La Couronne de Cuivre

La jeune-femme en était presque venue à oublier ce qu’elle avait sur le dos. Ou plutôt ce qu’elle n’avait pas… Elle se retourna pour adresser un nouveau sourie au paladin :

- Vous avez parfaitement raison : j’ai manqué l’occasion d’emprunter sa tunique à Arthur alors je pense que je vais repasser par le parc où j’ai laissé mes autres vêtements. J’espère qu’ils y sont encore…

Cela la ramenait au mystère non résolu de qui l’avait contactée pour l’amener à jouer ce jeu : ce n’était visiblement pas Sévérin en tous cas.

" Si vous n'avez pas emporté vos vêtements, je vous conseille de repasser par le tunnel : vous allez avoir des ennuis si vous vous baladez en rue comme ça. Les Luméniens sont tolérants, mais la nuit... les inhibitions se relâchent."
Il hésita.
" Je vais plutôt vous trouver une tunique. Patientez un moment."

Chandara n’aurait pas osé le lui demander et elle ne fut que plus reconnaissante de la prévenance que Sire Séverin lui témoignait : il semblait vraiment avoir à cœur de la protéger, y compris contre elle-même. Et après cela, certains considéraient les Sunites comme des dévoyés : quelle sottise !

Elle se contenta de hocher la tête et de s’asseoir sur un banc tout proche en attendant le retour de son bienfaiteur. Et pendant ce temps, elle ferma les yeux comme pour mieux s’imprégner de l’ambiance des jardins, de ses sons étouffés et de ses senteurs magnifiées par l’air nocturne.

Tous les sons qui émanaient du jardin n'étaient pas innocents, Chandara ne tarda pas à s'en rendre compte. En particulier, certains bruits sur sa droite évoquaient très nettement une étreinte enflammée, toute en soupirs et en halètements.
Heureusement, le paladin ne tarda pas à reparaître avec une tunique et une paire de chausses, qu'il tendit à la jeune femme.
" Choisissez-vous un buisson, dit-il avec malice. A demain."
Puis il battit en retraite à l'intérieur du Temple.

La jeune-femme se sentait comme hypnotisée par ce qui se déroulait à quelques mètres de là et enflammait son imagination. A tel point qu’elle s’était laissée surprendre et avait sursauté au retour du paladin.
Elle aurait été bien en peine de décrire les sensations contradictoires qu’elle éprouvait : à la fois un peu gênée de se montrer si indiscrète et terriblement émoustillée : ce n’était sans doute pas une si mauvaise chose que son lathandrite ait battu en retraite car elle aurait difficilement pu rester de marbre en sa présence. Et si l’idée de sauter le pas avec lui ne l’effrayait plus, elle sentait pourtant qu’Arthur n’était peut-être pas prêt et qu’il désirait prendre tout son temps pour la courtiser.

Chandara prit soudain conscience d’être restée plusieurs minutes avec les vêtements en main et se secoua pour chasser toutes ces pensées parasites : elle se contenta alors d’enfiler à la hâte les vêtements un peu trop amples confiés par Séverin : elle n’avait guère besoin de retirer le tissu qui ne la couvrait que trop partiellement, même au goût des luméniens.

C’est donc dans une tenue décente qu’elle entreprit de quitter les jardins avec un certain entrain : pourvu qu’Arthur l’ait attendue !

Quête : Un autre appel

Les jardins du Temple de Sunie étaient aussi déserts que la veille, et fenêtres et portes étaient fermées à une exception près : on avait laissé celle de la salle d'entraînement ouverte, sans doute spécialement pour elle. Les Sunites étaient déjà à pied d'oeuvre et lorsqu'elle parut, Séverin vint à sa rencontre.
" Bienvenue, Dame. J'ai pensé un moment que Lathandre avait repris le dessus."
Ils étaient en train de travailler depuis un moment, déjà.

