La Couronne de Cuivre

La jeune femme décida d'approcher discrètement dans son dos pour tenter de se joindre à son jeu de scène. Guidée par la lueur de la torche, elle sut le repérer avant qu'il ait une chance de la voir et bondit pour l'ensererer de ses bras et déclarer victorieusement :

- Ce n'est pas une technique ordinairement approuvée par mon Ordre mais il faut savoir déployer les grands moyens face à sa plus grande Némésis !

-Mais... Mais... Mais... Qu'ai-je fait pour mériter pareil traitement ? demanda Quentin, l'air totalement stupéfait.
Il prit une profonde inspiration.
-Vous êtes sûre que vous allez bien, madame ? Que... Que les graviers qui vous sont tombés dessus tout à l'heure ne vous ont pas causé, disons, un choc important ? Je pense que vous devriez vous assoir un moment, ne serait-ce que par mesure de précaution.

Chandara était stupéfaite par le toupet du jeune garçon : avait-il décidé de la faire tourner en bourrique à chaque occasion ? La paladine desserra son étreinte et se redressa comme si de rien n'était pour répondre d'un ton on-ne-peut plus sérieux :

- Je vais parfaitement bien mais il me semble que toute cette escapade t'a donné des hallucinations. Il me semble même que tu as un peu de fièvre qu'il faudrait faire tomber. Veux-tu que j'aille te chercher un peu d'eau fraîche ?

Il fronça les sourcils, l'air perplexe.
-Je vous assure, madame, que je me sens parfaitement bien. Certes, je suis enthousiasmé par cette exploration mais jamais, ô grand jamais je ne succomberais à l'excitation : ce serait le meilleur moyen de commettre une fatale imprudence.
Sauf que l'instant suivant, sans crier gare, il faisait volte face et détalait ventre à terre.
-Vous ne me rattraperez jamais ! Jamais ! s'exclama-t-il sitôt disparu au-delà d'un tournant. Le trésor sera à moi ! A moi ! Mouhahahahahaha !
Et c'est qu'il imitait fort bien le grand méchant d'opérette...

Chandara dut faire un effort pour ne pas éclater de rire devant cette nouvelle facétie de son jeune ami. Au lieu de cela, elle décida de poursuivre cet amusant manège tout en ne lui laissant pas prendre trop d'avance : l'exploration de souterrains exigeait tout de même une certaine prudence et de la vigilance. Elle pressa le pas à sa suite tout en l'admonestant gentiment :

- Tu ne te débarrasseras pas aussi facilement de moi : les paladines ont beaucoup de suite dans les idées et n'abandonnent jamais !

Cette "course-poursuite" se prolongea plusieurs minutes, Chandara lancée aux trousses d'un Quentin la précédant de peu et jouant toujours son rôle de méchant aux machiavélisme aussi exagéré que grandiloquent. Et ce petit jeu ne portait pas à conséquence : le jeune musicien était prudent, elle le savait et, de surcroit, le tunnel ne présentait aucune difficulté, aucun passage dangereux.
Mais tout s'arrêta lorsque la paladine rattrapa son camarade qui s'était immobilisé sur une corniche au pied de laquelle, à trois ou quatre mètres en contrebas, écumaient les vagues marines.
Ils venaient en effet de déboucher dans une immense caverne en partie immergée où les rayons du soleil se déversaient abondamment par de multiples trouées, fissures et anfractuosités perçant son flanc oriental. Grâce à cette abondante lumière, des plantes et même des arbres avaient poussé sur les nombreuses sailles et plateformes s'étageant le long des parois rocheuses. Résonnant harmonieusement du chant des flots et de celui des innombrables oiseaux qui s'y étaient établis, ce lieux était magnifique, onirique presque.
Mais que dire du superbe navire qui mouillait en son centre, voiles repliées et qui, s'il devait se trouver ici depuis des décennies, sinon des siècles, semblait avoir été totalement épargné par les affres du temps ?

