La Couronne de Cuivre

En s'asseyant, il éprouva une crainte passagère quant à la quantité de nourriture : s'ils avaient su que Guéric arriverait ce soir-là, ils auraient prévu plus large - en matière de riz du moins, car il aurait évidemment été impossible de multiplier les canards. Il se rassura cependant en se disant qu'en cas de manque, ils pourraient toujours compléter avec des fruits, et c'est donc l'esprit tranquille qu'il s'apprêta à déguster un plat fameux et à indiquer à qui l'on devait ce succulent repas, si tant est qu'on commette l'erreur de lui en attribuer les mérites. Enfin, il garda en tête un point crucial : veiller à ce que Mathieu ne s'éclipse pas à l'extérieur lorsque serait venue l'heure de quitter la table. Peut-être le programme prévu serait-il chamboulé, en fin de compte ; toutefois, quelle que soit la personne finalement chargée du coucher, empêcher le plus jeune Merlu de patauger dans la marre semblait impératif.

Taliesin remarqua qu'il s'était inquiété pour rien car Baptiste avait manifestement adapté les quantités pour qu'il y ait de quoi se nourrir. A trois canards pour quatorze, ils étaient un peu court, mais Guillhem découpa les oiseaux avec intelligence, s'efforçant de donner à chacun un beau morceau. Galathée avait suivi la distribution avec la mine de quelqu'un qui réfléchit à autre chose et elle se pencha sur Jehan, juste à côté d'elle, pour échanger quelques mots. Baptiste reçut les félicitations de la tablée avec modestie. Il se montra critique de sa réalisation, y associa Taliesin, mais le barde vit bien qu'il était touché de cette reconnaissance, d'autant qu'elle n'émana pas que des adultes. Mathieu était trop fatigué pour s'enfuir, de son côté.

Heureux pour Baptiste, soulagé que Mathieu ne soit pas en état de faire une escapade - tout se passerait peut-être bien, ce soir ! - il baissa quelque peu sa garde et prit volontiers sa part aux diverses conversations. Néanmoins, la mine de Galathée et son échange avec Jehan n'étant pas passés inaperçus, il guetta un moment propice pour se pencher vers sa compagne.
-Quelque chose te préoccupe ? s'enquit-il, à mi-voix.

Galathée lui sourit.
" La nourriture me préoccupe, dit la rôdeuse, légère. Je vais emmener mon apprenti rôdeur à la chasse, demain. Il y a plusieurs forêts publiques dans les environs... Nous devrons sans doute y aller chaque jour, mais ce n'est pas un problème. Jehan est motivé et moi aussi ! Tous ces enfants ont besoin de viande et il faut y pourvoir."
Elle haussa les épaules.
" Tu vois, rien de grave."

-Oh, tu t'es déjà trouvée un apprenti ? Toutes mes félicitations !
Il se fendit d'un sourire espiègle.
-Mais, tu sais, ce n'est pas à un barde qu'on apprend à jouer la comédie. Je vois clair dans ton jeu, et je sais pertinemment que cette histoire de chasse n'est qu'un prétexte pour échapper aux moissons... Enfin, n'aies crainte, je ne te trahirai point.

Galathée lui décocha un sourire carnassier.
" Nous irons chasser une heure avant le lever du soleil. La biche sera déjà dépecée que tu n'auras même pas ouvert un oeil. Mieux. Je me recoucherai et tu ne te seras rendu compte de rien. Cela renforcera ta croyance en l'existence de petits lutins qui cuisent ton pain, chauffent l'eau de ton thé, et chassent ton souper."
Son expression se fit moins espiègle.
" Cela dit, ça vaut dire que je vais me coucher tôt. Essaie de ne pas passer toute la nuit à boire avec Guéric : Guillhem serait chagriné."

Chagrinée, telle fut l'expression qu'il arbora à dessein.
-Tu as vraiment une piètre opinion de moi... Je n'ai pas l'intention de boire outre-mesure : je suis fatigué, je le serai encore plus après le coucher de la marmaille et puis... je compte bien t'aider avec les jumeaux. De plus, honnêtement... Je ne connais l'emplacement que d'une seule et unique bouteille d'alcool, à laquelle je n'oserais jamais toucher sans la permission de Guilhem.
Son sourire revint.
-Tu n'as donc aucune crainte à avoir : nous serons sages et nous nous coucherons tôt !

