La Couronne de Cuivre

Mathieu la regarda comme si elle était devenue folle.
" Tu es sûre que tu veux que je lui dise un truc pareil ? Il ne va jamais te laisser la toucher, sa bestiole... Et avec ma maîtrise extraordinaire de l'elfique, il va croire que tu cherches à l'empoisonner.
— Nous n'avons pas le temps, intervint Jolien. Nous devons avancer sans quoi l'ogre va flairer notre présence avant même que nous soyons assez prêts pour le toucher.
— Il y en a sûrement plus qu'un, dit Jeroen. Ils sont experts pour se camoufler dans ce genre de terrains.
— Tu es sûre que tu ne peux pas juste... prendre son contrôle ?" souffla Mathieu à voix basse, tandis qu'ils se remettaient en route.

" Ça ne marche pas comme ça, répondit Astrée à voix basse, en avançant à son tour, son arc dans une main, une flèche dans l'autre, surveillant alternativement leur cible et le cerf. Tu as vu comme il a réagi quand j'ai essayé d'entrer en contact avec lui... Je peux essayer un sortilège d'amitié, pour qu'il me fasse davantage confiance et soit plus réceptif, mais tout ce que je pourrai faire ensuite, c'est lui parler en cas de besoin. Pas le contrôler. Et vu son état de stress... j'hésite. "
Elle aurait été rassurée de pouvoir lui donner un peu de camomille avant de tenter quoi que ce soit. Bien sûr, ça n'était pas miraculeux, mais ça aurait pu aider... Car tenter un sortilège dans l'état où se trouvait le cerf, même un sort tout simple et inoffensif, c'était un peu quitte ou double...

Mathieu acquiesça puis se pencha à nouveau.
" Est-ce que... tu ne pourrais pas utiliser ta bestiole ? Tu sais... l'écureuil... C'est une bête des bois. Peut-être qu'Eyri et son cerf pourraient aisément l'accepter... et puis ta bestiole, tu la contrôles, non ? Ça ferait comme un... relais ?"

Astrée haussa les épaules.
" Prince, je ne le contrôle pas vraiment... Même si en général il fait ce que je lui demande. Mais là, je ne sais pas trop ce qu'il pourrait faire. Le cerf a besoin de réconfort, et Prince est trop petit pour lui apporter un peu de sérénité. Kimik serait mieux placée pour ça... Mais elle n'est pas libre de ses mouvements."
Ou peut-être fallait-il que Prince prenne sa forme équine. Mais il ne serait plus une bête des bois... et puis, la transformation pourrait perturber le cerf. En réalité, tout pouvait l'affoler, même ce qui était insignifiant.
" Enfin, ça coûte rien d'essayer", ajouta-t-elle avec un haussement d'épaules.
Elle se concentra pour entrer en contact avec l'écureuil, et lui faire comprendre la situation : le cerf affolé, la nécessité de l'apaiser et de l'encourager à continuer à cheminer au milieu du groupe. Elle lui demanda s'il pouvait cheminer quelques instants à côté du cerf, légèrement devant lui pour qu'il le voie bien. Puis, idéalement, il faudrait qu'il grimpe sur le cerf... Mais si celui-ci était trop nerveux, alors il devrait plutôt essayer de se faire accepter par Eyri.

Prince n'était pas enchanté. Sous forme d'abeille, il s'était mis en quasi hibernation, dans un des nombreux recoins douillets du manteau de la druidesse. Le tirer de son sommeil ne fut déjà pas évident et il sembla à Astrée qu'il était aussi grincheux qu'un humain endormi à qui on aurait versé un seau d'eau glacée sur la tête. Mais il s'apaisa rapidement, peut-être que, malgré ses dispositions lunatiques, il percevait l'inquiétude de sa maîtresse. Il reprit sa forme d'écureuil à l'intérieur du manteau, chatouillant généreusement la druidesse au passage, puis se glissa le long de sa manche et sortit à l'air libre. Son apparition fit sursauter Kalju, mais sans qu'un cri soit poussé. L'écureuil courut ensuite entre les herbes et les rocs, jusqu'au cerf. L'animal parut plus curieux qu'effrayé. Il devait déjà avoir vu des milliers d'écureuils dans sa vie et ils ne pouvaient que lui rappeler sa forêt natale.
Prince garda ses distances et Astrée vit qu'Eyri l'observait avec circonspection.
" Est-ce qu'un druide n'est pas censé pouvoir projeter ses pouvoirs dans sa bestiole ? demanda lors Félicie, du haut de son perchoir. Dans mon village, la vieille Maura fait ça. Parfois, subitement, son coq de bruyère se met à causer..."
Jolien leur lança un regard noir et la halfeline se tut, mais la jeune mercenaire reporta aussitôt son attention sur leur destination.