Chandara avait débouché dans la caverne les yeux rivés sur Quentin qui s'était brusquement arrêté. Fort heureusement, elle était parvenue à éviter une collision qui les aurait sans doute propulsé dans l'eau quelques mètres plus bas. Et si la manoeuvre ne les aurait pas forcément blessé, il aurait été grand dommage de ne pas profiter du spectacle époustouflant qui s'offrait à eux. La paladine n'en croyait pas ses yeux tant le décor bucolique était inattendu. Il lui fallut quelques instants pour s'accoutumer à la plus forte luminosité et bien plus encore pour appréhender l'imensité de la caverne et du lagon où mouillait l'antique vaisseau.

Comme pour mieux partager ce moment de grâce, la jeune femme s'avança doucement vers le bord du promontoire et posa une main protectrice sur l'épaule de son petit protégé, toujours figé dans la contemplation. Elle souffla doucement :

- La Dame doit vraiment te considérer tout spécialement pour te faire découvrir un nouveau trésor pour les yeux.

-C'est gentil de dire ça mais, à mon avis, Sunie vous a simplement conduite jusqu'au but de votre expédition, répondit Quentin, très sérieux. De ce que vous m'en avez dit, vous avez quitté la Commanderie pour découvrir, en cette région, des merveilles oubliées...
Il sourit.
-Et je crois qu'en l'occurrence, on a décroché le gros lot ! En plus, on n'a même pas encore vu ce que cache le bateau...

Chandara était tout sourire et répondit avec sincérité à la remarque modeste du garçon :

- Ce genre de voyage n'a pas du but final mais plutôt des escales intéressantes. Et celle-ci est des plus prometteuses si tu veux mon avis ! Nous devrions chercher un moyen de descendre et de remonter si nécessaire. Ce bateau ne devrait pas s'envoler mais je suis tout de même impatiente de l'explorer.

La paladine se mit à chercher une pente plus douce pour se rendre au niveau de la crique ou un endroit où ils pourraient solidement arrimer une corde. Il ne fallait surtout pas foncer tête baissée au risque de se retrouver bloqués par la suite.

De pente douce, point. Mais des prises permettant de descendre et d'escalader la paroi, en revanche, il y en avait plus qu'assez de part et d'autre de l'étroite corniche sur laquelle ils se tenaient. Chandara nota même la présence d'un affleurement rocheux fort propice au nouage d'une corde. Bref, les solutions ne manquaient pas !
Quentin, toutefois, semblait en préférer une autre...
-Vous devriez plonger, dit-il avec sérieux. Ce serait plus aventureux, cela ferait mieux dans le récit.

Chandara sourit et fit mine de s'approcher du bord comme pour obéir à l'injoction du garçon. En fait, elle estima réellement qu'un plongeon depuis le promontoire ne présentait aucun risque et qu'ils pourraient aisément atteindre les prises leur permettant de remonter. Puis sans crier gare, elle enlaça Quentin avant de le projeter dans le vide. Après le plouf sonore qui s'ensuivit, elle répliqua, hilare :

- Oh, quel superbe plongeon ! Il sera du plus bel effet dans le récit de tes aventures !

Lorsqu'il remonta à la surface, l'ahurissement peint sur le visage de Quentin céda presque instantanément la place à une fureur fort convaincante.
-Cela, je ne vous le pardonnerai jamais ! cria-t-il, sa voix résonnant en échos sous les hautes voûtes de la caverne. Attaquer ainsi, par surprise, un allié fidèle et désarmé, c'est de la rouerie, de la félonie, de la trahison ! C'est indigne d'un paladin ! Et par les dieux, cela ne restera pas impuni !
Voilà qu'il faisait volte-face et qu'il se mettait à nager à toute vitesse en direction du bateau.
-Ce navire est mien ! cria-t-il à nouveau. Je le revendique ! J'en serai capitaine ! Et si je vous croise durant mes navigations, je vous ferai jeter aux fers !