Elle le dévisagea, l'expression sceptique, un sourire au coin des lèvres. Autour d'eux, le repas touchait à sa fin.
" Victor et Jehan à la vaisselle." annonça Guillhem, avant de jeter un oeil en direction de Taliesin.
Guéric suivit ce regard et donna un léger coup de coude au barde.
" Si tu as besoin d'un coup de main, je suis ton homme."
Mathilde et Antoine s'étaient levés pour organiser le rangement de la vaisselle, tandis que certains faisaient déjà mine de grimper les escaliers au son d'un nouveau cri de guerre : Taliesin, une histoire, Taliesin, une histoire !

-J'arrive ! lança-t-il d'un ton léger.
Puis, à Guéric et à voix basse :
-Hier, on m'a pour la première fois chargé du coucher, et je n'ai évité la catastrophe absolue que grâce à une aide providentielle. Aujourd'hui, peut-être question d'orgueil mal placé, j'aimerais voir si je peux m'en tirer seul... Mais tiens-toi prêt à voler à mon secours, car il y a de fortes chances que cela dégénère.
Il se leva alors, alla prévenir Antoine et Mathilde qu'il les attendrait avant de commencer son récit, puis entreprit d emener toute la troupe à l'étage.

Il eut rapidement besoin d'aide, ne fut-ce que pour garder un oeil sur les uns pendant qu'il aidait les autres, et inversement. Guéric se présenta sans qu'il n'ait réellement eu à l'appeler, accompagnant, mine de rien, les deux qui venaient de terminer la vaisselle. Mathieu avait perdu son doudou, Félix avait un problème de transit intestinal, Benoît s'était retrouvé avec deux sangsues sur le dos, et les draps qu'ils avaient emportés pour la lessive devaient encore être changés. Bref, il y avait du boulot. D'autant que les gosses étaient surexcités à l'idée d'écouter le premier volet de leur saga promise et que cela les rendait peu attentifs, voire franchement distraits. Il fallut près d'une heure avant qu'ils ne soient parés, et Taliesin dut conclure que non, il n'était pas elfiquement possible de mettre efficacement au lit sept gosses entre six et treize ans. Pendant qu'il courait d'une chambre à l'autre à la salle d'eau, il vit passer Galathée et les deux bébés, qui se replièrent dans leur chambre en bout de couloir. Enfin, les sept Merlus, Victor, Baptiste, Elliot et Guéric furent installés pêle-mêle dans une des deux chambres, captivés avant même qu'il n'eut ouvert la bouche.

Pas un instant il n'avait imaginé qu'Elliot serait du nombre. Sans doute s'était-il dit que la timidité du jeune garde suffirait à le tenir à l'écart, mais c'était sans compter avec Mathilde qui avait dû fortement l'encourager à venir. Bref, il se retrouva quelque peu décontenancé, ce dit que le moment promettait d'être... particulier. Néanmoins, il était barde de profession : se produire devant un public d'inconnus ou de gens qui le mettaient vaguement mal à l'aise pour diverses raisons, il en avait l'habitude. Alors il ne se laisserait pas démonter pour si peu.
Il s'installa où il le put et, sans tarder - il était déjà tard - commença une saga vieille de plusieurs millénaires, intitulée "Le Périple" et débutant comme suit.
Il y a longtemps, sur un continent lointain, très lointain, un jeune prince tomba éperdument amoureux de l'épouse d'un roi et, aveuglé par la passion, l'enleva pour la ramener en sa cité, de l'autre côté de la mer. Comme il refusait de la rendre à son légitime époux, ce dernier, furieux, appela ses alliés à l'aide et, ensemble, ils rassemblèrent une flotte immense et une gigantesque armée pour aller assaillir la ville ennemie. S'ensuivit un siège qui dura des années et qui sembla ne jamais devoir finir car les dieux se mêlèrent de la partie, se choisissant des champions dans les deux camps. Un jour, toutefois, le roi d'une petite île, membre de la coalition, ourdit un plan ingénieux, fit bâtir un gigantesque cheval de bois dans lequel il cacha des soldats tandis que le reste de l'armée se repliait. Les assiégés, croyant être enfin vainqueurs, prenant le destrier factice pour une offrande aux divinités, l'emportèrent joyeusement en leurs murs, scellant ainsi leur destin. La ville tombée, les souverains victorieux entreprirent de rentrer chez eux... Mais certains dieux, offensés par leurs excès, ne l'entendaient pas de cette oreille. Ainsi, lorsque l'auteur de la ruse décisive embarqua sur son bateau, il ignorait encore que son voyage de retour serait beaucoup moins facile qu'il ne l'imaginait...
-Voilà, la suite demain ! annonça l'elfe.
Comme il ne s'était pas privé pour truffer de détails son introduction, l'heure devait déjà être fort avancée...

