La Couronne de Cuivre

Hubert s'agenouilla près de Robert et posa Alban près de lui. C'était sans doute inutile, plus symbolique qu'autre chose, mais il avait l'impression que ces deux-là seraient mieux d'être l'un près de l'autre. Souriant doucement à l'enfant, il se redressa ensuite et alla emprunter une couverture à Gabriel, avant de la draper sur les épaules du gosse.
" Es-tu blessé ? lui demanda-t-il. Je peux jeter un oeil en attendant l'arrivée de personnes plus efficaces."
Il y avait ses mains, bien sûr, mais vu les hurlements qu'il avait poussés, Hubert s'attendait à ce qu'il y ait pire. Néanmoins, si rien ne semblait mortel, il irait aider Gabriel au plus vite, en espérant que la présence même inconsciente de Robert suffise à rasséréner un temps l'enfant.

Alban acquiesça faiblement. Il avait l'air de souffrir, mais il serrait les dents.
Le paladin remarqua des meurtrissures aux poignets et aux chevilles, là où les chaînes l'avaient maintenu. Il nota les marques légères laissées par les serres de l'horreur volante, quelques griffures plus profondes, des morsures laissées par de petites mâchoires...
-Il avait... Il avait des dents sur la paume, souffla l'écuyer, quand il comprit ce que regardait Hubert. Mais... Mais il s'est surtout servi de sa magie. Il lui suffisait de tendre la main et.. J'avais mal.
De fait, les blessures étaient beaucoup moins nombreuses et beaucoup moins graves qu'on aurait pu le redouter. Les pires, au fond, étaient celles qui entaillaient profondément ses doigts, jusqu'à l'os.

Hubert maîtrisa son expression pour ne pas que l'enfant mesure son horreur à la vision des marques qu'il avait sur le corps. Il se refusa à songer aux instants où il les avait subies, à sa souffrance et à sa terreur, à la détermination froide et cruelle de son ravisseur, sentit la colère poindre à nouveau dans son ventre. Mais c'était trop tard et complètement inutile à présent. Alban n'avait besoin que de réconfort et de soutien. Il soupira brièvement pour chasser la violence de ses sentiments.
" On va prendre soin de tout ça, et tu auras besoin de repos. Tu as été incroyablement courageux, murmura Hubert, apaisant. Je vais quand même te bander les mains, mais il faudra que tu les montres à un clerc dès que possible."
Le paladin passa sur son surcot au-dessus de sa tête, puis se mit en quête des zones les moins sales pour en déchirer des bandelettes. Il se doutait que la mère de Ruth ne verrait aucun inconvénient à ce qu'il s'en serve pour soigner l'écuyer, d'autant que le morceau d'étoffe avait fait son temps. Il entreprit ensuite de panser chaque doigt précautionneusement, pour protéger les articulations fragiles et enrayer les hémorragies, sans serrer trop fort. Sans eau, sans savon, les soins d'Agnès seraient indispensables, mais Alban retrouverait rapidement sa dextérité.
" Je vais aller voir si je peux aider d'autres blessés, dit-il en terminant. Tu veux bien rester près de Robert et veiller sur lui ?"

Le garçon frémit et la panique se lut sur son visage éprouvé. Peut-être, comme Albérich, avait-il pris conscience de l'aura qui émanait du paladin et redoutait-il d'être privé de ses bienfaits. Il s'efforça cependant de faire bonne figure, ne protesta pas, hocha même la tête.
-J'ai pleuré, j'ai crié, je me suis fait pipi dessus, j'ai supplié... J'appelle pas ça être courageux, murmura-t-il. Mais je vais rester avec messire Robert, oui. Merci... Merci pour tout.
Hormis les blessures physiques, les membres de l'expédition souffraient surtout de maux similaires à ceux de Robert, bien qu'ils soient moins atteints que lui : affaiblissements, saturation d'énergie maléfique... S'ils avaient été moins nombreux, si le chevalier était arrivé un peu plus tard au corps-à-corps, les dégâts auraient pu être effroyable. Il n'en était rien, cependant, ce qui était somme toute...
-...miraculeux, comme ne manqua pas de le souligner Gabriel. Lathandre nous a accompagné et, grâce à lui, nous avons terrassé le mal.
Si Giovanni ne disposait plus de sorts de soins, il n'était pas pour autant dépourvu de tout moyen de se rendre utile. Ainsi, après avoir fureté de-ci, de-là et déniché une lyre ouvragée, ceignit-il la couronne du monstre défunt, s'installa-t-il sur son trône et, les pieds posés sur le cadavre rendu à l'immobilité qu'il n'aurait jamais dû abandonner, entonna-t-il une chanson pour le moins légère, grâce à laquelle l'atmosphère des lieux perdit aussitôt une bonne part de son caractère lugubre.

