La Couronne de Cuivre

" J'en ai parlé à personne. Titus est très secoué par ce qu'il s'est passé. Je voulais d'abord te le dire à toi."
Il pinça les lèvres.
" Ils n'ont rien fait... Ils ont crié et ils nous ont insultés... Mais Titus, il n'a pas compris les mots... Il a juste vu leurs visages et entendu leur ton..."

Il acquiesça.
-J'irai lui parler dès que possible. Mais il faudra aussi en discuter avec nos hôtes : vu le contexte un peu tendu, je ne voudrais pas que les choses s'enveniment et le meilleur moyen pour que cela n'arrive pas, c'est de les expliquer.
Ah, bigre, voilà qui allait encore charger son emploi du temps et, surtout, compliquer la situation déjà bien assez épineuse comme ça...

" Mona et Yann, ils sont gentils mais... tu crois vraiment qu'ils vont pouvoir convaincre des gens qui craignent les bois que Titus est inoffensif ?"
Il soupira.
" Moi j'ai essayé de leur dire, mais ça n'a pas marché... mais toi tu es un elfe... Tu ne crois pas que ça va encore être pire ?"

Il réfléchit.
-Tu as peut-être raison. Mais je pense que je pourrais en parler à Demetrius, le clerc de Chauntéa : lui serait en mesure non seulement de comprendre mais également d'expliquer la situation à ses ouailles. En tout cas, cela me semble nécessaire de tenter le coup. Sinon, Titus sera condamné à rester cloîtré ici...
Sans compter les risques que pourraient courir Mona et son fils.
Ah, pourquoi diable fallait-il toujorus qu'il se retrouve plongé dans pareils sacs de nœuds ?

Peut-être parce qu'il n'avait pas opté pour la voie la plus simple, tout simplement...
" D'accord. Tu as raison. Faisons comme ça. Ce serait bien que tu parles à Titus, cependant. Moi j'ai essayé de lui dire de ne pas s'en faire, mais comme il ne comprend pas bien ce que je dis... j'ai l'impression que ça le stresse encore plus."

-Je vais y aller tout de suite.
Il aurait bien aimé, aussi, pouvoir parler ssns tarder au clerc de Chauntéa. Malheureusement, il était déjà tard : peut-être dormait-il déjà... Il faudrait donc probablement remettre la visite à plus tard. Au lendemain en fin de journée, puisqu'il serait occupé ailleurs entretemps. Voire le surlendemain...

Titus était dans leur chambre, à la fenêtre, lorgnant la campagne enténébrée. Il ne sursauta pas lorsque le barde survint, se tourna vers lui et lui sourit, gêné. Il ne le laissa pas prendre la parole le premier.
" Est-ce que les faunes sont des sortes de diables ?"

Il secoua aussitôt la tête.
-Non, Titus, les faunes ne sont pas des sortes de diables et ils n'ont rien de maléfique. Ce sont simplement des êtres de la forêt, avec leurs mode de vie, leurs habitudes, leurs traditions... Bref, tu ne dois vraiment pas te formaliser de la réaction des bergers : ils ont simplement peur de ce qu'ils ne connaissent pas.

Le petit garçon acquiesça, la mine grave, puis un nouveau pli marqua son front.
" Mais les diables aussi, ils ont des cornes et des sabots fourchus. Pourquoi ils me ressemblent, si j'ai rien à voir avec eux ? Ainhoa disait que j'étais malicieux. Est-ce que malicieux, c'est pas comme maléfique ? Il y a mal dedans, aussi."

-Oh, les mots ont une racine commune mais ils ne signifient pas du tout la même chose. Malicieux, c'est un synonyme d'espiègle : Victor l'est et il n'y a rien de maléfique, en lui. Je crois l'être également, par certains côtés, et j'ose croire que je ne suis pas un être mauvais. Quant à la ressemblance entre les diables et les faunes... Ce n'est qu'une ressemblance qui ne signifie rien.
Il posa une main sur son épaule.
-Ne te tracasse pas, mon garçon. Ne laisse pas les mots des bergers t'atteindre. S'ils te connaissaient, ils ne les auraient jamais prononcés, crois-m'en. Simplement, ils ne te connaissent pas, ils n'ont jamais vu de faunes... L'inconnu effraie.

