La Couronne de Cuivre

Amélie hocha la tête.

"J'ai l'idée d'une fresque qui représenterait chacun des Arts. J'ai déjà fait quelques esquisses mais je les ai laissées à Manost. Pour le moment, je cherche des modèles. Pour les couleurs, je verrai plus tard. J'aimerais bien aussi incorporer dans le vitrail certains objets en relief."

Son père sourit et son regard se perdit un peu dans le vague. Amélie le connaissait assez intimement pour savoir qu’il imaginait à quoi pourrait ressembler l’œuvre de sa fille et qu’il verrait juste, au moins en partie. Mais sa curiosité était maintenant piquée et il l’assaillit de questions : avait-elle déjà trouvé certains modèles ? Voulaient-elles se limiter aux arts classiques ? Cherchait-elle un mécène ou un client – lui en connaissait plusieurs à Cojum qui seraient éminemment intéressés - ?

Il était également impressionné qu’elle se lance dans une opération aussi délicate que la confection de reliefs mais il la croyait plus que capable d’y parvenir : sa confiance était totale, autant guidée par la fierté paternelle que par les années de pratique qu’ils avaient en commun.

Amélie, galvanisée par sa confiance lui raconta tout. Non, elle n'avait pas encore de mécène et ne pensait pas en trouver à Manost. Elle pensait de plus en plus à Luménis, la ville lumière de l'autre coté des mers. La cité était entre autres choses la partie des arts. Le voyage ne l'effrayait pas. Elle conclut avec un grand sourire.

"Mais pour le moment, je prends le temps de rester auprès de ceux que j'aime. C'est avant tout avec eux que je trouve mon inspiration."

Son père et Marvin virent dans ses yeux brillants à quel point elle était sincère.

Sa déclaration provoqua bien évidemment de nouvelles effusions et embrassades mais Amélie nota tout de même que son père avait froncé les sourcils d'inquiétude : sans doute craignait-il que sa fille ne s'éloigne encore de lui alors qu'il la voyait déjà si peu. Il n'en dit rien cependant et c'est lui qui les invita, Marvin et elle, à le suivre jusqu'à l'étage où la mère d'Amélie devait être affairée aux fourneaux sans se douter de la visite qui l'attendait.

L'inquiétude de son père n'échappa pas à Amélie qui se sentit soudain très maladroite d'annoncer ainsi un prochain départ alors qu'elle arrivait juste. Elle se promit de ne plus en faire mention pour ne pas remuer le couteau dans la plaie.

Voyant sa mère de dos, elle eut un léger sourire et fit signe aux deux hommes de garder le silence. Elle se rapprocha à pas feutrés et se penchant à coté d'elle comme pour contempler le fourneau attendit qu'elle remarque sa présence en étouffant un rire.

Dès qu'elle remarqua une présence juste à côté d'elle, la mère d'Amélie fit un bond spectaculaire et poussa un cri de surprise. Mais elle se reprit bien vite en reconnaissant la farceuse :

- Amélie !? Ça pour une surprise ! Tu es là depuis longtemps ?

Son visage reflétait maintenant la même joie de la revoir qu'avait manifesté son père un peu plus tôt.

Amélie eut un sourire, ravie de sa surprise. Elle passa son bras autour des épaules de sa mère ce qu'elle arrivait à faire depuis qu'elle avait treize ans à sa grande satisfaction - elle avait grandi d'un coup et avait été très heureuse de voir qu'elle l'avait dépassée avant de lui répondre.

"Nous venons d'arriver en ville. Ensuite, nous allons à Clairecombe dans la famille de Marvin."

Sa mère échangea un regard complice avec Amélie avant d’adresser un sourire amusé à Marvin et de lui dire d’un ton un brin provocateur :

- Ce n’est pas trop tôt, jeune homme ! La patience est une vertu sauf quand on fait attendre une femme. Et en parlant de ça, il y a des légumes à éplucher pour le déjeuner, là, sur la table !

