La Couronne de Cuivre

Jolien l'avait précédée et lui tendit quelques paquets, ainsi que des outres supplémentaires. Leurs rations commençaient à dater mais ils n'avaient pas la possibilité de faire du feu. Il restait heureusement du pain (un peu dur), du fromage et de la charcuterie, de quoi satisfaire leurs estomacs couinants.
" Autant je ne crains pas de remonter, autant je ne serai pas mécontent de m'asseoir devant un feu ce soir, dit Jeroen. Et il existe effectivement d'autres itinéraires... plus longs, cela dit. Mais si les trolls sont massés près du chantier, nous n'aurons de toute façon pas le choix : passer une fois, discrètement, c'est une chose, mais passer dans l'autre sens alors qu'ils savent qu'on est là..."
Il observa le petit groupe attentivement.
" Haha. Ne l'imaginons même pas."
Dimitri, debout à proximité, ne dit rien, mais esquissa un léger sourire entendu.

" Et pourtant il faudra bien redescendre à la mine, fit remarquer Astrée. Que ce soit par cet itinéraire ou un autre... Comment font les gens du chantier de fouille ? Je suppose qu'ils s'arrangent pour rentrer tous en même temps et qu'ils passent en force ? Ou alors, comme l'espère Félicie, ils ont suffisamment de mages capables de les téléporter ?"
Elle réalisait que son projet d'expédition au-delà du chantier risquait d'être fortement compromis s'il était si difficile de s'éloigner du campement. Quoique... seule, elle serait certainement plus discrète.

" Ils circulent peu. Au bout d'un moment, les trolls se lassent d'attendre. Ici, nous arrivons juste après leur caravane... C'est pour ça que la situation est particulièrement dangereuse. Mais ils ne peuvent pas surveiller toutes les voies d'accès au site."
Le mercenaire accepta le morceau de pain que lui tendait Jolien.
" Nous aviserons en fonction de la taille de l'escorte. Soit nous passerons en force, soit nous utiliserons la ruse. L'un dans l'autre, vous ne devez pas vous en inquiéter. C'est pour ça que vous nous avez engagés et nous ferons le travail."

Astrée acquiesça.
" Oh, je ne me fais pas de souci pour le retour..."
Certes, elle se demandait quelle ruse ils pouvaient bien employer... mais elle le verrait sans doute en temps voulu.
" Ce qui m'inquiète davantage, c'est ma propre expédition au-delà du chantier, vers les hauteurs. S'il y a des trolls dans les parages du chantier, je vais devoir passer sans me faire repérer... Mais peut-être qu'ils surveillent moins l'autre côté."

" Je ne pense pas que cela posera de problèmes... Il y a de multiples accès et ils ne seront pas de ce côté-là. Au pire, je vous escorterai jusqu'à un endroit sûr."
Félicie grimaça.
" Tu crois que tu vas partir vite ? demanda-t-elle à Astrée. Tu dois peut-être monter rapidement pour ne pas être coincée en bas par la neige ?"

Astrée acquiesça.
" Oui, c'est ça le problème. Il vaut mieux que je sois redescendue avant la neige, parce que la montagne est trop dangereuse en hiver. Entre les avalanches, les rochers trop glissants, et le froid... Même si je suis bien équipée, je préfère ne pas prendre trop de risque. Mais je n'en suis tout de même pas à deux jours près : j'attendrai d'être sûre que ce souci de faille soit réglé..."
Elle s'interrompit pour avaler une bonne portion de pain et de charcuterie.

" Les neiges sont éternelles, là haut, dit Jolien, d'un air sceptique. Vous allez de toute façon passer par des endroits complètement gelés, glissants et crevassés...
— Mais c'est vrai que toute cette région sera sous la neige d'ici deux mois, ajouta Jeroen. Ce sera encore un peu plus dangereux."

Oauh, c'est Byzance ce soir !

