La Couronne de Cuivre

-Très bien. A nouveau, pardonne-moi pour ma trop grande légèreté.
Il se racla la gorge, embarrassé.
-Pour en revenir au thème précédent... De toute façon, tu feras comme tu l'entends, tu es un homme libre. Et je le comprendrais si tu partais. Mais...
Il jeta au regard autour de lui, baissa d'un ton.
-Mais je pense qu'il vaudrait mieux que tu ne dises pas trop fort que si ta hiérarchie te le demande, tu nous quitteras sans la moindre hésitation. Parce que, sérieusement, ça pourrait miner le moral de ceux qui pensent que tu vas nous accompagner encore un bon moment, de ceux qui comptent sur toi... D'autres pourraient interpréter ton départ comme un signe que Lathandre ne soutient pas la Communauté. D'autres encore, les plus susceptibles, pourraient simplement se vexer en pensant que nous ne sommes pas assez bien pour toi à présent que tu as retrouvé tes pouvoirs.

Albérich grimaça.
" Je n'ai pas l'intention de partir... pas dans l'immédiat... Etienne sait bien qu'Hubert et moi n'avons pas décidé de demeurer à jamais ici... C'est un choix... que nous poserons peut-être..."
Il sourit.
" Nous ne partirons pas avant que la cité n'ait plus besoin de nous. Enfin... Je ne devrais parler que pour moi. Mais Hubert étant Hubert, il ne partira sans doute jamais."

Thibault éclata de rire.
-Hubert ? Ton garde du corps ? L'homme a qui tu as sauvé la vie ? Tu crois vraiment qu'il restera si tu t'en vas ? Quand cesseras-tu de mésestimer ton magnétisme, Albérich ? Pour information, j'ai traversé la moitié d'Hélonna pour te retrouver...
Il secoua la tête.
-Et c'est pour cela aussi que je te mettais en garde contre certains propos. Tu occupes une grande place au sein de la Communauté. Je pense que les gens se doutent que tu ne resteras pas éternellement, mais... Ils espèrent probablement que tu t'attarderas longtemps.

Albérich se sentit légèrement embarrassé.
" Tu as une vision de moi particulière... et nous avons un lien... ancien et fort, Thibault. Tu surestimes ce magnétisme, justement."
Il s'éclaircit la gorge.
" Comme je te l'ai dit hier... J'étais un peu saoul mais je le pensais vraiment : je suis bien, ici, je ne le nierai pas. Mais je ne suis plus prêt à tirer des plans sur la comète. Cela m'a joué trop de tours. J'ai besoin de pouvoir prendre la mesure de la situation, à mon rythme. Qui n'est pas le tien."
Il sourit.
" Quant à Hubert... Les rapports sont sans cesse en mouvement."
Il songea à la conversation qu'il avait eue avec le paladin quelques jours plus tôt. Hubert craignait de le voir partir justement parce qu'il ne pourrait pas le suivre. Son sens de l'honneur et du devoir le garderait à Clairétoile quoi qu'il advienne, du moins dans un avenir proche.

Thibault lui sourit, n'ajouta rien, et c'est dans un silence tranquille qu'ils finirent leur trajet.
Quelques minutes plus tard, le groupe émergeait à l'air libre et, pour la première fois, Albérich put arpenter les rues enneigées de l'antique Clairétoile, longer ses édifices majestueux qui, des siècles après leur construction, défiaient encore les éléments, presque inaltérés.
Un peu de temps encore, et ils atteignaient le point où l'expédition du matin s'était arrêtée. Chemin faisant, Hubert avait noté les petits dispositifs laissés par les éclaireurs en travers des portes des bâtisses déjà visitées. De ce qu'il put en juger, tous lui semblèrent intacts.