Puisqu'ils n'avaient rien d'autre à faire, ceux qui étaient indemnes ou en relativement bon état se mirent à explorer la vaste salle. De longues minutes s'écoulèrent ainsi, ponctuées par de joyeuses exclamations lorsque quelqu'un dénichait l'un des nombreux trésors dont regorgeait l'endroit.
Puis on entendit l'écho de pas pressés.
-Bon, par où dois-je commencer ? demanda Barthélemy en apparaissant sur le seuil.
-Par robert, répondit Gabriel.
Derrière le vieux clerc, le paladin aperçut bientôt deux personnes qu'il n'aurait assurément pas pensé croiser ici : un certain Luménien à la mine anxieuse, et une certaine petite fille qui se tordait les mains, angoissée.

Ruth s'avança à petits pas hésitants puis s'immobilisa à un bon mètre d'Alban. Celui-ci, vaincu par l'épuisement, par le contrecoup de ce qu'il venait de vivre, apaisé par la présence d'Hubert, aussi, avait fini par sombrer. Puisqu'il était emmitouflé dans la couverture, puisque ses mains bandées étaient dissimulées dans ses replis, on ne pouvait rien deviner de ce qu'il avait subi. L'on voyait juste son visage, étrangement serein.
-Il a perdu ses bottes... fut tout ce que trouva à dire la fillette, alors que des larmes de soulagement continuaient à mouiller ses joues.
A côté d'eux, ayant achevé d'examiner Robert, Barthélemy s'était mis à incanter.

" Et bien, il ne te restera plus qu'à lui prêter les tiennes." dit Albérich d'un ton doux, en gardant une main sur son épaule pour la garder à ses côtés.
Il observa Hubert à la dérobée tandis que le paladin qui n'avait pas bougé, regardait également en direction d'Alban, un sourire fatigué sur les traits. La pâleur de son visage contrastait avec le sang qui noircissait sa cotte de mailles et s'était coagulé sur sa joue et dans ses cheveux. Il avait manifestement été blessé, peut-être sévèrement, mais son attitude était davantage celle d'un homme épuisé que d'un homme souffrant. Sans doute avait-il eu la possibilité de se soigner plus ou moins complètement. Et l'étoffe en lambeaux qui traînait par terre était sans doute le vestige de son surcot. Dire qu'il avait été si pimpant quelques jours plus tôt !
L'ancien clerc dévia rapidement son regard vers Robert quand il eut la sensation qu'Hubert avait remarqué son examen. Il essaya de reconnaître l'incantation aux paroles de Barthélémy, mais il était chauntéen, et les mots différaient certainement. En attendant l'épanouissement de la lumière verte et des odeurs printanières qui accompagnaient généralement les sortilèges des adeptes de la Terre Mère, il se laissa envahir, enfin, par toute la force de son propre soulagement.
Ils avaient survécu aujourd'hui. C'était un miracle, mais c'était un signe. Celui de leur capacité à affronter le pire et pourtant, à continuer.

-D'accord, avait répondu la fillette, sans une once d'hésitation.
Ses incantations terminées, Barthélemy se redressa.
-Voilà. Il faudra poursuivre le traitement demain, et je ne suis pas sûr que Robert se réveille immédiatement. Mais le plus gros est fait.
Il se tourna vers l'écuyer, puis vers Hubert.
-Alban a-t-il besoin d'un... petit remontant ?
Tout en posant sa question, il avait coulé un discret regard en direction de Ruth.

Albérich attrapa aussitôt la gamine par les épaules et la fit faire volte-face, l'arrachant à la contemplation de l'écuyer et la soustrayant à la réponse d'Hubert. Sans doute le paladin serait-il soulagé de les voir partir, de toute façon.
" Allons un peu examiner ce qu'on peut trouver dans cet endroit. Nous pourrions prélever une dîme à l'ennemi défait ! N'est-ce pas ce que font les vainqueurs ? Peut-être devrions-nous dénicher un casque ou une arme qui plaira à Alban une fois qu'il se réveille ? Qu'en penses-tu ?"
Même si Ruth se rebiffait, son discours décousu avait sûrement suffi à couvrir ce qu'elle ne devait pas entendre et ils pourraient retourner au chevet du gosse et de son maître sans qu'elle n'ait à en pâtir. Elle saurait, bien sûr, tôt ou tard. Mais c'était suffisamment d'émotions pour une journée.