Avant même de réfléchir – et sans doute pour masquer son teint qui avait viré au rouge – le jeune homme s’exécutait et la mère d’Amélie souffla à cette dernière d’un ton triomphant :

- Tu vois, c’est comme ça qu’il faut traiter avec les garçons !

Quelques secondes, Amélie regarda sa mère abasourdie avant de s'exclamer.

"Maman, ça ne se fait pas ! Que dirais-tu si l'on me traitait pareil ? C'est ... Non, les garçons ça ne s'exploite pas comme ça."

Elle s'assit à coté de son ami et se saisit du couteau à sa place.

"Ne te laisse pas traumatiser.", lui glissa-t-elle avec un sourire.

Malo échangea un sourire apaisé avec sa compagne et se défendit à mi-mots, arguant que cela ne le gênait pas du tout de rendre service. Du reste, il était plutôt efficace dans cette tâche manuelle, sans doute un effet secondaire des jours entiers passés à préparer les ingrédients de ses décoctions et de ses expériences. Nullement gênée par la réaction de sa fille, la mère d'Amélie vint les rejoindre pour préparer la viande qui serait servie au déjeuner. Ce serait vraisemblablement un vrai petit festin pour fêter ces retrouvailles !

Amélie donna un coup de main à sa mère et Marvin. A un moment, elle attrapa deux carottes et se mit à jongler avec. Si elle suspendit rapidement cette facétie pour ne pas s'attirer une réprimande maternelle, cela ne l'empêcha pas d'avoir un sourire ravi en se remettant à éplucher comme si de rien n'était.

Puis discrètement, elle caressa le tibia de Marvin du bout du pied, l'amusement au bord des yeux.

Marvin était concentré, comme à chaque fois qu'il s'essayait à une tâche manuelle, mais il n'avait pour autant pas manqué les quelques secondes de récital de sa compagne. Et il était toujours autant admiratif de son habileté, à moins qu'il ne s'agisse de son audace. Mais il ne s'était pas attendu au geste discret d'Amélie et il se mit aussitôt à rougir, ce qui était très visible étant donné sa carnation naturelle !

Amélie comprit qu'elle y était allée un peu fort et rougit à son tour. Pire encore, elle eut un hoquet, puis un deuxième ... Elle eut un petit sourire penaud en direction de Marvin et rangea ses pieds sagement sous sa chaise comme si de rien n'était en espérant que sa mère ne se serait pas rendue compte de l'incident. Et surtout, qu'elle ne dise rien si elle en avait été témoin.

Elle se dépêcha donc d'éplucher ses légumes comme si de rien n'était.

Un coup d'œil jeté en douce en direction de sa mère apprit à Amélie qu'elle lui renvoyait un petit sourire amusé mais il n'était pas tout à fait certain qu'il soit lié à ce qui venait de se produire mais plutôt à l'image de petit coupe que la jeune femme renvoyait en compagnie de Marvin. Le jeune homme était très appliqué et plutôt efficace à en juger par le petit tas de cucurbitacées découpées impeccablement devant lui.

La mère d'Amélie préleva la récolte et le remercia chaleureusement en insistant sur le fait qu'elle adorerait disposer plus souvent de tels aides dans sa cuisine. Elle battit ensuite en retraite vers ses fourneaux tout en sifflotant gaiement, laissant ainsi l'opportunité aux jeunes gens de se remettre de leurs émotions.

Le hoquet d'Amélie cessa presque instantanément et elle offrit à Marvin un nouveau sourire. Il était indéniable qu'elle se sentait bien avec lui, mieux qu'elle ne se sentirait jamais avec quiconque. Un instant, elle songea à laisser de coté ses aspirations bardiques et installer leur amour à l'abri de son atelier et de sa tour de mage. Même si elle savait que cette vie ne lui conviendrait pas vraiment, qu'elle serait sûrement incomplète.

En attendant, elle savourait chaque minutes passées en sa présence. Dès que sa mère eut tourné les talons, elle embrassa son ami sur la joue.

