La Couronne de Cuivre

Ils se mirent en route rapidement, mettant le cap vers le sud-sud-est. Le soleil, implacable, montait peu à peu dans le ciel, et la chaleur était déjà suffocante. L'altitude, heureusement, en limitait les désagrément, mais n'empêchait nullement leur peau de brûler, les obligeant à garder une couche de vêtements protecteurs y compris sur la tête.
Ils n'aperçurent aucune caravane le long de leur périple. Toute la région semblait déserte, à l'exception d'un troupeau d'aurochs fuyant loin de la mer de l'Ombre. Sans doute, s'ils avaient été plus bas, auraient-ils aperçu d'autres bestioles, plus petites, également en fuite.
Ils firent halte vers midi quelque part au milieu de nulle part, pour un petit casse-croûte rapidement expédié dans la chaleur torride.
L'après-midi touchait à sa fin lorsqu'ils parvinrent à proximité de la Mer de la Soif. Ta'sslan n'était pas visible là où ils l'avaient laissé. Il avait prévu de poursuivre encore un peu vers le nord-est avant de faire demi-tour pour contourner la mer par le sud. Les deux aventuriers obliquèrent donc vers le nord-est. Plus loin par là-bas devait se trouver la Cité de l'Ombre. Ils étaient conscients du danger qu'elle représentait : peut-être avait-on déjà détecté leur présence là-bas...
Ta'sslan demeurait invisible, mais Eärundra fit signe à Kasumi de descendre, à une ou deux lieues de distance de la mer tout de même.
- C'est un expert en camouflage dans ce milieu, lui expliqua-t-elle lorsqu'ils eurent mis pied à terre. On ne le verra pas...

Kasumi mit pied à terre non sans un certain soulagement : ainsi, même si ce n'était sans doute qu'une impression, il se sentait moins exposé aux regards scrutateurs des magiciens de l'ombre. Il flatta le cou de Rubis avant de répliquer à la remarque de la druidesse :

- Mais tu penses que c'est lui qui nous aura vu, n'est-ce pas ? Et si ce n'est pas le cas, nous n'aurons qu'à suivre le mouvement des animaux demain.

- Il nous a certainement vus et va chercher à nous rejoindre... j'espère juste qu'il n'est pas trop loin d'ici. Quoiqu'il peut certainement se transformer en un animal plus rapide...
Le soleil déclinait à l'horizon, accentuant les couleurs rose-orangées des dunes qui les entouraient, et la chaleur était plus suffocante que jamais. Il n'y avait pas la moindre parcelle d'ombre là où ils se trouvaient, et le léger vent qui soufflait, faisant voler des particules de sable, n'avait rien de rafraîchissant.
Ils finirent par apercevoir quelque chose, un oiseau qui planait d'un vol silencieux. Ils reconnurent un vautour, qui piqua droit sur eux et se posa à quelques mètres, éveillant l'intérêt de leurs aigles géants. Il se transforma en asabi juste avant que ceux-ci ne se décident à venir le becqueter. Rubis et Opale faillirent s'envoler de surprise, mais le druide les rassura de quelques mots dans une langue inconnue du rôdeur.
Il inclina la tête en guise de salutation et sourit à Eärundra.
- Ainsi, vous voici de retour près de cette mer maudite... Que me vaut l'honneur de votre visite ? Avez-vous trouvé celui que vous cherchez ?
La dernière question s'adressait à Kasumi.

Kasumi dédia un sourire sans joie à l'asabi. Somme toute, c'était de loin la personne la plus décente qu'ils aient rencontré depuis qu'ils avaient franchi les montagnes. Et le combat du druide destiné à préserver la faune locale le rendait même aimable d'un certain point de vue.

- Oui, en effet : nous avons trouvé le shaman et bien d'autres choses encore. Quant à la raison de notre visite, vous comprenez que nous ne pouvions pas décemment repartir sans vous dire au-revoir. Et peut-être aussi vous accorder une petite aide dans votre entreprise. J'imagine que vous avez toujours l'utilité d'un de nos aigles pour contourner rapidement la mer ?

C'était évidemment une question purement rhétorique et son léger sourire montrait qu'il s'agissait d'une invitation à entamer une de ces négociations dont le druide était apparemment friand.