Hubert rejoignit Gaspard et les deux clercs, intimant à chacun de rester vigilant pendant qu'ils se répartissaient les demeures suivantes le long de la route. Les consignes étaient simples : pas d'héroïsme mal placé, pas de civils exposés dans des zones non sécurisées, il fallait agir avec circonspection et méthode, visiter toutes les pièces, puis venir rapporter le résultat des investigations sur le plan que gérait un des volontaires. En cas de menace, du renfort resterait dehors : deux groupes seraient en exploration tandis que le troisième demeurait à l'extérieur. Albérich se proposa pour encadrer la première équipe et ils gravirent le porche. Le Luménien avait l'air détendu, mais Hubert dut serrer les dents pour ne pas lui asséner trente-six conseils de prudence supplémentaire, et résister à l'envie dévorante d'improviser un prétexte pour l'accompagner. Il pria Lathandre pour détourner son attention : il devait lui faire confiance.

S'il permit aux membres de la Communauté d'admirer maintes beautés architecturales et artistiques, l'après-midi s'avéra d'un calme presque ennuyeux, car il ne fut pimenté par aucune attaque de monstre - ce qui était une bonne chose - mais pas non plus par de grandes découvertes : ils fouillèrent des maisons certes splendides mais vides, ne recueillant que quelques menus objets abandonnés de-ci, de-là. Pour les trésors et les portes dérobées, il faudrait repasser, au sens propre.
Toutefois, à la nuit tombée, ils avaient repéré davantage de traces suspectes et d'os rongés que la veille. De fait, Ézéchiel vint informer Hubert qu'une bande de morts-vivants avait traversé les lieux quelques temps plus tôt, et qu'il les traquerait avec ses hommes dès le lendemain.

Ils repartirent donc en bon ordre vers la forteresse, par les sous-sols, comme de coutume. Hubert resta en arrière avec Ezéchiel, tandis que les clercs et le reste du groupe cheminait en avant.
" Veux-tu un paladin dans ton groupe d'éradication ? Je sais que vous êtes efficaces et discrets, mais nous sommes plutôt spécialistes de cette engeance... Je dois dire que je serais rassuré de savoir que vous avez toutes les cartes en main."

Le rôdeur hocha la tête.
-Je ne pense pas qu'il s'agisse d'une bande très nombreuse mais si cela te rassure, je n'y vois aucun inconvénient. J'irai les localiser avec une partie de mes hommes, en toute discrétion, puis nous irons chercher la force d'intervention demeurée à peu de distance en arrière. Elle peut comprendre un paladin, mais également un clerc s'il y a un volontaire.

Il haussa les épaules.
" Si ce n'est pas nécessaire, je ne veux pas t'imposer trop de poids lourds à traîner. Je proposerai à un des deux Sunites de vous accompagner. Cela lui permettra de se faire la main sur nos invités indésirables et tu pourras me dire comment il se débrouille."
Il s'étira.
" Conseil, dîner, assemblée, à présent. Nous ne sommes pas prêts d'aller dormir."
La soirée serait sans doute plus agitée que leur longue après-midi.

Elle le serait assurément, oui, et pour davantage de raisons encore qu'il ne l'avait imaginé.
En effet, lorsqu'ils regagnèrent le rez-de-chaussée de la forteresse, ils trouvèrent les lieux en pleine ébulition : partout, les colons discutaient avec animation, bonne humeur et même excitation. La raison, lui comme ses compagnons ne tardèrent pas à l'apprendre : Giovanni - ou plutôt sa jeune assistante, le barde insistait sur ce point - avait découvert le trésor. Un trésor, du moins : une salle secrète du sous-sol emplie jusqu'à ras-bords de lingots d'or, de bijoux, d'objets d'orfèvrerie... De quoi en avoir le tournis, affirmèrent ceux qui avaient pu voir de leurs propres yeux - à savoir... quasiment tout le monde, car la trouvaille était intervenue peu après le départ de l'expédition.