" On peut faire parler un animal à notre place, oui, ça, c'est possible, répondit Astrée à voix basse. Mais je ne sais pas encore faire. Je ne sais pas faire grand-chose, en fait. Plus tard, dans de nombreuses années, je saurai sans doute dominer un animal, ou même éveiller un animal à une forme d'intelligence et de parole.... enfin, je crois que c'est possible. Transmettre mes pouvoirs à mon compagnon, je ne sais pas. Peut-être. Mais pour le moment, ils sont très limités..."

Elle haussa les épaules et reporta son attention sur Prince. Elle hésitait à lui demander de grimper sur le cerf. Elle sentait Eyri trop méfiant. Et peut-être que sa simple présence au sol suffirait à faire baisser un peu le stress du cerf. Marcher ainsi à ses côtés l'épuiserait vite, pourtant...
Elle l'encouragea mentalement, lui suggérant de se faire transporter un moment, quand il serait fatigué, par Eyri ou par le cerf s'il les sentait réceptifs, ou à défaut par Kimik.

L'écureuil lui signifia clairement qu'il ne s'approcherait sous aucun prétexte de l'elfe. Il ne lui faisait aucune confiance. Le cerf, par contre, lui paraissait sympathique et abordable. Il bondit un moment à ses côtés puis s'agrippa à sa jambe et grimpa sur son épaule, puis son dos. Le ruminant frissonna une fois ou deux, comme pour chasser une mouche, mais continua à marcher devant son maître, dans le sillage de Kimik. Eyri observa encore l'écureuil, puis Astrée, sans que la jeune femme ne puisse faire sens de son expression.
Mais toute tentative de communication dut être remisée à plus tard. Quelque chose s'était dressé, sur leur gauche, quelque chose de gris et d'immense et d'immanquablement humanoïde.

La réaction d'Astrée fut de l'ordre du réflexe. Elle encocha une flèche, banda son arc.... et prit une seconde pour observer la créature afin de viser le plus efficacement possible. Leur cible était beaucoup plus proche qu'elle l'aurait souhaité. Mais cela la rendait immanquable.
Elle visa la base du cou, et lâcha son trait, espérant qu'il s'agisse d'un endroit aussi mortel que pour d'autres espèces vivantes. En prime, cela l'empêcherait de crier...
Elle encocha immédiatement sa seconde flèche et tira à nouveau, sans attendre de savoir si son premier tir avait été efficace.

Le premier tir n'avait pas été efficace. Bien que gigantesque, l'ogre était encore à une certaine distance et le vent sifflait fort dans l'espace ouvert au dehors du défilé. Jolien et Jeroen se déployèrent de part et d'autre du groupe, Eyri encocha une flèche lui aussi.
" Continuez vers le campement, dit Jeroen à Kalju. Restez groupés."
La flèche d'Astrée avait touché la créature à la jointure entre le cou et l'épaule, mais elle semblait s'être enfoncée dans le muscle, ou la graisse, ou peut-être simplement l'étoffe de son col. Il fit tournoyer sa masse énorme et se mit en marche vers eux, d'un pas pesant, en poussant des cris désarticulés. Jusqu'ici, appeler à l'aide ne semblait pas être sa priorité. Peut-être parce que son cousin venait de se redresser un peu plus loin, émergeant d'un somme.

L'objectif était clair : les retarder au maximum, pour les empêcher de venir au contact. Et si possible, éliminer une partie de la menace.
Astrée concentra ses attaques sur le premier des deux ogres, le plus proche. Elle prit le temps de viser soigneusement, bandant son arc au maximum de ses forces, et tira une nouvelle flèche, visant à nouveau le cou. Le coeur devait être trop bien protégé par les os énormes de sa cage thoracique.
Ensuite, elle prit un instant pour vérifier que ses compagnons avaient bien obéi à l'ordre du mercenaire, et surtout que nulle autre menace ne semblait surgir entre eux et leur destination.