- Oui bien sûr ! Ça me ferai gagner beaucoup de temps...
Le regard du druide allait de l'un à l'autre, vaguement interrogateur.
- Mais je vais d'abord vous conduire jusqu'à mon trou. Nous y serons à l'ombre, ce sera plus confortable pour vous. Et j'ai encore des grillades de scorpion au menu, ajouta-t-il avec un clin d'oeil.
Il hésita, fixa son regard sur Kasumi, et ajouta, plus sérieux.
- Je suis en tout cas heureux de te voir sain et sauf. Mais vous me raconterez là-bas. Ici il peut y avoir trop de regards...
Il se changea à nouveau en vautour, et attendit qu'ils montent sur leurs aigles pour les conduire à quelques lieues de là, dans un trou qu'ils n'auraient pas pu remarquer s'ils n'étaient pas passé exactement à la verticale au-dessus.
− Soyez le bienvenu dans ma modeste demeure... d'une nuit.

L'accueil plutôt chaleureux du druide faisait tout de même plaisir après les mauvaises rencontres qu'ils avaient accumulées depuis qu'ils s'étaient quittés. Et le "trou" auquel il les amena - s'il ne présentait pas vraiment de confort - valait toujours bien mieux que leurs précédents lieux de bivouac. Ici, ils seraient à l'abri des conditions extrêmes qui régnaient au niveau du sol et ils pourraient même s'offrir le luxe de s'allonger sur un lit de sable à l'aspect moelleux. Après avoir posé son sac dans un coin et veillé que Rubis trouve une place où s'installer, le demi-elfe reporta son attention sur l'étrange druide.

- Quant à nous, nous risquons de rester ici un peu plus longtemps. Enfin, si nous nous mettons d'accord bien entendu ! Je ne peux plus accepter votre offre précédente : elle est devenue en quelque sorte obsolète...

Le druide s'était dirigé vers le fond de sa petite grotte artificielle, farfouillant dans ses affaires pour en sortir deux espèces de gobelets qu'il remplit d'un liquide coloré.
- Pourquoi donc ? Racontez-moi un peu tout ça...., fit-il en leur tendant un verre.
Le breuvage sentait l'alcool, mais aussi les fruit, et ne paraissait pas très fort.

Kasumi prit le temps de humer l'odeur s'échappant du verre avant d'y tremper les lèvres d'un ton appréciateur et d'entamer son récit :

- Nous sommes entré en contact avec Huasasth et son escorte il y a quelques jours. Nous avons d'abord cherché à le piéger mais cela n'a pas fonctionné comme nous l'espérions. Cependant, nous sommes parvenus à le convaincre de négocier et il m'a emmené dans le monde du rêve dont vous me parliez la dernière fois...

Il ménagea une pause dans son discours pour laisser à Ta'sslan le tempe de digérer ces informations condensées puis reprit après avoir gouté à la boisson alcoolisée :

- C'est plutôt bon. en tous cas tant que vous n'affirmez pas que vous le distillez vous même à base de venin de scorpion ou quelque chose de ce genre ! Et donc, où en étais-je ? Ah oui, Huasasth m'a fait rencontrer un certain "maître des esprits" qui a exigé certaines choses de moi. J'ai dû prêter le serment de ne plus agresser d'asabi, j'ai contracté une dette en or et j'ai aussi dû sacrifier une partie de ma force pour faire lever la malédiction qui touche mon père.

Son ton s'était fait un peu plus sombre à ces derniers mots mais il conservait malgré tout un certain détachement.

- Je pense que c'est un peu équivalent à une malédiction, compléta Eärundra. Mais sans certitude. Est-ce que tu en saurais plus à ce sujet ? Est-ce que tu penses qu'il y a un moyen, pour Kasumi, de retrouver une part de la force qu'il a perdue ?
Ta'sslan prit le temps de réfléchir quelques instants avant de répondre, posément.
- Hmmm... Peut-être... mais je ne sais pas... je ne sais pas si c'est souhaitable. Il s'agissait du prix à payer pour lever la malédiction. Un prix ne perd-il pas sa valeur si on le recouvre aussitôt ?
Il avait planté son regard dans celui de Kasumi, l'expression indéchiffrable.