" Est-ce qu'ils veulent me manger ? demanda alors Titus. Quand je travaillais pour le cirque, mon maître disait ça, parfois. Un mauvais faune, on le coupe en deux, et on mange son gigot."
Il pinça les lèvres.
" Parfois je crois que je me souviens... parfois je me dis que c'est juste des cauchemars à cause de ce qu'il disait."

Il sentit son cœur se serrer.
L'histoire du faune ressemblait terriblement à d'autres, très proches, qui lui étaient fort familières...
-Je ne sais pas quel malheur a frappé ta famille. Mais je n'ai jamais entendu dire que les faunes étaient mangés : je pense donc que cet homme essayait juste de te terrifier. Et ce dont je suis sûr, c'est que les gens, ici, ne veulent pas te dévorer.
IL lui sourit, cherchant à l'apaiser.
-Et de toute façon, même s'ils voulaient te faire du mal, je ne leur en laisserai pas la possibilité. Tu peux être sûr de ça.

" Je sais. Baptiste le dit et Victor aussi."
Il sourit.
" Pourtant j'ai été méchant avec toi. Je t'ai envoyé mes moustiques."
Il fronça les sourcils.
" Un jour, je ferai quelque chose pour me rattraper."

-Ne te mets pas martel en tête pour cette histoire : tu ne nous a pas fait de mal et, au final, tout c'est bien terminé. Honnêtement, pour moi, c'est une affaire classée.
Il sourit à noveauu.
-Après, si tu as envie de m'aider, c'est une autre histoire et il est possible que ton soutien me soit précieux pour retrouver Cordélia. Mais tu ne dois pas le faire eut égard à notre première rencontre.

Il acquiesça.
" Je comprends, dit-il. Et si je peux t'aider, je le ferai. Même si Cordélia, elle me fait peur. Elle est plus... rude que toi. Mais c'est une humaine, c'est normal."
Il sourit, parut embarrassé.
" Les enfants, c'est différent. Surtout ceux-là. Les tiens."

-Ils ont bon cœur, c'est sûr. Mais c'est le cas de beaucoup d'autres enfants et, plus généralement, de beaucoup d'autres humains. Simplement, c'est une race si nombreuse, il y a tant de peuples, de cultures, de civilisations... Il est difficile de la juger dans son ensemble. Certains hommes pourraient te faire du mal par méchanceté ou parce qu'ils ont peur de l'inconnu ; d'autres, au contraire, feraient tout pour te protéger et pour t'aider...

" Mais c'est mieux s'ils ont déjà rencontré d'autres peuples... comme toi, par exemple. Ou bien des gnomes, j'imagine. Parce qu'alors, ils savent qu'on peut être différent et pas forcément méchant."
Il ne put pas continuer car la porte s'ouvrit sur Victor et Baptiste.
" Qu'est-ce qu'on manigance, les longues oreilles ?" s'exclama le premier.
Le second paraissait désolé, mais il s'était révélé impuissant à contenir son frère.

-Je suis tout à à fait d'accord avec ce que tu as dit, prit-il néanmoins le temps de glisser au petit faune.
Puis, à Victor et en commun :
-Eut égard à la discussion que nous avons eu cet après-midi à la taverne, Titus et moi mettions au point une stratégie pour t'obliger à être un enfant modèle, toujours sage, toujours propre, sans jamais le moindre accroc ou la moindre égratignure.

" Ah, parce qu'il peut dominer les esprits, lui aussi ?"
Baptiste grimaça.
" Je pensais que c'était seulement les moustiques et les noisettes. Parce que je ne suis pas un moustique, moi, tu vois. Je suis un gros Victor.
— C'est peu de le dire.
— Ouais, c'est pas complètement sorti comme je le voulais."

Il rit.
-T'en fais pas, va : tu es une crevette. Et de toute façon, je plaisantais, nous ne complotions rien du tout.
Ce qui était la pure vérité.
-Mais allez, il est tard : si vous voulez une histoire, au lit !

" Ouais ! Une histoire !" s'exclama joyeusement Victor en ôtant sa chemise avec enthousiasme.
Baptiste, plus mesuré, commença à replier soigneusement ses vêtements. Ceux de son frère décorèrent rapidement les quatre coins de la pièce. Titus s'empêtra dans les siens comme chaque jour et Baptiste vint lui prêter main forte. Ils se replièrent ensuite chacun dans son lit, attentifs et impatients.