C'était peu de le dire, car plusieurs des garçons avaient manifestement du mal à demeurer éveillés, tandis que les autres réclamèrent la suite, mais renoncèrent rapidement. Mathilde suggéra au barde de faire un peu plus court le lendemain, car il allait falloir réveiller toute cette bande pour la moisson, et vu l'heure, ce ne serait probablement pas complètement évident. Guéric se moqua gentiment de lui : il s'était lancé comme un professionnel, le résultat était magnifique. Bâillant, reconnaissants, les enfants allèrent se coucher et, petit miracle, s'endormirent pour la plupart rapidement. Il restait cependant des irréductibles qui avaient bien envie de jouer le siège de la ville et le cheval de bois dans leur lit... Cela se passait dans la chambre de Victor, bien évidemment.

Tout en dirigeant ses pas vers ladite chambre, il se morigéna intérieurement d'avoir été si long. En même temps, il fallait bien l'admettre, l'introduction était un moment si important et si riche en événements qu'elle s'avérait fort ardue à résumer. A l'inverse des épisode suivants, dont il pourrait bien plus facilement moduler la durée...
-Les gars, vous feriez mieux de dormir, dit-il au trio sans hausser le ton. Demain, vous aurez besoin de toute votre énergie pour vous lever tôt et pour affronter l'ennemi à qui nous allons déclarer la guerre, ce vil blé qui a envahi nos champs... Si nous voulons remporter cette lutte titanesque, il faudra que chacun d'entre nous soit au mieux de sa forme au cours de cette journée... et de celles qui suivront.

Les trois gamins n'avaient pas atteint l'âge de raison et l'argument du barde peina à porter, mais Jehan bâillait et finit par se taire. Victor et Benoît gloussèrent et chuchotèrent encore quelques minutes avant de sombrer eux aussi dans le silence. Taliesin les entendit se retourner encore un moment avant qu'ils ne s'endorment réellement. En bas, Mathilde, Antoine, Guillhem et Guéric faisaient plus ample connaissance tout en buvant la traditionnelle infusion. Ils accueillirent le barde avec des félicitations puis en revinrent au plan grossier que le fermier avait tracé sur du parchemin. Le halfelin se porta à la hauteur de son ami.
" Tu avais raison : impossible de se reposer dans cet endroit. Je suis surpris que vous ne soyez pas tous déjà au lit."

-Oh, à mon avis, d'ici une demi-heure, tout le monde y sera. Simplement, il est plus facile de prévoir les opérations maintenant plutôt que demain matin, alors que nous serons à demi-réveillés mais déjà débordés...
Il observa son ami et eut un sourire un peu désolé.
-J'espère vraiment que tu ne regretteras pas trop d'avoir répondu à mon invitation... Je t'assure que je ne voulais pas te tendre de piège.

Oh, ne t'inquiète pas. Ce n'est pas un mode de vie qui m'attire, mais pour des vacances, ma foi... c'est approprié. Ce n'est pas très différent de la ferme des Crocus, avec le travail en plus. Et puis ensuite, je serai ensuite reparti pour des mois en mer. Non, tu ne dois pas t'inquiéter. J'aurais été triste de te quitter sur le quai, comme ça... Et puis si je peux rendre service. Je ne plaisantais pas pour les moissons, cela dit... Vu ma taille, je ne faucherai rien du tout. Je ne suis pas exactement taillé pour les travaux de force. Même Baptiste est plus costaud que moi."

-Allons, je te taquinais, à ce niveau... Mais pour ce qui est de rendre service, je pense que tu en auras l'occasion plus souvent qu'à ton tour. J'ai même dans l'idée que Guilhem y a déjà réfléchi... Il faudra juste que tu n'hésites pas à le dire, si tu en as assez, à un moment ou à un autre...
Il sourit à nouveau.
-Et même si ça prend du temps, nous trouverons bien l'occasion de vider joyeusement quelques coupes avant ton départ. Pour l'heure, toutefois, que dirais-tu de rejoindre le reste de l'état-major ?