Le demi-elfe s'était posé la même question que celle que soulevait Ta'sslan mais cela ne l'empêcha pas de répondre avec conviction :

- Vous faites preuve de sagesse en parlant de prix, Ta'sslan. Je ne cherche pas à recouvrer ce que j'ai donné sans contrepartie. Mais les âmes tourmentées des asabis que j'ai tués sont maintenant libres alors ne le suis-je pas moi aussi de reprendre ma route et me reconstruire ? N'y a-t-il pas un service que je puisse rendre en faveur du bien et de l'ordre naturel pour mériter ma rédemption ? Vous prêter un aigle y participe de mon point de vue et je ne demande que des informations en retour.

- Leurs âmes sont libres, sans doute... mais ils sont morts. Alors que tu es vivant. Ils sont vingt-sept, et tu es seul. Le prix payé est sans commune mesure...
- Mais tu as laissé entendre qu'il n'était pas impossible de...
- Eärundra ! la coupa l'asabi d'une voix autoritaire. Comment peux-tu te laisser entraîner dans cette voie ? Tout chose, tout acte, toute rédemption, a un prix. Et le prix doit être payé. C'est une question d'équilibre ! Qu'un être vivant doive perdre une partie de sa force pour libérer vingt-sept âmes ne me paraît pas un prix élevé. Qu'il doive sacrifier quelque chose pour sauver un autre être d'une mort inéluctable est également tout à fait équitable !
La druidesse grimaça, mais Ta'sslan ne lui laissa pas le temps de répondre.
- Réfléchis ! A tes engagements de druide, à ton devoir de neutralité.
- Je sais... mais...
- Tu sais ce que tu risques si tu t'éloignes trop de cette voie.
- Peut-être... mais je l'aiderai tout de même à récupérer ce qu'il a perdu !
- Quel qu'en soit le prix ?
- Absolument !
Les yeux de la druidesse étincelaient.
- Comme Kasumi te l'a dit, nous ne voulons que quelques informations... en échange du prêt d'un aigle.
- Quelles informations, précisément ? questionna l'asabi. Et en échange du prêt de l'aigle pendant combien de temps ?

Kasumi n'avait pas voulu que son cas donne lieu à une discussion aussi houleuse entre les deux druides et il faillit bien se lever pour mettre fin à la conversation avant sa fin. Toutefois, il fut touché par l'insistance d'Eärundra à vouloir lui venir en aide. C'est sans doute ce qui le dissuada de renoncer à obtenir l'aide de Ta'sslan. L'asabi semblait rien moins qu'enthousiaste à le faire alors que pouvaient-il - au fond - attendre de lui ?

- Nous ne pouvons guère retarder notre retour car nous avons pris des engagements, notamment auprès de Huasasth. Cependant, nous pouvons vous laisser l'un des aigles pendant trois ou quatre jours. Quatre jours si vous le ramenez assez reposé pour reprendre son vol. En échange, nous voulons connaître les moyens pour moi de recouvrer ma force. Mais si vous n'en connaissez aucun qui ne risquent pas de nuire à Eärundra, je préfère que vous vous absteniez. Je n'accepterai pas qu'elle consente le sacrifice de sa vocation pour me permettre d'amoindrir le mien.

- Ce que je peux ou dois faire, c'est à moi de le juger, répliqua Eärundra.
L'asabi soupira et se tourna vers Kasumi.
- J'ai besoin de l'aigle simplement pour traverser la mer au lieu de la contourner. Peut-être que je le garderai un jour de l'autre côté, pour avancer plus vite, puis je vous le renverrai. Ça fera trois jours pleins. Quant au moyen de recouvrer ta force... je n'ai aucune certitude. Mais je peux au moins vous dire vous dire que ça n'est pas assimilable à une simple malédiction. Aucun clerc ne pourra rien pour vous. Du moins... pas directement...
Il grimaça.
- Le Maître des Esprits était autrefois un asabi. Enfin, c'est ce que disent les histoires. Mais il est maintenant... l'équivalent d'un dieu, je suppose. Même si nous n'avons pas forcément la même notion de dieux. Ma race est plus ancienne que la vôtre, nous existions avant même que vos dieux n'apparaissent. Nous descendons -ou peut-être que nous avons été créés- par les sorcier d’Isstosseffifil, des Sarrukh, le peuple de sauriens qui règnait sur féérune pendant une période que nous appelons les Jours du Tonnerre. C'était avant l'arrivée des elfes, avant les dragons et les géants, à une époque où tous les continents de Toril n'en formaient qu'un, qu'on appelait Merrouroboros. Nos dieux sont, selon nos croyances, des fragments d'Ouroboros, le Serpent-Monde. Mais donc... Un shaman asabi aurait acquis l'immortalité et serait devenu le Maître des Esprits... et des shamans, qui sont les gardiens du monde du Rêve où se trouvent les âmes de nos défunts.
Il secoua la tête.
- Ce que je veux dire... C'est que ce n'est pas un asabi qui vous a contraint à ce sacrifice, mais une sorte de divinité. Seule un dieu peut défaire cela désormais.