L'indignation de Quentin était telle que Chandara faillit s'y laisser prendre mais il était évident qu'il jouait à nouveau la comédie. Dans le doute et puisqu'il n'était pas question de le laisser la distancer et aborder le navire seul, la paladine ne tergiversa pas et rejoignit le garçon dans l'eau d'un bond souple. Elle se mit à son tour à nager vers le navire et commença à chercher un moyen qui leur permettrait de s'y hisser tout en gardant Quentin à l'oeil.

Un moyen pour s'y hisser ?
Eh bien, une échelle de coupée pendait justement sur le flanc du bâtiment, invitation à y monter, à l'explorer...
Et c'était vers celle-ci que fonçait tout droit Quentin.
D'ailleurs, il l'atteindrait plus que probablement avant elle : il avait de l'avance et il nageait vite, le bougre !

La paladine ne lambinait pas non plus. Et si elle ne prenait pas les menaces de Quentin au sérieux, elle avait tout de même l'intention de ne pas lui laisser trop d'avance. Le bateau n'était certainement plus occupé après toutes ces années mais il pouvait être dangereux de s'y promener si le bois avait fini par s'émousser. Plus que jamais, elle prenait son rôle de protectrice au sérieux même s'il aurait été aisé de se laisser gagner par l'euphorie grisante de la découverte.

Quentin atteignit l'échelle avant elle.
Et il en avait déjà gravi bien des échelons lorsque sa main se referma sur le premier d'entre eux.
Il ne ménageait pas ses efforts !
-Votre heure a bientôt sonné ! lança-t-il tout en poursuivant sa rapide ascension. Sitôt que je serai à bord, je couperai cette échelle et vous serez la proie des requins !
Et c'était qu'il était plutôt convaincant, dans son rôle !

Fort heureusement, la crique était exempte de ces poissons prédateurs. Mais cela mis à part, la paladine devait bien reconnaître une fois de plus le talent d'interprétation dont faisait preuve le jeune barde. Elle était tout à fait encline à jouer son jeu tant cela semblait l'amuser et lui tenir à coeur :

- Tu n'oserais pas ! Tu auras besoin d'un second fidèle pour te garder des dangers de la mer et des mutins.

Et de commencer tout de même son ascension au cas improbable où Quentin mettrait sa menace à exécution.

Voilà qu'il atteignait le sommet de l'échelle, qu'il enjambait le bastingage, qu'il disparaissait un moment à sa vue.
Voilà qu'il reparaissait, tout sourire et tenant à la main ce qui avait tout l'air d'être un couteau...
-Adieu ! lança-t-il.
Un rayon de lumière fit briller sa lame tandis qu'il l'abaissait lentement...

Quentin avait le sens de la mise en scène et il fallut un effort de volonté à Chandara pour ne pas s'y laisser prendre. Elle se figea un instant dans son ascension pour lever le regard vers le garçon et déclamer d'un ton feint mais implorant :

- Par pitié, capitaine Quentin, je peux encore vous être utile ! Ne me jetez pas aux requins !

-Capitaine ? Capitaine ?!
Son expression se fit scandalisée.
-Commet peut-on me prendre pour un simple capitaine, moi qui suit le plus grand de tous les grands amiraux ? Comment ?! C'est tout bonnement intolérable !
Et de disparaître, comme si l'indignation lui avait fait oublier ses plans machiavéliques.

Chandara reprit posément son ascension, assuré que Quentin lui donnerait le temps de le rejoindre avant de s'enfoncer dans les entrailles du vaisseau pour la suite de l'exploration, du moins l'espérait-elle. Mais dans le doute...

- Il ne sied pas à un grand officier comme vous de se déplacer sans au moins un membre d'équipage ! Attendez-moi amiral Quentin !

La réponse ne se fit pas attendre.
-Oh, mais qu'est-ce qu'il y a au fond de la cale ? Génial ! Et dans la chambre du capitaine ? Trop fort ! Et là, tout en haut du grand mâta ? Yihaaaa !
En vérité, comme elle le constata après avoir pris pied à bord, il l'attendait nonchalamment adossé au bastingage.
-Eh bien, vous en avez mis, du temps ! fit-il en étouffant un bâillement.
Autour d'eux s'étendait le pont du bâtiment, désert mai ssi bien conscervé qu'on l'aurait cru tout juste déserté par l'équipage...

