La Couronne de Cuivre

" D'accord, dit-elle. Je comprends mieux. Je vais vous donner l'onguent approprié... Cela va disparaître en un rien de temps."
Elle eut un sourire apaisant.
" Mais vous devriez vraiment éviter de quitter le Festival. A cause de l'affluence, il y a beaucoup plus de créatures dans les environs que d'ordinaire. Certaines doivent quitter le site pour aller se nourrir, et toutes ne sont pas bienveillantes, mais de surcroît... d'autres déplacent leurs terrains de chasse à nos lisières, pour profiter, justement, des promeneurs peu avertis et du fait que, tôt ou tard, les visiteurs doivent repartir."

Il acquiesça, rassuré.
-Merci pour vos conseils. Et croyez bien que je n'avais pas l'intention de les mener hors du festival : simplement, Titus ayant été piégé, nous n'avions d'autre choix que de voler à son secours.
Il sourit.
-Si ça n'est pas grave pour Marius, alors tout s'est bien terminé. D'autant mieux que cette sorcière ne piègera plus jamais personne.

La fée orange acquiesça.
" Je ne connais pas de Dame Perce-Neige, avoua-t-elle. Mais à votre place... je ne me vanterais pas trop d'avoir tué un être féérique alors que vous étiez de passage... même si vos raisons étaient louables et la nécessité guidait votre main... Les gens d'ici, vous le savez, se méfient des visiteurs d'outreplan. Vous êtes un elfe, vous êtes protégé, mais... les récits s'altèrent, la vérité devient légende, et vous êtiez accompagné d'humains. Gardez votre secret, c'est mon conseil. C'est moins risqué."

Nouvel acquiescement.
-Très bien. Cependant, il n'y a pas vraiment de secret, nombre des êtres que la sorcière retenait captifs ayant pu s'échapper. Mais je me fies à vos avis et n'en piperai plus mot.
Il faillit demander, en manière de boutade, s'il devait aussi taire le fait qu'il avait trouvé l'épée légendaire faisant l'objet de la quête annoncée par tout le Festival, mais comme il ne voulait pas passer pour un vantard - ce n'aurait d'ailleurs pas été le but -, il préféra s'abstenir.

" Laissez la légende se faire... Elle aura cours quand vous serez parti, et ce sera mieux." dit-elle en lui tapotant l'épaule.
Elle repartit vers Marius.
" Vous pouvez retourner à l'alcôve... Je vous enverrai l'onguent approprié."
Il ne leur restait plus qu'à remonter. Une fois rendus, ils constatèrent que Victor et Baptiste avaient réussi à mettre Titus à l'eau. Celui-ci, manifestement encore un peu sonné, se laissait baigner comme un bébé, tandis que Victor le savonnait. Baptiste, couvert d'onguent, expliqua qu'il n'avait pas voulu se mouiller, lui, de peur de gaspiller la précieuse mixture.
" Faudrait sûrement que je donne quelques cartes de plus à la fée Mandarine." dit Marius en s'asseyant à table.

-C'est une bonne idée. Sans doute t'en demandera-t-elle de toute façon, puisque nous allons sous peu dépasser la deuxième nuit sous son toit. Mais ce serait très gentil de lui en offrir une ou deux de plus, vu tout ce qu'elle fait pour nous.
Il lui sourit.
-Et je t'offrirai un jeu complet quand nous serons de retour chez nous. Ce ne sera pas grand chose, compte tenu des services que tes cartes nous auront rendus mais... C'est symbolique.

Marius acquiesça. Ils en avaient déjà parlé et il n'avait sûrement pas l'intention que Taliesin oublie ! Victor sortit Titus de l'eau tandis que Baptiste venait se rasseoir.
" Je ne crois pas que Titus va manger. Il risquerait de s'endormir dans son assiette. J'ai de plus en plus l'impression qu'il est beaucoup plus jeune qu'il n'en a l'air... A mon avis, les faunes, ça grandit vite."
Son expression se fit songeuse.
" Tu crois qu'il va être... déçu... vu que ce que la Dame lui avait raconté... C'était des mensonges ?"