Le cours d'histoire était assurément passionnant mais - au final - Kasumi ne retint vraiment que la sentence finale qui le condamnait apparemment à rester faible à jamais. Il devait désormais se faire une raison et composer avec ses nouvelles limites, redéfinir ses moyens d'action et sa place peut-être. Il répliqua d'une voix sombre et se leva aussitôt pour se mettre un peu à l'écart : il s'attendait à une réponse de ce genre mais il avait désormais besoin d'être un peu seul pour encaisser ce nouveau choc :

- Merci de nous avoir économisé du temps et des efforts : il est inutile que nous cherchions en vain à contacter des prêtres ou des mages d'après ce que vous dites. Voilà qui règle définitivement la question. Vous pouvez emprunter Rubis pour trois jours pour ce temps que vous m'avez évité de perdre.

Eärundra lui jeta un regard plein de compassion, avant d'intervenir calmement.
" Pourquoi serait-ce inutile de chercher un clerc ? Ce sont quand même, quelque part, des sortes d'intermédiaires entre les dieux et les hommes. Si on en trouvait un suffisamment puissant...
- Il faudrait qu'il puisse intercéder en faveur de ton ami. Un clerc ordinaire ne le peut pas.
- Peut-être... que le gardien d'un bosquet sacré le pourrait ?
- Eärundra !...."
La discussion se poursuivit, passionnée, dans une langue inconnue de Kasumi qui n'était pas celle des asabis. Ta'sslan grondait, la voix pleine de colère, et la druidesse répondait, calme et obstinée, sans se démonter, avec respect pourtant.
Ils finirent par se taire tous les deux, et l'asabi se dirigea vers le fond de sa grotte pour y chercher un peu de vaisselle, avant de s'activer à allumer le feu. Eärundra ne pipait mot, perdue dans ses pensées.

Kasumi était quelque part touché que l'elfe se montre aussi obstinée à l'aider, bien plus que lui-même à dire vrai. Il ne chercha pas à l'en dissuader : il commençait à la connaître suffisamment pour savoir que cela aurait été inutile voire même contreproductif. Bientôt ils rentreraient à Everaska, il clôturerait ce chapitre de sa vie en apportant l'or demandé par Huasasth puis il apprendrait à vivre sans ce qu'il avait perdu. Eärundra trouverait certainement d'autres causes bien plus valables et moins aléatoires. Le rôdeur s'était en tous cas isolé à l'autre bout de la petite caverne, proche de sa sortie et s'était abîmé dans ses pensées, mutique et fermant même les yeux pour tenter de faire abstraction de la conversation qu'il ne comprenait pas, dont il ne comprenait pas même le sens.

Eärundra finit par s'approcher de lui, si silencieuse qu'elle parvint à le surprendre.
" Il faudra qu'on aille voir Celd. Je pense qu'il pourrait t'aider. En tout cas... c'est le seul être que je connaisse qui le puisse. Enfin, je songe aussi à une nymphe dans un autre bosquet sacré, mais Celd te connaît déjà, et il est aussi un peu clerc d'après ce que je sais. Bref... C'est une piste qu'il faut tenter. Ne te laisse pas abattre tout de suite..."
Elle avait parlé à voix basse, et elle se tut subitement tandis que l'asabi approchait, disposant un peu de combustible -à base de crottin de chèvres sauvage et d'herbe sèche- au sol pour allumer un feu.
" Je ne suis pas sûr que le menu de ce soir vous convienne... mais mes coutumes alimentaires ne sont pas les vôtres."

