[Quête] Le Domaine des Crocus

[Galathée]

" Je ne comprends pas ce préjugé sur les clercs, dit Nominoé avec une grimace. Quand j'étais novice, j'allais voir mes parents une fois par veille... Bon, je dormais plus chez eux, mais je venais les voir souvent... Quand j'ai été ordonné aussi... Bon, ça aide de vivre dans la même ville que le Temple, évidemment.
— Certains clercs ont des maisons hors du temple. Les Lathandrites de Luménis en possèdent une vingtaine dans la cité. Toutes ne sont pas occupées, parce que généralement, les gens aiment autant rester au Temple... Mais certains ont été fonder des familles tout à fait classiques à l'extérieur...
— Les clercs de village ont généralement une vie de famille traditionnelle, eux aussi.
— Et les itinérants ont généralement une vie très compliquée..."
Ils rirent.
" Bon, notre cas est spécial, dit Aaron.
— Mais Taliesin n'a pas tort : quand on s'engage dans une vie de service, c'est parce qu'on veut avant tout servir... Notre dieu, ses principes, et les gens. C'est chronophage. Et c'est prenant, dans tous les sens du terme. Immanquablement, nos valeurs nous forcent à privilégier le groupe au détriment de l'individu.
— Oui et moi. Sunie vante l'amour. C'est l'amour qui compte. Toutes les sortes d'amour. Y compris des amours très exclusives.
— Certes."
Guéric bâilla.
" Vous êtes chiants avec vos conversations théologiques. De toute façon, les gamins de Taliesin vont devenir marins, et là, c'est des décennies entières qui s'écouleront avant qu'il les revoie."

[Taliesin]

Il poussa un soupir spectaculaire.
-Espèce de traître, grommela-t-il. Comment tu veux que j'aie le courage de m'infliger les tâches passionnantes de bercer, veiller, changer des langes tout en sachant que dès que les jumeaux seront autonomes, il y aura quelqu'un pour me les arracher et profiter du fruit de tous mes efforts ? Franchement...
Il s'arracha un sourire.
-Bon, puisque ces quatre-là sont perdus pour la cause, il faut que j'adopte une nouvelle stratégie. Je vais écumer Luménis et ses abords en quête d'apprentis qui seront ravis d'abandonner leurs parents ! Mais je serai sympa, je leur demanderai d'aller leur faire un petit coucou de dix minutes au moins une fois par mois.

[Galathée]

" C'est un point sensible, dit Tim, peut-être ferions-nous mieux de nous arrêter là."
Les autres opinèrent du chef de concert. La fatigue commençait à se faire sentir, doucement.
" Qu'est-ce qu'on va faire demain ? demanda Aaron. Iris, tu es partante pour descendre au village voisin ?
— En costume de Moandrin ?
— Ah, non, horreur. Non. On s'invente des identités, on va se balader...
— Je suis toujours partante pour ce genre de choses... Tim ?
— Sans moi. Je vais profiter d'un peu de printemps pour travailler, je pense. Si vous repérez un barde, vous me prévenez.
— Il y avait cette légende du taureau sans tête, que tu voulais approfondir, la dernière fois...
— Ouf, oui. Bah. Peut-être le jour d'après ?
— Tim aura la gueule de bois, demain.
— Toi, on ne te demande pas, Nominoé."
Ce dernier rit joyeusement.
" Moi, je vais profiter du soleil, jouer avec les gosses, manger la succulente cuisine de Blanche, et ce sera très bien. L'oisiveté est mon credo."

[Taliesin]

-J'espère que le beau temps sera de la partie, ce serait quand même plus gai pour toutes ces activités...
Il jeta un regard embarrassé à Guéric, dont la journée serait beaucoup moins amusante.
-Bon, si je m'écoutais, je passerai encore des heures à boire et à bavarder mais... Je dois me montrer raisonnable et assumer comme il se doit mon rôle de père.
Il se leva.
-Je vous souhaite à tous une excellente nuit.

