La Couronne de Cuivre

Les billets étaient ainsi rédigés :

Messire de Maleval.

Je m'appelle Suzon, j'ai huit ans, mais je suis plutôt grande pour mon âge, et plutôt costaude. Plus tard, j'aimerais bien devenir paladine. Alors, si vous avez besoin de quelqu'un pour vous aider, demain, moi, je veux bien.

Suzon,
Quartier nord-est
2ème allée, septième tente

Mes sires,

Jé antandu parlé du tournoi, et si je me trompe pas, vous avé pas d'écuyé. Je sai bien que dabitude on prand des garsons, mais comme ici c'est l'égalitée, alors je tante ma chance. Je m'appel Ruth, j'ai dix ans et, pour les exercice, je suis dans le groupe des grans. Je seré vrémen ravi de vous aidé.

J'espaire que vous serez daccor

Ruth
Quartié nord-ouaist
4ème allée, 1ère tante

Péesse : pardon pour lé fotes, je sui plus forte à la bagare qu'a l'école

Messire Hubert,

J'espère que vous ne m'en voudré pas de vous écrire alors qu'on se connaît pas encore. Enfin moi, je vous connai, je vous ai vu sur le terrain d'entraînement. Je voulai juste vous dire que si vous voulié avoir quelqu'un pour s'occuper de votre cheval, de votre armure ou de vos armes, je serai très honorée de m'en charger. Mais je comprendrai bien que vous ayé déjà trouvé quelqu'un ou que ça vous embête que je sois une fille.

Merci de m'avoir lu.

Olga
Quartier nord-est, 1ère allée, 5ème tente

Messire Hubert.

Je suis Alice, vous vous êtes occupé de moi lors des exercices, hier. Je tenais juste à vous remercier pour vos conseils que je m'efforcerais de suivre à la letre. Je voulais aussi vous dire que, pour vous remercier, je serais très heureuse de pouvoir vous aider à vous préparer pour le tournoi.

Merci encore pour le temps que vous m'avez consacrer.

Alice
Quartier sud-ouest
4ème allée, 9ème tente

Hubert regarda Albérich, la mine défaite.
" Misère, misère, misère, dit-il simplement, tandis que le Luménien riait de bon coeur. Comment veux-tu que je choisisse ?
— La première veut être paladin.
— Elle n'a que huit ans, elle ne saura même pas tenir la lance.
— Elle dit qu'elle est costaude pour son âge. Et puis elle t'appelle Messire de Maleval, dans les formes, tout ça.
— Tirons au sort, c'est encore le mieux."
Le Luménien haussa les épaules.
" C'est ton écuyer, c'est toi qui vois.
— Quand je pense qu'en plus, je vais infliger à cette gamine la honte de me voir perdre...
— Oui, de ça, il faut qu'on reparle..."
Mais Hubert ne l'écoutait pas : il était rentré dans la tente et il en sortit avec son heaume, dans lequel il mit les messages repliés.
" Vas-y.
— Quoi ? Pourquoi moi ?!
— Il te faut une part de responsabilité là-dedans.
— C'est traître. Mais tu l'auras voulu... Ainsi soit-il."
Et Albérich attrapa un parchemin au hasard.

HRP : Résultat obtenu sur un site de dés virtuels.

Albérich plongea donc la main dans le casque, finit par en tirer l'un des billets, par le déplier...
...et par découvrir l'écriture charmante quoique approximative de Ruth, jeune fille de dix ans s'entraînant dans le groupe des grands, ayant déjà intériorisé le principe d'égalité cher aux membres de la communauté et décidé, sans doute à son insu, de révolutionner à tout jamais l'orthographe.