(et finalement, je suis là ce WE... sortie annulée, dommage)

" Oui, c'est vrai, tout là-haut il y a toujours de la neige. Mais je préfère ne pas y rester trop longtemps. Passer des veilles entières dans un tel froid, c'est un coup à prendre des engelures. Et même si je suis capable de revenir même quand les cols sont impraticables, je préfère éviter, ça me prendrait un temps fou... Et surtout, il y a cette histoire de trolls. Si par chance je peux revenir avant que les gens du chantier de fouilles ne lèvent le camp, c'est mieux : je pourrai profiter de leur protection. Bon, d'un autre côté, s'ils ne sont plus là, les trolls seront peut-être ailleurs... Mais on ne peut pas en être sûr".
Elle haussa les épaules.
" Au pire, s'ils sont repartis, je ferai un détour : on m'a indiqué un autre itinéraire bien plus long qui évite tout ce secteur."

Byzance un jour, disette les jours suivants, malheureusement...

" Je pense qu'ils lèveront le camp d'ici un mois environ, dit Dimitri. Généralement, ils ne s'attardent pas en hiver. Le terrain devient dangereux, même aux abords de leur chantier."
Jolien s'écarta, vigilante, tandis que le mercenaire prenait place parmi les voyageurs.
" Bon, il est temps d'aborder les directives pour la dernière partie du trajet. Ce sont les plus critiques. Nous n'aurons plus l'occasion de bavarder avant notre arrivée au chantier, il est donc crucial que vous posiez toutes vos questions maintenant."
Il attendit que tout le monde soit attentif et poursuivit.
" Nous allons avancer pendant encore environ trois heures, le long de la montagne que vous voyez là. A mi-parcours, nous rejoindrons un ruisseau dont nous allons suivre le cours jusqu'au bout. Si vous vous perdez ou que vous êtes séparé du groupe, ce qui ne devrait pas arriver, souvenez-vous que c'est un bon point de repère. Après ces trois heures, nous arriverons à une sorte de promontoire rocheux où nous allons nous séparer. Je partirai en avant, et Jolien et Jeroen resteront avec vous. Il est impératif que vous obéissiez à toutes leurs consignes, même si vous n'êtes pas d'accord avec elles."
Son regard se posa successivement sur Kalju, Astrée et Mathieu. Il traduisit ensuite ce qu'il venait de dire en elfique.
" A partir de ce point, Astrée et Eyri, vous devez avoir vos arcs toujours prêts à servir. Kalju, Félicie et Mathieu, vous resterez entre les archers.
— Je sais me battre, intervint Kalju, sans animosité.
— Il ne faut pas qu'une éventuelle menace arrive au contact. Si elle arrive au contact, ce sera trop tard.
— Je sais me défendre à la fronde, dit Félicie.
— Alors sors ta fronde, ce sera très bien, fit Jeroen. Perchée sur le yack, tu auras un excellent point de tir."

Je vois bien.... Snif...

Astrée écouta attentivement, hochant simplement la tête lorsqu'il précisa qu'elle devait avoir son arc prêt à servir. Elle était consciente qu'il fallait que toutes les questions soient posées maintenant, qu'ensuite ce serait trop tard. Mais aucune question importante ne lui venait. Elle avait du mal à imaginer ce qui pouvait se passer, ce qu'ils pourraient avoir à prendre comme décision. L'idée d'obéir aveuglément la mettait, par principe, mal à l'aise, même si elle en comprenait la nécessité dans ces circonstances. Elle réalisait qu'elle l'aurait fait plus spontanément si les ordres venaient de Dimitri, en qui elle avait davantage confiance.
" Et vous, vous faites quoi, pendant ce temps ?, questionna-t-elle d'un ton de pure curiosité, tout en réalisant, au moment où elle prenait la parole, que cela posait effectivement un problème : Et si vous n'êtes pas là... si on est séparés... pour les binômes que vous aviez défini, on fait comment ? Eyri reste de préférence avec qui ? "

