La Couronne de Cuivre

-Disons que j'ai enfin trouvé une solution pour qu'un certain assassin ne l'emporte pas au paradis, fit-il. Mais ne t'inquiète pas : nous en serons seulement quittes pour quelques démarches à Athrey, que nous aurions sans doute dû effectuer de toute façon.
De ce point de vue là, cela ne changeait effectivement pas grand chose.

Baptiste fronça encore plus les sourcils.
" Je ne sais pas si je dois me réjouir ou m'inquiéter... murmura-t-il. C'est assez flou. De quel assassin parles-tu ? As-tu découvert quelque chose concernant le meurtre de... du sire d'Averlande ? Est-ce qu'Haran sait quelque chose ? Si c'est le cas... Je pense que j'ai le droit de le savoir. Autrement qu'à demi-mots."

-Si j'ai été évasif, c'est parce que je ne savais pas si tu souhaitais aborder le sujet dès à présent. Mais oui, tu as le droit de savoir et puisque tu le désires, je vais tout te dire.
Au moins, ce serait fait.
-Le sieur d'Averlande a été assassiné sur les ordres du chef de la famille Steynhave, le père de sa défunte épouse. Ce dernier et la mère de messire Maurin avaient arrangé le mariage pour des raisons matérielles, l'une des parties ayant besoin d'argent, l'autre désirant un titre et un domaine. Bref, Steynhave devait obtenir l'héritage et... il a refusé qu'il lui échappe.

Baptiste resta silencieux.
" Je suppose que ça se comprend... si c'était ce qui était convenu... C'est stupide."
Il resta silencieux une seconde.
" Si j'avais dit tout de suite que je ne voulais pas de cet héritage, Maurin serait encore vivant."
Il passa le dos d'une main vive sur ses yeux, comme pour en chasser une émotion traître.
" Evidemment, je ne savais pas qu'il y avait un héritage."

" Je ne me sens pas coupable, c'est pas moi qui ai tué Maurin. Mais c'est la vérité de dire que c'est ma venue qui a précipité son meurtre. Peut-être que sinon, ils auraient pu se rabibocher... On n'en saura jamais rien."
Il haussa les épaules.
" Mais tu parles de ne pas l'emporter au paradis... Ça veut dire quoi ? Que je vais quand même hériter du manoir ? "

[color=#FFFFF66]-Oui, si tout se passe comme prévu, tu seras reconnu comme le légitime héritier de messire Maurin et tout ce qu'il possédait te reviendra. Mais cela ne soit pas t'inquiéter : cela ne veut pas dire que tu devras vivre ici ou t'occuper de quoi que ce soit. Galathée et moi-même veillerons sur tes biens, comme nous le faisons pour ceux de Victor, et nous te les remettrons intacts lorsque tu seras adulte. A ce moment-là, tu auras toute liberté pour décider qu'en faire.[/color]

" Mais qu'est-ce qu'on va faire avec ce manoir ? s'étonna Baptiste. Il est en ruines. L'entretenir va coûter un argent fou... Est-ce que ce ne serait pas mieux... de le vendre? On ne viendra quand même jamais habiter par ici..."

Baptiste n'avait pas l'air convaincu, mais il acquiesça avec une grimace.
" On verra... J'imagine que Galathée aura son mot à dire... Je ne vois pas comment tu vas gagner assez d'argent pour entretenir une maison de cette taille, alors que tu as deux enfants en bas âge... mais je ne suis pas l'adulte, hein."
Il se dirigea vers la porte.
" Je suppose que si je prends une décision maintenant, tu estimeras que je suis trop jeune pour savoir ce qui est bien ?"

Baptiste eut un sourire un peu triste.
" Oui, sans doute. Je ne suis pas sûr que je croie encore vraiment à cette possibilité mais... même si j'ai envie de tranquillité, je ne serai sûrement pas tranquille si j'ai l'impression que toi ou Galathée êtes forcés de faire des choses pour préserver un héritage dont j'ignorais l'existence et dont je n'ai jamais voulu. Je suis déjà... très reconnaissant de ce que vous faites pour moi... et de la place que vous m'avez donnée... mais tu me connais, avec le temps, non ? Si j'ai la sensation de vous causer des ennuis... même si tu dis mille fois le contraire... ça ne m'ira pas."