Kasumi adressa un pâle sourire à la druidesse, touché encore une fois par sa sollicitude. Il attendit que le druide se soit éloigné pour répondre sans grand enthousiasme :

- Nous verrons quand nous en aurons fini avec le règlement de ma dette. Et c'est un voyage plutôt dangereux. Je ne sais pas si ce serait bien raisonnable : Celd n'a rien pu pour mon père après tout.

Il avait regardé dehors durant sa tirade, préférant ne pas croiser le regard de l'elfe, ne voulant pas y lire un espoir qu'il ne partageait pas. Comme pour dissuader Eärundra de répliquer, il reprit d'un ton plus fort :

- Ne vous en faites pas : tant que ce n'est pas de la viande de chèvres aux fruits de cactus, ça ira très bien. D'autant que je n'ai pas vraiment faim à la vérité...

" Il faut manger pour recouvrer vos forces, et vous le savez très bien !" répliqua l'asabi.
Kasumi surprit son regard suspicieux vers Eärundra, mais il n'ajouta rien.
" Et je constate que vos bagages ont nettement diminué depuis l'autre jour... Auriez-vous eu des ennuis ? Si vous avez besoin de quelque chose, on doit pouvoir trouver un arrangement, faire un troc quelconque... J'ai tout ce qu'il me faut en matériel et nourriture, donc surtout n'hésitez pas."

Kasumi s’était encore un peu plus renfrogné à la première remarque du druide : elle lui faisait un peu trop l’impression d’être considéré comme un enfant. Une sensation habituelle avec les membres de sa caste à dire vrai. C’était d’ailleurs plus ou moins encore le cas avec Eärundra même si l’elfe avait appris à opérer avec un peu plus de tact le concernant. Le regard sévère que l’asabi adressa à cette dernière fit le reste pour expliquer le ton légèrement acide et morose qu’il employa :

- Un ou deux repas ne fera guère de différence à ce niveau et vous le savez bien. Quant à nos affaires, nous avons effectivement dû en abandonner à des pillards mais je me suis déjà débrouillé avec bien moins que cela de même qu’Eärundra, je n’en doute pas. Il nous reste en tous cas le nécessaire pour la fin de notre voyage mais pas vraiment de quoi effectuer du troc.

Ce n’était pas tout à fait vrai : une ou deux couvertures de plus, un hamac voire une tenue de rechange – sans parler de leurs réserves de nourriture au plus bas - n’auraient certainement pas été un luxe et il leur restait un peu d’or pour payer le druide mais le rôdeur ne se sentait pas vraiment d’humeur à commercer.

- Et bien moi, je voudrais t'acheter de l'huile et de la farine.
- Bien sûr. Huile de palme, et farine de teff... c'est une céréale d'ici.
- Ca fera l'affaire pour se cuisiner des sortes de galettes en guise de pain.
- Il vous reste du sel ?
- Oui, et j'ai gardé ma sacoche à herbes. Cela dit, si tu as des conserves de légumes autre que des haricots, ce ne sera pas de refus...
- Un reste de ragoût de scorpion ?
Eärundra lui répondit d'une grimace.
- En échange j'ai de la viande de chèvre... quelques herbes en surplus aussi... et les aigles pourront te chasser quelque chose. Ah, si tu as une couverture en trop, aussi...
La tension semblait retombée entre l'asabi et l'elfe. Peut-être n'était-ce qu'une façade.
- D'accord pour un peu de viande de chèvre, je vais voir tes herbes. Mais ça ne suffira pas... cela dit, je ne suis pas contre quelques pièces d'or, disons... cinq.
- Marché conclu. Et merci pour ton aide...
Le ton était parfaitement neutre, et le regard que les deux druides échangèrent était un peu déstabilisant, difficile à interpréter. Mais aucun des deux n'ajouta rien et Ta'sslan se mit à s'affairer autour du feu, tandis qu'Eärundra s'éloignait, au-dehors, pour nourrir les aigles.