" Reculez, dit Jolien à Astrée. Restez avec les autres. Couvrez leurs arrières."
La seconde flèche avait porté, mais l'ogre n'était pas nu et il était difficile de savoir dans quoi exactement se plantaient les traits. Il était, immanquablement, très en colère. Le second semblait ne pas avoir encore exactement compris ce qui se passait, mais il secoua bientôt lui aussi sa masse. Jolien et Jeroen semblaient prêts à aller au contact tandis que Kalju, Mathieu et Kimik avançaient désormais au pas de course. Eyri enfourcha son cerf, lequel broncha mais ne se déroba pas pour autant.

Astrée ouvrit une bouche stupéfaite en voyant Eyri enfourcher son cerf. Elle se demandait où il voulait en venir, et ça l'inquiétait un peu... pour le cerf davantage que pour son maître, d'ailleurs. Et, accessoirement, pour son écureuil toujours perché sur son dos, auquel elle suggéra prudemment de revenir vers elle.
Dans le même temps, elle obéit sagement aux ordres et commença à avancer en direction du petit groupe qui s'était mis à courir, juste un instant avant de se retourner, pour tirer une flèche supplémentaire vers la menace la plus proche, en visant cette fois-ci une cuisse pour le retarder. Et surtout pour vérifier ce que faisait Eyri, espérant qu'il aurait la sagesse de suivre le mouvement.

Prince n'avait pas l'air de penser que revenir était une bonne idée, même si la présence d'Eyri le hérissait au plus haut point. De son côté, l'elfe semblait déterminé à rester en arrière. Il n'avait pas lancé son cerf contre les ogres, mais ne l'avait pas non plus envoyé à la suite du reste du groupe. Jeroen visait la créature la plus proche, décochant ses flèches avec calme, sans céder de terrain. Jolien, de son côté, avait sorti une première hache de son paquetage et la soupesait avec flegme. Le second ogre, qui n'était pas encore à portée, semblait hésiter entre poursuivre à la rencontre des deux mercenaires, ou tenter de courser directement ceux qui cherchaient à se mettre en sécurité. La flèche d'Astrée s'enfonça dans le genou de l'ogre le plus proche, ce qui le fit trébucher, mais il ne tomba pas. Il sembla par contre encore plus furieux qu'avant et poussa un cri qui, cette fois, s'entendait peut-être à une bonne distance de là...

Astrée n'insista pas pour faire revenir Prince : s'il souhaitait rester sur le dos du cerf malgré la proximité d'Eyri, elle n'y voyait pas d'inconvénient majeur. Elle n'aimait pas trop devoir s'éloigner de lui, mais elle devait admettre qu'il était capable de revenir vers elle lorsqu'il le souhaiterait, sans se mettre en danger, grâce à ses capacités.

Elle était tentée de rester en arrière, comme Eyri. Mais la priorité était de protéger le petit groupe désarmé, et elle se décida à avancer de quelques dizaines de mètres supplémentaires en direction de leurs compagnons, au pas de course : une nouvelle menace pouvait surgir, plus proche d'eux, et il faudrait alors être prêt à la contrer. Elle chercha des yeux les rochers jaunes censés indiquer leur destination et vérifia que nul troll ou ogre n'apparaissait dans cette direction, puis se retourna vers l'arrière pour tirer une autre flèche. Si le second ogre semblait vouloir se diriger vers le groupe de fuyards, elle le viserait en priorité, en cherchant à atteindre les jambes, si toutefois il était à portée. Sinon, elle tirerait sur l'autre.

La distance entre le groupe de fuyards, Astrée, Eyri puis les deux mercenaires se faisait plus large de seconde en seconde. Si elle regardait vers Mathieu, Kimik et Kalju, Astrée voyait les rochers dressés aux abords des ruines et pouvait deviner que certains étaient colorés sur le dessus. Mais elle devait choisir entre s’arrêter et tirer ou poursuivre. Si elle essayait de progresser à reculons, les chances de chutes étaient énormes : il n’y avait pas davantage de chemin ici qu’ailleurs et le sol était traître.
L’ogre le plus éloigné se baissa soudain puis se redressa avec une énorme pierre entre les mains, qu’il cala dans leur direction avec une force stupéfiante. Elle heurta le sol presqu’à l’endroit où se trouvait Eyri. Le cerf fit un écart de justesse. L’ogre avait déjà pris un second projectile et semblait hésiter sur sa cible. Jeroen et Jolien étaient désormais pratiquement au contact du premier qui, comme un sanglier, était d’autant plus furibard qu’il était blessé...

HRP : le 2éme ogre est probablement trop loin pour le sort d'enchevêtrement ? Dommage...