" Je m'occupe de la diversion, dit le mercenaire. Une fois que nous serons séparés, vous restez ensemble. Les binômes n'ont plus lieu d'être, le terrain est praticable et ouvert. Mais si vous avez besoin d'avoir des points de repère, Mathieu est capable de communiquer avec Eyri, et vous, Astrée, pouvez vous charger du cerf et du yack, même si je pense que Kalju maîtrise bien sa bête."
Le génasi acquiesça.
" Rappelez-vous ceci : le chantier est protégé par un cercle de glyphes. Cela veut dire qu'une fois que vous êtes dans le périmètre, les trolls ne pourront pas passer. Votre objectif, si les choses tournent mal, sera de franchir les balises. Ce sont des rochers au sommet jaune, d'environ deux mètres de haut, vous ne pouvez pas les manquer. Je vous ferais bien un laïus sur l'inutilité de jouer les héros en cas de grabuge, mais j'ai suffisamment l'habitude de ce genre d'expéditions pour savoir quand je gaspille ma salive. Sachez juste que Jeroen et Jolien sont parfaitement capables de vous mener tous en sûreté. Si vous décidez de ne pas vous plier à leurs directives, leurs consignes sont de ne pas risquer leur peau pour venir en aide à quelqu'un qui aurait rompu le rang."

Astrée acquiesça en silence, songeuse. Ne pas risquer leur vie pour quelqu'un qui aurait rompu le rang... c'était une volonté fort compréhensible pour les mercenaires, mais c'était bien quelque chose qu'elle ne pourrait promettre, pour sa part. Mais elle n'avait pas l'intention de rompre le rang, bien évidemment. Ni Kalju, certainement, ni Félicie, ni Mathieu. Eyri était le plus susceptible d'actions inconsidérées, mais il ne le ferait certainement pas sans nécessité. Il fallait espérer que le cerf tienne le coup : c'était sa seule inquiétude. Mais il n'y avait aucune raison d'imaginer le pire.
Elle réfléchit quelques instants encore mais ne trouva pas de questions supplémentaires à poser. Les consignes étaient parfaitement claires. Il restait à espérer que Dimitri ne prenne pas trop de risques de son côté... mais il savait certainement ce qu'il faisait.
" Vous nous expliquerez, à l'occasion, comment vous faites votre diversion ? Je suis toujours à la recherche de bonnes idées..."

Dimitri eut un léger sourire.
" Je ne crois pas que mon type de diversion vous conviendrait." dit-il.
Il n'ajouta rien et se tourna vers le groupe.
" Terminez de manger, puis on repart. N'oubliez pas d'abreuver les animaux. Nous sommes près du but mais le pire reste à venir.
— Voilà qui est encourageant." grogna Mathieu.
Le mercenaire ne releva pas.

Astrée se questionnait au sujet du genre de diversion envisagée par le mercenaire. Mais il était visiblement inutile d'insister. Elle ne chercha pas non plus à savoir ce qu'il entendait par "le pire" : quel que soit le pire en question, il ne lui faisait pas spécialement peur. Certes, la perspective d'une attaque ou d'une course de vitesse en fin de journée n'avait rien de rassurant, mais les mercenaires ne semblaient pas particulièrement inquiets. Elle espérait juste que ses compagnons tiendraient tous le coup, en particulier Eyri et son cerf. Mais il était inutile de se soucier à l'avance de choses sur lesquelles elle ne pouvait pas agir...

Elle termina sa ration tranquillement, puis se dirigea vers le yack pour l'abreuver, laissant à Eyri le soin d'en faire autant avec le cerf.