-Il risque d'être déçu, oui. Mais tu sais, les meilleurs mensonges sont ceux qui recèlent une part de vérité : il est donc possible que la sorcière n'ait pas totalement affabulé, qu'il y ait vraiment l'opportunité pour lui de trouver une place ici. Je pourrais en toucher un mot au prince, pour être fixé. Nous pourrions, aussi, chercher des faunes au sein du Festival : il doit bien y en avoir quelques-uns.

" Moi je crois qu'il..."
Mais il s'interrompit, jeta un coup d'oeil à Marius qui regardait son pied gonflé, puis eut un sourire forcé. Victor reparut, sans Titus.
" Cette bique s'est rendormie. L'eau chaude, ça aide pas, évidemment ! Bon, on mange ? Je sais que t'as un gros pied, Marius, mais c'est avec ta bouche que tu manges, non ?
— Ouiiiiiii !" s'exclama le gamin.
Tous tournèrent des visages pleins d'espoir vers Taliesin.

L'elfe, l'air désolé, secoua la tête.
-Navré, mais il faut d'abord que je me lave, que je panse mes plaies, que je vérifie lesquels de vos vêtements sont récupérables, que je les raccommode..
Sourire innocent.
-Ou alors je renonce à tout ça et on mange sans tarder..

" On te gardera quelque chose, si tu veux ?" proposa Victor.
Marius avait déjà soulevé le couvercle de la plus grosse casserole, qui s'avéra contenir un bouillon à l'odeur délicieuse. Les autres pots contenaient diverses choses dont on pouvait agrémenter le bouillon : champignons coupés en cubes, légumes verts, rouges, violacés ou jaunes en lamelles, herbes ciselées, blé concassé, fromage, morceaux de viande blanche ou rouge sombre, tout était possible, au goût de chacun. Ce côté anarchique enthousiasma beaucoup les enfants, surtout Baptiste, et ils mangèrent avec appétit et curiosité. C'était simple mais efficace, et il y avait suffisamment d'épices pour que chacun y trouve son bonheur.

Pareil souper réglerait beaucoup de choses, chez eux : cela éviterait les mécontents à coups sûr. Mais cela devait représenter un sacré travail...
En tout cas, il ne se priva pas pour manger avec appétit et pour savourer. En revanche, il fut peu bavard. A présent qu'il n'y avait plus d'urgence, à présent qu'ils étaient tous indemnes et en sécurité, ses pensées le ramenaient invariablement vers l'épée, qu'il avait déposée dans un coin, et surtout vers ce que sa possession impliquait pour lui.
Mais il ne regrettait pas sa décision, quoiqu'elle demeurât tout sauf annodine.

Il n'avait pas ressenti le moindre changement en lui-même, pourtant, hormis ce qu'il savait. Sans doute faudrait-il attendre le retour sur Toril et une nouvelle rencontre avec le fantôme de son précédent propriétaire.
" Bon mais on va s'installer pour dormir... pendant que tu te laves, tout ça... et puis tu vas nous raconter les aventures de la vieille épée rouillée du rocher, non ? dit Victor.
— Est-ce qu'on doit garder quelque chose pour Titus ? Au cas où il s'éveille pendant la nuit avec une petite fringale ?
— Moi j'aimerais mieux une histoire de Gérard de Berge, franchement. Tu avais promis. Je n'ai pas oublié."

Le barde eut un sourire espiègle.
-Va pour l'histoire de Gerard de Berge. De toute façon, le peu qu'il y a à dire au sujet de l'épée, Victor l'a déjà résumé : elle est moche et rouillée. Bon, je pourrais mentionner qu'elle est intelligente, qu'elle a appartenu à un prince légendaire et que le fantôme de celui-ci m'enseignera moult secrets sitôt que nous serons rentrés dans notre monde mais... c'est du détail. Non, vraiment, il faut se fier à son apparence actuelle.
Il se leva.
-Allez, au lit : j'irai à la salle d'eau quand j'en aurai terminé avec vous. Laissez-moi juste le temps de mettre un petit quelque chose de côté pour Titus.

