La Couronne de Cuivre

-Merci. C'est gentil de votre part.
Il hésita puis décida de me lancer.
-Ça me fait plaisir de vous revoir, Deverell. Vraiment. Pour autant, je comprends parfaitement votre malaise. Alors ne soyez pas embarrassé et n'hésitez pas à retourner sans tarder à vos activités si c'est ce que vous préférez. Comme je l'ai dit... Je comprends parfaitement.
Et c'était le cas.

Le paladin s'empourpra brusquement.
" Je... hum... ne voulais pas vous manquer de respect, dit-il, embarrassé. Je vous suis... très reconnaissant pour ce que vous avez fait pour moi."
Il se tourna vers le corps de logis.
" Jeanne est de retour. Vous êtes sûrement attendu."

-Vous ne m'avez nullement manqué de respect, répondit-il doucement. Nous nous sommes connus dans des circonstances pénibles que vous préféreriez oublier et me revoir les ramène à la surface... Alors surtout, ne vous mettez pas martel en tête. Quand je dis que je vous comprends, c'est la pure vérité.
Il lui désia un sourire chaleureux.
-Merci beaucoup pour votre aide. Je vous souhaite une xxcellente journée.
Et il se dirigea vers la dénommée Jeanne, espérant que son départ mettrait un terme au malaise du paladin.

Le paladin ne dit rien et resta en arrière, tandis que Taliesin rejoignait Jeanne. Celle-ci le dévisagea, puis regarda vers Deverell, puis vers Taliesin à nouveau, avec une grimace. Puis elle retrouva son expression coutumière, c'est à dire une moue peu impressionnée, haussa les épaules et retourna vers l'intérieur.
" Sire Armand va vous recevoir." dit-elle une fois dans le bâtiment.
Il y faisait très agréablement frais. Elle le précéda dans le couloir, jusqu'à une porte, à laquelle elle frappa deux coups, avant d'ouvrir. Elle jeta un regard curieux à Taliesin, les yeux rétrécis, comme si elle essayait de lui faire passer un message, puis s'écarta pour qu'il puisse entrer.
La pièce était claire, aérée, il y faisait bon. Armand de Faisanlys, le commandant de l'Ordre de l'Aster à Luménis, était un homme dans la soixantaine, les cheveux gris fer, qui respirait la bonne santé. Portant une barbe et une moustache bien taillées, il avait un regard direct, très franc, et même s'il ne portait pas d'armure mais un pourpoint de toile bleue, on l'imaginait sans mal à cheval, au sein d'une mêlée.
" Maître Taliesin, bienvenue en nos murs." annonça-t-il à l'entrée du barde, avant de lui tendre une main ferme.

Taliesin avait songé à s'incliner, comme aurait pu l'exiger l'étiquette face à si haut dignitaire. Toutefois, puisque le commandant ne semblait attendre aucun cérémonial particulier, il s'en abstint et, quoique respectueux, serra simplement la main tendue.
-Bonjour messire. Et merci beaucoup de me recevoir aussi vite, alors que je débarque ainsi, à l'improviste...
Il avait eu de la chance, pour le coup.

" C'est mon rôle, de recevoir les visiteurs tandis que mes preux s'agitent ici ou là, dit le commandant avec un léger sourire. Mais asseyez-vous, je vous en prie."
Il désigna un fauteuil devant la fenêtre, à côté d'une table basse sur laquelle on avait disposé des rafraichissements, apparemment une sorte de citronnade, appropriée vu l'heure et la saison.
" Je déduis de votre présence que vous avez eu le message de Jacob."

-Oui... répondit-il tout en s'installant. J'étais malheureusement en voyage dans le nord, lorsqu'il m'a écrit, et je suis rentré seulement hier soir. J'espère que mon absence n'aura pas causé... de complications quant à l'affaire dont il souhaitait m'entretenir.
Affaire dont il n'allait pas tarder à connaître la nature.

" De complications, non... Pas réellement."
Il parut un instant embarrassé, puis poussa un bref soupir.
" Cela concerne, vous vous en doutez, le jeune Baptiste. Je suppose que les choses se passent bien, chez vous ? J'imagine que vous nous auriez prévenu dans le cas contraire... ou il se serait manifesté."