Et ils repartirent, petite colonne de voyageurs dans la vallée. Ils n'étaient bien sûr pas au niveau de la mer, il faisait très frais, le vent soufflait, glacé, rosissant leurs joues et ils calfeutrèrent dans leurs manteaux. Le silence était de mise mais de toute façon, personne n'avait l'énergie de parler. Les nuits avaient été courtes, inconfortables et humides, et ils n'avaient plus eu l'opportunité de se réchauffer depuis presque deux jours. Mais chacun était stoïque, personne ne se plaignait ni ne traînait la patte. Peut-être certains regrettaient-ils de s'être aventurés si loin, si haut, dans un but illusoire ou en tout cas très flou, mais il n'aurait pas été possible de le deviner en observant les expressions. Même Mathieu, d'ordinaire très volubile, affichait un visage de concentration intense, replié à l'intérieur de lui-même, où il faisait sans doute un peu plus agréable qu'au dehors. La bise ne les quitta pas pendant plusieurs heures. Autour d'eux, il n'y avait que les montagnes, leurs parois gigantesques, blanches, grises et brunes, de temps en temps un oiseau, une course d'antilopes, la fuite d'un lièvre des cimes. Ils atteignirent le ruisseau qu'ils devaient suivre, et son eau était si froide qu'en boire vous paralysait la gorge. Une végétation plus verdoyante poussait sur ses berges accidentées, mais même là, on devinait les premiers stigmates de l'automne.

Astrée avait rabattu sa capuche par-dessus son bonnet, enroulé une écharpe de laine autour de son cou, et avançait, aussi stoïque que les autres. Elle se souvenait du petit feu allumé au cœur du brouillard, et du réconfort du thé chaud, tellement lointains. Mais elle s'obligeait à rester attentive à l'environnement. Même si les trolls étaient censés se trouver plus loin, on n'était jamais à l'abri d'une mauvaise surprise, et d'autres prédateurs pouvaient rôder.
Elle savait cependant que le pire restait à venir, et qu'elle devait veiller à garder suffisamment d'énergie pour être parfaitement concentrée plus loin. Son arc et son carquois glissés sur son épaule, elle laissait simplement son regard errer sur les alentours, comptant sur son expérience et ses réflexes pour détecter toute anomalie. Le froid et la fatigue étaient relégués tout au fond de son esprit, simple présence importune à ignorer.

Ils marchèrent encore, le long de la montagne, tandis que le soleil commençait à décliner, quelque part derrière les montagnes, et le froid s'engouffra dans la vallée, encore plus pénétrant qu'auparavant. Astrée sentit ses articulations se raidir, il devait faire proche de la température du gel, et il n'y avait toujours aucune trace de leur objectif. Le chemin se remit à grimper légèrement, ajoutant à leur fatigue, et ils atteignirent finalement un promontoire rocheux, qui s'avéra être l'endroit où ils se séparèrent. Jolien et Jeroen leur firent signe de s'arrêter entre les rochers acérés qui coiffaient l'éminence, tandis que Dimitri poursuivait sa route, sans un au revoir ou un dernier conseil. Le ruisseau coulait désormais en contrebas, dans un défilé étroit. De l'autre côté, la vallée s'effilait jusqu'à ressembler à une sorte de canyon, mais les deux plus jeunes mercenaires leur indiquèrent qu'il ne fallait pas encore s'y engager et les incitèrent plutôt à s'asseoir à l'abri du vent pour reprendre quelques forces.

Une pause était bienvenue et Astrée ne se fit pas prier pour obtempérer, s'asseyant à l'abri des bourrasques. Elle rêvait d'une boisson chaude et d'un feu crépitant, qui les attendaient certainement au bout de la route. Mais pour l'heure, ils en étaient réduits à se réchauffer du mieux possible en se recroquevillant dans leurs vêtements.
Elle tiendrait le coup, bien sûr, et ses compagnons aussi : la pensée du campement qui les attendait les y aiderait. Mais elle se faisait du souci pour le cerf, qui n'avait pas de manteau pour l'abriter du froid et devait être, de surcroît, au bord de l'épuisement. Elle l'observa discrètement, bien décidée à proposer à Eyri une couverture s'il semblait en avoir besoin. Elle ne pouvait hélas rien de plus pour l'aider...