Kasumi n'avait pas esquissé le moindre mouvement ni fait mine de vouloir participer à l'échange entre les deux druides : Eärundra était bien assez grande pour mener ses affaires et il avait clairement annoncé sa position de n'avoir aucune intention de le faire. C'était peut-être un peu immature de sa part mais il ne pensait rien devoir à l'asabi, ne serait-ce que faire preuve de bonne humeur. Les derniers jours l'avaient épuisé nerveusement aussi sûrement que le maître des esprits avait affaibli son corps. Il doutait de toutes façons de retrouver son attitude légère et enjouée avant d'avoir retrouvé ses proches voire s'être reposé quelques jours en leur compagnie. Un autre plaisir qui allait lui être refusé à cause de ce maudit Huasasth et de la nécessité de lui porter son tribut. Quand Eärundra sortit, il releva à peine les yeux et ne fit pas mine de la suivre non plus que d'entretenir la conversation avec Ta'sslan. Si on le laissait faire, il avait bien l'intention de fermer les yeux et de faire une longue sieste. Mais cela non plus n'était guère possible : il allait devoir faire illusion ne serait-ce que par politesse.

Le dîner se déroula dans le calme. Eärundra et Ta'sslan entretinrent un moment une conversation superficielle, évitant soigneusement tout sujet épineux. Mais le druide les informa néanmoins de la progression de la mission qu'il s'était fixé. Il avait sécurité toutes la rive nord de la mer, il lui restait le rivage sud. Il devinait que la cité de Pénombre devait être conscient de sa présence, et il enjoignit les deux aventuriers à la prudence en son absence. Hors de l'abri, ils étaient visibles et potentiellement en danger. Les animaux géants étaient plus nombreux à cet endroit plus proche de la cité de l'Ombre. Le plus sage était de rester tranquillement à l'abri, si toutefois Rubis acceptait de ne pas voler pendant trois jours.
Au-dehors, la nuit tombait peu à peu, leur faisant apprécier la chaleur du feu. L'asabi sortit quelques pelisses qu'il étendit au sol pour leur fournir un couchage plus confortable. Il leur annonça qu'il partirait le lendemain dès l'aube.

C'était le mieux : la zone fourmillait de danger et le rôdeur avait encore en tête sa mauvaise rencontre avec cet étrange être d'ombre. Il était donc soulagé que leur séjour ne dure que le minimum de temps et aussi - il devait le reconnaître - que Ta'sslan les laisse dès le lendemain : malgré sa vocation druidique, l'asabi le mettait toujours mal à l'aise, lui donnant l'impression de le désapprouver voire de le considérer comme un jeune chien fou. Le demi-elfe demanda à la druidesse quel emplacement elle préférait avant de s'installer sur le second.

- Ta'sslan, je vous souhaite bon voyage et une pleine réussite dans votre entreprise au cas où vous seriez déjà parti à mon réveil. Notre rencontre aura été instructive pour moi de bien des façons mais je crois que nous ne serons pas amenés à nous revoir de sitôt... Alors c'est aussi l'occasion de vous remercier pour votre aide.

" Nous nous recroiserons, puisqu'il va bien falloir que je ramène l'aigle d'Eärundra... Et mon aide est toute relative, puisqu'elle n'a consisté qu'à t'informer. Je n'avais pas à prendre parti, dans cette affaire, ni pour ni contre mon peuple, et c'est ce que j'ai fait."
Il jeta un coup d'oeil éloquent à Eärundra.
" Mais reposez-vous pendant les trois jours à venir, tout les deux. Prends le temps de te remettre de tes émotions, de te reconstruire, de retrouver un peu d'allant. Je vois bien que tout ça t'affecte beaucoup, que tu as eu un choix difficile à faire et qu'il te pèse. Mais il est fait, il était juste, et tu dois avancer désormais."
Il s'approcha de l'entrée de la grotte.
" Je vais vous laisser dormir... je termine de préparer mes affaires, je n'ai pas besoin de tant de sommeil. Bonne nuit à vous !"
" Bonne nuit à toi", répondit la druidesse, ajoutant quelques mots dans une langue inconnue.