Passée la surprise, la première chose à laquelle songea Hubert furent les mercenaires, et cela l'empêcha quelque peu de participer à la liesse populaire. C'était évidemment une formidable nouvelle mais il redoutait de perdre Guillermo et ses hommes, qui leur avaient été si précieux jusque là. Pourtant, il connaissait les termes de leur mandat et il savait, comme le lui avait répété le capitaine quelques jours plus tôt, qu'ils ne resteraient pas indéfiniment à leurs côtés... Néanmoins... Dans cette ville immense... Il repoussa ses inquiétudes et se mit en quête de Ruth, pour la féliciter et lui demander le récit de l'épisode. Cela paraissait la chose à faire. Ensuite, il faudrait qu'il trouve Etienne. Cette découverte serait sans doute au coeur du conseil et peut-être l'assemblée changerait-elle radicalement d'orientation, si elle avait seulement lieu.

Ruth, souriante mais quelque peu embarrassée, expliqua que cela s'était passé comme pour les fois précédentes : elle avait commencé à perdre patiente, avait eu un geste d'humeur et... une porte dérobée s'était ouverte, dévoilant le trésor. Elle avoua également être attristée pour Giovanni, arguant qu'elle aurait aimé qu'il découvre quelque chose, lui aussi, parce qu'il allait finir par trouver la situation un tantinet humiliante...
Quant à Étienne, pour sa part ravi, il ne voyait pas la nécessité d'une modification du programme prévu.
-Après tout, cela ne change rien dans l'immédiat : nous devons continuer à explorer et à nettoyer la cité, nous devons songer à l'avenir en formant des apprentis... Simplement, quand Louis et Frida atteindront Grand-Estuaire, ce qui ne saurait tarder, ils pourront annoncer qu'une partie au moins des légendes concernant la cité est fondée.

Hubert acquiesça.
" C'est vrai... Et nous devrons sans doute faire face à un afflux subit de nouveaux volontaires... Il faudra en parler en temps utiles. Je ne sais pas dans quelle mesure nous serons en position d'interdire l'entrée de la ville aux maraudeurs et aventuriers de passage. Enfin. Chaque chose en son temps. Est-ce que quelqu'un a été chargé de l'inventaire de toutes ces richesses ? J'imagine que tu dois vouloir savoir s'il y a là de quoi rembourser la Banque qui nous a financés..."

-C'est sûr que c'est le genre de choses qu'il vaut mieux savoir... Néanmoins, puisque c'est Albérich qui est en charge de l'intendance, je n'ai pas voulu prendre de décision en son absence. Je ne doute pas, cependant, qu'il trouve rapidement des volontaires pour inventorier ce trésor.
Il le dévisagea un instant.
-Oh, et avant que tu ne t'en inquiètes... Guillermo est spontanément venu me trouver pour me dire que même si le compte y était, lui et sa compagnie ne partiraient pas tout de suite. Il a rappelé que son contrat stipulait aussi qu'il assure la sécurité de la Communauté, et s'en aller dès à présent, alors que nous ne sommes pas fermement établis, irait à l'encontre de ce point.

Hubert s'empourpra légèrement. Il ne s'attendait pas à être aussi transparent. Il ne voulut pas nier pour autant.
" C'est une bonne nouvelle, et qui me rassure, effectivement."
Albérich surgit alors, souriant, débarrassé de sa cotte de mailles. Il fleurait bon la sueur d'une après-midi bien remplie, mais c'était une odeur qu'Hubert ne détestait pas complètement.
" Vous trichez, à commencer le conseil sans Ezéchiel et moi !" s'exclama-t-il avec entrain.

Le chevalier leva les yeux au ciel.
-Décidément, vous êtes bien assortis : des bourreaux de travail, l'un comme l'autre...
Il sourit.
-Bon, puisque nous sommes trois, autant que nous soyons quatre et que nous tenions le Conseil avant le repas. Ce sera fait.
Il les quitta d'un pas léger et revint quelques minutes plus tard en compagnie d’Ézéchiel.
-Alors, en matière de nouvelles... commença le jeune chevalier. Pour le trésor, vous êtes déjà au courant. Reste les informations transmises par Marthe, qui nous a annoncé qu'elle prendra la route du retour demain, en compagnie d'une ambassade du clan des Dents Grises. Enfin, l'expédition explorant les mines s'est enfoncée assez profondément aujourd'hui et a repéré des filons d'or prometteurs.