Et Ruth se rebiffa. Toute éprouvée qu'elle soit, elle n'était pas pour autant devenue idiote. Simplement, ses protestation prirent une forme plus policée qu'à l'ordinaire.
-Le Seigneur des Tombes il lui a fait beaucoup de mal, pas vrai ? C'est pour ça que vous voulez pas que j'entende ou que je regarde ?
Elle avait blêmi. Parlé d'une petite voix. Mais non craqué.
-Moi... Moi j'ai l'impression que je devrais tout savoir, reprit-elle, timide, en baissant les yeux. Parce que... Parce que c'est ma faute, tout ça. Faut que je sache ce qui est arrivé à cause de moi. Pour... Comment on dit... Mesurer les conséquences de mes actes, je crois.

Albérich pinça les lèvres et s'accroupit pour être à sa hauteur. Il lui adressa un sourire doux mais un peu triste.
" Et moi je pense que c'est Alban qui doit décider de ce qu'il veut bien que tu saches. Ce qui lui est arrivé... C'est peut-être en partie de ta faute, mais maintenant, c'est son histoire à lui, son intimité, et son droit d'en garder ce qu'il désire. Il en a peut-être touché un mot à Hubert, et Hubert va peut-être en dire quelque chose à Barthélémy, mais Barthélémy est clerc, et en cela, il est tenu de ne pas répéter ce qu'il a découvert."
Il soupira légèrement. Il y avait un écho, dans ce que venait de vivre le petit garçon, dont il n'avait pas pris conscience jusque là.
" Je sais que tu aimerais savoir et tes raisons sont nobles et pures, mais... Alban va devoir vivre avec ce qu'il a vécu et... il lui appartient de le partager ou pas. Sois patiente. Il s'éveillera bientôt et vous pourrez vous parler. Sans doute ne te dira-t-il rien dans un premier temps... mais cela viendra, j'en suis convaincu. Ce qui compte, c'est ce que tu peux lui donner maintenant, pas ce qui s'est passé hier."

Ruth l'écouta attentivement, lorgnant toujours la pointe de ses bottes, et finit par opiner du chef.
-D'accord, je crois que je comprends. Un peu, en tout cas. Mais... ça veut quand même dire que le Seigneur des Tombes, il a pas fait que l'enlever.
Elle frémit, poussa un profond soupir.
-Je vous suis, murmura-t-elle.

" Je sais que ce n'est pas facile à accepter... et oui, le Seigneur des Tombes lui a sans doute fait du mal... mais si je pense que tu peux lui dire que tu as besoin de savoir, tu dois aussi pouvoir te contenter de ce qu'il t'offre. Regarde-le. Il a l'air apaisé. Il est vivant. Il a besoin de ton amitié plus que de ta pitié, de ta culpabilité ou de ton outrage. Il a surtout besoin de ta patience. Voilà un défi, Ruth. Mais tu vas le relever, parce que c'est ce dont il a besoin, et que tu trouveras ce qu'il faut en toi. Pour te rattraper. Ou simplement parce que tu tiens à lui, et c'est déjà amplement suffisant."
Il lui sourit doucement.
" Je pense que nous pouvons retourner auprès d'eux, à présent. Sauf si tu veux vraiment trouver quelque chose à lui rapporter..."

Hésitante, elle se tourna vers le centre de la salle.
Après l'arrivée des renforts, Giovanni avait cessé ses ritournelles et quitté son trône pour participer à la chasse au trésor. Fort de son savoir bardique, il jouait désormais les experts, examinait chaque nouvelle trouvaille et la déposait dans l'un des trois tas qui s'élevaient peu à peu : celui des objets magique, celui des objets non-magiques, celui des objets non identifiés. L'ensemble réunissait de l'or, des pierreries, des bijoux de diverses sortes, des vases et autres éléments ornementaux, des armes, des pièces d'armures... Certains membres de la communauté avait indéniablement récolté des bleus à l'âme, mais le groupe dans son ensemble venait de mettre la main sur un butin qui pourrait lui être des plus utiles, à l'avenir.
La fillette se détourna du monceau de richesses, faillit jeter un regard en direction d'Alban, s'abstint cependant.
-Je préfère plus rien décider, souffla-t-elle. Je préfère obéir aux ordres, maintenant. Comme ça je ferai plus de bêtises.