Le cerf s'était couché contre un rocher et Kimik s'était couchée contre lui, ce qui semblait constituer le réconfort le plus précieux. Eyri lorgnait l'espace devant eux, accidenté, gris et jaune, aux parois probablement impossibles à escalader, traversées de fissures, de lignes de roche de couleurs variées, parfois hérissées d'herbes alpinistes, qui avaient trouvé une fente où germer. Le ciel commençait à foncer et de grands oiseaux, des rapaces, tournoyaient dans les hauteurs, supposant peut-être qu'il y aurait sous peu de l'animation et des possibilités de bombance.
Jolien faisait le guet mais Jeroen ne semblait avoir aucune intention de se remettre en route. Sans doute était-il nécessaire de patienter un certain temps avant que la "diversion" n'ait eu lieu. Mathieu et Félicie s'échangeaient des regards et il était probable que l'un ou l'autre finirait par parler...

Astrée ne jeta qu'un coup d'oeil distrait aux rapaces. Leur présence était fréquente en montagne, et la fin de journée était toujours un horaire faste pour la chasse. Elle ne fit aucun lien avec leur présence ou celle des trolls.
A demi rassurée sur l'état du cerf, elle laissa errer son regard sur les rochers, admirant le paysage minéral -qu'elle apprécierait certes mieux à proximité d'un bon feu et d'un thé corsé. Elle se demandait s'il y aurait un signe indiquant que la diversion avait commencé, un bruit dans le lointain peut-être, ou s'il s'agissait simplement d'attendre un temps fixé à l'avance. Le soir avançait et la nuit tombait vite... mais leurs guides savaient certainement ce qu'ils faisaient.
" Est-ce qu'on a encore beaucoup de route devant nous?" finit-elle tout de même par demander à Jeroen, veillant à parler à voix basse.

" Non, répondit-il à mi-voix. Une petite heure maximum, le campement est juste derrière ce repli, à droite. Il faut traverser le défilé, puis il y a une zone ouverte à franchir, avec peu d'abris. Il y aura sûrement un peu de grabuge... mais Jolien et moi-même le gèreront. Rappelez-vous d'avoir vos flèches à portée de main... Je pense que Kalju pourra guider les autres à bon port."
Jolien leur adressa un regard sévère, qui leur indiquait clairement ce qu'elle pensait de leur petite conversation et Jeroen eut un sourire nerveux avant de se taire.

Astrée se tut elle aussi, avec un regard d'excuses, un peu penaude.
Les explications l'avaient rassérénée. Une petite heure, ça n'était rien. Ils étaient presque arrivés. Ils tiendraient le coup, même le cerf, et ils arriveraient avant la nuit noire. Elle était soulagée de savoir exactement où se diriger, au cas où le "grabuge" attendu les amène à se séparer.
Il ne restait plus qu'à attendre en silence le signal du départ en profitant des dernières minutes de repos. Elle prépara son arc, fixa son carquois à son épaule, et prit deux flèches en main. Elle savait exactement ce qu'elle avait à faire : guetter les trolls et tirer avant qu'ils arrivent au contact. C'était dans ses cordes... et s'ils arrivaient au contact, ils aviseraient. Fuiraient certainement.

Merci, ça fait du bien de pouvoir commencer la journée par un post RP ! ça motive pour le boulot scolaire des vacances...