Chandara se sentit mortifiée d’avoir ra^té le début du rassemblement alors même qu’elle n’avait pas eu l’impression d’arriver plus tardivement que la veille. Mais sans doute le détour par le parc ainsi que les quelques préparatifs auxquels elle s’était livrée lui avaient fait perdre la notion du temps.

Rougissante, elle parvint à répondre au paladin sans bafouiller – ce qui était déjà une petite victoire en soi :

- Bonjour Sire Séverin. Bien sûr que non ! Je suis vraiment navrée d’arriver si tard. Et je n’ai aucune excuse. Je vais me mettre dans un coin et me faire toute petite pour ne pas perturber davantage vos exercices si vous le permettez…

Il était bien sûr hors de question d’en solliciter davantage, surtout après avoir déboulé en plein milieu de l’entraînement. Diantre, que la journée commençait sous de mauvais auspices et elle ne le devait qu'à elle-même !

Mais en réalité, Chandara était déjà arrivée en cours d'entraînement la première fois et la situation n'était pas très différente. Rien ne permettait de penser que les Sunites en avaient presque fini.
Les paladins étaient six, ce matin-là, trois hommes et trois femmes. Outre Sire Séverin et les trois combattants qui s'étaient trouvé là la veille, elle reconnut la rousse qui l'avait accueillie au sortir du souterrain et un homme châtain, un peu plus âgé que les autres, dont la maîtrise martiale était stupéfiante. Il avait probablement la cinquantaine, mais son corps avait la vigueur et la souplesse d'un guerrier de trente ans de moins. Sans parler de sa belle apparence.
Tous combattaient dans leur style aérien, mi-affrontement, mi-danse, qui paraissait à la fois calculé pour épater et pour tuer.
Sire Séverin finit cependant par saluer sa compagne de lutte, et revenir vers Chandara.
" Je ne sais que vous proposer. Votre marteau se prête très peu à l'art de combattre sunite. Je ne voudrais pas que vous vous sentiez déstabilisée en affrontant l'un d'entre nous."

La dorrandine avait été totalement subjuguée par le balai mortel des trois couples et notamment par les mouvements du bretteur le plus âgé. Celui-ci semblait tout simplement au sommet de son art. En réalité, il incarnait la quintessence du style si particulier – fluide et aérien - qu’elle découvrait chez les Sunites. Elle se sentait hypnotisée, transportée vers quelque rêverie sans pouvoir s’en arracher volontairement, et elle réagit avec un temps de retard à la question de Séverin.

- Mon marteau ? réagit-elle avec étonnement avant de se reprendre : Je pense qu’il n’a pas sa place ici : ce n’est pas une arme qu’approuverait la Dame.

Sire Séverin était-il en train de lui proposer de participer, finalement ? Elle sentit une bouffée d’excitation mêlée à une certaine appréhension : elle allait certainement se montrer pataude et maladroite, surtout en comparaison de tous ces maîtres escrimeurs. Ce n’était pour autant pas une raison suffisante pour ne pas saisir l’occasion qui semblait se présenter :

- Je suis loin d’être experte mais j’ai été formée à d’autres armes à l’Académie – et ce n’était pas il y a si longtemps. Je crois qu’il est temps que je m’en souvienne. Si vous acceptiez de me prêter une rapière et une dague et que vous vous montriez indulgent avec la Dorrandine mal dégrossie que je suis bien sûr.

Elle faisait déjà appel à ses souvenirs qui semblaient appartenir à une autre existence mais qui étaient pourtant si proches à l’échelle d’une vie. Elle avait pu assister à quelques entraînements avec les escrimeurs de l’école Cojumite. Leur style particulier se distinguait par l’usage d’une rapière peu courante en terre Manostienne ainsi que d’une dague utilisée dans un usage purement défensif. Pouvoir utiliser son habileté naturelle et sa coordination ne lui avait pas déplu – bien au contraire - mais son instructeur nain l’avait rapidement orientée vers l’usage d’armes plus destructrices. En apparence en tous cas…