" De notre côté, il n'y a pas de nouvelles. Des maisons grandioses mais vides, vides, vides. Evidemment, si tout est caché comme ici... Il faudra proposer à Ruth de faire un tour dans chacune d'elles.
— Les elfes sont doués dans la recherche des portes dérobées, non ?
— Est-ce qu'il n'existe pas un sortilège qui fait ça, aussi ?
— Détection des passages secrets, oui. Ce sont les bardes et les mages qui le maîtrisent, généralement. C'est vrai que nous n'y avions pas songé.
— Mais est-ce qu'un trésor dissimulé compterait pour un passage secret ?
— Oui, s'il l'a été sciemment. Mais c'est un sortilège d'assez courte durée, si je me souviens bien... Il faudrait a minima repérer des zones prometteuses, avant de s'en servir."

-Giovanni avait établi une liste des sortilèges à notre disposition, non ? Si celui-ci avait été du nombre, il aurait sans doute pensé à y recourir, surtout après une énième séance de vaines recherches...
-Il a peut-être tout simplement pensé qu'il était difficilement applicable. Il faudra, par acquis de conscience, jeter un coup d’œil à cette liste.
Il se concentra brièvement.
-Sinon, concernant l'Assemblée, en reste-t-on au même programme ? Il me semble que c'est le mieux, mais si vous avez des suggestions...

Ni Hubert, ni Albérich ne voyaient d'autres questions à rajouter à l'ordre du jour. Le paladin devait encore organiser le remplacement des sentinelles avec Guillermo et le clerc voulait déjà préparer le comptage du trésor — qui n'aurait cependant lieu que le lendemain — avec ses assistants d'intendance. En y songeant, il amena le sujet sur le tapis.
" Je me demandais si vous verriez un inconvénient à ce que nous ouvrions officiellement le poste d'intendant à candidatures... J'ai remplacé Ignace au pied levé, mais ce n'est vraiment pas mon créneau. Je n'ai pas l'esprit assez pratique, assez mathématique et assez ordonné pour m'en charger à moyen terme. Je visualise mal les quantités, je n'anticipe pas les manques... C'est une tâche qui me demande beaucoup d'énergie. Et si je dois explorer des ruines, gérer les aspects éducationnels, progresser sur la constitution... Ça commence à faire un peu beaucoup, même pour moi."

Étienne grimaça.
-L'intendance étant un poste crucial, son titulaire était jusqu'ici un membre du Conseil...
-Ce n'est pas gravé dans le marbre ou écrit dans la constitution...
-C'est vrai.
Le chevalier réfléchit, acquiesça.
-Très bien, ouvrons officiellement une campagne pour le recrutement d'un intendant.
Il les observa tour à tour.
-Voyez-vous autre chose pour ce soir ?

" Je voudrais revenir sur la question de l'intendance, dit Albérich, embarrassé. Je comprends qu'il soit nécessaire que nous ayons la plus parfaite confiance en la personne qui l'occupe et... si nous ne trouvons personne à notre goût, je continuerai à m'en charger, Etienne. C'est juste que... ce que je gagne en honnêteté et en sens des responsabilités, je ne l'ai pas en compétence. Tu me diras que je pourrais superviser quatre ou cinq spécialistes, avec chacun leurs prérogatives et m'assurer simplement que les choses roulent... mais même ça, ça demande beaucoup de travail...
— On pourrait imaginer un système de réunion hebdomadaire, intervint Hubert. Mais je suis d'accord que ce n'est pas une tâche facile..."
Albérich eut soudain un temps d'arrêt et un léger sourire bourgeonna sur ses lèvres.
" Je devrais retrouver mon intendant du Temple. Il était excellent. Un peu sanguin mais il ne détonnerait pas dans l'ensemble... Je pourrais..."
Mais oserait-il seulement ? Il n'avait aucune idée d'où se trouvait Marcus, désormais, de s'il avait retrouvé un élan quelque part. Surgir soudain dans son intimité, en quelques mots, via un sortilège... N'était-ce pas incroyablement violent ?
" Bref. Nous ne sommes pas obligés d'en parler aujourd'hui. Je peux rester en place le temps que nous repérions quelqu'un de bien."