" Très bien."
Mais l'état-major en question avait quasiment terminé. Ils avaient convenu de commencer avec le champ de blé, de faire l'orge le lendemain et l'avoine en dernier lieu. Ce n'était pas la première fois que les Merlus moissonnaient, aussi chacun connaissait déjà son rôle. Guillhem demanda à Taliesin s'il se sentait de manier la faux, tandis que Guéric pourrait sans doute participer au ramassage avec une équipe d'enfants. Ils changeraient bien sûr de tâche en cours de journée, histoire de ne pas s'épuiser — surtout les faucheurs — mais cela semblait le plus facile au fermier.

-Aucun souci, répondit-il Bon, il faudra qu'on me montre comment on procède, parce que si je connais le principe, je ne l'ai jamais mis en pratique. Mais en dehors de ça...
Ce qui l'inquiétait davantage, c'était son endurance : il n'était pas exactement très solide. Toutefois, entre son séjour aux mines de Gargouille et toutes les épreuves qui avaient suivi, il s'était sans doute pas mal endurci.

" On prend rapidement le coup de main, dit Antoine. Le tout est de ne pas faucher les chevilles du voisin, mais nous nous espacerons dans le champ.
— Nous ferons plusieurs équipes, et une rotation. Elliot, Antoine, Galathée, toi et moi sommes probablement les plus solides... Mais trois faucheurs de concert, c'est bien suffisant. D'autant que ce n'est pas la seule chose à faire. Nous verrons un peu à quel rythme nous avançons. L'idée n'est pas non plus de nous épuiser en une seule fois et de ne pas réussir à gérer les jours suivants."

-Qui veut aller loin ménage sa monture... commenta l'elfe, tranquille. Je serai vigilant et n'en ferai pas plus que de raison.
Le travail en lui-même ne l'inquiétait guère, même s'il promettait d'être fatiguant - doux euphémisme. Il espérait simplement que le temps serait de leur côté, qu'ils n'auraient pas à affronter de pluie ou d'orage, ce qui risquerait fort de compromettre la récolte et, par conséquent, de les mettre dans une fâcheuse situation sur le plan alimentaire, bien que des solutions de rechangent existent.

Les Merlus s'esquivèrent peu après, souhaitant à chacun la bonne nuit. Guéric se montra également raisonnable et Taliesin apprit qu'il s'était installé un hamac dans la grange, ce qui lui convenait parfaitement : les lits à quatre pieds, ce n'était pas son genre. Il aimait qu'un léger balancement l'accompagne : il y avait repris goût sur la Polissonne. Taliesin put donc regagner sa chambre, où Galathée et les jumeaux dormaient profondément.
La nuit se déroula comme de coutume, avec un seul réveil, rapidement géré et maîtrisé. Vu l'âge des bébés, il était probable qu'ils feraient bientôt des nuits complètes. Le lendemain, le barde se réveilla dans la lumière du soleil matinal, au son des geignements des nourrissons. Galathée, comme elle le lui avait annoncé, n'était pas là. Il entendit des murmures provenant de la cour. Il était encore tôt mais sans doute les premiers levés commençaient-ils à préparer le matériel pour cette journée de labeur.

Remerciant mentalement ses enfants pour l'avoir réveillé avant le retour de Galathée - qui, ainsi, ne pourrait le taquiner sur le fait qu'il ne se soit pas aperçu de son absence -, il repoussa sa furieuse envie de rester couché, se leva et s'habilla rapidement. Ensuite, il descendit les jumeaux dans le berceau qui se trouvait au rez-de-chaussée, où il pourrait les surveiller et les bercer s'ils venaient à trop pleurer : malheureusement, il ne serait pas en mesure de faire davantage tant que leur mère ne serait pas rentrée... Enfin, il entreprit de prêter main forte aux lèves-tôt.

Galathée était en réalité déjà rentrée, mais Guillhem l'informa qu'elle dépeçait sa prise du matin afin que la viande ne se gâte pas d'ici le moment où ils la consommeraient. Mathilde terminait de préparer les pique-niques qu'ils emporteraient aux champs, et Antoine avait attelé l'un des chevaux au chariot qui transporterait le matériel jusque dans le champ : les quelques faux et la corde pour former les meules. Chacun s'était habillé pour le travail, revêtant des vêtements pratiques et solides, et quelques uns des enfants partirent vers le champ. En fait, il ne manquait que Guéric et Victor.

Que le halfelin manque à l'appel ne le surprit guère : peut-être se fourvoyait-il mais il imaginait bien ce lève-tard au sommeil profond roupillant toujours dans son hamac. En revanche, l'absence de Victor était plus étonnante : d'ordinaire, le matin, il faisait partie des plus énergiques... Par acquis de conscience, il alla jeter un coup d’œil dans la chambre que le petit garçon partageait avec ses amis. Si elle était vide, cela voudrait sans doute dire qu'il avait rejoint sa mère, auquel cas l'elfe le verrait plus tard - assister au dépeçage du gibier à peine sorti du lit, c'était un peu trop rude, pour lui - et irait réveiller Guéric.