" Intelligente ? Comment intelligente ?
— Comme Rumoc ? demanda Victor. Trop cool ! Une épée qui dit des bêtises ! Formidable ! Ça t'ira bien, tiens.
— C'est qui, Rumoc ?
— C'est une ceinture.
— Tu donnes des noms à tes ceintures, toi ?
— Mais non ! Rumoc c'était la ceinture qui parle de Mersant.
— Oh non, pas encore les aventures de Mersant, pitié.
— Ben quoi. T'es juste jaloux. Et moi je suis jaloux de Taliesin. En fait non. Cette épée est trop moche. Moi je préfère une épée bête mais belle.
— T'es taillé pour être un Sunite, toi.
— Ah ben merci. Je vais prendre ça comme un compliment."
Marius regarda Taliesin avec un air désespéré qui voulait dire : sauve-moi, maintenant, vite !

Il prit un air pensif.
-Demain, l'un d'entre vous devra se produire sur scène. Il devra donner un spectacle que j'annoncerai préalablement par tout le festival, afin de rameuter le plus de spectateur possible. Et celui d'entre vous qui se verra confier cette quête...
Courte pause.
-Ce sera celui qui aura été le dernier au lit.

En un éclair, ils étaient tous trois sous leurs couvertures, et dans la paille.
" Gérard ! Gérard ! Gérard !" scanda Marius.
Baptiste fit la grimace.
" Il faudra quand même qu'on éclaircisse cette histoire d'épée magique.
— Qui appartenait à un prince fantôme, oui oui. Allez, Gérard !"

-Rassure-toi, Baptiste : je te raconterai tout à son sujet... en privé. Quant à toi, Victor, souviens-toi de ton manque d'intérêt la concernant. Souviens-toi en bien. Et un jour, nous en rediscuterons.
Et, sur un large sourire entendu, il débuta un récit dans lequel Gérard de Berge venait à bout des Moires, d'horribles sorcières mangeuses d'enfant qui regrettèrent amèrement d'avoir croisé sa route.

Seul Marius resta éveillé jusqu'au bout. Baptiste craqua avant même la victoire de Gérard et Victor juste après. Quand Taliesin atteignit le terme de son récit, les yeux du dernier larron étaient encore ouverts, fascinés.
" Une autre !Une autre ! scanda-t-il, avant de réaliser qu'il était le dernier éveillé. Ah non, peut-être pas..."
Il sourit.
" C'était trop bien ! Ça va me manquer, les histoires de Gérard, quand vous serez partis. Je devrais peut-être demander à Baptiste de me les écrire, comme ça, quand je saurai lire, un jour, je pourrai les relire avant d'aller dormir."

Taliesin ne s'était attendu ni à ce que Marius soit encore éveillé, ni à ce qu'il tienne pareil discours. Il fallait croire qu'il commençait à se sentir à l'aise, avec eux. A se sentir bien.
-Ravi que ça te plaise autant, répondit-il doucement. Et dis-toi que tu en entendras encore d'autres, avant que tout ça ne soit terminé. Quant à après... Bah, tu sauras où nous trouver.
Quelle tête ferait Galathée, si elle le voyait revenir avec deux fois plus de mômes qu'il n'était parti ? Dire qu'ils avaient envisagé de déménager pour avoir une vie de famille un peu plus classique... D'un autre côté, il n'était pas allé les chercher : ils étaient en quelque sorte venus à lui. Et que pouvait-il faire d'autre que de continuer à veiller sur eux, s'il ne trouvait pas de meilleure solution ? Les laisser livrés à leur sort serait juste... inhumain.
Enfin, inutile de trop s'inquiéter : les choses se passeraient comme elles devaient se passer et ils parviendraient toujours à se débrouiller.