" Une dague ? dit Séverin, surpris. Je ne suis pas certain que nous ayons cela. Ce n'est pas une arme très... paladine. Enfin, vous me direz que chaque école a ses représentations en la matière."
Il l'invita à rejoindre les râteliers où ils entreposaient les armes. Toutes les épées avaient leurs pointes mouchées.
" Pour le reste, je pense que le plus prudent est que vous vous entraîniez avec Amray. Choisissez bien votre lame. Elle doit avoir juste le bon poids, ni trop lourd, ni trop léger. On dit que si vous pouvez la tenir en équilibre sur l'index de votre main faible, c'est un bon choix."

La Dorrandine murmura que ce n'était pas très grave pour la dague et qu'elle penserait à en emporter une le lendemain puis elle s'efforça d'appliquer les conseils de son aîné à la lettre mais elle passa tout de même quelques instants à observer les différentes lames exposées, passant rapidement devant les plus légères puis celles qui lui paraissaient vraiment lourdes : car même si elle était habituée à un marteau imposant, on ne maniait pas absolument pas la rapière de la même façon. Il lui en fallait une assez légère pour être tenue au bout d'un seul bras sans se fatiguer et en gardant assez de force pour contrer les assauts de son adversaire.

Son choix se porta rapidement vers deux lames intermédiaires qu'elle soupesa du bout des doigts puis à la manière indiquée par Séverin. Elle reposa avec soin la plus légère des deux avant de tourner à nouveau son attention vers les paladins, curieuse de savoir qui était cet Amray que Sire Séverin lui avait désigné.

Amray était le plus expérimenté des paladins, l'homme plus âgé dont elle avait admiré la technique plus tôt. Il avait le cheveu châtain clair strié de gris, et des yeux d'une couleur tout à fait étonnante, violette, qui lui donnaient un regard particulièrement pénétrant. Il se positionna face à la jeune femme, la salua de sa lame, puis attendit. Il était manifeste qu'il se contenterait de parer ses coups : c'était un entraînement, après tout, pas un combat.

C'était un honneur de pouvoir s'entraîner avec un maître tel que cet homme troublant mais Chandara comprenait intuitivement que, de par son expérience, c'était celui des escrimeurs qui risquait le moins de la blesser par inadvertance. Bien qu'elle se sentit nerveuse de reprendre en main une arme qu'elle n'avait plus touché depuis ses classes et aussi de montrer pour la première fois ce dont elle était capable à une telle assemblée, elle se sentait toutefois en pleine sécurité.

Elle rendit un salut qu'elle espérait gracieux au Sunite puis se mit en garde, la rapière quasiment à l'horizontale et le coude légèrement ployé pour conserver un peu d'allonge en réserve. Elle se souvint que sa seconde main devait faire office de contrepoids pour qu'elle puisse conserver son équilibre lorsqu'elle se déplacerait.

C'était si étrange de ne pas employer son marteau et la technique toute simple que ce genre d'arme préconisait : il ne s'agissait plus de frapper en force mais au contraire de chercher à effleurer, presque à caresser. Il ne fallait pas appuyer le mouvement pour faire le maximum de dégât mais au contraire se laisser porter par le rythme, privilégier la vitesse d'exécution et la fluidité à la force. C'était presque contre intuitif après avoir passé des années à utiliser une arme lourde mais elle se lança tout de même, la pratique valant bien mieux que de cogiter.

Elle commença par un mouvement tout simple, avançant une jambe pour porter une attaque en ligne droite qui rechercha la lame de son instructeur. Elle espérait pouvoir se fier à ses réflexes et son intuition pour la suite...

Le Sunite la laissa attaquer, parant avec souplesse, lui donnant bientôt des conseils sur la manière de placer ses pieds, de tenir sa lame, de relever la tête, de se mouvoir. Il ne tenta jamais de riposter, resta purement défensif, lui laissant toujours l'initiative.
Chandara ne dut pas se soucier du regard des autres, car les paladins poursuivaient leur entraînement de leur côté, l'un d'entre eux en affrontant deux à la fois.
La jeune femme retrouvait ses sensations, mais beaucoup de poussière s'était déposée sur ses apprentissages, et la rapière n'avait jamais été son arme de prédilection. De surcroît, la méthode sunite était foncièrement différente de celle enseignée à Cojum.