-Non non, lançons donc cet appel à candidature. Intendant est un métier difficile et, malgré la bonne volonté de tous nos compagnons, je doute qu'il y en ait pour postuler à cette place alors qu'ils n'ont aucune connaissance en ce domaine... Jusqu'à ce que nous ayons trouvé la perle rare, il te suffira de déléguer davantage aux anciens assistants d'Ignace, comme c'est déjà le cas avec Gustave qui gère les cuisines, et de réunir régulièrement le groupe pour t'assurer que tout se passe bien. En fonctionnant ainsi, cela devrait te libérer pas mal de temps...

" J'essaierai de faire au mieux, pour que la communauté ne soit lésée en rien et parée pour affronter les frimas." dit le Luménien, toujours gêné d'avoir abordé le sujet.
S'ils en restaient là, Albérich et Hubert iraient rapidement régler les tours de garde et la gestion du trésor, avant de passer à table. En espérant parvenir à penser à autre chose qu'à l'assemblée à venir...

Lorsqu'ils gagnèrent enfin la cantine, le repas battait son plein. Vu la taille des lieux, tout le monde pouvait manger en même temps, contrairement à ce qui avait été de mise lorsqu'ils vivaient au fort. Ils virent donc la majorité de leurs amis et de leurs connaissances, depuis Thibault et les paladins - propres comme des sous neufs, élégants comme les Sunites qu'ils étaient - jusqu'aux instituteurs, en passant par les officiers... Seul Giovanni manquait à l'appel, probablement occupé à fignoler son argumentaire du soir.

" Misère, rien que de les voir, je me sens absolument... répugnant." dit Hubert à mi-voix en avisant les Sunites.
Albérich rit joyeusement.
" Ce sont des Sunites, qu'espères-tu ? Tu t'y habitueras : sur ce plan, nous ne pouvons pas lutter, nous autres, pauvres mortels. Et attends de voir les femmes leur tourner autour, ça va mettre de la zizanie dans plus d'un foyer, je te le promets.
— Tu es philosophe.
— J'ai été adolescent auprès de Thibault. Tu sais, cet âge ingrat, où ton corps se métamorphose ? Ou tes jambes poussent plus vite que ton corps, ou ta peau se couvre de pustules, ou ta voix change de timbre de manière imprévue ? Thibault a traversé tout ça comme un solaire, intact, superbe, charmeur... relativement insupportable. J'ai vécu dans l'ombre de sa beauté pendant tout ce temps... Les filles n'avaient d'yeux que pour lui, j'étais invisible... Bon, je n'étais pas très porté sur l'esthétique, ça ne m'a pas fait pleurer la nuit dans mon lit, mais... j'ai quand même appris à ne plus me formaliser."
Hubert n'avait l'air qu'à moitié convaincu.
" Et nous irons nous laver après l'intendance. Ce sera notre récompense."

Il restait des places près des instituteurs, si bien que l'Académie fut temporairement - et partiellement - reconstituée. Ils devisèrent joyeusement mais sans s'attarder : autour d'eux, tout le monde mangeait rapidement, désireux sans doute que la grande réunion du soir ne débute pas trop tardivement. Enfin, peu à peu, les convives prirent la direction de la vaste salle où se tiendrait l'Assemblée et où on avait déjà pris soin d'installer des bancs.
-Nous n'avons juste pas déterminé l'ordre des sujets... souffla Étienne en se portant à la hauteur des deux Lathandrites.