Elle ne dut pas attendre très longtemps. Jeroen se leva, rejoignant Jolien à son poste d'observation, puis ils leur firent signe et tout le groupe se mit en branle. Jolien prit la tête, suivie d'Eyri, du cerf et de Mathieu, puis de Kalju, Kimik et Félicie, enfin d'Astrée puis de Jeroen. Ils progressèrent lentement et prudemment dans l'étroit vallon, mais les deux mercenaires ne semblaient pas craindre de menace des hauteurs. Ils observaient surtout les rochers et des failles qui s'ouvraient de temps en temps dans les parois, peu profondes, des semi-cavernes obscures où n'importe quoi pouvait se cacher. Leur passage fit s'envoler un groupe de corbeaux, et Jolien leur intima un temps d'arrêt. C'était évidemment le genre de signes qui pouvaient alerter un observateur attentif de leur approche. Ils repartirent. Un peu plus loin, la vallée s'évasait à nouveau, et prenait un virage serré sur la droite. Le ruisseau qu'il suivait s'était réduit à un fin filet d'eau brune, à peine discernable entre les plantes drues qui poussaient sur ses berges. Une odeur désagréable les prit aux narines et ils découvrirent la carcasse d'un grand herbivore, difficile à identifier dans son état, sur laquelle s'affairaient des vautours et de petits canidés brun-gris qui n'étaient ni des renards, ni des loups, qui se disputaient avec les volatiles. Le chemin obligeait les voyageurs à passer à proximité, mais les charognards s'inquiétèrent peu de leur présence, trop occupés à faire bombance. Seul le cerf parut s'émouvoir de cette vilaine rencontre, mais il ne broncha pas, marchant de son pas rapide aux côtés de son maître, les naseaux dilatés.
Les parois de la montagne s'écartèrent pour révéler, enfin, leur destination. Le lac dont avait parlé Maximilien, l'archéologue, reflétait le ciel grisant comme un miroir. Autour de lui, disparates, des pierres dressées, en constructions plus ou moins complexes, formaient un ensemble de ruines spectaculaires. On ne voyait pas le campement, sans doute niché au pied d'une montagne, sur la gauche, dans un nouveau repli du terrain. Jusque là, la cuvette était ouverte, nue, brune et grise, striée d'une unique bande verte, là où courait le ruisseau. Deux feux éteints fumaient dans l'air froid, un sur la droite, un sur la gauche. A première vue, il semblait n'y avoir personne, seulement la terre et des rochers, avant les vestiges fantastiques. Mais il y avait encore un bon kilomètre à franchir et même si la vue était dégagée, il était difficile, à pareille distance, de distinguer la pierre du troll.

Astrée songea que les choses pouvaient peut-être se corser ici, si la diversion n'avait pas suffi à attirer au loin tous les trolls. Elle jeta un coup d'oeil plein du curiosité aux ruines mais reprit rapidement son observation attentive des environs. Bien sûr, ses compagnons elfes et demi-elfes avaient certainement une meilleure vue qu'elle : ils détecteraient la présence de trolls ou un éventuel mouvement suspect les premiers, mais elle devait être prête à agir. Elle se surprit à songer que Prince pourrait sûrement galoper sur ce terrain au cas où il soit nécessaire de fuir d'urgence... mais cela n'arriverait pas : elle ne laisserait en arrière ses compagnons, ce n'était pas dans son caractère. Enfin... mieux valait ne pas y songer.
Elle chercha du regard les fameux rochers jaunes, probablement encore trop éloignés, tout en balayant du regard la cuvette, guettant un mouvement suspect. Étant à l'arrière-garde, elle s'efforçait de vérifier également, de temps à autre, qu'on ne les encerclait pas à leur insu.

Jeroen leur fit signe de s'immobiliser puis indiqua Astrée et Eyri, qui s'avancèrent jusqu'à lui.
" Il y a un ogre juste là, dit-il en désignant un monticule gris, loin devant, sur la gauche. Il n'est sans doute pas seul. Contrairement aux trolls, ils saignent comme nous..."
Eyri le regardait sans comprendre.
" Heu... Ogre..."
Il fit une grimace, retroussant les lèvres et courbant les doigts. Eyri le toisa, méprisant, et haussa les épaules.
" Bref. Un ogre, c'est du gâteau. Mais quand il va nous voir, il va donner de la voix pour rameuter les autres. Dimitri les a sans doute entraînés assez loin, mais ça court vite... Ça veut dire qu'une fois qu'on est repérés, on le zigouille, et on fonce vers les limites du campement."

Astrée acquiesça, les yeux fixés sur leur cible. Elle ne l'aurait pas identifié à cette distance. Heureusement que les mercenaires avaient une bonne expérience.
" Je suppose qu'idéalement, il faudrait pouvoir le tuer avant qu'il donne l'alerte... mais ça doit être trop coriace pour qu'on y arrive. Donc, on s'approche au maximum et on tire dès qu'il nous aperçoit, c'est ça ? Ou avant si on peut... Et ensuite on court... Est-ce que nous deux, il faut qu'on reste quelques instants de plus en arrière pour tirer sur ses copains ?"

