La Couronne de Cuivre

Ils repartirent donc pour la taverne, leurs informations sous le bras. Phelan les y attendait déjà, un peu nerveux derrière son verre. Sans doute n'avait-il pas l'habitude... de rester longtemps assis. Son regard s'éclaira lorsqu'il les vit approcher.
" Ah ! Vous êtes là ! J'ai essayé de vous rattraper au comptoir, mais vous étiez déjà partis. Pas que j'avais des choses transcendantes à vous raconter, cela dit : malheureusement, le chasseur est déjà parti. L'aubergiste pense qu'il l'a vu bavarder avec quelqu'un qui ressemble à Cordélia, mais il était pas certain qu'il l'avait embauchée. Il a apparemment discuté avec beaucoup de gens durant son séjour. Mais les dates concordent plus ou moins, et je sais où il habite !"

-Sachant de surcroit que nous avons appris qu'elle n'a pas travaillé pour le comptoir, c'est une excellente nouvelle. Où est-ce ?
Si cela se trouvait plus près que le village du nord, leurs recherches pourraient être facilitées.
Si c'était plus loin, en revanche...
Bah, ce n'était pas un trajet prolongé qui allait lui faire peur.

" C'est droit vers l'ouest, presque à la sortie de la vallée. A cheval, une heure... mais la nuit sera sans doute tombée avant que vous y soyez."
Il eut un léger sourire.
" J'ai pas de cheval, moi. Sinon j'aurais déjà déguerpi de cet endroit depuis longtemps."

-Bah, ne désespérez pas : vous trouverez bien une occasion d'obtenir de quoi vous offrir une monture ou, au moins, une place dans un coche...
Peut-être même Cordélia accepterait-elle qu'il l'accompagne lorsqu'elle quitterait la vallée.
-Mais dans l'immédiat, nous devons rentrer à Vauxgrisants : j'ai aussi un fils là-bas qui doit commencer à s'inquiéter... Nous pourrons reprendre les recherches tôt demain matin. Et dès à présent, permettez-moi de vous remercier pour l'aide que vous nous avez apportée : sans vous, tout ça aurait été beaucoup, beaucoup plus long.

" Avec plaisir." dit le jeune homme.
Il haussa les épaules.
" Bon, je vous retrouve demain matin, alors ? Où on se donne rendez-vous quelque part ? A la porte est ou ici ?"

Il réfléchit quelques instants.
-Est-ce difficile de contourner la ville pour rejoindre la route que nous devrons emprunter ? Si c'est simple, nous pourrions nous retrouver directement après la porte ouest, ce qui éviterait une traversée de Champsdor...
Il se demandait si Titus ne pourrait pas les aider pour une enquête dans les bois...

" Il y a un contournement, oui. D'accord, retrouvons-nous dehors. Je serai fidèle au poste."
Victor jeta un regard un peu courroucé à Taliesin mais n'osa rien dire. Il n'était manifestement pas certain que s'adjoindre les services de ce godelureau soit très utile. Phelan ne remarqua rien.

Mais dans leur situation, toute aide était bonne à prendre, sans compter qu'il était sensible à la situation du jeune homme, à son besoin d'agir, à sa frustration d'être bloqué en ces lieux qu'il n'aimait pas mais dont il ne pouvait partir...
-Très bien, faisons ainsi. Je vous souhaite une bonne nuit et vous dis à demain.
Et de se lever : il était grand temps de rentrer.

Ils se saluèrent et Taliesin et Victor regagnèrent la rue où ils récupérèrent Minuit. Ils cheminèrent lentement dans les rues de la petite ville, alors que l'ombre gagnait peu à peu du terrain. L'enfant resta silencieux un moment, mais le barde devinait qu'il réfléchissait.
" Pourquoi il fait ça, Phelan ? Il la connait même pas, Cordélia. Je trouve ça bizarre."

-Ils ont quand même un peu bavardé et, apparemment, il l'a plutôt appréciée, répondit-il. Mais surtout, il s'ennuie. Il semble bloqué ici, à cause des dettes qu'il doit éponger et à cause due fait qu'il ne réussit pas à obtenir de travail et donc l'argent nécessaire pour les éponger. Bref, il tourne en rond... Dès lors, est-ce vraiment bizarre s'il s'aute sur une bonne occasion de s'occuper ?