" Oui, c'est vrai." dit le gamin, philosophe, avant de s'ensevelir à son tour sous la paille.
Un peu après le début de l'histoire, les serviteurs ailés étaient venus rechercher la table et les reliefs du repas, et avaient apporté l'onguent approprié. La cheville de l'enfant avait repris un aspect normal après le traitement. Le barde avait donc le loisir, désormais, de prendre un peu de temps pour lui. Même s'il faisait sombre dans l'alcôve, ses yeux d'elfe lui permettaient de vaquer normalement à ses occupations.

Il commença par prendre un bon - et long bain bien chaud, plaisir qui ne lui avait plus été accordé depuis... Depuis longtemps. Il s'efforça ensuite de soigner les plaies qui le méritaient, qu'il en ait écopé face aux plantes ou lors de son duel contre dame Perce-Neige. Enfin, il s'emmitoufla dans une couverture et entra en rêverie. Ainsi, au cas où Titus ou un autre gosse se réveille subitement et ait besoin de lui, il serait prêt. Mais, en son for intérieur, il aspirait à une nuit calme et reposante.

En fait, il réalisa bientôt que Marius ne dormait pas. Caché dans la paille, il se déplaçait comme une sorte de taupe, de gauche à droite et de droite à gauche, sans réellement faire de bruit, mais très clairement réveillé. Taliesin pouvait l'ignorer et entrer en Rêverie... ou bien l'interrompre dans sa session de ramping nocturne.

Compte tenu de ce qui s'était passé au cours de la journée ainsi que des blessures inquiétantes dont il avait écopé, il préféra ne pas prendre de risques.
-Marius, tu as besoin de quelque chose ? demanda-t-il doucement.
Il hésita puis ajouta :
-Je ne te gronde pas, hein... Si tu m'assures que tout va bien, je te fiche la paix.

Marius émergea de sa paille.
" Je sais pas, j'arrive pas à dormir." dit-il.
Il haussa les épaules.
" Je sais pas... J'y arrive pas... Je me sens... nerveux... mais je sais pas pourquoi"

Taliesin pinça les lèvres : il espérait que ce ne soit pas là une conséquence de la morsure... Mais puisque la fée avait dit que tout irait bien de ce côté là...
-Tu peux reprendre un bain, si tu veux : l'eau chaude, ça détend, murmura-t-il. Sinon, ma foi, nous pouvons bavarder, si cela te dit.

" Je vais essayer."
Il retourna donc dans le bassin, sans rideau cette fois, sans doute convaincu que Taliesin se montrerait respectueux de son intimité. L'elfe put donc rejoindre sa Rêverie... pour être interrompu une dizaine de minutes plus tard par un Marius toujours aussi éveillé.
" Je me sens toujours pas fatigué. J'aimerais bien sortir. Allez courir ou quelque chose comme ça. Je peux ? Je promets que je quitterai pas le festival !"

Était-il en train de se métamorphoser en loup ayant besoin de courir à la lune ?
-Je ne préfère pas te laisser seul : non pas que je doute que tu tiennes parole, mais tu as vu ce qu'il est arrivé, avec les cailloux, qui ont ensorcelé le pourtent prudent Titus...
Il se leva.
-Je vais t'accompagner à l'entrée de la grotte : tu pourras t'y défouler un moment.
Et il verrait bien si quelque chose clochait.

Marius lui sourit et fila vers la sortie. Une fois à l'extérieur, il se mit à courir et à sauter comme n'importe quel môme, sans que rien de spécial ne se produisit. Il se faufila entre les promeneurs, escalada la grotte et ses racines, redescendit, passa en galopant devant Taliesin, tout ça sans manifester la moindre fatigue.
" J'ai toujours pas envie de dormir, mais j'ai faim." remarqua-t-il finalement en souriant au barde, patient, qui l'avait attendu jusque là.

Une faim... de loup ?
-J'imagine qu'on pourra te servir quelque chose à l'auberge. Viens.
Sans doute pourrait-il en profiter pour demander à la fée s'il s'agissait là d'effets secondaires et s'il fallait ou non s'en inquiéter.

La Couronne de Cuivre

[Quête] Escapade en Féérie