La paladine ne releva pas la provocation bon enfant - Quentin avait bien le droit de s'amuser - fut-ce à ses dépens - et au moins avait-il eu la prudence de l'attendre avant de s'engager plus avant sur le pont du navire. Car s'il semblait effectivement bien conservé, le bois avait sans doute été exposé longuement aux éléments - même sous la protection de la caverne - et il pouvait se révéler plus traître qu'il n'y paraissait. Après avoir jeté un coup d'oeil général au pont principal, Chandara interrogea Quentin sur ses aspirations :

- Alors, par où commençons-nous ? Et hors de question de répondre "le nid de pie" !

Quentin acquiesça.
-Eh bien....
Il regarda à bâbord puis à tribord.
Vers le gaillard avant puis vers le gaillard arrière.
Enfin, il prit une profonde inspiration...
-Le nid de pie !!!

Chandara mit les mains sur ses hanches et prit un air faussement sévère :

- Oh non mon garçon ! C'est beaucoup trop dangereux et il y a bien plus intéressant à voir !

Mais elle fut incapable de jouer plus longtemps la comédie et pouffa de rire, tant la réponse de Quentin l'avait amusée :

- Allons plutôt trouver les quartiers du capitaine. Si nous trouvons son journal, nous pourrions apprendre des histoires édifiantes.

-Et si c'est son trésor que nous trouvons, vous aurez de jolies choses à ramener à votre commanderie ! ajouta-t-il, un instant sérieux.
Mais, déjà, revenait son sourire espiègle.
-Enfin, si dans ma grande générosité, je daigne vous laisser quelques menues babioles...
Sur ce, il prit d'un pas décontracté la direction de la dunette.

Et à peine y était-il entré que Chandara posa une main sur son épaulen et imita un instant son ton de méchant conspirateur :

- Attends un moment ! Moi aussi je peux me montrer généreuse en temps voulu mais je ne peux décemment pas te laisser dans cet état : je peux encore me laisser convaincre de te laisser de menues babioles... Mais il est hors de question que je ne te déleste pas de ces effets trempés : tu attraperais la mort si je te laissais dégoutter partout pendant des heures !

La pression de sa main se fit pus forte, comme si elle anticipait désoramis une tentative de fuite éperdue comme il l'en avait si souvent habituée.

-Je ne trouve pas qu'il fasse si froid que cela mais soit, acquiesça-t-il. De toute façon, je trouverais ça imprudent d'explorer pareille antiquité en étant complètement trempés : l'eau ne risquerait-elle pas d'abîmer certaines choses ?
Il prit un air songeur.
-Attendre d'être complètement secs serait illusoire : cela prendrait trop de temps. Mais j'imagine qu'en essorant nos effets, nous améliorerons déjà la situation.

Chandara fit la moue : elle ne s'attendait pas à ce que Quentin se montre pour une fois aussi raisonnable. Nul doute que cela cachait une nouvelle astuce de son cru pour la faire bisquer. Mais elle ne pouvait faire autrement que de lui laisser le bénéfice du doute :

- Cela me semble avisé : prenons quelques minutes pour essorer un à un tous nos vêtements. Il n'y pas de soleil pour les sécher de toute façon alors autant s'y mettre !

Elle n'avait pour autant pas l'intention de baisser immédiatement sa garde et laissa l'initiative au jeune garçon.

Il jeta un regard vers la porte.
-Ne devrions nous pas retourner sur le pont pour procéder ? demanda-t-il, songeur.Je ne sais pas vous mais moi, je me verrais mal inonder l'entrée de ce que l'on peut tout de même considérer comme un monument historique.

La Couronne de Cuivre

[Quête] Ce que les vagues ne sauraient effacer