" Mouais... On n'a pas dit qu'on allait le payer pour son aide, pourtant..."
Il paraissait toujours incertain.
" Mais tu as raison. Moi aussi, si je m'ennuyais, je ferais peut-être ce genre de choses..."

-Je pense aussi.
Il sourit.
-Et puis, retrouver Cordélia ne sera pas une mince affaire : il pourra vraiment nous aider. Par ailleurs, si tu te méfies de lui... Dis-toi que nous n'aurions pas pu l'empêcher d'enquêter de son côté. . Ainsi, au moins, nous pourrons le garder à l’œil.

" Je me méfie pas vraiment de lui. Je trouve les gens bizarres, c'est tout."
Il pinça les lèvres.
" Tu crois qu'il est amoureux d'elle ?"

-Qui sait ? Les coups de foudre, ça existe. Après, il peut être simplement séduit, ou juste bien l'apprécier, ou... s'ennuyer.
Il haussa les épaules.
-Difficile à dire : je ne le connais pas assez.

Ils gagnèrent les portes est de la cité et retrouvèrent la campagne. C'était le crépuscule. Il était curieusement silencieux : on n'entendait ni insectes, ni grenouilles, tout juste le sifflement du vent dans les blés encore verts, les branches des arbres fruitiers qui jalonnaient la route, et au-dessus d'eux, les nuages d'une averse nocturne commençaient à s'amasser. Minuit était passablement fatigué et s'il marchait d'un bon pas, il aurait été cruel de le mettre au galop : il avait déjà beaucoup donné ce jour-là.
Nul doute qu'ils n'atteindraient pas Vauxgrisants à l'heure du souper, mais dans cette Vallée si tranquille, il était peu probable que quiconque s'en inquiète. Sauf Baptiste, peut-être...

Mais Mona, Titus ou même les notes et les livres envoyées d'Eredhun arriveraient peut-être à lui changer les idées...
Toujours est-il que le barde ne pressa pas leur monture et tenta de puiser de la sérénité dans le magnifique paysage environnant, tout en s'efforçant de ne pas prêter attention au silence que son imagination - et sa tendance à s'inquiéter - le poussaient à interpréter d'étrange manière...

Ils gagnèrent Vauxgrisants alors que le ciel était encore gris sombre, presque noir, piqueté d'étoiles fantastiques. De la musique s'élevait déjà de la taverne, maladroite et un peu répétitive, mais ils portèrent les pas de Minuit jusque chez Mona. Baptiste les entendit probablement arriver car il déboula sur le seuil et vint étreindre brusquement le barde qui mettait pied à terre. Mona le suivit.
" Tu vois ? Je t'avais dit qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiéter !"
Le gosse maugréa quelque chose en retour et rentra à l'intérieur.
" Nous sommes à table ! Hâtez-vous !"

Ah, pauvre Baptiste. L'elfe espérait vraiment qu'à force de le voir rentrer invariablement sain et sauf, il vivrait moins mal ses absences...
-Le temps d'installer Minuit et je vous rejoins, répondit-il à Mona.
Puis, après avoir fait signe à Baptiste de rentrer, il entreprit de s'occuper rapidement du cheval.

Quand il gagna la salle à manger, il trouva son assiette pleine d'une soupe de légumes verts. Le reste du repas, une volaille rôtie à en juger par ce qui trônait sur la table, attendait qu'il en ait fini avec l'entrée. Victor était déjà à ce stade, lui, et ce n'était pas faute d'avoir englouti l'entrée. Baptiste paraissait un peu plus détendu, Titus était agité, Yann et Mona sourirent doucement au barde.
" Alors vous n'avez pas retrouvé votre amie, nous dit Victor ?" demanda la veuve.

-Non ne l'avons pas retrouvée elle mais au moins, nous avons retrouvé sa piste. Dans l'état actuel des choses, nous savons qu'elle a accepté soit un travail d'abattage dans le village du nord, soit, et cela me semble plus probable, de chasser une bête dans les bois de l'ouest. Il faudra donc poursuivre les recherches demain mais voilà, nous avons quand même un peu avancé.
Et de traduire en sylvestre, pour que Titus aussi sache de quoi il retournait.