Chandara était désormais absorbée par ce duel - qui n'en était pas vraiment un - et ne souciait plus que d'appliquer de son mieux les bons conseils de son instructeur du jour. Malgré l'exercice pour le moins inhabituel pour elle, elle était rapidement parvenue à détendre ses muscles et particulièrement ses épaules un peu trop crispées.

Si elle affichait toujours une mine concentrée et appliquée, elle se surprenait parfois à sourire quand elle sentait qu'une attaque avait porté là où elle l'avait voulu. Elle avait bien sûr la sensation de débuter en partant de quasiment zéro mais elle sentait que l'exercice faisait appel à des qualités naturelles qu'elle avait enfouies pour en développer d'autres et qu'elle effectuerait rapidement des progrès si elle pouvait bénéficier de l'enseignement d'escrimeurs comme Sire Amray.

Le Sunite finit par reculer d'un pas et la saluer de sa lame.
" Ça suffit pour aujourd'hui, dit-il. Il y a du travail, mais vous avez du potentiel. Beaucoup de choses à désapprendre. C'est faisable."
Il sourit, ce qui rendait son visage particulièrement séduisant. Autour d'eux, les autres paladins rangeaient également leur matériel. C'était l'heure du passage aux thermes... communes, évidemment, chez les Sunites.

Chandara effectua un profond salut - plein de respect et d'admiration - à l'intention de Sire Amray. Ses paroles encourageantes, associées à son sourire incroyable, la mirent en joie. Oui, elle avait énormément de chemin à parcourir ne serait-ce que pour approcher le niveau de maîtrise stupéfiant des autres paladins qu'elle avait vus à l'œuvre. Mais cette voie lui était désormais ouverte et il ne tenait qu'à elle d'accepter de la suivre. Il ne tenait qu'à elle de faire les efforts nécessaires pour progresser et peut-être, un beau jour, retenir le regard de la Dame. Alors qu'elle rapportait sa lame au râtelier, elle ne manqua pas de remercier son instructeur du jour :

- Merci Sire Amray. C'est vraiment un honneur que vous me faites d'avoir accepté de me prodiguer vos conseils.

Elle se rendit seulement compte que les autres paladins s'apprêtaient à se retirer. Et elle sentait venir l'heure d'un choix important. Ne faisant pas partie de leur ordre, ils s'attendraient certainement qu'elle prenne la tangente comme la veille et une part d'elle l'y encourageait. Mais elle n'avait pas envie de décevoir les attentes qu'on pouvait éventuellement placer en elle. Les siennes surtout. Elle n'était plus une petite fille timide. Et par-dessus tout, elle avait envie de surprendre. Elle-même y compris. Elle se tourna donc vers Sire Séverin et lui demanda d'une voix encore un peu timide :

- Mon compagnon m'attend. Mais la curiosité me pique et je n'ai pas encore pu prendre de bain ce matin : accepteriez-vous que je profite de vos installations ?

Par la déesse, qu'était-elle en train de faire ? Une part d'elle se récria aussitôt mais elle avait envie de l'étouffer. Ses hésitations lui semblaient de plus en plus ridicules : ces paladins pouvaient un jour devenir ses frères et ses sœurs d'arme. Elle ne devait pas avoir honte de ce qu'elle était et de le leur montrer, à eux en particulier. Eux qui ne l'avaient pas jugée de par ses origines et qui avaient accepté qu'elle se joigne à eux même si elle leur était encore en grande partie étrangère.