Et Taliesin de narrer une nouvelle aventure de Gérard de Berge, heureux de pouvoir leur faire plaisir. Et puis, il aimait ces petits moments partagés qui lui changeaient bien les idées, qui le distrayaient un moment de ses soucis.
Mais il faudrait qu'il s'y consacre à nouveau sitôt qu'il redescendrait : il devait parler à Mona, établir son programme du lendemain...

Les enfants se replièrent sous leurs draps, lui murmurant des remerciements, et Taliesin put gagner l'étage inférieur. Mona était en train de coudre dans la salle à manger et lui désigna la théière du menton.
" Servez-vous. L'eau de vie est dans le buffet, si vous avez besoin de quelque chose de plus fort. Je crains que Yann ne soit sorti... mais vous connaissez le chemin jusqu'à la taverne, au besoin."

[color=#FFF66]-Vu ce qui m'attend demain, je pense plus raisonnable de me coucher tôt. Et de toute façon, je souhaitais vous parler. Alors quand vous aurez un instant...[/color]
Il se remplit une tasse d'infusion et se prépara à évoquer l'affaire Titus, sans oublier son intention d'aller trouver Demetrius quand il aurait une seconde pour le faire.

Mona rit doucement.
" Je suis capable de bavarder avec vous en cousant. Ah, les hommes ! Une tâche à la fois, hein ? Apprenez, jeune homme, que nous autres les femmes, nous sommes parfaitement capables de gérer plusieurs choses en même temps."
Elle secoua la tête en gloussant.
" Bon, racontez-moi, alors. Qu'est-ce qui vous turlupine ?"

Il lui répéta donc ce que lui avait appris Baptiste.
-Je tenais à vous en prévenir, au cas où vous seriez ennuyée à cause de la présence de Titus sous votre toit. Mais j'ai l'intention d'aller trouver votre clerc pour lui expliquer la situation. Ainsi, lui-même pourra l'expliquer aux habitants des environs, leur faire comprendre qu'il n'y a aucun danger...

" Ah, c'est ennuyeux, dit-elle avec une grimace. Peut-être aurions-nous dû le garder à l'intérieur jusqu'à ce que vous puissiez l'escamoter dans les bois..."
Elle pinça les lèvres.
" Vous êtes certain qu'il ne pourrait pas se débrouiller ? Il doit avoir une sorte d'instinct pour ces choses-là, non ? Vu qu'il est à moitié animal..."

Il eut de la peine a cacher sa surprise.
-Mona, l'habit ne fait pas le moind : Titus a aussi peu de rapport avec un bouc ou une chèvre qu'un dragon avec un lézard ou qu'un gnome des profondeurs avec un caillou. Il a un lien avec la nature, bien sûr, mais il s'apparente davantage à celui que les elfes sylvestres ont avec la forêt, les nains avec les cavernes... Pour le reste, c'est un enfant. Et en tant qu'enfant, il ne peut survivre livré à lui-même.
Il soupira.
-Cependant, si sa présence ou plutôt ce qu'elle pourrait impliquer vis-à-vis de vos voisins vous inquiète, ce que je comprendrais très bien, nous pouvons sans problème nous trouver un coin ou camper. Nous disposons du nécessaire et vous avez déjà fait beaucoup en l'acceptant sous votre toit.

" Oh non non, pardonnez-moi, dit la veuve, rougissante. Je ne voulais pas l'insulter... C'est juste... Je me suis méprise, voilà. Mais on dit aussi que les jeunes elfes... D'accord, ce sont sans doute des racontars. Hum. Je suis désolée. Vous pouvez rester aussi longtemps que vous le désirez. Ces bergers, de toute façon, ils ne sont pas de Vauxgrisants. On se fiche bien de ce qu'ils peuvent penser, avec leurs superstitions ridicules."

Il lui sourit.
-Déjà, c'est moi qui suis désolé pour ma réaction un peu vive : j'oublie parfois que j'ai été amené très jeune à côtoyer bien des peuples, que ce n'est pas le cas de tout le monde... Alors laissez-moi vous dire que vous faites preuve d'une ouverture d'esprit admirable. Pour le reste, la situation étant quelque peu tendue dans la vallée, vous ne devrez vraiment pas hésiter à me dire si cela devient difficile, pour vous : je ne voudrais certainement pas que vous ayez des ennuis à cause de notre présence.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] La Vallée Fertile