les experts. Je crains de ne pas faire partie de la seconde catégorie."

-Je vous l'accorde. Mais la perspective de pouvoir sauver autrui en cas de besoin peut aussi permettre de rendre les exercices moins insupportables... Cependant, je suis sûr que je suis en mesure de vous trouver une source de motivation supplémentaire. Hum... Tenez ! Battre votre ami la prochaine fois que vous l'affronterez ! Imaginez la tête qu'il ferait, si vous le prenez au dépourvu ?
Son sourire s'élargit.
-C'est décidé ! Si Hubert me surpasse lors du tournoi, ce qui est fort probable, vous serez mon champion ! C'est à vous qu'il appartiendra de venger mon honneur///

Albérich ne put s'empêcher de rire.
" Si vous pensez qu'un jour, même dans dix ans, je serai capable de venger votre honneur, c'est que vous sous-estimez rudement Hubert ! Auquel cas, vous risquez effectivement de perdre, et donc de me demander de venger votre honneur... Hum... Situation inextricable."
Il haussa les épaules.
" Entre nous, même si je suis prêt à reconnaître la nécessité de ces entraînements, je suis aussi de ceux qui pensent qu'un système ne peut tourner efficacement que sur la complémentarité. Egaux dans les droits et les devoirs, mais pas dans les compétences. Je n'ai pas besoin de me mesurer à lui dans sa sphère d'expertise et en réalité, je ne le voudrais pas."

Robert acquiesça.
-C'est bien comme cela que nous voyons les choses. Si nous demandons à tout le monde de s'entraîner, il ne s'agit que d'une mesure de précautions : nous espérons bien que les membres de la communauté n'auront pas, subitement, à abandonner leurs activités de prédilections pour prendre les armes. Mais quand on se lance dans ce genre d'aventure, mieux vaut être plus prudent que pas assez.
Il tira son épée, brandit son bouclier.
-Bon, mais si nous nous y mettions ? Je vous laisse l'initiative !

" L'initiative ? Vous m'en demandez beaucoup... Je pensais que je devais savoir me défendre..." fit-il en souriant.
Il prit néanmoins une profonde inspiration et se garda.
Flanc droit, flanc droit, flanc droit, lui répéta une petite voix dans le coin de sa tête.
Sir Robert était un chevalier expérimenté, il n'avait pas grand espoir de pouvoir le toucher. Mais peut-être pourrait-il observer certaines choses à relayer à Hubert ? Ou bien serait-ce considéré comme une entorse à l'honneur ?
Il n'en avait aucune idée.
La masse et l'épée étaient mal assorties en duel, car l'épée avait une plus grande allonge et il était donc nettement plus difficile d'approcher son adversaire, à moins de détourner son arme d'un bouclier bien positionné. Facile à dire.
Sans plus se poser trop de questions, Albérich passa à l'offensive, espérant de ne pas trop intellectualiser ce qui allait suivre.

Son adversaire bloqua puis l'assaillit à son tour, et le combat débuta, au rythme des attaques et des parades, des assauts et des contre-offensives. Si le chevalier avait commencé à agir avec lenteur, avec grande lenteur, même, Albérich nota qu'il accélérait progressivement la cadence. De surcroît, s'il s'en était d'abord tenu à des techniques on ne peut plus basiques, il les diversifiait peu à peu. Bref l'affrontement s'intensifiait sans cesse. Le Luménien n'était pas encore mis sous pression ou harcelé, mais cela finirait sans doute par venir...

Albérich ne s'était pas attendu à autre chose et il sentait qu'il ne tarderait plus à démontrer l'étendue de ses lacunes au chevalier. Il s'efforça cependant de rester concentré — il avait bien dormi, pour une fois — et se répéta les consignes habituelles que lui donnait le paladin, rester en mouvement sans gaspiller son énergie, placer ses contre-attaques le plus rapidement possible après la parade, garder le bouclier au plus près du corps, être offensif au moment opportun...

