La Couronne de Cuivre

L’entrée en matière du baron prit Albérich un peu au dépourvu. Bien sûr, il ne s’était pas attendu à réintégrer sa chambre comme si de rien n’était, mais de là à devoir s’imposer auprès de personnes qu’il connaissait à peine, c’était une toute autre aventure. Il ne savait pas si Hodor ou Umberto étaient célibataires. Pourquoi l’auraient-ils été ? La seule personne avec laquelle il avait vraiment sympathisé était la vieille halfeline, mais il imaginait mal Ada se réjouir à l’idée de partager son intimité avec un grand dadais dans son genre.
« Très bien, je vais me débrouiller. » répondit-il cependant.
De toute façon, il serait certainement dehors plus souvent qu’à son tour.
« Mais si je peux aider quelque part… » s’entendit-il ajouter, presque par automatisme.

Le baron réfléchit quelques instants, puis secoua la tête.
-Je vous remercie pour votre proposition, mais sincèrement, en l'instant, je ne vois pas quoi vous vous faire faire. Nous sommes surtout en train de... ranger, et comme vous commencez tout juste à connaître les lieux...
Il sourit à nouveau.
-Mais je vous promets de ne pas vous garder oisif trop longtemps. De toute façon, nous aurons besoin de toutes les bonnes volontés pour que les choses se passent au mieux....
Comme un nouveau chariot survenait, sire Eudes s'excusa et partit à grandes enjambées à la rencontre du conducteur, laissant Albérich seul au milieu du tumulte.

Il fallait qu’il se mobilise, il allait finir par gêner le passage, à rester debout au milieu de la cour. Il décida finalement de chercher César. S’il ne le voyait pas dans les environs, il demanderait aux serviteurs de le guider. Ce n’était pas la personne qu’il connaissait le mieux à Combeloup, mais c’était une âme solitaire, comme lui, et il savait qu’il ne devrait pas prétendre en sa compagnie. Ils s’étaient entrevus plus tôt. En réalité, il doutait de le trouver seul avec Bastien, mais au moins était-ce une direction à suivre. Dans son état, c’était une chose cruciale. Si seulement il avait pu bénéficier d’une nuit tranquille pour recouvrer un peu ses esprits… Mais les événements se précipitaient, il était emporté, comme tous les autres.
Frissonnant, avec une vague impression d’être malade, ou plutôt incomplet, il se dirigea vers l’entrée du bâtiment principal.

Le serviteur présent sur le seuil à ce moment-là lui apprit que César n'était pas encore arrivé. Il ne tarderait plus, cependant, avança-t-il : la plupart des habitants s'étaient déjà présentés et installés dans leurs nouveaux quartiers.
De fait, le vieil homme fit son apparition quelques minutes plus tard, franchissant les portes d'un pas mesuré. Il avait un sac de cuir rebondi - et mouvant - sur l'épaule, et Bastien dans les bras. Apparemment, il avait fait l'ascension à pied, mais ne semblait guère se ressentir de ses efforts. Il échangea quelques mots avec sire Eudes, s'avança dans la cour, observant l'animation ambiante avec une expression à la fois morose et perplexe, puis se dirigea vers l'entrée du donjon. Mais, avisant Albérich qui s'était quelque peu écarté pour laisser la place aux rares nouveaux arrivants, il bifurqua dans sa direction.
-Et bien, le fait que vous attendiez ici signifierait-il que l'hostellerie du donjon soit déjà au complet ? s'enquit-il à mi voix. Auquel cas, peut-être aurons nous une dérogation spéciale pour retourner dans nos pénates...

Albérich s’efforça de sourire.
« Je crains qu’il n’en soit rien. Simplement… »
Les mots s’effacèrent un instant sur ses lèvres, tandis qu’il luttait contre son embarras.
« Si cela ne vous dérange pas, je me serais installé avec vous à l’intérieur. Je ne veux pas m’imposer, cependant. »
Il resserra ses bras autour de lui. Même s’il n’avait aucune envie d’entrer, il commençait à s’engourdir dans le froid vespéral.