" Tu ne comprends pas." dit le petit garçon en secouant la tête.
Il faillit franchir le seuil mais se ravisa.
" Même si c'est toi qui décides des ennuis, ça reste à cause de moi. Et je ne veux pas que Victor et les jumeaux pâtissent des squelettes qu'il y avait dans mon placard. Même si c'est toi qui les combats."

-Je vois ce que tu veux dire, d'autant qu'en matière de squelettes du placard, je suis amplement servi, ils sont autrement pires que les tiens et vous en avez tous pâti, d'une manière ou d'une autre. Cela ne me réjouit pas, bien sûr, et c'est un doux euphémisme. Mais que je le veuille ou non, c'est ainsi. Et puis, tu sais, c'est aussi ça, une famille : faire front commun pour affronter les difficultés, quel que soit le membre concerné de prime abord.
Il lui sourit.
-Essaie de ne pas te faire trop de souci, d'accord ? Dis-toi que l'argent, je peux en gagner suffisamment et que cet héritage pourrait bien être une chance, non un poids.

" Suffisamment d'argent pour payer l'entretien d'un manoir en ruines ?" dit Baptiste.
Un sourire mutin apparut sur son visage.
" J'aurais pas pensé que ça payait aussi bien, barde."
Mais Taliesin pouvait deviner, à son ton, qu'il lâchait le morceau dans l'immédiat. Il franchit d'ailleurs la porte, en direction probable du rez de chaussée.

Étant prêt à descendre, il lui emboita le pas.
-Tout dépend pour quel public on joue. Je connais un prince elfe, par exemple, qui aimerait beaucoup que je revienne me produire à sa cour, à Loth Imarhil : il se pourrait qu'il soit généreux et qu'il fasse ma publicité.
Ce fut à son tour de sourire.
-Et si ça ne suffit pas, je pourrais toujours devenir chasseur de trésors.

" Chasseur de quel genre de trésors ? Et où ça ? Parce qu'un prince elfe, il va estimer que cinquante ans de séjour, c'est pas très long, et je ne suis pas sûr que Galathée va beaucoup apprécier que tu te mettes à l'heure elfique..."
Il descendit l'escalier en trottinant.
" Tu dégages quand même une odeur bizarre..."

-Il doit s'agir des vapeurs de mon cerveau en ébullition à force de chercher des solutions, répondit-il d'un ton léger. Par exemple, je pourrais vous faire monter sur scène, Victor et toi. Je suis sûr que ça rapporterait gros...
Bon, mais il veillerait quand même à prendre un bain durant la matinée, histoire de se débarrasser définitivement des effluves de Gisombre.

Ils atteignirent rapidement le rez de chaussée puis la salle à manger, où Victor avait rejoint Haran. Ce dernier avait la mine de quelqu'un qui a peu ou mal dormi, et n'avait manifestement pas changé de vêtements. En fait, il n'était probablement pas monté se coucher du tout. Il décocha un sourire vaseux aux derniers arrivés et les invita à s'installer. Victor avait menacé Taliesin pour rien : il restait de quoi faire un plantureux petit déjeuner, même si les denrées étaient classiques. Le thé était peut-être un peu tiède, c'était la seule entorse à un service de qualité.
" Je ne comprends pas pourquoi les demi-elfes ne bénéficient pas d'une demi-rêverie. C'est quand même injuste." remarqua l'écrivain, l'air de rien.

-Je vous l'accorde, acquiesça le barde. Et je suis navré que vous n'ayez pu davantage vous reposer.
En présence des enfants, il ne pouvait pas parler librement, évoquer ce qui s'était passé pendant la nuit et ce qui en découlerait. Mais qu'importe : ils n'étaient pas à la minute près.
-Voilà un petit-déjeuner qui, ma foi, à l'air délicieux, reprit-il en s'asseyant. Et, miracle, Victor n'a pas encore tout dévoré.

" J'ai fait un effort, grommela le petit garçon. Parce qu'il m'a menacé !
— Moi ? Mais quel mensonge !" s'exclama Haran, l'air innocent.
Il se tourna vers Taliesin et lui sourit.
" J'espère que la nuit a été à la hauteur de vos besoins... en repos, je veux dire."