Marvin ne put s'empêcher de regarder un petit regard nerveux vers la mère d'Amélie avant de sourire de cette gentille attention. La jeune femme savait qu'il n'était pas adepte des grandes démonstrations en public : il se réservait pour leurs instants privés. Mais au moins n'avait-il pas bondi de sa chaise comme il l'aurait fait encore quelques mois plus tôt. Toujours de dos, la mère d'Amélie les interrogea tout en mettant un plat à chauffer :

- Alors, les enfants, vous pensez rester un peu ou repartir juste après le déjeuner ?

C'est Amélie qui répondit.

"Je pense que nous ne partirons pas très longtemps après le déjeuner. Nous aurons encore un peu de route à faire. Par contre, je compte bien rester un peu avec vous au retour avant de retourner à Manost. Du moins si vous acceptez que je vous embête un peu."

Si le début de la réponse d’Amélie avait quelque peu déçu ses parents, la suite avait tôt fait de le redonner un sourire radieux et c’est son père qui réagit le premier :

- Ne dis pas de bêtises ! Tu peux rester autant que tu veux à la maison. Peut-être que tu pourrais m’accompagner pour l’inauguration du vitrail : c'est prévu pour dans quinze jours si tout va bien…

Cette perspective semblait lui tenir beaucoup à cœur en tous cas.

Quelque part, Amélie se sentit rassurée. Comme à chaque fois qu'elle s'éloignait de ses parents ou de ses proches, elle avait la fugitive impression qu'ils pourraient se détacher d'elle. Elle n'avait parlé à personne de cette angoisse quelque peu farfelue. Pas même à Marvin. Peut-être parce qu'elle la savait elle-même absurde. Ou peut-être cela venait-il de "l'abandon" de Léonard. Elle n'aurait su le dire. Elle sourit de nouveau.

"J'en serais honorée. Même, je ne manquerais cela pour rien au monde. Est-ce que tu voudras venir avec moi, Marvin ?"

Elle voulait aussi montrer à son compagnon qu'il faisait partie de la famille en quelque sorte.

Marvin lui adressa un sourire rayonnant sans plus éprouver de gêne de se retrouver en compagnie de ses parents. Il répliqua aussitôt avec enthousiasme et sa réponse fit visiblement plaisir au père d'Amélie, confirmant son affection pour le jeune homme :

- Evidemment que je viendrai : on est sur place et ça me ferait vraiment plaisir !

Amélie eut un petit sourire. Si ses parents n'avaient pas été là, elle aurait volontiers embrassé Marvin mais elle connaissait la pudeur de son ami. Aussi décida-t-elle de garder les démonstrations d'affection pour plus tard.

Sans en avoir l'air, elle commença à penser que dans peu de temps elle rencontrerait les parents de Marvin. Et cela l'inquiétait un peu.

Le temps filait effectivement, la rapprochant du moment plein d'inconnues où elle découvrirait enfin où son compagnon avait passé son enfance, où elle rencontrerait ses parents pour la toute première fois. Le repas s'avéra délicieux mais il était sans doute difficile de l'apprécier à sa juste valeur et de vraiment s'impliquer dans les conversations anodines qui s'égrenèrent. Bientôt vint le dessert et la fameuse tarte. Avec un peu de thé qu'Amélie avait appris à tant apprécier. Mais elle savait que le moment du départ serait juste pour après. A côté d'elle, Marvin semblait serein et n'avoir pas vraiment remarqué son trouble.

Amélie ne dit rien de son inquiétude et fit tout pour qu'elle passe inaperçue. Elle savoura le thé, accepta de chanter une balade qu'elle avait écrite depuis peu. L'heure du départ approchait. Elle aimait Marvin plus que tout et elle voulait que cette première rencontre avec sa famille se passe le mieux possible.

Car rencontrer ses parents, c'était indéniablement s'engager un peu plus. Et elle était certaine que son ami ne l'ignorait pas.

L’heure de se mettre en mouvement finit par arriver surtout si Amélie voulait se donner le temps de préparer la surprise qu’elle avait imaginée pour la mère de Marvin : les deux jeunes gens devaient arriver avant la nuit tombée. Cela signifiait partir dans l’heure car le domaine des Claire Combe était à plusieurs lieues de la ville, presque au pied des premiers contreforts des montagnes.