[Galathée]

Quand Taliesin regagna la chambre, il la trouva silencieuse et paisible. Galathée dormait, et les deux bébés étaient dans leur berceau. Comme la veille, étrange répétition, une luciole dansait au-dessus des nourrissons, mais elle s'éteignit quelques secondes après l'apparition du barde. Il put se glisser dans sa tunique de nuit puis dans son lit sans réveiller personne. Il entra en transe assez aisément, mais à nouveau tomba dans un sommeil humain, qui fut interrompu de manière tonitruante seulement quelques heures plus tard, par une Héloïse furibarde. Tristan se mit à hurler de concert, par solidarité, probablement, et ils ne se calmèrent qu'au sein de leur mère. Ils se montrèrent ensuite plus conciliants, bien qu'il fut nécessaire de les bercer un moment avant qu'ils se rendorment. Il y eut une seconde alerte quelques heures plus tard, puis une troisième à l'aube, mais cette fois, Helen et Blanche étaient sur la brèche et les deux parents purent retrouver un peu de repos, une fois leurs enfants escamotés à l'extérieur.

[Taliesin]

Lorsqu'il s'éveilla à nouveau, un peu plus tard, il ne s'attarda pas au lit : il se sentait en forme, du moins autant qu'on pouvait l'être au vu des circonstances. La journée s'annonçait similaire aux précédentes, hormis qu'il faudrait dire au revoir à Kerun, Guéric et Polyanna. C'est le lendemain que la situation prendrait une tournure réellement différente, avec le départ de Lena et surtout de Perceval : sans doute devrait-il aider davantage à gérer la marmaille, même si elle serait alors diminuée de deux éléments. Puis, le surlendemain, viendrait le moment pour lui et ses trois jeunes acolytes de plier bagages. En attendant, et tout en s'occupant des jumeaux, il entendait passer du temps avec ceux qu'il ne reverrait plus sinon jamais, au moins avant très longtemps...

[Galathée]

La ferme reprit ses habitudes un peu plus chaotiquement que d'ordinaire, ce matin-là, car certains avaient abusé de la boisson et Taliesin comprit que d'autres avaient attendu l'aube pour regagner leur lit. Kerun ne voulut entendre aucune des "lamentables" excuses de Guéric et exigea qu'il soit prêt à partir en début d'après-midi. Le halfelin ne se montra pas de la matinée, laquelle se déroula tranquillement, sous le soleil plus chaud, entre grandes cavalcades des enfants et entretien de la ferme et du jardin, et autres soins aux bébés.
Kerun rassembla les adultes, en ce compris un Guéric au visage chiffonné, juste après le repas de midi, pour leur exposer les derniers détails de leur expédition. Se trouvaient présents, outre le halfelin, Polyanna, Perceval, Lena, Galathée et Taliesin, ainsi que Judicaël.
" Bon. Dans peu de temps, nous allons commencer le transfert vers Vert-Corail. C'est un bourg de pêcheurs qui se trouve juste de l'autre côté de la frontière, mais qui semble jouir d'une certaine tranquillité depuis un moment, grâce à la protection d'un front montagneux imposant. C'est le centre régional de la pêche aux coquillages, et il y a pas mal de mouvement... Nous ne devrions pas trop détonner, mais nous ne pouvons pas attirer l'attention des autorités non plus. Judicaël ne nous téléportera pas directement dans le village, c'est trop dangereux, mais nous avons trouvé un point d'arrivée crédible dans la campagne proche. Il reste environ une heure de marche pour gagner le village, mais c'était le mieux que nous puissions faire sans prendre de risques inutiles. Guéric, Polyanna, Flynn et moi-même partirons les premiers. J'ai un arrangement avec un pêcheur qui nous emmènera plus loin sur la côte, à un endroit moins surveillée, où les chaloupes de la Polissonne pourront venir nous chercher.
— La Polissonne ? C'est sérieux ?
— Je savais que tu aimerais. Bref. Polyanna et Flynn resteront ensuite à bord mais Guéric et moi-même reviendront à terre. Perceval, Lena, Inès et Marine arriveront ensuite. Lena prendra une forme humaine, et vous formerez une famille de quatre."
Perceval acquiesça.
" Nous avons convenu que vous étiez des saisonniers en route vers le nord pour rejoindre un vignoble des environs de Paymill. Vous avez tout encore en tête ?
— Oui." dit Lena, à mi-voix.
Kerun acquiesça.
" Vous vous installerez pour une nuit à l'auberge des Trois Coques. Ne trainez pas trop dans la salle commune si vous avez l'impression que les fillettes vont être mauvaises comédiennes."
Il se tourna vers Taliesin.
" Tu arriveras le soir suivant. Je t'attendrai au point de départ, tandis que la même nuit, Guéric conduira Marine et Inès à l'embarquement. Perceval et Lena seront alors... libres d'aller où ils le désirent."
Les deux derniers nommés parurent légèrement embarrassés, mais ne dirent rien.
" Nous resterons la nuit sur place, car Judicaël ramènera Galathée, les bébés, et Gurvan, dès qu'il en est capable. Nous filerons ensuite tous ensemble vers le lieu d'embarquement, sans repasser par le village. C'est une petite trotte, mais nous ne pouvons pas faire autrement. De là, nous prendrons les chaloupes pour la Polissonne, puis nous serons partis."