Sire Séverin parut surpris.
" La curiosité ?"
Il eut un sourire.
" Vous avez un choix de termes pour le moins... déstabilisant. Mais vous êtes la bienvenue, bien sûr. Personne ne s'attend à ce que vous retourniez jusqu'à la salle d'eau des Lathandrites pour vous doucher."
Il lui désigna la sortie, qu'empruntaient déjà les autres, en devisant tranquillement de choses et d'autres.

La jeune-femme se sentit piquer un fard : qu'est-ce qui lui donc avait pris de dire ça ! Cela dit, l'essentiel était bien que le paladin ne lui en tienne pas rigueur et lui accorde l'invitation qu'elle sollicitait : il semblait même que Sire Séverin trouvait la démarche tout à fait naturelle. Tout en se dirigeant vers les autres, elle répondit au Sunite autant pour écarter la pointe d'angoisse qui naissait en elle que pour se rattraper de sa bévue :

- C'est juste que ça vous parait tout à fait naturel de vous baigner ensemble mais ce sera une expérience tout à fait nouvelle pour moi. Je suis bien consciente d'avoir encore tout à apprendre de vos rites et de vos traditions... Alors je préfère me montrer curieuse que fermée, voilà tout. Même si je suis intimidée.

Sire Séverin eut un léger sourire.
" Vous devriez vous détendre, Chandara. Vous n'avez rien à craindre, rien à redouter. Ne vous posez pas tout le temps mille questions sur ce que les autres pensent ou ce qui serait adéquat. Vous commettrez des maladresses, et vous apprendrez à vous en dégager. Ainsi vont les choses, quand on change d'univers."
Ils étaient arrivés devant la porte des thermes et ils entrèrent. La salle n'était pas déserte : trois autres personnes étaient déjà en train de se baigner. Les bassins étaient vastes et les paladins entreprirent de se déshabiller aussitôt, sur les bancs longeant l'eau.

Chandara resta un instant près de la porte pour admirer les installations grandioses dont disposaient les Sunites. Assurément, c'étaient les plus belles thermes qu'elle ait jamais vues, décorées de mosaïques à couper le souffle et cela avait déjà de quoi impressionner.

Mais elle se rendit compte que les paladins étaient déjà en train de se dévêtir et elle ne voulait pas se montrer hésitante ou à la traîne : personne ne l'avait forcé à venir ici et elle n'avait rien à y craindre ! Elle se raccrocha à cette pensée pour ne pas songer à l'incongruité de se déshabiller devant des hommes. Se détendre était toutefois chose plus facile qu'à faire : par la déesse ce que tous ces Sunites étaient terriblement séduisants !

Ce n'était plus vraiment la peur de se dévoiler qui l'animait mais plutôt celle de ne pas se montrer à la hauteur. Et celle de demeurer en arrière, isolée au bord des bassins. Ne plus se poser de questions ? Encore un conseil bien difficile à appliquer mais elle devait s'y efforcer. Elle entreprit de se déchausser. Un geste tout simple, mécanique. Ne s'arrêtant pas en si bon chemin, elle retira également ses chausses qu'elle plia soigneusement sur un emplacement libre... Ce n'était pas si difficile mais elle savait qu'elle pouvait encore s'enfuir en courant si elle s'interrompait maintenant...

Elle prit une profonde inspiration, jeta un coup d'œil encore un peu nerveux autour d'elle puis se décida enfin à se débarrasser de ses derniers vêtements. Elle n'avait rien à craindre, rien à redouter, même si elle se savait nue et vulnérable, exposée aux regards. Qu'à cela ne tienne, les paladins ne l'avait jamais rejetée et cela n'allait certainement pas commencer tout à coup. Elle les chercha à nouveau du regard pour les rejoindre : elle ne voulait surtout pas rester seule en pareil instant !

Tous les paladins sunites étaient déjà dans l'eau. Certains devisaient, d'autres profitaient simplement de la chaleur bienfaisante du bassin, un troisième se lavait déjà avec énergie, signe sans doute qu'il ne comptait pas s'attarder. Devant la mine probablement inquiète de Chandara, Aphrodite, la jeune femme blonde qu'elle avait croisée dans le parc après son premier passage chez les Sunites, lui fit signe.
" Alors ? Pas trop difficile de passer du marteau à la rapière ?" demanda-t-elle.