-Elle l'a été à tous les niveaux et même si je me serais bien reposé encore un moment, je n'oserai me plaindre, surtout eut égard à votre nuit visiblement trop courte.
Il sourit.
[color=#FFFFF66]-Si ces deux-là avaient daigné se lever à une heure décente, vers midi par exemple, vous auriez davantage pu dormir. Mais voilà : à cet âge, ils sont impitoyables.[/color]

HRP : on va un peu accélérer

" Oh, ils ne sont pas vraiment responsables. J'ai l'habitude des nuits chaotiques. Déformation professionnelle."
Le petit déjeuner se déroula sans incidents notables : les enfants avaient en fait déjà mangé et ils se désintéressèrent rapidement de leurs assiettes. Haran les autorisa à sortir pour autant qu'ils restent dans le jardin du manoir et qu'ils ne montent pas sur la lande. Baptiste promit de surveiller Victor et ils sortirent. Haran rassura Taliesin : il y avait suffisamment à faire dans les parages pour qu'ils ne soient pas tentés d'aller plus loin et la journée, chose rare, semblait s'annoncer sous le soleil. Il fallait en profiter !
" Je suis heureux que la nuit ait apporté ce qu'il fallait. J'aurais dû aller me coucher, mais attendre le retour de Kiazalle est une habitude... Je me suis endormi, voilà tout, ce n'est pas bien grave. Je suppose que vous allez vouloir retourner en ville rapidement : le notaire de Maurin devrait être informé au plus vite de vos découvertes..."

L'elfe opina du chef.
-Oui. Je ne sais pas s'il vaut mieux que j'y aille moi-même ou que j'envoie quelqu'un porter un message mais dans tous les cas, il faut le contacter aujourd'hui pour qu'il puisse lancer la procédure. J'ai cru comprendre que recourir directement au défunt pour connaître ses volontés se faisait parfois, dans la région, mais je n'ai absolument aucune idée de la manière dont cela se passe, du temps que cela prend pour être organisé.. Alors autant ne pas tergiverser..

" Je pense qu'il faut un juge... En tout cas quelqu'un de neutre. Et sans doute quelqu'un de la faction adverse. Enfin, des bénéficiaires du testament, en l'occurrence. Je n'y connais rien, je n'ai jamais été dans cette situation, mais je sais que ça se fait, oui. Il y a au moins une dizaine de récits locaux qui y font référence. Certains sont anciens, mais d'autres assez récents, même si les relations avec les esprits teintent n'importe quelle anecdote de sa part de mystère..."
Il eut un sourire.
" Bon. Je n'ai aucun serviteur à envoyer en ville, il faudra de toute façon se déplacer, sauf si vous avez un sortilège qui peut régler ça pour vous."

[color=#FFFFF66]-Malheureusement, je ne maîtrise pas encore la téléportation et, si je pourrais bien convoquer un coursier fantôme qui me conduirait à Athrey en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, je crains que cela ne soit un tantinet trop spectaculaire et impressionnant pour ma bonne réputation. Le mieux est donc de faire le voyage par des moyens naturels et je suis tout à fait prêt à m'en charger moi-même, du moment que je sais que quelqu'un de confiance garde un œil sur les garçons.[/color]

" Quelqu'un de confiance, c'est d'office moi, dit Haran. A vous de décider si je suis digne de confiance. Je suis, après tout, un menteur patenté. Mais je suppose que ce n'est pas forcément un problème, dans le contexte."
Il croisa les bras.
" Je peux vous prêter un cheval. Et s'il y a un mot magique pour cadrer vos garçons, surtout le blond, ça m'intéresse aussi."

-Ah, j'aimerais tant qu'il en existe un ! Malheureusement, ce n'est point le cas et il faut souvent improviser. Ceci dit, vous pouvez simplement essayer de discuter avec lui, de le responsabiliser : ça marche assez souvent, en vérité.
Il sourit.
-Après, si vous préférez aller en ville pendant que je reste ici, je comprendrais aussi. Vous nous avez déjà beaucoup aidés et je m'en voudrais de vous causer encore trop de tracas.

" Aller en ville ?"
Haran rit joyeusement.
" Je suis un artiste ermite, je ne vais pas en ville. Et honnêtement, je ne suis pas certain qu'il soit une bonne chose pour moi de m'allier publiquement avec vous : une fois vos affaires réglées, vous allez rentrer chez vous, et je vais devoir continuer à vivre dans un endroit où une famille extrêmement populaire va se faire spolier par un étranger... Entendons-nous, je sais que ce n'est pas vrai, mais c'est ce qui se dira."
Il croisa les bras.
" Coupons la poire en deux. Je garde l'héritier tranquille, et vous emmenez le trublion."