[Taliesin]

L'elfe acquiesça, concentré.
-Une nuit à la belle étoile puis une petite promenade le long de la côte, ça me va.
Il faillit glisser à Galathée que tout était pour le mieux, puisqu'elle serait accompagnée par un clerc en herbe spécialiste des bébés. Mais il s'abstint : il savait que cette brève séparation et le fait de devoir quitter Helen l'inquiétaient. Par conséquent, mieux valait éviter les plaisanteries sur le sujet.

[Galathée]

Kerun opina du chef.
" Très bien. Puisqu'il n'y a pas de questions, je vais vous laisser retourner vaquer à vos occupations. Judicaël peut servir de contact en cas de pépin, il reviendra chaque fois à la ferme. Guéric et Polyanna, allez chercher vos affaires et faites vos adieux. Nous nous retrouvons dans la salle de téléportation d'ici une demi-heure. Les autres... A bientôt. Profitez bien de l'espace avant l'embarquement."
Tout le monde se leva ensuite et les trois personnes en partance allèrent saluer les clercs, tandis que Galathée retournait vers les bébés. Peu de temps après, Guéric vint serrer la main de Taliesin, avant de rejoindre son groupe à l'intérieur de la ferme. Quelques minutes plus tard, ils seraient partis...

HRP : indique les activités de ton barde pour la journée...

[Taliesin]

Comme de coutume, Taliesin aida Galathée et les autres adultes venus courageusement leur prêter main forte à s'occuper des jumeaux. En revanche, durant ses moments de libre - ils s'étaient faits de plus en plus longs au fil des jours -, il ne toucha pas au volume offert par Tim : mieux valait réserver la lecture pour la traversée du détroit, laquelle promettait d'être des plus ennuyeuses. D'ici là, ainsi que l'avait suggéré Kérun, il entendait profiter de la ferme et de ses occupants. Aussi participa-t-il aux tâches quotidiennes, comme préparer le repas, mettre la table ou faire la vaisselle. activités toutes propices au badinage. Il se promena également dans le jardin, sans trop s'éloigner de la maison, cependant, afin de pouvoir intervenir si on avait besoin de lui. Et, tout ce temps, il essaya de ne pas trop s'inquiéter pour ses compagnons. Ce qui ne fut guère difficile : il était persuadé que tout irait bien. Décidément, son optimisme tout neuf était particulièrement efficaces pour combattre sa vieille tendance à l'inquiétude.

[Galathée]

Ils surent rapidement que le premier transfert s'était bien effectué car Judicaël revint rapidement et se mêla aux autres. Il n'y avait pas grand chose à raconter : il les avait téléportés au point prévu et était revenu dès qu'il les avait perdus de vue. La journée se déroula ensuite sans événements notables, comme Taliesin l'avait espérée, tranquille et propice aux bavardages. Une expédition pêche fut planifiée pour le lendemain, les enfants passèrent l'après-midi dans leur pommier, puis aidèrent Ismène à cueillir des cerises et des myrtilles, dont Blanche fit des tartes avec l'aide de Gurvan et Inès. Un grand décrassage fut organisé par Perceval et Iris, Aaron et Helen procédèrent à l'inventaire des vêtements dont disposaient les enfants avant de se mettre à la couture. Le soir tomba et cette fois, ils mangèrent à l'extérieur. Le groupe était un peu réduit, et encore fatigué des agapes de la veille, aussi ne festoyèrent-ils pas avec grande énergie. Tim et Taliesin animèrent cependant la soirée de l'un ou l'autre morceau, sur un mode détendu. La nuit fut pareille à la précédente, peut-être un peu moins agitée sur le front des nourrissons, et l'aube vint.
Le groupe qui partait à la pêche, dont faisait partie Taliesin, laissa Perceval, Lena et deux des fillettes en arrière, car leur départ était prévu pour le début d'après-midi, à nouveau.