L'attitude pour le moins détachée des paladins l'aida à se détendre et elle se glissa gracieusement dans l'eau à leurs côtés puis vers Aphrodite qui avait engagé la conversation. Elle lui était vraiment gré de l'intégrer ainsi à leur groupe et de lui faire oublier la situation dans laquelle elle se trouvait. Elle se surprit d'ailleurs elle-même à répondre avec légèreté :

- Comme l'a dit un paladin sage que je nommerai pas : il semble que je sois bien décidée à opérer un grand écart ! C'était déstabilisant oui : je ne me suis plus sentie aussi malhabile et inexpérimentée depuis des années : je sens qu'il me faudra des mois avant espérer blesser un adversaire avec cette arme, sans parler de le faire avec grâce, mais c'est un défi que je relèverai avec plaisir : je sens que cette séance m'a fait beaucoup de bien ! Et je ne m'attendais pas à bénéficier d'un instructeur si talentueux...

Le principal intéressé était à l'autre bout du bassin, en grande conversation avec Séverin, aussi ne risquait-il pas de les entendre.
" Sire Amray est un des paladins sunites les plus expérimentés de l'île. Il est originaire de Féérune. Il est venu renforcer la commanderie d'Antelucas à ses débuts. C'est vraiment un pilier de l'ordre de la Rose Rubis en Hélonna, même si maintenant il est plutôt chevalier errant."
Elle sourit.
" Nous sommes tous passés entre ses mains à un moment ou un autre. Mais ce n'est pas un instructeur. Ceux qui te formeront à Antelucas ont davantage d'expérience dans... l'apprentissage."

Chandara avait complètement oublié ses inquiétudes à se retrouver nue sous les regards Sunites, suspendue qu'elle était aux paroles d'Aphrodite et les yeux brillant de curiosité. De ce qu'elle en disait, elle avait pu s'entraîner avec une sorte de légende et ses propres observations venaient conforter cette impression.

Elle était désireuse d'entendre les récits concernant l'illustre paladin mais ce n'était certainement pas le meilleur moment pour le demander. D'ailleurs les dernières paroles de la paladine blonde lui firent oublier sa question et son sourire s'élargit :

- Je suis heureuse que tu parles de ma formation au futur et non au conditionnel. A vrai dire, grâce à votre accueil, je me sens déjà un peu chez moi ici. Je sais bien que ce n'est pas encore vrai, que je ne peux pas encore y prétendre. Mais ça me donne encore plus envie d'y arriver.

Elle se sentait en effet accueillie à bras ouverts parmi cette communauté. Et c'était sans doute ce qui lui manquait le plus. Ce qui lui avait toujours manqué pour être heureuse et comblée : trouver des frères et des sœurs d'armes.

" Cela ne tient qu'à toi, dit Aphrodite. Comme ça, tu as un avant-goût. C'est certain que ces choses sont normalement réservées aux paladins, mais comme tu es une candidate potentielle... Séverin te fait une fleur. Mais c'est vrai que tu devras suivre la route conventionnelle, si tu veux pouvoir pérenniser tes entrées au Temple."

L’évocation de Séverin lui fit machinalement porter le attention vers l’autre côté du bassin et son regard s’attarda bien plus longuement qu’elle ne l’aurait voulu sur la silhouette sculpturale du paladin Sunite. Elle sentit immédiatement une doucereuse chaleur gagner son corps et elle dut consentir un effort pour revenir à la conversation qu’elle entretenait avec Aphrodite.