" Vous plaisantez ? dit Jeroen. Jolien et moi surveillons les arrières. Vous, vous tirez vos flèches pour garder l'animal à distance, mais une fois à proximité des balises, vous entrez dans la zone protégée. Si une fois en sécurité, vous voulez continuer à tirer, c'est votre choix. Mais je vous conseille d'économiser vos flèches : il n'y aura pas beaucoup d'arbres là où vous allez, et beaucoup de mauvaises rencontres possibles."
Il se tourna vers le reste de la petite équipe.
" Mais puisque vous communiquez avec les animaux, je vous suggère de garder un lien avec le cerf. C'est clairement le maillon faible. Personnellement, je ne m'émouvrai pas s'il lui arrive une bricole, mais gérer un elfe furax, ce n'est jamais une partie de plaisir."

Astrée acquiesça. Elle se souvenait bien des mises en garde de Jill à ce sujet.
" Il peut péter un plomb s'il arrive quelque chose à son cerf. Je vais voir ce que je peux faire..."
Rester en lien permanent avec le cerf n'était pas forcément envisageable : elle aurait besoin de sa concentration pour tirer. Mais elle allait commencer par essayer d'évaluer son état d'épuisement, et lui faire miroiter le gîte qui l'attendait tout près, juste au bout du chemin... De la nourriture, de la chaleur et du repos, tout ce à quoi il devait aspirer. Ce serait peut-être le petit coup de pouce qui suffirait à maintenir sa motivation.

Elle ne prit pas la peine d'avertir Eyri de ses intentions : communiquer avec l'elfe était compliqué, et il pouvait s'offusquer du fait que quelqu'un cherche à entrer en contact avec son cerf. Elle estimait qu'il ne s'en apercevrait sans doute pas : elle allait juste effleurer la conscience de l'animal, ressentir son état d'esprit et, s'il était réceptif au contact, lui donner un petit surcroît de motivation.

Astrée comprit d'emblée que la chose ne serait pas simple. A peine effleura-t-elle l'esprit du cerf qu'il bondit comme si un taon l'avait piqué. Eyri, surpris, le rattrapa en quelques pas et posa la main sur son flanc. L'expression de Jolien traduisit son agacement mais elle se garda bien d'intervenir. Jeroen dévisagea la druidesse avec stupéfaction mais ne dit rien, lui non plus. Les autres attendaient, incertains.
" Peut-être que c'est mieux de ne rien faire... Il n'est sans doute pas habitué au contact humain..." souffla le mercenaire à Astrée.
La jeune femme en avait en tout cas perçu assez pour savoir que l'animal, au-delà d'un quelconque épuisement physique, était dans un état de stress extrême qui, même sans l'intervention des trolls, le mettait en danger.

Astrée hocha doucement la tête, songeuse, gardant les yeux fixés sur le cerf, avant de fouiller dans sa besace.
" Mathieu... Est-ce que tu peux dire à Eyri que j'ai des plantes qui peuvent aider son cerf à avoir moins peur ? Juste pour le calmer un peu, pas pour l'endormir bien sûr. Là, il est trop stressé. Et peut-être aussi que manger un fruit sucré lui ferait du bien, lui redonnerait un peu d'énergie. On doit avoir quelques pommes encore... Et je pense qu'il faut veiller à ce qu'il reste tout près de Kimik."
Ce serait un bon début. Elle songea à l'attacher à Kimik... mais c'était un animal sauvage, et être entravé risquait de le stresser davantage. Elle préférait laisser ce genre d'initiative à Eyri.
Une fois qu'il aurait mâché quelques herbes, elle pourrait peut-être utiliser un sort d'amitié avec les animaux pour le rendre plus réceptif, avant de tenter à nouveau de communiquer avec lui si cela s'avérait nécessaire. Mais elle ne le ferait qu'en cas de besoin avéré : vu son état, le plus urgent était de calmer ses battements de coeur affolés.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Les Rocheuses du Dragon