[Taliesin]

Désireux de ne pas embarrasser les deux membres survivants de la Réunion, de ne pas rendre plus difficile encore leur décision de ne pas les accompagner, Taliesin ne s'était pas livré à de grands adieux. Il s'était contenté de leur dire chaleureusement au revoir, de les remercier pour leur aide et de leur souhaiter bonne chance. Cependant, il ne put s'empêcher d'ajouter que s'ils venaient un jour sur Hélonna, sa porte leur serait grande ouverte, qu'il serait ravit que leurs chemins se croisent à nouveau.
C'est avec une boule au creux du ventre qu'il es quitta et prit la direction des hauteurs. Nouvelle occasion, pour lui, de constater à quel point les séparations lui étaient devenues difficiles... Il fit néanmoins son possible pour ne pas trop y penser, et la nécessité de surveiller la bande de gamins l'y aida. Il ne se priva pas pour participer à leurs jeux, ne leur demanda pas de ménager leurs forces, s'assura simplement qu'ils ne se fassent pas mal : après tout, semblable opportunité de s'amuser ne se représenterait plus, pour eux, avant longtemps.
Son anxiété refit surface lorsque sonna l'heure de rentrer. L'absence de Perceval allait être rude, pour les enfants. Surtout pour les garçons, sans doute : depuis le début, c'était le jeune homme qui s'était occupé de la plupart des actes du quotidien, les concernant, depuis les bains jusqu'aux couchers. Il espérait donc que sa disparition ne leur pèserait pas trop et s'efforcerait, s'il le pouvait, de leur changer les idées. Même s'il ne se sentait guère d'humeur joyeuse : la présence amicale et familière du guerrier allait lui manquer...

[Galathée]

Taliesin réalisa rapidement, dans l'après-midi, qu'on avait préféré servir une histoire simple aux enfants, pour éviter qu'ils ne se posent trop de questions sur cette défection. Perceval et Lena étaient dorrandins, ils avaient encore de la famille au sud de l'île, et une première opportunité depuis longtemps d'aller les voir. Peut-être était-ce même vrai. En tout cas, les garçons, même s'ils verbalisèrent leur déception de ne plus pouvoir profiter de la présence de Perceval, en particulier, semblaient comprendre leur décision et l'accepter. Ils regrettèrent juste de ne pas avoir pu venger leur douche de la dernière fois par une gentillesse, comme ils l'avaient prévu, d'autant que le cadre, la rivière, leur rappelait cette aventure. Mais il faisait superbe, l'eau était attirante, et il ne fallut pas longtemps pour que la bonne humeur triomphe et les adieux soient remisés quelque part dans leur mémoire.
Iris, Tim, Ismène, Aaron et Nominoé avaient accompagné Taliesin, Zora et les enfants, et tout le monde profita de l'eau claire de la rivière. Les Moandrins avaient de bonnes raisons de vouloir profiter de la campagne, eux aussi, et ils s'en donnèrent à coeur joie, presque aussi délurés que les gamins qui s'égaillaient autour d'eux. Ils faillirent oublier de pêcher jusqu'à ce qu'un choeur exige le retour de l'ours céleste. Cette fois, les enfants exigèrent de pouvoir profiter plus longtemps de l'animal, et celui-ci parut se plier à l'exercice de bonne grâce. Gurvan fit même quelques croquis pour immortaliser l'instant. Ils rentrèrent tard vers une ferme un peu moins peuplée. Judicaël put les informer sur la réussite de leurs projets jusque là, Flynn et Polyanna étaient désormais à bord du navire luménien, Guéric et Kerun avaient préparé la suite de leur retraite, et Taliesin apprit que le clerc de bord n'était nul autre qu'Aegir, le Valkurien qu'il avait rencontré à bord de la Citronnelle, au moment de son évasion de l'emprise du Squale.

[Taliesin]

C'était une bonne nouvelle : cela ferait une figure connue à bord et, de surcroit, une figure favorablement disposée à son égard. Mieux encore, il y avait des chances que le reste de l'équipage soit du même acabit. Bref, même s'il n'avait jamais douté que Kerun prendrait toutes les mesures nécessaires pour que la traversée ne soit pas trop éprouvante pour lui et se fasse ailleurs qu'au fond d'une cale, avec les fers aux pieds, cela le rassurait.
D'ici quarante-huit heures, ils auraient tous pris pied sur le bâtiment. En attendant, il faudrait composer avec le mélange d'impatience et de tristesse qu'il éprouvait. Avec les nouveaux adieux, aussi.