Il acquiesça.
-En effet. Comme je souhaite le meilleur pour lui, et comme je sais que vous vous préoccupez de lui, je n'aurais pas manqué de vous informer. Ou de l'encourager à venir le faire lui-même. Mais cela se passe bien : il a trouvé ses marques, il a gagné en assurance, il commence à s'affirmer à nouveau... Non, aucun souci, vraiment.
Mais il pressentait que cela n'allait pas durer.
-Puis-je demander... Ce qu'il se passe ?

" Son père s'est manifesté." dit simplement Armand.
Il leva les yeux et croisa le regard de l'elfe.
" Et veut le récupérer, je le crains."

-Oh...
Et d'abord, il ne sut quoi répondre.
Puis il eut un élan de colère qu'il dompta toutefois aussitôt.
-Je vais l'en informer. S'il souhaite aller vivre avec lui, il aura ma bénédiction. S'il souhaite demeurer avec nous, je prendrai contact avec mon avocat pour voir quels sont nos recours légaux. J'imagine qu'en un pays tel qu'Helonna, on ne peut pas abandonner un enfant des années durant puis revenir tout à coup et l'arracher aux gens qui ont veillé sur lui.
C'était à espérer, en tout cas.

Armand pinça les lèvres.
" Malheureusement, en Hélonna, les droits des parents biologiques sont extrêmement bien protégés... C'est lié à l'histoire de l'île, à la manière dont certaines corporations, comme l'armée, les temples ou les artisans, recrutaient autrefois... Je pense que, oui, vous feriez éventuellement bien d'en parler à un avocat. Mais cela dit, je ne suis pas certain que légalement parlant, vous ayez beaucoup de chances. La... discussion est peut-être plus indiquée. "

-Encore faut-il que ce monsieur soit prêt à discuter.
Il fronça les sourcils.
-Est-on bien sûr qu'il s'agisse du père de Baptiste, déjà ?
Pour le reste, légal ou non, peu lui importaient la nature des solutions : si le gosse voulait rester avec eux, il resterait avec eux, quitte à ce qu'ils déménagent tous de l'autre côté du détroit ou... de l'océan.

" Il est en possession de nombreuses lettres que lui a envoyé Filippa, dans lesquelles elle parle de l'enfant... et il correspond à ce que nous savions de lui... Peu de choses, mais suffisamment. Il n'a pas vraiment de raison de mentir... Ce n'est pas comme si le garçon était un riche héritier dont on pourrait convoiter les biens. En l'occurrence, c'est plutôt le contraire."
Armand soupira.
" Je suis conscient que c'est une mauvaise nouvelle... que vous vous êtes probablement attaché au garçon mais... c'est quelque chose qui pouvait arriver."

Il ravala la prime réponse qu'il avait été à deux doigts de lâcher et garda plutôt le silence une bonne minute.
-Seul m'importe l'intérêt de Baptiste. S'il souhaite aller vivre avec son père, il en sera ainsi et je ferai tout mon possible pour faciliter les choses, rendre la transition plus douce.
S'il ne voulait pas aller vivre avec lui, en revanche... Eh bien, peu importe que ce type soit riche, protégé par la loi ou que savait-il encore : Baptiste n'irait pas vivre avec lui.
Mais c'était le genre de choses qu'on ne pouvait dire à un paladin.

L'expression d'Armand indiquait qu'il n'était pas dupe, mais il ne chercha pas à pousser Taliesin à la faute.
" Je vous serais gré d'aborder la question avec lui rapidement. Je peux vous fournir les coordonnées de son père... ou organiser une première rencontre moi-même. Il n'y a pas de complications... mais il commence à y avoir une légère urgence. J'ai pris sur moi de ne pas révéler l'endroit où il se trouvait, mais il serait fâcheux que les autorités soient avisées d'un manque de collaboration de notre part."