Il semblait que Valentine avait eu raison en affirmant que certaines portes s’ouvraient plus facilement pour elle que pour d’autres. Depuis son arrivée à Luménis, elle en avait eu maintes fois la preuve : à la commanderie des paladins de Lathandre, au temple de Sunie bien sûr et même durant l’épisode de la veille où on l’avait laissée entrer chez le père de Victoria et où elle avait décroché un emploi en un tournemain. Et même si elle n’aimait pas l’idée de bénéficier de passe-droits, elle ne pouvait qu’y voir la faveur de la Dame et se montrer digne de ce magnifique présent.

- L’avant-goût me plait énormément, déclara-t-elle avec enthousiasme avant de préciser – un peu précipitamment – sa pensée équivoque :

- Je crois que Sire Séverin a compris avant moi que j’en avais besoin pour découvrir en douceur ce qu’est de servir Sunie. J’ai toujours un peu la trouille de me lancer dans le grand bain mais je suis beaucoup plus sereine qu’à mon arrivée. Et je suis maintenant bien décidée à me rendre à Antelucas comme il me l’a suggéré. Dès qu’Arthur sera parti pour sa longue mission sans doute.

Elle avait aussi l’intention de revoir Soren pour savoir si sa proposition tenait toujours : il lui semblait que l’accepter serait une juste rétribution envers le temple et l’accueil chaleureux qu’on lui avait fait. Et aussi un pas de plus sur la voie qu’elle entendait suivre.

Aphrodite acquiesça.
" Pauvre Arthur. Ça a dû lui faire un choc de te voir opter pour la Dame aux Cheveux de Feu... dit la jeune femme. Je suppose qu'il avait espéré que tu entendes l'appel de Lathandre... C'est sûr que ça aurait simplifié les choses entre vous... En même temps, c'est un bon test de votre lien. Et les amours sans remous sont moins passionnantes..."

Evoquer Arthur lui rappela qu'il l'attendait peut-être déjà impatiemment et elle entreprit de se décrasser tout en répondant à Aphrodite d'un ton songeur : même si elle projetait de reprendre rapidement un bain de mer, elle voulait se présenter à son avantage à leur petit rendez-vous !

- Oui, il avait l'air un peu bouleversé quand nous en avons parlé hier soir mais je pense qu'il s'y attendait. J'ai énormément de respect pour le dieu qu'il s'est choisi et sa philosophie. Mais ça ne suffisait pas et me vouer à Lathandre. Surtout pas pour faciliter notre relation : ça aurait été terriblement malhonnête. Alors j'ai opté pour les remous, je suppose. D'autant que j'ai le sentiment que si j'avais reçu l'appel de Lathandre, ça n'aurait pas forcément facilité les choses entre nous : je crois qu'Arthur se serait toujours un peu senti dans mon ombre et ça lui aurait pesé au bout du compte. Alors c'est un bon test : nous verrons si notre relation est assez solide pour surmonter les difficultés et les choses seront ô combien plus intéressantes ainsi ! Sans doute moins faciles mais que serait l'amour sans frissons et sans passion ?

Aphrodite acquiesça en riant légèrement. Puis son expression devint plus sérieuse.
" Je vais quand même te donner un conseil. L'amour, ce n'est pas comme dans les livres, quelque chose d'absolu et d'irrépressible. C'est quelque chose qui demande du travail, des aménagements, parfois des contorsions. Contrairement à toi, ton Arthur connait bien les Sunites. Il est Luménien, il vient de ces quartiers, il a toujours connu le Temple, les facéties des clercs et les murmures dans les allées. Les gens ont beaucoup d'idées préconçues sur nous, mais tout n'est pas fiction, bien au contraire. Bref, ce que je veux dire, c'est que... pour son bien, pour le vôtre, il va falloir lui cacher un certain nombre de choses. Comme il tient à toi, je crois qu'il ne te posera pas de questions, ce qui est mieux : tu ne devras pas lui mentir, ou pas souvent. Je te conseille réellement de ne pas surestimer sa tolérance. Qu'il soit déçu, c'est une chose, mais s'il est réellement mal à l'aise, s'il est scandalisé ou stupéfait... Vous ne tiendrez pas longtemps."

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Temple de Sunie