[Galathée]

Ils mangèrent tranquillement, mais à nouveau en musique, jusqu'à ce qu'un bal s'improvise. Tim connaissait de nombreuses danses et, avec et sans Taliesin, il joua bourrées et gigues, pour le plus grand plaisir de l'assemblée. Ce fut bref mais intense, et même Galathée se laissa convaincre d'aller danser dans les bras de son barde (puis de deux ou trois autres volontaires, tandis que Taliesin offrait son bras à d'autres partenaires). Les enfants bondirent comme des cabris autour d'eux, jusqu'à ce que Prudence se mette en tête de montrer à un volontaire (Baptiste s'y plia de mauvaise grâce) comment on dansait vraiment. Elle avait manifestement appris dans une autre vie.
Epuisés par ce bref instant d'adrénaline, après une journée à la rivière, les gamins tombèrent ensuite comme des mouches, puis les adultes suivirent assez rapidement. La nuit fut passable, même si Tristan vomit au milieu de la nuit, forçant un change complet du berceau, de sa soeur et de lui-même. Galathée s'inquiéta mais cela fit rire Helen qui lui dit qu'elle était surprise que ce ne soit pas arrivé plus tôt. Un petit tour de magie plus tard, le bébé semblait heureux, et rien de fâcheux ne se produisit jusqu'à l'aube.
Il avait été décidé que Taliesin, Hippolyte, Baptiste et Prudence partiraient à la nuit tombée, mais pas trop tard, pour que Judicaël puisse dormir plusieurs heures avant d'effectuer le dernier transfert. Il leur restait donc toute une belle journée dans la lumière, avant l'ultime étape qui les séparait de la mer...

[Taliesin]

Le barde opta pour le même programme que la veille : lever point trop tardif, déjeuner, puis temps partagé entre les jumeaux, les tâches quotidiennes, les petites promenades à l'extérieur et les discussions. Agir comme de coutume était le meilleur moyen de ne pas accorder trop de place à l'inquiétude causée par les opérations à venir et à la nostalgie liée aux séparations. Cela ne l'empêcha pas de les éprouver, bien sûr, mais il s'efforça de se concentrer sur les choses positives, sur les merveilleuses retrouvailles qui les attendaient de l'autre côté de la mer et les mois de lumière qui s'écouleraient ensuite. Ainsi n'eut-il pas trop de mal à afficher une attitude sinon joyeuse, au moins paisible et détendue.

[Galathée]

Ils dînèrent encore ensemble, avant que ne vienne le signal du départ. Judicaël les précéda dans la salle où il avait l'habitude d'effectuer les téléportations, tandis qu'ils saluaient les Moandrins et leurs hôtes des derniers mois. Galathée paraissait un peu tendue, mais elle s'efforçait de ne rien en montrer, et elle souhaita bonne route à son homme, avec un baiser, avant de le laisser faire ses adieux.
Les clercs étaient tristes de les voir partir, mais ils semblaient aussi heureux pour eux, à l'idée qu'ils allaient pouvoir retrouver leur pays d'origine — pour les enfants — et son foyer — pour Taliesin. Iris remercia le barde d'avoir apporté un peu de mouvement dans leur quotidien tranquille, Blanche lui souhaita bien du bonheur et des découvertes avec ses enfants, Aaron lui annonça qu'il avait déjà converti Baptiste au culte de Sunie, en cachette.
Tim le prit un moment à l'écart.
" Nous nous reverrons, Taliesin, peut-être dans cinquante ans, qui sait... Je serai un vieillard et tu sauras tout des étoiles... Mais je suis Milite et je me dois de suivre les bardes doués que je rencontre. J'ai été honoré de faire ta connaissance et de pouvoir jouer avec toi. Je pourrai le raconter à mes petits-enfants !"