" Commençons par un sujet joyeux, parle-leur du trésor, même s'ils le savent. Parle des candidatures pour l'intendant puis enchaîne avec la fresque de Giovanni. Il voudra intervenir. Ensuite je parlerai des apprentis et Hubert terminera par ce qui fâche." proposa Albérich.
Hubert haussa les épaules.
" Peut-être proposer aussi un temps de parole, où les gens peuvent venir avec leurs difficultés, leurs souhaits et leurs interrogations. Nous devrions d'ailleurs ouvrir une sorte de permanence, pour cela... C'est le genre de choses que j'ai fait au Temple et au Conseil Luménien. Mais c'est un autre sujet."

Il acquiesça. Moins d'un quart d'heure plus tard, l'Assemblée débutait.
Conformément aux suggestions d'Albérich, Étienne commença par évoquer le trésor, son importance pour la Communauté, le recrutement déjà effectué pour mener à bien son inventaire. Il parla ensuite de l'intendance, signalant que tout fonctionnait parfaitement pour l'heure mais que si, à terme, quelqu'un ayant de l'expérience en ce domaine et de la motivation pour assumer ces fonctions souhaitait occuper le poste, sa candidature serait la bienvenue. Enfin, il aborda le sujet de la fresque, rappelant que l'idée avait été adoptée lors d'une précédente réunion, précisant qu'il restait néanmoins des détails à définir et invitant Giovanni à venir le remplacer.
Le barde, souriant mais très tendu, alla à l'essentiel, développant des arguments que les deux Lathandrites avaient déjà eu le loisir d'entendre : il souhaitait avant tour rendre hommage à la Communauté, à son grand projet ; il désirait réaliser une œuvre s'inspirant de l'art antique, ne dépareillant pas dans le décor mais avec une touche de modernité, afin de bâtir, en quelque sorte, un pont entre deux époques ; la nudité des figurants n'impliquerait évidemment aucune connotation déplacée pour la fresque et, pour ceux qui le souhaiteraient, pour les plus timides, il y aurait bien des façons de biaiser, grâce à des objets ou au décor... Bref, personne ne serait forcé à rien si ses propositions étaient acceptées et si elles étaient refusées, cela ne l'empêcherait pas de créer une peinture conforme aux attentes du groupe pour laquelle, assura-t-il, il ne ménagerait pas ses efforts.
On procéda alors à un vote à main levée. La pertinence du projet, alliée à l'enthousiasme communicatif du barde, à sa force de persuasion et, qui sait, à la bonne humeur ambiante, fit que la proposition fut adoptée à une très large majorité, au point que Giovanni parut ne pas en croire ses yeux.
Puis ce fut au tour d'Albérich d'intervenir.

Albérich se leva et remercia Etienne. Il se morigéna d'avoir préparé le projet... mais pas le discours.
" Comme vous le savez, à présent que nous avons atteint notre but, nous allons peu à peu restructurer la communauté à l'image d'une réelle cité. Cela prendra un certain temps, nous irons progressivement, en fonction de l'exploration, des découvertes, et des besoins. Nous sommes un beau nombre, mais bien sûr, il nous faudra du renfort pour assurer les postes nécessaires au bon fonctionnement de notre groupe. C'est pour cela qu'en accord avec le conseil et les enseignants qui prennent actuellement en charge vos enfants, nous avons décidé d'entamer une réflexion sur l'apprentissage..."
Il enchaîna ensuite avec ce qu'il avait déjà fait : le recensement, l'identification de fonctions critiques, son appréciation des manques dans la structure professionnelle de la société en gestation qui était la leur. Il leur annonça que rapidement, un certain nombre d'entre eux seraient invités à venir présenter leur métier aux plus jeunes. Il demanda aussi aux parents qui connaissaient les aspirations de leurs enfants de venir lui en parler. Enfin, il suggéra à ceux d'entre eux qui se trouvaient sans occupation précise, qui avaient profité du projet d'Etienne pour se relancer, de venir en discuter avec lui dès que possible. Il était nécessaire que tous les adolescents commencent à s'orienter. Il offrit ensuite un temps de parole à l'assemblée, pour avoir des retours sur le projet, encore embryonnaire, mais qui prendrait rapidement de la vitesse dans les jours à venir.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue