La Couronne de Cuivre

Lui non plus n'aimait pas s'y rendre seul étant donné le danger mais, plus encore, les enjeux : il ne pouvait tout simplement pas laisser ces monstres profaner toute la région alors qu'aurait dû se trouver un magnifique bosquet plein de vie et d'espoir.

Pour autant, il avait aussi l'esprit un peu plus tranquille de prendre les risques seul et de ne pas impliquer Sylvia avec l'heureux événement qu'elle attendait.

- Je parlerai à Bertrand demain. Et si je me suis fait piégé, c'est que j'ai réussi à agiter une corde sensible en purifiant la source : ça me donne des perspectives et je serai désormais plus prudent.

" Mwouais... Ce serait quand même mieux si je pouvais t'accompagner...
- Hors de question, riposta Martha.
- Alors Première Neige, soupira Sylvia. 'fin bref... Fais comme tu veux... mais sois prudent ! Vraiment ! J'espère que la résurrection -ou la purification- du bosquet pourra aider à solutionner tout ça..."

Kasumi se pencha en avant pour attraper sa main et la serrer très fort avant de répondre d'un ton solennel :

- Je serai prudent : tu as ma parole. J'ai beaucoup trop à perdre maintenant pour prendre des risques inutiles. Mais il faut que je parvienne à mettre la main sur ces deux lascars qui ruinent mes efforts. Je dois réfléchir à un piège dans lequel ils pourraient se laisser prendre...

" Un piège ? Je ne vois pas trop ce qui pourrait les attirer. A part... toi. Ou le bosquet. En tout cas ce sont les deux seuls choses pour lesquelles ils semblent montrer un intérêt, à moins qu'ils n'aient souillé la source que pour t'attirer dans un piège ? Mais non, c'est évident qu'ils en ont aussi après le bosquet. C'est plutôt qu'ils ne te portent un intérêt que parce que tu t'occupes de la source. Mais bref... Je n'ai pas envie que te décides de jouer les appâts !"
Martha étouffa discrètement un baillement. Elle avait terminé de ranger la vaisselle, et il faisait nuit noire depuis un moment déjà.

Le demi-elfe souhaita la bonne nuit à leur hôtesse et entraîna Sylvia à l’intérieur pour que Martha ne se sente pas obligée de veiller alors que la conversation ne la concernait plus au premier chef. Une fois à l’intérieur, il émit une idée qu’il venait d’avoir :

- Ils semblent hostiles à ce que je représente plus qu’à moi-même : peut-être que je pourrais les attirer là où je le souhaite en créant un petit sanctuaire dédié à Mielikki près de la source. Et en y déposant un peu de nourriture, je pourrais inviter les petits animaux à venir l’honorer de leur présence : je pense que ceux que je traque auront hâte de chercher à le détruire ou le souiller même s’ils flairent le piège.

Sylvia hocha la tête.
" Certainement, oui, étant donné que le simple fait d'avoir nettoyé la source a apparemment éveillé leur hostilité. Cela dit, tu obtiendrais le même résultat en recréant le bosquet..."
Elle le précéda dans leur chambre, baillant à son tour.
" donc demain, tu te lèves un peu plus tard, si j'ai bien compris. C'est une bonne nouvelle, je pourrai déjeuner avec toi... Et sinon... tu as des projets pour... tout de suite ?", questionna-t-elle d'un ton ingénu en l'embrassant sur les lèvres.

Kasumi était à des lieues d'avoir ce genre d'activités à l'esprit en entrant dans la chambre. Il s'était apprêté à répondre qu'il était prêt à risquer un autel qu'il aurait aménagé mais pas le seul et unique gland confié par Celd. Qu'il fallait à tout prix éliminer la menace représentée par les profanateurs avant d'envisager de ranimer le fragile bosquet.

Mais cette pensée s'envola dès que les lèvres de Sylvia effleurèrent les siennes. Elles reviendraient probablement au matin et il ne chercha en tous cas pas à les retenir, son esprit ayant d'emblée emprunté le chemin sur lequel l'avait invité son amour de toujours.

Les ébats amoureux ne s'éternisèrent pas : sous ses dehors provocant, la rôdeuse était épuisée. Elle s'endormit très rapidement, un sourire heureux aux lèvres, dans les bras de son amant. Celui-ci, du reste, ne tarda pas à faire de même...