[Taliesin]

Dans cinquante ans ? Fichtre, il n'avait aucune envie de se projeter aussi loin. Parce que quand un demi-siècle aurait passé, Galathée ne serait peut-être plus de ce monde, Victor et Baptiste entreraient dans la vieillesse, les jumeaux auraient parcouru une bonne partie de l'âge mur...
-J'espère qu'on se reverra plus tôt que ça, répondit-il. Mais je pense que tes petits-enfants fronceront les sourcils si tu leur parle de moi : j'entends bien être le plus discret des elfes, à présent, et mon nom ne leur dira rien de rien... Par contre, j'aimerais beaucoup narrer aux miens comment, au cœur de Melandis, j'ai trouvé une enclave de bonté, de bienveillance, de chaleur humaine... J'espère que le sortilège ne m'en empêchera pas.
Il sourit.
-J'ai été ravi de faire ta connaissance, Tim. Je te remercie pour ta gentillesse, pour ton aide, pour les nouvelles perspectives que tu m'as ouvertes en m'offrant le livre. Je croise les doigts pour avoir l'occasion de te montrer mes progrès en ce domaine... et de jouer à nouveau avec toi. Et bien sûr, notre porte te sera toujours grande ouverte.

[Galathée]

Le Milite sourit.
« Je serai trop curieux pour ne pas venir voir… ou du moins me renseigner, si je devais rester à Mélandis trop longtemps. Mais je suis heureux de t’avoir confié ce livre. Je n’aurais pas pu rêver meilleur lecteur. »
Il posa une main amicale sur son épaule.
« Puisses-tu entrer dans la ronde des astres, et dans le secret de ces bardes d’exception. Tu as l’étoffe, je le sais… Il faudra que tu trouves le temps… Le moment était peut-être mal choisi… ou alors il était nécessaire. Pour que tu gardes un pied dans chaque monde. »
Il fit un pas en arrière.
« Bon vent à toi. »

[Taliesin]

Il chercha quelque chose à ajouter mais ne trouva pas les mots. Les adieux, ça n'était vraiment pas son fort...
-Bonne suite pour ta mission, Tim. Merci encore et... à bientôt. dit-il simplement.
Il lui tapa sur l'épaule, lui serra chaleureusement la main puis se détourna. A présent, il fallait qu'il aille trouver Helen, qui méritait aussi moult remerciements.

[Galathée]

Helen se trouvait un peu en retrait mais elle lui sourit chaleureusement quand il s'approcha.
" Ne crains rien pour cette nuit, dit-elle. Blanche et moi veillerons sur Galathée et vos anges en ton absence. Dieux, c'est difficile de vous voir partir... Vous, j'ai pu vous connaître, mais eux... Je les aurai juste entraperçus."
Elle soupira, un peu émue, mais sourit à nouveau.
" Mon coeur est en joie de savoir sur vous les emmenez vers l'est, l'aube et la cité de Lathandre. Même si ça ne vous engage à rien, c'est un signe pour moi. Ils sont nés sous de bons auspices. Je leur souhaite, et à vous, de nombreux jours ensoleillés."

[Taliesin]

-Merci. Et merci pour toute l'aide que tu nous a apportée depuis la naissance, et même avant... Sans toi, je ne sais pas comment nous nous en serions tirés : des jumeaux, c'est particulièrement... intense. Mais grâce à ton soutien et à tes conseils, nous avons réussi à franchir ce cap difficile, et je crois qu'à présent, nous réussirons à nous en tirer honorablement.
Il se mordilla brièvement la lèvre inférieure, nerveux.
-Je sais que votre mission vous oblige à rester longtemps en terre mélandienne. Néanmoins, si tu as l'opportunité de revenir sur Helonna, dans un avenir proche ou lointain... N'hésite pas à venir chez nous. Tu y seras la bienvenue, je serai heureux que tu puisses revoir les petits... et de leur dire tout ce que tu as fait pour nous.

[Galathée]

" Je ne l'oublierai pas, mais je ne sais pas ce que l'avenir me réserve. En nous engageant, nous savions que le retour était lointain... Cependant, il viendra. Nos supérieurs savent que nous ne pourrons pas tenir éternellement le coup loin de la lumière, malgré tout ce que nous accomplissons."
Elle sourit.
" Mais je sais que vous serez des parents formidables, et en cela, mon coeur est léger. Je serai ravie de voir où en sont ces deux petits bouts quand ils auront grandi. Et je vous remercie de m'avoir fait confiance pour le moment crucial. C'est un souvenir que je chérirai, moi aussi."

[Taliesin]

-Nous avons eu énormément de chance de vous rencontrer. De te rencontrer. Oui, au milieu de ces drames, de toutes cette horreur, il y a eu de la lumière. Des miracles. Cela me rend optimiste pour l'avenir.
En parlant de miracle, c'en serait un s'il parvenait à se contrôler jusqu'à la fin de ces adieux. Mais ce n'était pas réellement des adieux, n'est-ce pas ? C'était des au revoir...
-Merci pour tout, Helen. Et à bientôt, dit-il après s'être raclé la gorge.