Le groupe de fuyards ne semblait pas en danger immédiat. Astrée choisit donc, sans hésiter, de prêter d'abord un instant main-forte aux autres combattants.
Le second ogre était le plus dangereux, mais probablement trop loin pour qu'elle puisse lui causer des dommages étant donné le peu d'efficacité de ses flèches, et trop loin pour un sortilège. Elle décocha donc une flèche supplémentaire en direction de l'ogre déjà blessé, visant la gorge à nouveau : s'ils pouvaient rapidement n'avoir plus qu'un adversaire à affronter, ce serait préférable.
Puis elle se retourna vers les fuyards et accéléra le pas dans leur direction : leur sécurité était sa priorité, et elle devait rester suffisamment proche d'eux pour les couvrir en cas de grabuge. Dès qu'ils seraient suffisamment proches de leur destination, et qu'elle serait certaine qu'ils ne risquaient plus rien, elle pourrait revenir aider Eyri et les mercenaires.

Le premier ogre était désormais hérissé de flèches comme un oursin géant, mais Astrée ne pouvait plus le viser aisément : elle était loin et avec Jeroen et Jolien au contact, planter ses traits devenait risqué. Le second ogre avait décidé, de son côté, de ne plus avancer mais de lancer ses rochers. Eyri était toujours à portée mais, Astrée le découvrit à ses dépends, elle l'était également, ainsi que le groupe, à cause des rebonds que faisaient ensuite les pierres. Il lui sembla également distinguer quelque chose qui bougeait, dans le lointain sur la droite, mais c'était encore trop loin pour en tirer la moindre conclusion. Il n'était pas impossible que quelque chose soit en train d'approcher. Il fallait qu'elle décide : escorter le groupe jusqu'aux limites de campement ou rester en arrière. Elle ne pouvait plus diviser ses efforts sous peine de n'aider personne. Eyri, lui, était fermement resté en arrière.

Astrée jugeait qu'il était trop risqué de laisser le groupe de fuyards seul et désarmé : même si Félicie savait très bien se servir de sa fronde, c'était une arme de portée limitée. Il fallait qu'elle soit suffisamment proche pour les aider en cas d'attaque.
Donc malgré son désir d'aider les combattants, et malgré une sourde inquiétude pour Prince resté en arrière, elle choisit de suivre les fuyards. Elle les escorterait pour couvrir leurs arrières, jusqu'à ce qu'ils soient suffisamment proches de leur destination pour ne plus risquer qu'un adversaire déboule à l'improviste et les mette en danger.
Mais elle se promettait que dès qu'ils seraient sur le point de franchir la ligne de rochers, qu'elle les jugerait suffisamment avancés pour ne plus courir de danger, elle ferait demi-tour pour aller prêter main-forte aux combattants, si toutefois ils étaient toujours là.

Il restait plusieurs centaines de mètres à franchir avant d'atteindre leur but mais le groupe avançait à un bon rythme, pressé par Kalju. Astrée dut donc se mettre à courir pour les rattraper. Un rocher vola sur leur droite, rebondissant sur le sol en arrachant mottes de terre et cailloux, sans les toucher. Kimik trottait, Félicie perchée sur son dos, tournée en arrière vers Astrée. C'est à l'expression de la halfeline que la druidesse devina qu'il s'était passé quelque chose derrière elle, et effectivement, le cerf d'Eyri s'était emballé et partait dans la direction opposée aux ogres, mais pas pour autant dans celle du campement. Le premier ogre avait diminué de taille, signe qu'il était désormais à genoux. Le second n'avait pas bougé et continuait à lancer ses pierres, de manière désordonnée, tantôt vers Jeroen et Jolien, tantôt vers leur petit groupe.

Astrée, indécise, observa le cerf qui fuyait. C'était prévisible, vu son état de nervosité. Il devait être terrifié par les créatures énormes qu'ils affrontaient. Mais que pouvait-elle faire ? Elle était trop loin pour tenter quoi que ce soit... Et il allait de toute façon trop vite. Si elle avait eu Prince des Frelons sous la main, elle aurait pu l'utiliser comme monture, mais même ainsi, il n'était pas sûr qu'elle parvienne à le rejoindre.
En l'occurrence, dans l'immédiat, Prince devrait agir seul.... s'il y parvenait.
Elle tenta de le contacter, pour lui dire d'essayer de rassurer le cerf et de le ramener vers eux. Il pouvait redevenir cheval pour cela, s'il l'estimait possible, selon l'état du terrain et sa facilité à s'échapper de sa monture sans se laisser distancer.