Voilà un enfant qui aura besoin de temps pour guérir, songea Albérich avec une légère grimace.
Heureusement pour Ruth, il n'y avait pas de morts, le Luménien n'osait imaginer la culpabilité terrible qu'elle en aurait récolté. Il posa une main dans ses cheveux, les caressa doucement, incertain. Lui non plus ne savait pas trop bien quoi faire de lui-même. Barthélémy était évidemment bien assez puissant pour soigner tous ceux qui devaient l'être, et ni Alban, ni Hubert ne semblaient avoir besoin d'une aide immédiate. Ruth et lui s'étaient invités dans le convoi davantage pour museler leur inquiétude que pour offrir un appui au groupe, il en était bien conscient, et si pour la gamine, ce n'était que très normal, c'était incroyablement douloureux pour lui. Il avait dû supporter toute cette impuissance, le fait de savoir qu'un ami était en danger de mort, et qu'il ne lui était absolument d'aucune utilité. C'était une sensation vertigineuse, en réalité, qu'il avait refoulée en se focalisant sur le trouble de Ruth, plus visible, plus bruyant, demandant une intervention immédiate. A présent qu'ils étaient au bout de leur chemin, dans cette salle, face à tous ces hommes meurtris, Albérich sentait cette impression de vide ressurgir en lui au grand galop.
" Va donc tenir compagnie à Hubert, lui proposa-t-il finalement. Je vais aider ceux qui rassemblent le butin."
Il devait bien valoir quelque chose comme bête de somme, à défaut d'autre chose.

Tandis qu'Albérich se faisait instantanément recruter pour l'emballement du butin - on avait déjà commencé à discuter des modalités du transport et à mettre en œuvre les premières décisions -, Ruth était venue s'assoir à côté du paladin. Longtemps, elle n'osa rien dire, se contentant de lui jeter des regards en coin. D'en jeter, aussi, à Alban, toujours endormi et que le clerc de Chauntéa avait entièrement soigné : il aurait pu s'en dispenser, pallier seulement au plus urgent, mais il n'avait pas eu le cœur de laisser l'écuyer dans cet état, avec les stigmates de ce qu'on lui avait infligé.
-Merci de l'avoir sauvé, finit par murmurer la petite fille. Et merci de pas vous être fait tuer.

Hubert lui sourit doucement et la serra contre son épaule, avant de lâcher un bref soupir.
" Tu devras dire merci à Edgar, et à Gabriel, à Giovanni, à Gaspard, à Louis, à Varamyr et aussi à tous ces braves hommes dont je ne connais pas le nom. Moi aussi, je dois leur dire merci, d'ailleurs. Si tu veux, nous irons ensemble."
Il secoua la tête et poussa son surcot déchiré du bout de la botte, avant de le rattraper d'une main et de l'étendre sur ses genoux. C'était une loque maculée et en lambeaux, désormais.
" Je devrai aussi m'excuser auprès de ta mère pour avoir ruiné son beau travail. C'est dommage, il m'allait bien."
Il releva les yeux vers elle.
" J'espère que tu as toujours le tien."

-Oui, je l'ai même bien rangé, pour qu'il s'abîme pas.
Elle le dévisagea une seconde.
-Vous voulez que je vous le rende ? Ce serait mieux, en fait. Parce que je pourrai jamais être écuyer, ou chevalier, ou paladin. Barbare, à la limite. Mais pas le reste. Je suis trop... indisciplinée. Même si je vais essayer de me soigner.

" Oh non, je veux que tu le gardes." dit le paladin.
Il dévisagea la petite fille un moment.
" Je voulais t'en parler avant que nous partions, mais finalement je n'ai pas eu le temps, et je ne sais pas bien si j'aurai le temps, jamais, pendant les jours qui viendront, mais... je me demandais ce que tu dirais de travailler un peu plus souvent avec moi. Ton jeu de jambes, je veux dire. Et le placement de ton épée. Je pense que je pourrais t'apprendre d'autres choses, encore, notamment sur... je ne sais pas... la discipline, de manière générale."
Il secoua la tête.
" C'est un peu une fausse proposition, parce que je ne peux pas te prendre comme écuyer. Je ne suis pas chevalier, et puis ce ne serait pas convenable, et je ne sais pas encore si je vais m'installer dans la communauté, mais... J'ai l'impression que nous pourrions y gagner tous les deux. Le temps que ça durera."