...Et il se retrouva dans un monde flou et gris, fait d'ombres et de brumes, qui lui rappela le monde des esprits du shaman asabi. La différence était que ce qui l'entourait lui évoquait une forêt, sans qu'il puisse dire ce qui lui inspirait cette certitude. Peut-être que ces ombres autour de lui ressemblaient à des arbres... Oui, c'était bien cela, il lui avait suffi d'en avoir la sensation pour qu'ils prennent forme peu à peu. Ils étaient verts, fiers et nobles. Et lui, seul humain perdu dans cette immensité, ressentait la paix des lieux, mais aussi une once de... menace, peut-être. Ou de peur. Un danger rôdait. Enflait. C'était imminent, il le sentait au plus profond de son être. Puis des formes jaillirent tout autour de lui, silhouette floues de bêtes, de loups, de chevreuils, d'ours, qui couraient à toute vitesse, fuyant un danger indistinct, et il sentait que ses jambes se mettaient à courir elles aussi, suivant le mouvement instinctif des êtres vivants du lieu. Et puis il y eut autour de lui des cadavres d'animaux en décomposition, tous éventrés et mutilés à l'aide d'armes blanches. Tout redevint gris tandis que les arbres s'étiolaient, silhouettes de plus en plus floues. Il ressentait de la peur, de la panique même, mais il n'y avait plus rien autour de lui. La forêt avait disparu, et sa paix n'était plus. Ne restait que l'ombre.

Mais non... il n'était pas seul. Une silhouette équine s'avançait vers lui, paisible. Une licorne.
" La souillure s'étend et l'ennemi grandit en puissance. Bientôt il sera trop tard pour sauver la paix de ces bois. Tu dois te hâter d'y ramener la lumière pour aider à restaurer l'équilibre. Sans quoi l'étincelle de vie qui subsiste encore ici s'éteindra... "
Le ton était grave.
Puis tout devient flou, à nouveau, et Kasumi se retrouva auprès de la source qu'il avait nettoyée.
" Ce que tu cherches est tout près d'ici. La foi est ton guide... Sauras-tu la suivre ?"
Il eût la sensation que la licorne regardait dans une direction bien précise, cette du nord-est, et suivit machinalement son regard... pour s'apercevoir, en levant à nouveau les yeux vers elle, qu'elle avait disparu. Tout se mit à tourner autour de lui, au point qu'il dut fermer les yeux...

... Et les rouvrit dans son lit, en nage. Dehors, il faisait encore nuit noire.

Le demi-elfe se retrouva dressé dans son lit et les échos d'un cri de terreur aux oreilles. Un cri qui ne pouvait être que le sien tant la sensation de malaise avait été viscérale. Tant la destruction de toute forme de vie bonne l'avait atteint au cœur et aux tripes. Et pourtant... Et pourtant, une sensation plus diffuse mais plus légère aussi se faisait jour à la périphérie de sa conscience : il avait tardé, un peu trop. Mais il n'était pas trop tard pour accomplir la mission sacrée confiée par les envoyés de sa déesse. Non, à condition de ne plus tergiverser, il lui restait une opportunité de prendre les devants, de restaurer l'étincelle qui ne devait surtout pas s'éteindre. C'était sa voie. Celle que lui avait désigné l'envoyée de Mielikki. Celle qu'il s'efforcerait de suivre. Dès le lendemain ! Cette pensée l'apaisa quelque peu mais il savait qu'il ne parviendrait pas à se rendormir cette nuit : la sensation d'urgence était trop prégnante : il ne pouvait pas décevoir la Dame des bois.

" Hum... j'ai cru entendre un cri... toi aussi ? Tu ne dors pas... "
La voix de Sylvia était ensommeillée, mais la rôdeuse luttait visiblement pour reprendre pied dans la réalité. Dans l'obscurité, elle ne pouvait voir l'expression de son compagnon et chercha à tâtons sa main.
"Il se passe quelque chose ?"
Elle étouffa un bâillement, et Kasumi la sentit tout prêt de se rendormir malgré sa volonté.

Il s'en voulut immédiatement d'avoir troublé son sommeil et serra sa main en signe de réconfort - autant pour elle que pour lui-même - avant de se pencher et déposer un baiser sur sa tempe :

- Ce n'était qu'un cauchemar. Rendors-toi ma toute belle !

Lui-même s'en sentait incapable, son cœur battant toujours beaucoup trop vite, mais ce n'était pas une raison suffisante pour empêcher sa compagne de dormir : elle avait trop besoin de tout le repos possible.

Elle bailla, et marmonna un "d'accord" indistinct. Quelques instants plus tard, sa respiration redevenue ample et régulière indiquait qu'elle avait à nouveau sombré dans le sommeil.
Les minutes, les heures sans doute, passèrent, et les premiers pépiements se firent entendre, oiseaux matinaux annonçant l'aube encore lointaine. La maison était encore silencieuse : Martha se réveillerait un peu plus tard sans doute, peut-être au chant du coq, puisqu'il n'avait pas projeté de partir à l'aube. Sylvia, quant à elle, dormait comme un bébé. Et peu à peu, le ciel grisonnait.