-J'en discuterai avec Baptiste dès ce soir, mais peut-être voudra--il quelque jours de réflexion : il se peut qu'il soit ravi à l'idée de retrouver son père, ou qu'il vive mal le fait que celui-ci se manifeste après s'être totalement désintéressé de lui durant tant d'années. Pour le reste, j'aimerais disposer de son nom et de ses coordonnées, pour savoir... de quel genre de personne il s'agit. Mais, et à moins que Baptiste ne souhaite le contraire, je pense qu'il serait mieux que la première rencontre ait lieu en terrain neutre.

" C'est ce que je pense aussi, dit Armand. Je doute cependant que la commanderie puisse être considérée comme un terrain neutre par Baptiste, vu les souvenirs qui y sont rattachés. Mais peut-être aura-t-il une suggestion..."
Armand se leva et alla jusqu'à son bureau, dont il ouvrit le tiroir. Il en sortit un document.
" Le père de Baptiste se nomme Maurin d'Averlande. C'est un domaine qui se trouve au nord-ouest de Rohan, à l'écart de la route qui mène à Eredhun. La raison pour laquelle il se manifeste aujourd'hui est, très simplement, le décès de son épouse légitime et, probablement, son absence d'héritier... Il est passé à Luménis à la mi-Flammerige."

-Merci pour ces informations.
L'attitude de l'homme pouvait s'expliquer, voire se comprendre.
Mais cela ne rendait pas les choses moins douloureuses.
Mais cela n'empêcherait pas Taliesin de tenter de prendre contact avec Kerun, au cas où celui-ci puisse se renseigner sur cet individu, vérifier qu'il s'agissait de quelqu'un de bien et, surtout, ayant du sang elfe dans les veines, puisque c'était de lui que Baptiste tenait cette particularité.

Armand lui tendit le document, sur lequel le patronyme dudit Maurin avait été tracé d'une plume élégante. L'adresse du domaine d'Averlande était bien sûr peu précise, mais on avait tracé un semblant de carte, à partir de la route de Rohan à Eredhun, aussi était-il possible de se rendre au lieu-dit sans difficultés.
" Essayez de convaincre le garçon d'accepter au moins une première rencontre. S'il ne le fait pas, il risque d'y avoir un soupçon de manipulation de votre part. Je le dis d'expérience : nous avons eu plusieurs cas de ce genre, à la commanderie, avec des parents qui voulaient récupérer un novice... et les tribunaux considèrent généralement que les enfants ne sont pas aptes à prendre ce type de décisions."

-C'est bon à savoir. Mais je pense que j'aurais de toute façon agi ainsi : comment pourrait-il savoir s'il veut ou non vivre avec lui, s'il ne l'a jamais rencontré ? Et puis, cela reste son père biologique. Un père qu'il a longtemps rêvé de retrouver...
Il poussa un profond soupir.
-Tout cela risque d'être terriblement douloureux : j'ai sauvé Baptiste des griffes des Bainites et aujourd'hui, c'est l'un de mes enfants, au même titre que ceux issus de mon sang. Pour autant, j'agirai en ayant à l'esprit son seul intérêt, son seul bien-être : c'est ainsi qu'on se doit d'agir, quand on aime vraiment quelqu'un.
Et le pire, c'est qu'aussi violente cette épreuve soit-elle, il faudrait le cacher, pour que le gosse ne se sente pas tiraillé, pris en otage, pour qu'il puisse vraiment choisir ce qu'il souhaitait.

" Je comprends, et j'en suis désolé. Je n'ai pas imaginé que ce jour viendrait, lorsque j'ai appris que vous aviez ramené Baptiste de Mélandis. Mais dans les faits, nous avons été imprudents, vous et moi. J'aurais dû faire rechercher plus activement le père... mais je dois avouer que cela pousse mes prérogatives un peu à leurs limites, et les préoccupations de l'ordre, ces dernières années, ont été tout autres."
Son expression se fit plus sérieuse.
" Je vous conseille quand même de consulter un avocat... Ne fut-ce que préventivement."