-Je sais bien ce que j'y gagnerai, moi. Mais vous, franchement, je vois pas. J'ai la tête dure, faut longtemps pour que les choses rentrent dedans. Pis souvent, j'arrive pas à me contenir. Alors tout ce que vous gagneriez, c'est que je vous fasse honte, comme au tournoi, comme aujourd'hui. C'est pas que je veux mal faire, c'est juste... Ben ça, quoi. Que j'arrive pas à me contenir.
Elle observa Alban un instant, soupira.
-Pis que vous m'appreniez des trucs, même juste un peu, ça serait une récompense. Et je mérite pas de récompense. Ce que je mérite, c'est une punition. Et une sacrée.
Elle eut un pauvre sourire.
-Mais j'en ai déjà trouvé une. Je vais marcher pieds nus jusqu'aux chariots. Bon, à la base, c'est parce que j'ai promis à messire Albérich que je prêterai mes bottes à Alban, vu qu'il a perdu les siennes. Mais marcher pieds nus, ça sera pas agréable. Alors voilà, ça fait d'une pierre deux coups : je fais un truc bien, et je suis punie.

" Les bottes d'Alban sont dans les fontes de Robert, Ruth. Et vous serez certainement en selle tous les deux." murmura Hubert avec un sourire désolé.
Il croisa les bras sur ses genoux et lui sourit.
" Tu sais, moi aussi j'ai commis une erreur, aujourd'hui. Une erreur qui a failli me coûter la vie, et à Robert, et à Alban, et sans l'intervention inopinée des renforts que tu as accompagnés, et bien... Nous ne serions pas en train de bavarder, tous les deux."
Il soupira, son regard se porta sur les hommes blessés, non loin, Gaspard, la silhouette alerte de Giovanni, Gabriel agenouillé près d'un soldat, Edgar aussi, qu'Hubert brûlait de remercier. Et Albérich. Misère, qu'était-il venu faire là ?
" Mais la question n'est pas : comment punir ces erreurs... Elles l'ont déjà été. Et nous sommes mortifiés, toi et moi, de les avoir commises. La véritable question, c'est... que pouvons-nous faire pour que cela ne se reproduise plus ?"
Il la regarda à nouveau.
" Je ne prétends pas être la panacée à tes difficultés, Ruth, loin de là. Mais je pense que je pourrais t'aider à trouver... ce cadre qui te fait parfois défaut. Je me dis que si j'avais été plus souvent dans ton ombre, tu n'aurais peut-être pas été jouer les frondeuses sur le toit de ton chariot. Ce n'est pas une récompense. C'est une tentative de faire mieux."

-Je trouve bizarre de comparer la bêtise que j'ai faite en désobéissant aux ordres et celle que vous avez faite en essayant de réparer la mienne, fit-elle après un moment de réflexion. Mais je crois que je comprends ce que vous voulez dire. Enfin, presque. Parce qu'il y a un truc qui m'échappe. Même si je sais que ça sera utile que vous m'appreniez à plus agir n'importe comment, ben, ça va me faire plaisir. Et j'ai pas l'impression que ça soit bien que je sois contente après m'être comportée comme la pire idiote du monde.
Nouveau regard à Alban.
-Bon, en même temps; j'aurais été contente de lui prêter mes bottes, donc, ça tient pas, mes histoires. Bref, moi, je suis d'accord pour que vous m'appreniez des trucs quand vous avez le temps, et je promets d'essayer de tout bien retenir.

" Ce ne sera sans doute pas tout le temps aussi comique que tu l'espères, je peux être un maître sévère ! s'exclama Hubert avec un sourire. Mais je pense que ce sera bien, oui. Je suis heureux que tu aies accepté."
Il lui tendit la main pour sceller leur marché.
" Mais la première chose que tu vas devoir apprendre, c'est la patience, parce que je ne sais pas quand j'aurai le temps de te donner ta première leçon."
Sauf s'il allait au bout de ce qui lui trottait dans la tête et qu'il démissionnait de son poste de second. Pour l'instant, la chose lui paraissait inexorable, mais il devait attendre que Robert reprenne ses esprits pour en parler avec lui. Un général soumis à des émotions parfois extrêmes avait besoin de pouvoir s'appuyer sur un homme stable et réfléchi, pas sur une tête brûlée sans maîtrise d'elle-même. Finalement, Robert et lui souffraient des mêmes travers, ce qui les rendait peu complémentaires, et donc potentiellement vulnérables dans un environnement dangereux. Ils venaient d'en avoir la preuve flamboyante.