Décidément incapable de trouver le sommeil, le rôdeur s'était tout de même allongé sur le dos en fermant les yeux, écoutant la nature se réveiller dans un état de semi veille. Alors que les premières lueurs annonçaient l'aube prochaine, il choisit de se glisser discrètement hors de son lit avec l'idée de préparer - pour une fois - un petit-déjeuner copieux pour les autres occupantes de la maison. et si le temps s'y prêtait, il dresserait en outre la table au dehors pour profiter pleinement de l'air champêtre et revivifiant.

L'air frisquet du petit main acheva de réveiller pleinement. Le village était calme, la nature alentour commençait à s'éveiller. Le ciel sans nuage annonçait une journée chaude et ensoleillée -même si pour l'heure une petite laine était préférable.
Il trouva sans difficulté tout le nécessaire pour préparer un petit déjeuner, et il était en plein préparatifs lorsque Martha entra dans la cuisine, les yeux encore ensommeillés.
" Vous êtes bien matinal... ", fit-elle après l'avoir salué.

Il répondit sans gêne sur un ton neutre de qui n'avait pas à se plaindre :

- En fait, je me suis réveillé après un songe au cœur de la nuit et je n'ai pas su me rendormir. Alors je me suis dit que vous délester de la tâche de préparer le petit-déjeuner pourrait vous plaire pour une fois.

Leur hôtesse sourit.
" C'est très gentil à vous d'y avoir pensé. Mais laissez, je vais prendre la suite, et vous pourrez commencer à déjeuner. Enfin, vous voulez peut-être attendre votre belle... mais la connaissant, elle ne va pas se réveiller avant encore une bonne demi-heure, voire une heure peut-être."
Elle haussa les épaules et alla retirer du feu la bouilloire qui commençait à chanter.

Kasumi répondit qu'il préférait attendre car il ne voulait surtout pas décevoir Sylvia qui s'attendait à le trouver à son réveil et qu'il n'était pas à une heure près après tout ! Il resta donc à aider Martha autant qu'il pouvait sans la gêner. Si Sylvia tardait trop, il pourrait toujours décider d'aller parler à Bertrand avant de revenir la saluer comme il se devait.

Sylvia émergea près d'une heure plus tard, un peu échevelée, la mine inquiète. Mais son expression s'adoucit aussitôt en voyant le rôdeur.
" Ah, tu es là... J'ai cru un instant que tu étais parti en voyant le lit vide..."
Elle sourit, lumineuse.
" Ça fait du bien de partager un petit déjeuner avec toi, murmura-t-elle en se glissant près de lui pour déposer un tendre baiser sur ses lèvres.
Martha, par discrétion, s'était éclipsée en cuisine.

Le demi-elfe sourit et passa une main dans ses cheveux, tant pour les démêler un tant soit peu que pour le simple plaisir de leur doux contact :

- Oui, cela fait chaud au cœur de n'avoir pas à m'esquiver comme un voleur et de passer un peu de temps en ta compagnie avant de m'atteler à une nouvelle journée de recherche.

Il la mena vers le petit-déjeuner spécial qu'il avait préparé, léger et à base de fruits qu'il la savait aimer principalement.

- Je pense retourner à la source aujourd'hui : j'ai le sentiment que quelque-chose m'y a échappé et je voudrais trouver quoi. J'ai même fait un rêve dans ce sens, même si c'était plutôt confus.

La rôdeuse se servit en thé et commença à beurrer une tartine en l'écoutant.
" Un rêve ? Ce n'est pas vraiment étonnant, vu le temps que tu y passes et les horreurs que tu y as trouvé. Ça doit te travailler le cerveau même la nuit. Et si tu as la sensation d'avoir laissé échapper quelque chose, c'est peut-être que ton esprit l'a enregistré sans que tu en aies conscience..."
Visiblement, elle n'envisageait pas que ce rêve puisse être un peu particulier.

Lui non plus ne l’envisageait pas vraiment, son esprit pragmatique prenant le dessus sur les aspects plus mystiques de sa mission. Car bien qu’il soit conscient des interventions divines qui présidaient à leurs destinées, il se jugeait trop insignifiant pour être digne de l’attention directe des messagers de la déesse.

- Oui, ça doit être un peu de ça. En tous cas, je crois que e dois chercher l’ancien bosquet au nord-est de la source. Ne me demande pas comment je peux le savoir mais j’en ai la conviction : il faut que je me laisse guider, l’ancienne prêtresse me l’a bien signifié. J’espère juste que je ne ferai pas fausse route : le temps est compté.