Titus ne semblait pas prêter la moindre attention à ce que Taliesin racontait. Yann, qui avait terminé son assiette, croisa les bras et se carra dans son siège.
" Nous avons de la famille à Viveverte, dit le porcher. Ma soeur, déjà, et puis des cousins. Ils pourraient sûrement vous aider, si vous devez monter jusque là."
Mona acquiesça.
" Ils connaissent bien le coin et pourront sûrement vous indiquer l'éleveur qui est le plus susceptible d'avoir cherché de l'aide. Même si c'est curieux qu'il n'ait pas pu trouver de main d'oeuvre sur place..."

Lui-même pouvait imaginer bien des raisons justifiant ce recrutement. Toutefois, Mona et Yann étaient bien meilleurs juges que lui en ces matières.
-Je vois davantage Cordélia opter pour la chasse mais... J'irai quand même à Viveverte : on ne sait jamais, après tout. Et puis, le fait que vous puissiez m'indiquer des contacts là-bas accélèrera grandement mes démarches.

" Je t'indiquerai où trouver nos proches, ce sera le plus simple. Viveverte est un peu plus grand que Vauxgrisants, mais pas tellement, et tout le monde connait tout le monde, il te suffira de poser des questions pour t'orienter.
— Le chemin le plus court pour atteindre Viveverte ne passe pas par Champsdor, cela dit, ajouta Mona.
— Oh, on va devoir se passer de Phelan ! Quel dommage ! s'exclama théâtralement Victor.
— Qui est Phelan ?" intervint Baptiste.

-Un jeune baroudeur. Comme un marchand l'avait vu discuter dans son échoppe avec Cordélia, nous sommes allés le trouver... Il n'a guère pu nous renseigner mais il a accepté de nous aider. Il semble qu'il ait plutôt apprécié notre amie aventurière, mais il a également l'air de beaucoup s'ennuyer, parce qu'il n'arrive pas à trouver de travail...
Il se tourna vers Victor.
-Sérieusement, tu trouverais ça très gentil de notre part, de le laisser attendre vainement des heures à la porte ouest ? En plus, il est le seul à savoir où habite la personne ayant mis l'annonce concernant la chasse...

" Boh, je disais ça comme ça." dit Victor en haussant les épaules, un sourire un peu facétieux sur les lèvres.
Baptiste le dévisagea, interdit, avant de secouer la tête en signe d'incompréhension.
" Je suis sûr qu'il y a une explication tout à fait raisonnable à cette disparition." murmura Mona, manifestement convaincue.
Yann, de son côté, ne se risqua pas à pareille banalité.

-Nous verrons bien, dit-il, conciliant. Mais je suis déjà content de savoir où chercher, quelles pistes suivre...
C'était autrement moins pénible que n'avoir aucune information. Pour autant, il ne partageait pas l'optimisme de Mona : non, il était convaincu que quelque chose avait cloché. Mais il croisait mentalement les doigts pour que ce ne soit pas trop grave.

Le repas se termina. Victor était joyeux et accompagna Yann et Mona en cuisine. Baptiste, lui, demeurait nerveux, et Taliesin comprit bientôt qu'il voulait lui parler, en privé si possible, à ses coups d'oeil insistants. Le gosse finit par se lever et sortir par la porte de devant, vers la cour. Titus, lui, grimpa les escaliers quatre à quatre.

Se souvenant de la nervosité manifestée par le petit faune au cours du repas, il se promit de discuter avec lui avant l'heure du coucher. Toutefois, il s'inquiétait davantage pour Baptiste et s'empressa donc de le suivre à l'extérieur.
-Quelque chose ne va pas, mon grand ? demanda-t-il doucement quand il l'eut rejoint.

" Je ne sais pas, dit le petit garçon. C'est peut-être pas grave."
Il eut une grimace embarrassée.
" On a eu des ennuis, au retour de la ruine. Pas des gros. Des bergers ont voulu nous escorter quand on traversait le pâturage. A cause des centaures, tu vois... Ils voulaient pas qu'on se fasse attaquer. Ça partait d'un bon sentiment. Mais alors ils ont vu les sabots de Titus. Ils ont pris peur. Je crois qu'ils ont cru que c'était une sorte... de diable."

Zut, il ne manquait plus que ça...
-Ont-ils fait quoi que ce soit à Titus ? Se sont-ils contentés de se replier ?
La seconde hypothèse lui semblait plus probable mais il préférait s'en assurer.
-Est-ce que tu en as parlé à Mona et Yann ? S'ils étaient en mesure d'identifier les bergers en question, je pourrais aller leur parler et leur expliquer la situation...

La Couronne de Cuivre

[Lieu] La Vallée Fertile