[Galathée]

D'autres clercs, encore, vinrent le saluer, et il finit par avoir serré toutes les mains, remercié tous les individus, reçu encore mille félicitations. Il réalisa alors que Baptiste paraissait déstabilisé par ces au revoir, le visage congestionné par une émotion qu'il essayait de garder à l'intérieur. Il accueillait les étreintes et les salutations avec un sourire, mais il était manifestement au bord des larmes, tandis qu'Hippolyte et Prudence distribuaient leurs sourires sans la moindre difficulté.

[Taliesin]

Même s'il n'en menait pas large, même si quitter brièvement sa compagne et les jumeaux lui pesait beaucoup, l'elfe se dit que c'était finalement une bonne chose qu'il fasse partie de l'avant-dernier groupe : non seulement sa présence était utile de manière générale mais, de surcroit, il pourrait soutenir le petit garçon, pour qui les adieux semblaient terriblement rudes...
Sitôt que Baptiste en eut terminé, il s'approcha de lui.
-Je vais dire à demain à Galathée. Tu veux m'accompagner ? Ensuite, je ne m'attarderai pas. Les au revoir... Grands dieux, j'ai énormément de mal avec ça.

[Galathée]

Baptiste sembla émerger d'un songe et acquiesça en lui prenant la main. Galathée les accueillit d'un sourire.
" Bon transfert, murmura-t-elle avec le sourire. J'espère que vous dormirez bien... Un peu de camping dans la broussaille, rien de tel pour se sentir vivre. Le ciel est clair, tout se passera bien."
Baptiste acquiesça.
" Oui. Bonne nuit à toi, avec les petits."
Héloïse et Tristan étaient réveillés, l'un et l'autre, mais semblaient absolument indifférents au tumulte autour d'eux.

[Taliesin]

-Comme nous sommes promis à une longue marche, je compte sur toi pour ne pas écouter nos amis qui, pour fêter mon départ, ne manqueront pas de faire une fête de tous les diables et de te proposer d'y participer... fit-il d'un ton léger.
Il embrassa la rôdeuse, puis ses enfants.
-Passe une bonne nuit. Demain, nous serons à nouveau ensemble et, avant le crépuscule, nous serons à bord du navire qui nous ramènera chez nous.
Il sourit avant de se tourna vers Baptiste : mieux valait ne pas trop s'attarder.
-Tu viens, mon grand ? La téléportation nous attend.

[Galathée]

Le gamin acquiesça et le suivit à l'intérieur, stoïque, sans jeter de regard en arrière. Hippolyte et Prudence les avaient précédés, ils entendaient le murmure de la conversation qu'ils avaient avec Judicaël, un peu plus loin dans le couloir. Baptiste prit une profonde inspiration puis jeta un sourire brave à Taliesin et celui-ci sentit sa poigne se resserrer sur sa main, son épaule lui frôler le bras.
Ils gagnèrent la pièce ronde où se trouvaient les trois autres. Judicaël sourit à Taliesin puis les regarda tour à tour.
" La téléportation est immédiate. Nous allons être instantanément transportés dans un petit bosquet de pins où se trouvent les ruines d'une habitation. Il fera nuit, déjà. Pour que ça marche, il est impératif que nous conservions un contact permanent. Cela signifie que nous devons tous nous toucher, et au moins un d'entre vous doit me toucher moi. Je propose que Prudence, tu mettes ta main ici, Hippolyte, tu lui serres le coude... Baptiste et Taliesin, bon, Baptiste prend la main d'Hippolyte... Et comme ça nous sommes parés."
Il les dévisagea à nouveau.
" Prêts ? Rien oublié ?"

[Taliesin]

Le barde procéda à un petit inventaire mental : il avait suspendu son épée à sa ceinture, glissé le pipeau dans une poche, et son paquetage contenait ses vêtements, son livre, une quantité de langes qu'il avait préféré emporter pour ne pas surcharger Galathée... Oui, rien ne manquait.
-Tout est bon de mon côté, dit-il d'un ton tranquille.
Et, tout en serrant un peu plus fort la main de Baptiste, il vérifia que tous les enfants avaient appliqué à la lettre les consignes de Judicaël.