" Donc tu vas chercher par là-bas... Et... comment sauras-tu que tu l'as trouvé ? Et puis, peut-être que ce n'est pas l'ancien bosquet que tu dois chercher, mais un emplacement pour planter le gland et en créer un nouveau ? Je ne me souviens plus bien ce qu'avait dit Celd... mais ça ne change rien au fait que je ne sais pas à quoi tu vas le reconnaître..."
Elle mordit à pleine dents dans une tartine.
" Et donc tu vas emmener le gland ?"

Kasumi regardait avec tendresse sa compagne prendre plaisir à dévorer son petit-déjeuner et mit un instant avant de répondre à ses questions :

- Je pense que je ne vais pas l'emporter avant d'avoir repéré un endroit propice.

Ce qu'il ne disait pas ne pouvait échapper à la jeune-femme : qu'il ne voulait pas risquer le gland avant d'être certain de pouvoir le planter. Comme si - quelque-part - il le pensait plus important que lui-même et voulait laisser l'opportunité à un autre de l'utiliser s'il en était empêché.

Mais sa compagne ne sembla pas s'alarmer de ses paroles, ou peut-être n'en comprit-elle pas complètement le sous-entendu.
" Oui, c'est plus prudent, il vaut mieux le garder en lieu sûr. Ce serait trop bête de le perdre... Enfin, je ne veux pas dire que tu n'en prendrais pas soin, bien sûr, mais on ne sait jamais, si pour une raison ou une autre tu... je ne sais pas... si par exemple tu dois laisser ton sac et qu'un écureuil vienne te le piquer..."
Elle eut un sourire amusé.
" Oui, je sais, c'est improbable... ou alors si tu tombes dans un trou... tout aussi impossible bien sûr !?"
Elle reprit un ton sérieux.
" Mais je sais que tu seras prudent."

Il arbora un sourire radieux et se pencha par-dessus la table pour déposer un baiser sur ses lèvres sans se soucier qu’elles soient maculées de confiture :

- Bien sûr que je serai prudent ! Et maintenant que tu sais à peu près dans quelle direction je vais passer ma journée, j’espère que tu t’inquièteras un peu moins. Je pense que je parlerai à Bertrand demain ou un autre jour : je n’ai pas vraiment besoin d’aide pour fouiller la forêt et je compte rester à bonne distance du cercle de pierres au moins aujourd’hui. Au pire, si j’en ai besoin, j’appellerai Première Neige en renfort.

Sylvia acquiesça.
" Ça me rassurerait de la savoir près de toi, en effet, soupira-t-elle. Mais je comprends bien qu'elle a aussi un rôle à jouer là-bas..."
Martha revenait auprès d'eux, un sac de toile à la main.
" Voici un casse-croûte pour midi ! Et soyez prudent... enfin, je sais qu'elle vous l'a déjà dit ! Mais si je dois l'empêcher de se ruer à votre secours... hum... il faudra au moins l'aide de huit personnes pour la retenir de force !"

Il répondit à leur hôtesse mais il était évident qu'il s'adressait tout autant à sa fiancée :

- Vous faites erreur, Martha : j'ai souvenir d'un épisode où tout une communauté n'a pas suffi à retenir Sylvia et l'empêcher de me rejoindre en mission alors même qu'elle était consignée à son domicile.

Il adressa un clin d'œil à l'évocation de ce souvenir amusant, en tous cas de son point de vue.

Sylvia mit les poings sur les hanches.
" Forcément, j'allais pas les laisser me priver d'une aventure aussi passionnante ! Mais je l'ai payé assez cher, si je me souviens bien... donc ne remue pas le couteau dans la plaie. Je préfère laisser ce souvenir enfoui..."
Elle adoucit cependant sa remarque d'un clin d'oeil, elle aussi.
" Mais effectivement, si tu te mets en danger, je viendrai te chercher, c'est une certitude ! Raison de plus pour que tu sois prudent..."

Il esquissa un nouveau sourire complice et répondit d'un ton néanmoins sérieux :

- Je serai prudent et j'essaierai de rentrer avant la nuit cette fois. Mais tâche de ne pas trop t'inquiéter de ton côté : je vais juste vérifier une impression et je ne crois pas qu'elle sera désagréable : peut-être que je tiendrai même une piste sérieuse dès ce soir !

" Ce serait chouette... parce que la fin du mois approche incroyablement vite !"
La rôdeuse sourit et déposa un léger baiser sur ses lèvres.
" Allez, file vite, mon amour ! Et à ce soir..."

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Peyregorde