Le vieil homme acquiesça.
-Vous ne vous imposez pas : personne n'aura de chambre individuelle, je gage. Et, à franchement parler, je préfère largement votre compagnie à celle de bien des autres.
Il sourit et, sans expliciter davantage sa pensée, se dirigea vers le serviteur de faction, près de la porte du donjon. Celui-ci les conduisit à travers le dédale des couloirs, leur fit gravir quelques volées de marches puis leur montra leurs quartiers.
Le trio bénéficiait-il d'un traitement de faveur grâce à Bastien ? Les pièces avaient-elles toutes été agencées ainsi ? Impossible à dire... Toujours est-il, cependant, que l'endroit, s'il n'était pas grand, bénéficiait d'un âtre chaleureux et de couches d'apparence confortable, bien dotées en couvertures. Autre point qui n'était peut-être pas à négliger : ils en seraient apparemment les seuls occupants. Sauf bien sûr si survenait quelque retardataire...

Albérich veilla à laisser César et Bastien s’installer les premiers. Il se contenta d’abandonner son sac dans un coin et de replier son manteau qui s’était gorgé d’humidité. Il aurait le temps de le mettre à sécher ensuite. Le contraste entre la chaleur de l’âtre et le froid du dehors avait amplifié son impression d’être à côté du monde. Il percevait ce qui se produisait autour de lui comme au travers d’une fine bruine, un détachement sensoriel autant que psychique. Certains détails lui parvenaient comme amplifiés, le craquement des braises, les mouvements fébriles du chat qui venait de recouvrer sa liberté, le battement de son propre cœur. Puis soudain, tout se mit à tourner, il vit des taches sombres danser autour de lui et il se raccrocha brusquement au mur. Il lui fallut cependant s’asseoir, ce qu’il fit sans façon, à même le sol.
« Je suis désolé. » murmura-t-il. « Je n’ai rien mangé depuis ce matin. »
Petit à petit, la pièce se stabilisait. Ce n'était qu'un simple étourdissement. Emotions et ventre vide ne faisaient pas bon ménage.

César, qui venait de dépouiller Bastien de son manteau et de l'installer près de l'âtre, leva sur l'ancien clerc un regard aigu. Mais il ne dit rien, ne posa pas de question, et se contenta d'aller farfouiller dans son sac.
-Tenez... fit-il après quelques instants, en lui tendant un paquet de toile. Ce n'est pas grand chose, mais ça devrait vous permettre de tenir jusqu'au repas... Je ne sais pas quand il sera servi, et j'imagine que ce sera tard, vu toute ce qu'il y a à mettre en place...
Le paquet contenait des biscuits, apparemment au miel, en quantité relativement importante.

Albérich le remercia d’un signe de la tête et se mit à manger. Il n’avait pas l’intention d’entamer les réserves du vieil homme : un peu de sucre suffirait à estomper ses vertiges, ainsi que quelques minutes de repos. Il finit par s’allonger sur une des couches, contre le mur, et poussa un bref soupir, repliant un bras sur ses yeux pour trouver un instant de quiétude. Des sons étouffés leur parvenaient, pas dans les couloirs et les escaliers, clameurs au dehors, bêlements des moutons que l’on pousse, mais dans l’ensemble, ils paraissaient presque en dehors de l’exode. L’ancien clerc ne se faisait pas d’illusions : on viendrait les chercher bien assez tôt. Mais autant profiter de l’accalmie tant qu’il en avait la possibilité. Il était fatigué et inquiet, ne parvenait pas à rassembler ses idées. Mais son malaise s’était calmé, il retrouvait peu à peu sa prise sur le réel.

Une bonne demi heure plus tard, un serviteur pressé - et passablement essoufflé - vint les prévenir que la distribution des armes n'aurait lieu que le lendemain matin : les diverses opérations de rangement et de mise en ordre des réserves avaient pris plus de temps que prévu, et étaient encore loin d'être terminées.
Le repas, en revanche, serait prêt sous peu. On le servirait dans la salle à manger du rez-de-chaussée, Elle était vaste, mais tout de même pas assez pour que tout le village s'y tienne en même temps. Ainsi, il faudrait échelonner les services, et ceux qui le voudraient pourraient manger dans leur chambre, pour peu qu'ils assurent eux-même le transport des plats.
Son message transmis, le serviteur s'inclina et poursuivit sa route. Il n'avait pas encore terminé sa tournée...

Albérich s’était redressé sur son lit pour écouter le discours pressé du serviteur. Une fois ce dernier disparu, il se tourna vers César.
« Si cela vous tente, je peux descendre nous chercher de quoi manger… A moins que vous n’ayez envie de profiter de l’occasion pour deviser avec vos compatriotes. »
Il ne parvenait pas à dire « nos ». Il était à peine arrivé et tout était déjà fini. Difficile de savoir s’il regrettait quelque chose. Sans doute pas vraiment : il ne se serait jamais fait à cette vie d’ermite en rase campagne.

-J'ai dans l'idée que ce ne sont pas les occasions de discuter qui manqueront dans les jours à venir... soupira-t-il. Alors, ce soir, je préfère rester tranquillement ici. Et, de toute façon, il faut que je m'occupe du petit.
Il se leva.
-En revanche, si vous voulez vous reposer encore un peu, je ne vois aucun inconvénient à aller chercher le repas moi-même. Si vous acceptez de garder un œil sur Bastien, du moins.

Cela ne semblait pas convenable. César était nettement plus âgé que lui et avait accepté de l’accueillir alors qu’il aurait certainement préféré rester seul avec son petit-fils. Mais Albérich était épuisé, et il avait une envie douloureuse de rester à l’écart des habitants du donjon, et même de Ada. Il ne se sentait pas la force de jouer la comédie, pas la force d’échanger des platitudes légères sur la situation. Il soupira, se massa lentement les tempes.
« Je m’en veux de vous demander ça. » souffla-t-il. « Mais je veux bien, oui. Je resterai avec lui en vous attendant. »

-Vous ne me demandez rien, puisque c'est moi qui propose... fit-il en souriant.
Après avoir jeté un dernier regard à son petit-fils, affalé près de l'âtre, il quitta la pièce. Albérich entendit le bruit de ses pas décroître, puis disparaître. L'étage était à nouveau silencieux, ou peu s'en fallait.
Le chat, demeuré un long moment immobile auprès de son jeune maître, finit par s'enhardir suffisamment pour se lancer dans une exploration approfondie de la pièce, les moustaches frémissantes, les oreilles tendues. Parfois, il se figeait, comme s'il avait entendu quelque chose, puis reprenait prudemment ses manœuvre.

L’ancien clerc se leva et vint s’asseoir près de l’enfant, devant l’âtre. Il ne savait pas si on les mobiliserait déjà en soirée, mais il retira néanmoins ses bottes encore alourdies de neige, et les posa devant lui. Il serait toujours temps de les renfiler au besoin. Il avait l’impression qu’il aurait dû dire quelque chose au petit garçon inerte, mais son esprit était vide, il reprenait seulement pied. Il le regarda de biais, sentit une bouffée de culpabilité l’envahir. Son agresseur l’avait-il suivi, guetté ? Avait-il compté sur le fait qu’Albérich ne le retiendrait pas ? Ou bien aurait-il pénétré dans le cottage si le garçon y était demeuré ? Mais la nature ne rentre pas dans les cottages, ça n’aurait pas collé avec la mise en scène.
Il était amer. Cynique, même. Pourtant, en voyant le gosse prostré dans son fauteuil, sous sa couverture, il songeait avec douleur que s’il avait pu rendre la vie à Bastien au prix de la sienne, il l’aurait fait. L’un avait encore tout devant lui, l’autre n’avait plus rien. Et pourtant c’était l’enfant qui était mort, et lui était toujours bien vivant. Quel gâchis. Toujours le pire qui se produit, immanquablement. Les dieux sont sourds.
Il sursauta lorsque le chat vint se frotter à sa jambe, laissa pendre deux doigts pour frôler sa fourrure tiède, pinça les lèvres et ferma les yeux. Les flammes dansaient, rougeoyantes, au travers de ses paupières closes. Le temps s’était arrêté, encore quelques minutes, il avait mal aux épaules et aux cuisses, vestiges d’un combat acharné contre une demoiselle qui maniait le fer avec brio. Il la chassa de ses pensées. Manger puis, avec un peu de chance, dormir. C’était son seul souhait.

Son inspection terminée, le chat revint vers l'âtre, grimpa sur les genoux de Bastien et se roula en boule, manifestement décidé à faire un petit somme. Bientôt, plus rien ne bougea, dans la chambre, en dehors des flammes de la cheminée.
Au-delà des craquements qui émanaient de celle-ci, on pouvait parfois entendre les échos de voix lointaines, signes presque intangibles de la vie dont était désormais animés les moindres recoins du donjon.
Les minutes passèrent. Soudain, il y eut un bruit ténu, de l'autre côté de la fenêtre, sans que l'on ne pût rien distinguer, à cause de la profonde obscurité qui régnait au dehors. Sans doute la neige accumulée sur le rebord étroit s'était-elle affaissée, avait-elle dégringolé dans le vide.
Le chat se mit alors à ronronner avec force, et lorsqu'Albérich se tourna, par réflexe, de son côté, il crut d'abord à une illusion. Pourtant, il n'y avait aucun doute à avoir : la main du petit garçon s'était posée sur l'échine de l'animal.

Cette vision lui arracha un sourire. Bien sûr, il pouvait ne s’agir que d’un réflexe. Chat doux, ronronnements, mouvement associé depuis toujours. Mais c’était un progrès en soi. Tant qu’il y aurait évolution, même tranquille, il resterait une chance qu’il s’éveille. Albérich ne fut pas réellement surpris que Bastien revienne à la vie grâce à un animal. C’était sans doute preuve supplémentaire que la main de l’homme était responsable de son état. Il ne bougea pas, pour ne pas bousculer le petit miracle qui avait lieu à ses côtés. Il était conforté dans l’idée qu’Ada l’avait condamné trop vite. La jeunesse était source de renouveau, de combat.
« Tout va s’arranger. » murmura-t-il finalement, sans réellement y croire, tout ne s’arrangerait pas, mais certaines choses le pouvaient peut-être, pour l’enfant, en tout cas.

Personne ne lui répondit, évidemment, en dehors des crépitements du feu : Bastien était à nouveau parfaitement immobile, et le chat continuait à ronronner.
Mais il s'interrompit quelques instants plus tard, et releva la tête, oreilles dressées. On entendait des pas, dans le couloir, qui se rapprochaient à un rythme relativement altier. Enfin, sire Hugues s'encadra dans l'embrasure de la porte.
-Pardonnez-moi de vous déranger... fit le sénéchal, souriant après s'être fendu d'un salut conventionnel. Mais je voulais m'assurer que vous étiez bien installés et que tout se passait pour le mieux.

« Tout va pour le mieux compte tenu des circonstances, merci. » dit Albérich, en se composant une mine qu’il espérait affable et tranquille.
Un instant infime, il se demanda s’il allait devoir faire rempart de son corps pour défendre Bastien contre un assassin envoyé pour le tuer. Mais le gosse ne bougerait pas, Hugues repartirait rassuré. Il repoussa ses pensées chaotiques. La paranoïa devenait de plus en plus impérieuse, il fallait absolument qu’il parvienne à faire le point au plus vite, à remettre de l’ordre dans ce qu’il savait, ce qu’il déduisait, ce qu’il inventait de toutes pièces.
« Pouvez-vous me dire de quoi seront faites les heures à venir ? J’aimerais savoir si nous serons sur le pont dès ce soir. »

-Non non, pas dès ce soir... répondit le jeune homme. Comme on a déjà dû vous le dire, les choses prennent davantage de temps que nous ne l'avions imaginé. Tous le monde a trouvé ses quartiers, mais il faut encore mettre à l'abri et rendre accessibles diverses fournitures... J'espère que ce sera chose faite demain matin, et que nous pourrons passer aux étapes suivantes. En attendant, la garde assure toujours le guet, et quelques volontaires sont venus l'épauler. Nous ne serons donc pas pris au dépourvu en cas d'attaque. Et de toute façon, maintenant que les villageois sont à l'abri, les loups peuvent toujours venir...
Il se fendit d'un sourire fatigué, puis reporta son attention sur Bastien.
-Pas la moindre évolution ? s'enquit-il.

Albérich se détourna, comme s’il jetait un œil sur l’enfant. C’était une manière comme une autre de ne pas regarder Hugues au moment où il lui mentirait. De toute façon, ce n’était pas à lui de décider de ce que les habitants du donjon pouvaient savoir à son propos. Seul César avait ce droit.
« Pas que je sache. » répondit-il, résigné. « Il s’alimente, c’est déjà ça. »
Il hésita une seconde, hocha lentement la tête.
« Mais il est jeune. Je suis persuadé qu’il a les ressources nécessaires pour s’arracher à cette torpeur. Quelles que soient ces histoires de chien. »
Au moins, il aurait été fidèle à sa réputation, à défaut de révéler ce que César, et désormais lui-même, avaient pu observer.

-Je l'espère... répondit le sénéchal, presque grave. Je me garderai bien d'émettre le moindre avis en la matière : je ne suis ni clerc, ni rôdeur, je ne connais rien à ces choses... Mais j'espère qu'il se remettra, oui. Ce serait un grand soulagement pour nous tous.
Il jeta un dernier regard au petit garçon, puis recula d'un pas.
-Je ne vais pas vous déranger plus longtemps... reprit-il. Je dois passer voir le reste de nos hôtes... Je vous souhaite la bonne nuit, messire Ferwyn, et vous dis à demain.
Il le salua d'un geste de la main, puis s'esquiva.

Albérich écouta les pas du sénéchal s’éloigner et relâcha sa respiration. Au moins Hugues ne lui avait-il pas parlé de son opposition aux projets du baron. Il n’avait eu aucune envie de s’engager sur ce sujet, mais le jeune homme était manifestement trop occupé pour se soucier de ces détails : il avait obtenu ce qu’il voulait, les pleins pouvoirs pour son baron. C’était l’un des points que l’ancien clerc devait élucider. Peut-être. La tentation de se laisser emporter par le courant, sans plus rien ni tenter, ni réfléchir, était des plus fortes. Dormir, se réveiller, prendre position sur une barricade, survivre ou mourir, quelle importance.
Il se leva pour se changer et se préparer pour la nuit. Il n’avait pas très faim, mais il ne pourrait vraisemblablement pas se défiler, et sa faiblesse physique n’était un atout pour rien. Par moments, il regrettait d’avoir brûlé ses écrits. A d’autres, il regrettait de ne pas s’être immolé avec eux. César tardait à revenir, sans doute y avait-il foule dans la salle à manger. Il soupira, se rassit, et laissa à nouveau son esprit dériver dans les flammes.

Le vieil homme finit par faire son apparition, portant un plateau lourdement chargé. Deux assiettes de ragoût, un bol de soupe - pour Bastien, sans doute - du pain, de l'eau... Repas simple et nourrissant, si pas raffiné.
-Désolé d'avoir mis tant de temps... s'excusa-t-il en postant le plateau sur la petite table, contre le mur. Mais c'était la ruée, vous pouvez m'en croire... Il va falloir quelques jours avant que tout ne s'organise, que chacun ne prenne ses marques.

« J’imagine bien. » fit Albérich en l’aidant à délester le plateau de son butin.
Son estomac couina pour lui signifier qu’il ne pourrait succomber à ses envies de jeûne. Comme il s’y était attendu, César avait l’intention de d’abord nourrir l’enfant, avant de se sustenter, et il décida de l’imiter. Il reprit la parole lorsque le vieil homme se fut assis.
« Vous aviez raison. Je l’ai vu caresser le chat, moi aussi. Ça n'a duré qu'une seconde, mais c'était bien réel. »

César acquiesça puis observa, silencieux, son petit-fils.
-Je ne sais pas ce qu'il y a à déduire de ces esquisses de gestes... dit-il enfin. Je ne m'avancerai même pas à faire des conjectures. Il faut juste... observer. Voir si leur fréquence, leur ampleur augmentent...
Il secoua la tête, se pencha pour redresser le corps affaissé de l'enfant, avant d'entreprendre de le nourrir. Comme Albérich avait déjà pu le constater par lui-même, Bastien avalait, docile tout ce qu'on pouvait bien lui présenter, et le bol de soupe ne tarda guère à être terminé.

« J’ai… »
Il se sentait un peu ridicule, ne voyant pas bien comment il pourrait justifier son silence, mais en même temps, il fallait qu’il avertisse César.
« Hugues est passé voir si nous étions bien installés et demander des nouvelles de Bastien… J’ai préféré ne rien lui dire. J’ai pensé… que c’était à vous de décider quand vous voudriez avertir… »
Il s’interrompit. A priori, César ne pouvait pas savoir qu’Ada lui avait révélé les origines de l’enfant, et Albérich ne voulait pas que le vieil homme se sente trahi ou exposé.
« Quand vous voudriez que la chose se sache, ou pas. »

César dévisagea Albérich, puis opina lentement du chef.
-Vous avez bien fait. Ada et moi avons convenu de n'en rien dire à personne, pas même à son père, tant... Tant qu'il ne sera pas revenu à lui, s'il doit jamais le faire. Tant qu'il n'aura pas parlé.
Il acheva d'essuyer le menton de l'enfant - il avait la main sûre, mais le nourrir n'était tout de même pas chose si aisée - avant de s'installer pour manger à son tour.

L’ancien clerc acquiesça sans rien dire.
Ainsi il savait. Elisa aussi avait estimé qu’il était dans le secret. Albérich se demanda pourquoi et comment il s’était retrouvé investi d’une telle confiance, ou d’un tel fardeau, alors qu’il connaissait à peine les Combelupins, qu’il n’était qu’un homme parmi les autres, qui ne leur avait rien promis, rien prouvé. Il se mit à manger à son tour, en silence. De temps en temps, il était surpris par un frisson qu’il ne pouvait réprimer, mais n’en avait cure. César savait qu’il n’en menait pas large. Petit à petit, alors qu’il reprenait des forces, il sentait son humeur sombre prendre racine en lui. Seul le sommeil repousserait ces ténèbres, désormais. Demain serait, peut-être, un autre jour.

Son repas terminé, César se leva à nouveau, tira quelques affaires de son sac puis, gagnant le fauteuil où était installé le petit garçon, entreprit de lui retirer sa chemise.
-Vous allez peut-être me trouver paranoïaque... souffla-t-il, à l'intention de l'ancien clerc. Mais, autant que possible, je voudrais qu'il ne reste jamais seul. Cela ne sera pas chose évidente, compte tenu des tâches auxquelles on pourra nous affecter. cependant, et si vous en êtes d'accord... J'aimerais que nous réfléchissions à des solutions pratiques...

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Combeloup

Re : [Lieu] Combeloup

Quête : Brumes

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