Kasumi avait pourtant cru comprendre que l'asabi renverrait l'aigle à la suite de sa mission mais cela ne changeait rien au fond. Il lui souhaita également la bonne nuit sans s'étendre en commentaires sur ses conseils. Ce dont il avait le plus besoin était d'un peu de stabilité et de repos désormais. Et aussi de se convaincre qu'il avait fait le meilleur choix en en mesurant les retombées positives et non pas seulement son état actuel et les sacrifices qu'il avait dû consentir. Après que le druide se fut éloigné, le rôdeur s'allongea sur sa couche sans toutefois fermer les yeux :

- Bonne nuit, Eärundra. Je pense que nous pouvons nous passer de tour de garde ce soir.

hrp : oups, tu avais raison, j'avais dit qu'il renverrait l'aigle... désolée, la fatigue...

" Je pense aussi. On est parfaitement en sécurité ici ! Bonne nuit à toi ! Et... j'espère qu'il ne va pas à nouveau t'entraîner dans le monde des rêves."
Ils entendaient l'asabi s'affairer dans la grotte, discret et silencieux. Il fallut un certain temps au rôdeur pour trouver le sommeil, peut-être à cause de cette présence, peut-être à cause de tout ce qui lui pesait sur le coeur.

Il dormit d'un sommeil un peu agité, mais ne fut à aucun moment entraîné dans le Monde des Esprits... pour autant qu'il se souvienne à son réveil. Lorsqu'il se réveilla, Eärundra s'affairait à préparer le petit déjeuner, chantonnant à mi-voix.

HRP : aucun souci, c'est un détail

Le demi-elfe ne se sentait pas pleinement reposé quand il ouvrit les yeux. Mais il n'avait pas pour autant l'intention de tenter de se rendormir dans l'immédiat en laissant Eärundra s'occuper de toutes leurs corvées. En se redressant pour s'extraire de sous sa couverture, il se fit tout de même la réflexion que ces trois jours risquaient de peser et de s'étirer en longueur s'ils ne pouvaient pas quitter leur espace réduit comme la prudence le leur recommandait. Constatant que l'humeur de la druidesse était visiblement au beau fixe, il fit un effort pour se composer une expression souriante mais il doutait de parvenir à être vraiment convaincant.

- Bonjour Eärundra. J'imagine que Ta'sslan est déjà parti ? Et comme tu t'occupes déjà du petit-déjeuner, je vais créer un peu d'eau pour Rubis.

Rubis sembla enchanté de le voir. Kasumi devina qu'il était un peu perdu, sans sa compagne de route, un peu anxieux peut-être. Il semblait prêt à s'envoler d'un instant à l'autre, peut-être pour rejoindre Opale, ou peut-être pour se dégourdir les ailes ou chasser. Il était clair qu'il ne resterait pas trois jour caché ici sans rien faire.

Le petit déjeuner fut rapidement expédié, même si Eärundra s'était appliqué à en faire un véritable repas. Pour meubler le temps sans doute. Car les trois jours à occuper risquaient de paraître longs...
- Qu'est-ce qu'on va bien pouvoir faire pendant tout ce temps ? finit-elle par demander, exprimant ses pensées à voix haute. Je ne tiendrai jamais trois jours enfermée ici...
Il faut dire que la caverne de Ta'sslan, simple campement provisoire, n'était pas riche en distraction. Inutile de chercher ici un plateau de jeu d'Hermines ou des cartes. Un livre ou deux, peut-être... sans doute des ouvrages sur la faune et la flore du désert ou l'histoire de Toril.

Kasumi jeta un regard appréciateur au petit déjeuner, se rendant compte qu'il avait plutôt faim. et manger semblait en effet une des seules activités à leur portée présentement comme il ne manqua pas de l'exprimer tout haut après s'être installé en tailleur en face d'Eärundra :

- En tous cas Rubis ne tiendra pas longtemps si nous ne l'en dissuadons pas. Mais je ne vois pas comment ni même si on le doit...

Il piocha une galette et croqua dedans avec appétit avant d'ajouter d'un ton appréciateur :

- Je vois que je n'ai rien à t'apprendre concernant la cuisine en fait ! Et je doute de parvenir à te donner des cours de flûte. Il faut que je m'entraîne à l'épée mais ça ne va pas m'occuper toute la journée... Mais peut-être que toi, tu pourrais m'apprendre une ou deux choses pour passer le temps ?

Il marqua une pause et arbora un sourire - mutin ? - avant d'ajouter calmement :

- Peut-être en m'aidant à rafraîchir mon sylvestre ?

La Couronne de Cuivre

[Désert d'Anauroch] Quête : Racines