Après avoir passé un moment à l'asticoter sur son flanc droit, Robert para un ultime assaut puis recula d'un pas.
-Je crois que nous pouvons en rester là. J'ai vu ce que je voulais voir. Vous n'êtes pas, loin s'en faut, aussi mauvais que vous voulez bien le dire... Et vous n'avez, à aucun moment, refusé l'affrontement.
Il sourit, satisfait.
-Je pense savoir dans quel groupe vous envoyer. Il rassemble des gens chez qui nous avons décelé des capacités pour le combat, alors qu'eux-mêmes ne s'en seraient jamais doutés. Roland, leur instructeur, est un homme très exigeant, certes, mais surtout patient, courtois... Cela vous conviendrait-il ?

" Je crains que vous ne m'ayez vu dans un très bon jour... Ils ne sont pas très fréquents." fit Albérich en ouvrant légèrement sa tunique.
Il sentait déjà le bouc et l'entraînement matinal n'avait même pas commencé, quel plaisir.
" En réalité, je suis souvent fatigué et peu concentré, Hubert vous le dira. Mais je me fie à votre analyse, Sir Robert, vous êtes l'expert, et si vous m'en jugez capable, je suivrai l'enseignement de Sir Roland avec application, je vous le promets."

-L'autre alternative aurait été de vous mettre avec des gens tout aussi doués pour le combat mais qui détestent tellement cette activité qu'il est parfois nécessaire de les piquer au vif pour les faire progresser. Or, comme vous faites preuve de bonne volonté, je pense que ce serait totalement contreproductif... Non, décidément, vous serez mieux dans ce groupe. Vous verrez, l'ambiance est bonne, personne ne fanvaronne... C'est même tout le contraire : vos futurs compagnons d'armes ont une fâcheuses tendance à douter d'eux-mêmes et de leurs qualités.
Il rengaina sa lame.
-Je pense qu'il est temps de retourner sur le terrain d'entrainement. Celui-ci ne va pas tarder à commencer, si ce n'est déjà chose faite. Merci beaucoup de vous être prêté à cette évaluation, Albérich.

" Merci à vous de ne pas m'avoir écrabouillé en deux temps trois mouvements." répartit le Luménien avec le sourire, avant d'emboîter le pas au chevalier pour regagner le terrain d'entraînement.
Il était prêt à parier qu'Hubert lui tomberait sur le paletot à la première occasion pour s'enquérir des résultats de la manoeuvre, mais il n'était, in fine, pas trop mécontent de lui-même. C'était une chance, car s'il avait été lamentable, il était plus ou moins certain que le paladin lui aurait imposé des cours de rattrapage nocturnes et clandestins.

De toute façon, il se passerait un bon moment avant que le paladin ne puisse venir lui parler car, sur le pré, on s'était déjà réparti et l'on était en train de s'équiper. Robert conduisit Albérich jusqu'à un groupe disparate, où les femmes de tous âges, nombreuses, voisinaient des homologues masculins qui, pour beaucoup, avaient la quarantaine bien passée. Au milieu de ces inconnus, l'unique visage familier était celui de Gus. Oui, Gus qui, malgré son allure de vieillard grabataire, comptait parmi ceux chez qui on avait découvert des compétences martiales insoupçonnées, aussi étrange que cela puisse paraître. Quant à l'instructeur, c'était un homme au visage rond et à la panse rebondie, l'air très doux, presque timide.
-Je vous laisse entre de bonnes mains, fit le chevalier, avant de s'éclipser.

Albérich n'était pas certain de pouvoir travailler longtemps au même niveau que celui qu'il avait démontré à Robert, conscient déjà d'un certain contrecoup, mais il salua affablement son instructeur ainsi que ses coéquipiers du jour, puis attendit les directives. Il imaginait que l'entraînement durerait une bonne heure, après quoi il pourrait enfin passer à des choses plus intéressantes. La difficulté serait de ne pas y songer avant l'heure...

La Couronne de Cuivre

[Quête] Dans la Campagne du Soleil