-Je compte y aller directement après vous avoir quitté. Je ne veux pas d'emblée me placer dans une optique de conflit, parce que cela pourrait aller à l'encontre des intérêts de Baptiste, mais... Oui, je préfère pallier a toute éventualités.
Pour le reste, il n'estimait pas avoir été imprudent. Il l'aurait été si le père de Baptiste l'avait contacté par le passé, fut-ce en secret. Mais là... Non, les torts étaient du côté de ce dernier.

HRP : Il n'y a pas eu d'adoption formelle de Baptiste, si ? Je ne me souviens plus...

" C'est sage." dit sobrement le paladin.
Il reposa son verre, se leva et alla jusqu'à la fenêtre.
" Je ne pense pas que Baptiste voudra que la commanderie se mêle davantage de cette affaire. Mais je vous serai gré de nous garder informés de la suite de cette affaire. J'ai, moi aussi, les intérêts du garçon à coeur."

HRP : Non, il n'y a pas eu d'adoption pour Baptiste. En fait, la seule adoption, c'est Galathée vis-à-vis de Victor.

-Ah, je pensais que c'est vous qui organiseriez la rencontre... Mais je comprends. Et j'imagine que mon avocat pourra s'en charger. Pour le reste, soyez sûr que je ne manquerai pas de vous tenir informé de l'évolution de la situation.
Il se leva, songea à prendre congé de lui-même, préféra finalement attendre qu'on lui donne congé.

" Si vous le désirez, je suis prêt à m'en charger... J'avais cru comprendre que vous préfériez vous en occuper, dit Armand. Cependant, quoi que vous décidiez, je vous déconseille de mentionner l'avocat d'emblée... Vous risquez de... mettre une tension là où il n'en existe pas encore. Messire d'Averlande pourrait être surpris de la démarche et réagir en se braquant. Je pense que vous gagnez davantage à montrer patte blanche pour commencer... Mais c'est bien sûr à vous d'en juger."

-Mais organiser moi-même toutes ces démarches et, en gros, la perte de mon fils, pouvez-vous imaginer à quel point cela va être douloureux ? De surcroit, à moins d'être totalement inhumain, cet homme doit se douter que sa démarche fera du mal à ceux qui ont veillé sur Baptiste...
Il secoua la tête, prit une profoonde inspiration.
-Veuillez m'excuser pour ma réaction. Et merci pour votre conseil. J'imagine que je lui écrirai moi-même, oui. Ce sera une bonne façon de voir de quel genre de personne il s'agit...
Ah, dieux, quel cauchemar...

" J'en suis vraiment désolé. Je le répète, nous pouvons nous en charger. Ce serait, au final, peut-être le plus logique, puisque c'est nous qui vous avons confié le garçon, et c'est à nous que s'est adressé le père, et si cela peut vous épargner ces tracas supplémentaires..."
Il pinça les lèvres.
" Avez-vous un lieu de préférence ? En campagne ? Ici, à Luménis ?"

Il faillit répliquer que non, la Commanderie ne lui avait pas confié Baptiste, qu'il l'avait pris sous son aile de son propre chef et de plein droit, puisque c'était lui et non l'ordre qui lui avait sauvé la vie, qui l'avait aidé à revenir sur Hélonna. Mais même si cette protestation n'aurait pas été totalement dénuée de fondement, elle aurait surtout été motivée par une colère ayant une source bien différente, et n'aurait servi à rien sinon à lui alliéner le paladin. Ce qui aurait été tout sauf recommandé.
Alors, il s'abstint.
-Je n'en ai pas la moindre idée.
Il réfléchit quelques instants.
-Ecoutez, je vais commencer par consulter Baptiste. Peut-être aura-t-il une idée de lieu. Et peut-être cela le rassurera-t-il que je gère moi-même toutes les démarches. J'agirai en fonction de ce qu'il préfère et vous tiendrai informé.

" Comme vous voulez." dit Armand.
Le commandant des paladins se leva à son tour.
" Je suis désolé de m'être fait le porteur de nouvelles difficiles. Mais je suis certain que vous agirez pour le mieux."
Il s'était approché de la porte, libérant par là son invité.

La Couronne de Cuivre

[Bâtiment] La Commanderie des Paladins de Lathandre