Taliesin ne s'était pas trompé : Victor n'était pas dans sa chambre. Il le trouva par contre dans le hangar avec Guéric. Celui-ci avait l'air mal réveillé mais il ne semblait pas vouloir tirer au flanc pour autant.
" Sans ton fiston, je serais toujours à ronfler, remarqua le marin en rejoignant le barde. Bon, je vois qu'il y a un chariot, je vais profiter du transport jusque là. Sinon je serai crevé avant même d'avoir commencé... Est-ce qu'il y a du thé quelque part ? Je dois dire qu'une bonne petite tasse, ce ne serait pas de refus..."
Galathée avait terminé et les rejoignit.

-Malheureusement, je n'ai pas vu de thé prêt : en cuisine, on s'affairait plutôt sur les casses-croutes pour la journée... répondit-il après avoir accueilli sa compagne d'un tendre sourire. Mais viens, j'ai pu être distrait et, si ça n'est pas le cas, peut-être aurai-je encore le temps d'en préparer. Je dois dire que, pour moi aussi, ce ne serait pas de refus...
Et de les entraîner vers la maison, se demandant s'il aurait l'opportunité de mener son plan à bien. En réalité, il en doutait...

En cuisine, on leur fourra un cruchon de thé entre les mains avant de les virer. Dans la cour, le chariot s'apprêtait à partir aussi Guéric grimpa-t-il dedans, son breuvage revigorant entre les mains, alors qu'il se mettait en route. Galathée et Taliesin suivirent à pied, avec Victor, Félix et Mathilde. Le champ n'était pas très loin de la ferme, aussi n'eurent-ils à marcher que quelques minutes avant de rejoindre le reste du groupe. Le champ de blé s'étendait sur toute la parcelle est du domaine. C'était le plus grand de l'exploitation mais il longeait heureusement, sur un bord, la grange, et il serait donc aisé d'y rentrer le foin une fois la moisson et le séchage terminé. Pour l'heure, leur mission était de faucher pour les uns, de construire les meules pour les autres. Tant que le temps restait sec, il n'était encore rien nécessaire de rentrer. La séparation du grain des épis n'aurait lieu que quelques jours plus tard, quand le blé serait craquant. Guillhem accueillit Taliesin d'un sourire et lui confia une faux. La journée pouvait commencer.

Très soucieux de bien faire, le barde, qui allait pour la première fois travailler aux champs, glana quelques conseils auprès des autres faucheurs et, surtout, prit le temps d'observer leur manière de procéder. Enfin, quand il pensa en avoir appris suffisamment, il gagna le secteur qu'on lui avait attribué et se mit à l’œuvre avec application et entrain mais tout en veillant à ménager ses forces, pour ne pas s'effondrer au beau milieu de la matinée, bien avant que n'approche l'heure de la relève. Enfin, lorsqu'il en avait l'opportunité, il tentait d'observer Victor et Baptiste : pour eux aussi, ce labeur était une nouveauté...

La matinée se déroula sans incidents notables. Taliesin remarqua rapidement que, s'il prenait le pli du rythme et du mouvement, il devait aussi se ménager des pauses régulières, au cours desquelles on lui apportait généralement à boire. La chaleur grimpa vite. Ils se distribuèrent des chapeaux, le chariot partit chercher des seaux d'eau pour pouvoir rafraîchir les travailleurs, et ils s'arrêtèrent avant la mi-journée, assommés par un soleil accablant. Ils n'avaient pas fauché la moitié du champ, mais Guillhem semblait satisfait de leur rentabilité. Vu la température, ils décidèrent de retourner jusqu'à la ferme pour manger et se reposer. Il faisait de toute façon beaucoup trop torride pour continuer sans risquer l'insolation ou le coup de chaleur. Ils pique-niquèrent dans la fraîcheur du corps de ferme puis quelques uns d'entre eux allèrent faire la sieste. Ils reprirent le travail au milieu de l'après-midi. Les enfants avaient pris le pli de dresser leurs meules, sous la supervision de Mathilde et Robin qui maîtrisaient bien la chose. Guéric abattait sa part de travail, tout comme Baptiste et Victor. Tout le monde paraissait volontaire et concentré.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] La ferme Desmoulins