Le contact avec Prince était ténu mais il avait reçu le message et Astrée n'eut plus qu'à lui faire confiance et poursuivre sa route. La trajectoire du cerf s'était modifiée, repartant d'où ils étaient venus mais en traçant un large demi-cercle. La druidesse en fut alors persuadée, quelque chose venait de la droite, quelque chose qui se rapprochait à toute allure. Une ombre passa sur le soleil couchant. Dans les hauteurs, à peine visibles, se trouvaient de grands oiseaux. Le second ogre s'était mis à courir dans la direction du petit groupe, non sans lancer un caillou ou deux vers son congénère, qu'on ne voyait pratiquement plus. Astrée devait progresser vers l'avant, surveiller où elle mettait les pieds et une fois de plus, elle fut contrainte à tourner le dos à l'adversaire. Encore deux cents, peut-être trois cent mètres, mais ils approchaient du but.

Astrée se sentait coupable de continuer à avancer en lassant Prince, le cerf et Eyri en arrière. Elle dut se répéter qu'elle ne pouvait rien pour eux, et qu'elle devait suivre le reste du groupe pour protéger leurs arrières. Un ogre courait vers eux, et il y avait du danger à droite. Il y avait ces grands oiseaux dans les hauteurs, dont elle ignorait la nature et les intentions. Ils devaient se mettre à l'abri. Mais elle songea que les glyphes ne les protégeraient sans doute pas contre une menace venue du ciel.

Elle courut plusieurs dizaines de mètres encore, puis se retourna pour évaluer la progression des diverses menaces, et surtout pour tirer une flèche si le second ogre était à portée d'arc : elle viserait la jambe pour le ralentir. Elle s'inquiétait, bien sûr, pour Eyri et Prince, qu'elle chercha du regard.

Le second ogre était de plus en plus proche et la flèche d'Astrée fit mouche, le touchant dans le genou et le freinant dans son élan. D'une énorme main rageuse, il arracha le trait et le lança derrière lui. Il poussa un cri furieux et reprit sa course, un peu moins vite, mais beaucoup plus énervé. Derrière, Jeroen et Jolien arrivaient dans leur direction, à peine visibles. De la même manière, Eyri et son cerf étaient maintenant réduits à une tache en mouvement sur l'herbe jaune. Les flancs de la montagne voisine les freineraient peut-être mais il n'était pas impossible qu'il y ait là un défilé à emprunter. La conscience de Prince était à peine perceptible.

Astrée était inquiète pour Prince et pour Eyri, mais bien trop loin pour tenter quoi que ce soit. Elle s'en voulait d'avoir laissé son compagnon sur le dos du cerf : s'il avait été là, il aurait pu se faire cheval et elle aurait pu tenter de venir en aide à Eyri. Mais là, vu les circonstances, elle ne pouvait que croiser les doigts -et prier Tymora- pour que l'elfe retrouve le contrôle de sa monture.
Elle avait cependant une menace suffisamment pressante à affronter pour ne pas perdre de temps en regrets : le second ogre avançait beaucoup trop vite à son goût, et elle tira une flèche, puis une autre, en visant en priorité les jambes, décidée à le cribler de flèches pour le ralentir au maximum. Lorsqu'il serait suffisamment proche, elle utiliserait un sortilège d'enchevêtrement, sauf bien sûr si les jumeaux étaient trop proches et risquaient d'être pris eux aussi au piège.

Astrée fit mouche sans difficultés : l'ogre ne constituait pas une cible très difficile. Mais il avait une couche de peau et de graisse épaisse et les traits le hérissaient, le faisaient même saigner, sans pour autant l'arrêter complètement. Cela permettait à Jeroen et Jolien se rapprocher, cependant, et Astrée dut renoncer à son sortilège car une hache vint se planter dans l'épaule de l'ogre. Ce dernier s'immobilisa, jeta un regard furibard derrière lui, puis hésita sur la direction à emprunter : vers Astrée ou vers ceux qui le suivaient. La druidesse avait l'opportunité de rejoindre Kalju, Kimik, Félicie et Mathieu qui étaient quasiment aux limites des ruines. Elle pouvait aussi décider de rester en arrière... en contrevenant aux ordres qu'on lui avait donnés.