Les au-revoir avec sa famille furent teintés de tristesse de voir les deux jeunes gens partir aussi rapidement mais avant tout chaleureux : après tout, ils allaient revenir très bientôt ! Marvin se montra visiblement impatient et un peu nerveux mais il déployait pour autant des efforts pour se montrer attentionné à l’égard d’Amélie.

HRP : je te laisse résumer ce que fait ton personnage jusqu’au moment de la sortie de la ville.

Après le dîner, Amélie alla dans l'atelier pour façonner la rose qu'elle destinait à la mère de Marvin. Elle souffla délicatement le verre et se rendit compte avec plaisir qu'elle avait gagné en technique auprès du maître-verrier manostien. Travailler en valait la peine. Elle replia, façonna délicatement la mince surface polie et légèrement teintée d'un rouge subtil.

Puis, satisfaite de son travail, elle l'enroula dans un tissus et la glissa dans ses bagages. Puis elle embrassa ses parents, leur promettant de les revoir bientôt. L'heure du départ s'annonçait, et elle se sentait prête.

Pendant son travail, Marvin s'était occupé de leur louer deux chevaux pour raccourcir leur voyage vers leur destination. Il revint suffisamment tôt pour voir sa compagne finir son travail de précision et fut le premier à admirer le cadeau qu'il destinait à sa mère. Après l'avoir chaleureusement félicitée et salué ses parents, les deux jeunes gens purent se mettre en route et rapidement franchir les portes de la ville sans formalités. Une fois sur la route, le mage mit sa monture à côté de celle d'Amélie et lui sourit même s'il ne semblait pas tout à fait à son aise sur le dos d'un cheval.

Amélie n'était pas non plus experte dans l'art de chevaucher. Elle avait quelques rûdiments, assez pour tenir en selle. Elle resta tout près de Marvin, attentive à son anxiété, prête à intervenir au moindre soucis.

Et si elle lui souriait dès que leurs regards se croisaient, elle avait du mal à dissimuler son angoisse.

A mesure qu’ils progressaient, le jeune homme regagna en assurance : que ce soit parce qu’il se réhabituait à monter ou plutôt qu’il retrouvait ses marques dans ce paysage qui lui devenait de plus en plus familier à mesure que les montagnes se rapprochaient. Il avait assez repris confiance pour tenter de détendre l’atmosphère en affirmant d’un ton léger :

- Je ne sais pas comment fait Chandara pour apprécier de passer son temps sur une selle ! Je crois qu’il va me falloir un baume ce soir…

Autour d’eux, le paysage se muait peu à peu en une lande parsemée de rochers et de massifs de plantes basses mais colorées. Se perdant un peu dans la contemplation du décor, Marvin ajouta d’un ton plus songeur.

- Quand je pense que Cojum nous semblait se trouver à l’autre bout du monde quand nous étions enfants…

Amélie resta perdue dans la contemplation du paysage. Toutes ces couleurs, toutes cette vie oscillant sous le vent. Tout avait un aspect poétique et enchanteur à la fois pour le maître-verrier et barde qu'elle était. Elle aurait pu rester une éternité pour le contempler. Cette fois, ils n'avaient pas tout le temps devant eux mais peut-être qu'au retour auraient-ils l'occasion de s'asseoir dans l'herbe et d'observer la course des nuages.

Elle sourit à Marvin avant de déclarer.

"Je suis contente d'explorer le bout du monde avec toi, alors."

Le jeune homme lui retourna un sourire charmeur mais sincère à la fois :

- Je serai parti l'explorer plus tôt si j'avais su qui j'y rencontrerais !

Devant eux, à la faveur d'un détour du sentier, la silhouette imposante d'un pic montagneux s'imposa à l'horizon tandis que de multiples collines verdoyantes s'étalaient en formant des plis. Si le vent ne soufflait pas doucement, porteur de parfums de garrigue, Amélie aurait pu se trouver devant une œuvre d'art tant le tableau semblait bucolique.

HRP : je te laisse poster là bas !

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Cojum