Ruth lui avait serré la main, les joues légèrement empourprées, puis s'était elle aussi abîmée dans ses pensées.
-C'est normal qu'il dorme comme ça ? demanda-t-elle, timide, quelques minutes plus tard. C'est parce qu'il est super fatigué ? Ou alors c'est comme pour Robert, l'énergie maléfique, la faiblesse, tout ça ?
Elle se mordit la lèvre.
-Pardon. J'ai aussi promis à messire Albérich que j'essayerai pas de savoir ce qui est arrivé à Alban, que j'attendrai qu'il soit d'accord pour m'en parler, et que je comprendrai s'il voudrait pas le faire.
Soupir.
-Vous aviez raison, la patience, c'est vraiment ça que je dois apprendre en premier.

Les conseils d'Albérich parurent un peu étranges à Hubert, puis il supposa qu'ils étaient issus de l'expérience personnelle du Luménien, dont les aventures malheureuses avaient probablement été au coeur de trop nombreuses conversations de taverne sans qu'il puisse en contrôler la teneur. Le paladin trouvait la situation un rien différente : Ruth était la cause première de la situation et elle devrait soutenir Alban dans les jours à venir, pour autant que l'écuyer ne lui en veuille pas au point de refuser de l'approcher.
" Alban a été secoué... Même sans l'énergie négative du mort-vivant, il serait probablement épuisé. Mais il a été longtemps à son contact et donc... il est possible qu'il ait été affaibli de la sorte aussi. Je n'en sais rien, pour tout te dire. Et peut-être que lui non plus. L'un dans l'autre, il n'est pas anormal qu'il soit fatigué. Et puis parfois, le sommeil est un bon refuge, quand on a vécu quelque chose de difficile."
Un traumatisme supplémentaire, songea Hubert, en se remémorant l'histoire du moulin.
Mais peut-être était-ce bon signe, en réalité, peut-être l'écuyer avait-il déjà développé une résilience efficace, qui lui ferait relativiser l'épisode, en regard de ce qu'il avait déjà traversé.

Ruth lorgna le seigneur des Tombes affalé au pied de son trône et, prise de frissons, préféra reporter son attention sur le tableau autrement plus paisible qu'offrait l'enfant endormi.
-En tout cas, Alban, quand il sera grand, ce sera un vrai chevalier. Un vrai de vrai. Enfin, sauf s'il est sans arrêt obligé de jouer les héros pour sauver des cruches comme moi et qu'à force il se fasse tuer. Mais je le jure, je ferai plus la cruche. J'ai retenu la leçon. Et je veux pas qu'il meure ou qu'il soit encore capturé par un affreux roi squelette en robe.
Elle frissonna derechef, se tourna vers le reste de la salle.
-J'espère quand même qu'il va se réveiller dans pas longtemps. Je suis sûre que ça l'amuserait de fouiller un peu partout, de trouver des trésors et tout... Alors que là, ben, il manque un peu la fête.

" Je ne suis pas complètement certain qu'il aurait la tête à ça, même s'il était réveillé, dit Hubert. Mais si tu as envie de le faire pour lui, tu ne dois pas hésiter... Vu les monceaux d'objets que Giovanni a l'air d'être en train de rassembler, je pense que vous pourrez organiser votre chasse au trésor dans les chariots, une fois de retour dans la colonne... Il y aura de quoi fouiner, et je suis certain qu'on ne refusera pas à Alban d'y jeter un oeil en ta compagnie."
Un léger sourire bourgeonna sur ses lèvres.
" Finalement, c'est un peu grâce à vous, si nous mettons la main sur un tel butin."

Elle eut un demi-sourire mais redevint presqu'aussitôt sérieuse.
-J'espère quand même qu'il sera plus facile a avoir, le trésor de la cité. Sinon, je suis plus sûr d'avoir trop envie d'y aller. Mais bon, Varamyr et les animaux des rôdeurs, ils ont dit qu'y avait pas beaucoup de morts-vivants, là-bas...
Il y eut un bruit léger, à côté d'eux : l'écuyer s'agitait dans son sommeil.
-Vous... Vous croyez qu'il sera encore d'accord pour me parler ? souffla brusquement la petite fille.