Astrée avait toujours accordé aux ordres une importance toute relative. Et depuis que le cerf avait pris la fuite, emmenant avec lui Eyri et Prince, ils étaient passés complètement au second plan de ses préoccupations. En réalité, elle se souvenait à peine avoir reçu des directives. Sa priorité avait été de mettre le petit groupe de fuyards en sécurité, et cet objectif était en passe d'être atteint. Elle vérifia, d'un coup d'oeil, qu'aucune menace nouvelle n'apparaissait de leur côté, auquel cas elle pouvait se consacrer au problème le plus important du moment : la sécurité d'Eyri et de Prince.
Elle tira à nouveau sur l'ogre, en visant cette fois-ci le cou, puis le visage. Elle voulait l'éliminer au plus vite. Entre deux flèches, elle chercha du regard le cerf, espérant sans trop y croire le voir revenir vers eux.

Le cerf était hors de vue. Il n'était pas forcément très loin mais sa couleur terre, sur le sol rocailleux, aux herbes brunies et au relief accidenté, était difficile à distinguer, surtout quand on devait en même temps surveiller la progression d'un ogre en colère. Astrée n'avait que deux yeux. Elle put constater que le groupe avait atteint les limites des ruines, environ cinquante mètres derrière elle. Jolien et Jeroen avaient refait leur retard sur l'ogre; sans doute étaient-ils de taille à le gérer. Astrée pouvait se mettre en quête de l'elfe et de son cerf, mais elle était à pied, et elle n'avait qu'une idée vague de l'endroit où ils se trouvaient. Sans compter qu'elle serait seule et exposée dans un environnement hostile.

Astrée tira une nouvelle flèche vers l'ogre, puis laissa aux jumeaux le soin de l'achever.
Elle était inquiète pour Eyri, pour Prince. Elle se décala légèrement du chemin qu'ils avaient suivi jusque-là, pour s'éloigner un peu de l'ogre et essayer de distinguer, à nouveau, la présence du cerf en mouvement. Elle essayait, en même temps, de percevoir l'esprit de Prince, pour lui demander, à nouveau, de se faire cheval et de ramener le cerf... Ou, si n'était pas possible, de venir à sa rencontre. Le terrain lui semblait suffisamment praticable, et la vitesse d'une monture l'amènerait plus rapidement à l'abri si elle devait s'attarder en zone hostile.

Elle capta l'esprit de Prince, mais il semblait moins sûr qu'elle que la transformation était la bonne chose à faire. Elle capta des images d'un terrain accidenté, truffé de rocs et de trous, dans lequel galoper était chose impossible. Sans doute y avait-il une raison à l'absence de chevaux en ces lieux... On était loin de la steppe de la Trouée, et Prince n'était pas exactement taillé comme un poney rustique. Il pourrait se laisser convaincre, cependant, il n'avait pas l'air de savoir quoi faire, sinon sauter de sa monture furieuse et prendre ses jambes à son cou, en laissant ce stupide animal et son abominable cavalier se débrouiller tous seuls.

Astrée était tout aussi dubitative que Prince. S'il n'était pas possible de galoper, l'utilité d'une monture était discutable... Mais le cerf y parvenait, lui. Certes, il était plus agile. Et puis, il finirait peut-être par se rompre le cou, à courir ainsi...
Elle marcha quelques dizaines de toises dans la direction où ils étaient supposés se trouver, d'un pas rapide, en veillant à rester à distance de l'ogre. Elle scrutait le terrain de tous ses yeux en espérant les apercevoir. Si elle n'y parvenait pas seule, il lui faudrait de l'aide : il y avait peut-être un rapace suffisamment proche. Mais elle songeait qu'elle n'avait aucune chance de rattraper le cerf s'il continuait à galoper ainsi. Elle ne pouvait pas leur venir en aide dans ces conditions. Il fallait absolument qu'ils s'arrêtent... et qu'elle parvienne à les rejoindre rapidement.
Tout en avançant, elle demanda à nouveau à Prince s'il lui était possible de sauter de sa monture, se transformer aussitôt, et lui barrer la route pour l'obliger à s'arrêter. C'était ce qu'elle lui avait suggéré dès que le cerf avait pris la fuite, et s'il ne l'avait pas fait, c'était sans doute parce que le terrain était trop accidenté ou que le cerf allait trop vite. C'était peut-être encore le cas... Mais l'animal finirait tôt ou tard par ralentir. Elle insista sur la nécessité de rester auprès du cerf, quitte à attendre un meilleur moment pour agir.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Les Rocheuses du Dragon