« Et bien ce sera Ruth, très cher. Qui habite le quartier nord-ouest, quatrième allée, chez sa première tante. Ah non. Dans la première tente.
— Que tu es scandaleusement mauvais.
— Mais elle est douée pour la bagarre !
— Formidable. Il ne manquerait plus qu'elle tombe à bras raccourcis sur Alban. »
Albérich jeta un coup d'oeil derrière son épaule.
« Personne ne nous a vus. Tu peux effectuer un second tirage et je ne dirai rien.
— Ce ne serait pas honorable. Je suis déçu de voir que tu as des préjugés sur elle parce qu’elle écrit mal. On voit bien que tu es fils de bourgeois.
— C’était de l’humour, Hubert. Bon sang, tu es stressé. »
Le paladin grommela et alla ranger son heaume dans la tente, puis ressortit.
« Bon, je vais aller la chercher… à l’école, j’espère. Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée de l’arracher à ses études, d’ailleurs. Elle en a manifestement bien besoin. Mais soit… C’est juste l’affaire d’un après-midi. »
Il sourit au Luménien, faussement détendu.
« Et tu peux retourner à ta constitution…
— Je vais t’accompagner jusque là… Je dois te parler du tournoi.
— Ah ? »
Ils se mirent en marche vers l’autre bout du campement.
« Hubert, ils se doutent que tu vas laisser Robert gagner. » dit-il simplement.
Le paladin grimaça.
« Ils ne pourront jamais le prouver, rétorqua-t-il finalement. Je suis un bon combattant. Je maîtrise mes coups. »
Albérich pinça les lèvres.
« Robert est un bon combattant aussi. Et Marthe a raison : s’il réalise que tu le ménages, il t’en voudra terriblement et la confiance entre vous risque d’en pâtir, quelles que soient tes bonnes intentions... Sans compter de ce que le reste des colons pourrait en penser : son autorité serait encore plus fragilisée. Pourquoi n’essaies-tu pas de faire de ton mieux ? Il y a de fortes chances qu’il te batte à la loyale, tu sais.
— Oh, je sais. Un chevalier de son expérience est fatalement supérieur à un paladin momifié dans mon genre. Je ne me fais pas d’illusions. Mais c’est plus facile pour l’ego de se dire qu’on perd parce qu’on n’y a pas mis toutes ses possibilités.
— Hubert ! »
Albérich s’était immobilisé, stupéfait. Le chevalier eut un sourire gêné.
« Excuse-moi. C’était une boutade. »
Mais le Luménien n’en était pas persuadé. Pas du tout.
« Ce n’est qu’un tournoi… Et je pensais que tu voulais tempérer cette popularité envahissante…
— Oui et non. C’est toujours la même chose. Mais tu as raison… Je ferai de mon mieux. »
Albérich poussa un petit soupir et ils reprirent leur route.
« Je pourrais être de mauvais poil, ensuite, murmura le paladin. Je préfère te prévenir. »
Le Luménien eut un sourire. Il aurait vraiment été mal placé pour reprocher ce genre de choses à son ami, lui qui était mal embouché un jour sur deux. C'était curieux, cependant... Hubert n'avait jamais été mauvais perdant aux Hermines... Mais sans doute y avait-il quelque chose de beaucoup plus identitaire dans un tournoi de chevalerie... Quelque chose qui touchait intimement à son estime de lui-même.
« Il n’y a pas de mal. » répondit-il.
Hubert acquiesça et se redressa. Ils étaient arrivés à proximité de l’école.
« A tout à l’heure, alors. »
Albérich posa une main amicale sur l’épaule du paladin.
« Tu vas t’en sortir très bien. Et je suis sûr que tu peux le battre. »
Hubert se contenta de grimacer puis fila à l’intérieur de la tente. L'ancien clerc secoua la tête et leva les yeux au ciel, avant de repartir vers la tente de Marthe. Décidément, cet univers lui échappait complètement.

A l'intérieur de l'école, l'atmosphère était électrique. Si Hubert avait remarqué que certains élèves étaient dissipés, lors de sa dernière visite, il constata qu'aujourd'hui, c'était le cas de la plupart d'entre eux, et les murmures qu'ils échangeaient constituaient un bruit de fond continu que les institutrices, malgré tous leurs efforts, ne parvenaient pas à faire cesser. Agathe comme Rebecca ne ménageaient pourtant pas leurs efforts pour capter leur attention : l'une avait décidé de narrer quelques tournois fameux des siècles passés, l'autre de dépeindre les exploits de célèbres chevalier. Mais rien n'y faisait : enfants et adolescents avaient déjà l'esprit entièrement tourné vers le grand événement dont ils seraient les témoins, dans quelques heures à peine. Hésitant entre agacement et mansuétude, les jeunes femmes poursuivaient néanmoins, et il allait falloir que le paladin se manifeste s'il voulait avoir une chance de capter leur attention.

Hubert ne perdit pas de temps. Il décida d'aller vers l'institutrice qui se chargeait du groupe d'âge correspondant à Ruth, sans se soucier de la réaction que pourraient avoir les élèves. Il avait la sensation qu'agir vite et bien minimiserait le dérangement. Comme il n'avait aucune idée de ce à quoi ressemblait Ruth, il n'essaya pas de deviner. Il se fendit d'un sourire qu'il espérait désarmant.
" Dame, désolé de faire irruption au milieu de votre leçon. Mais je cherche une dénommée Ruth, dix ans... Serait-elle ici ?"

Agathe leva les yeux au ciel et poussa un profond soupir.
-Je savais que ça arriverait. Je le savais.
Se tournant vers sa classe, elle lança, d'un ton découragé :
-Ruth, ton rêve vient de se réaliser. Tu peux suivre messire Hubert.
Une exclamation de triomphe retentit et une fillette bondit sur ses pieds. Grande, les cheveux bruns, les yeux sombres, sa pommette gauche arborait un bleu qui tranchait quelque peu avec ses traits délicats. Déjà, elle s'avançait à grands pas, au milieu d'un tumulte soudain assourdissant :ses amis lui adressaient des félicitations, ses rivaux protestaient bruyamment... Le paladin eut même l'impression que certains, dépités au dernier degré, étaient sur le point de fondre en larmes. Quant à l'institutrice, si elle s'efforçait d'avoir l'air impassible, on sentait bien qu'elle était loin d'être sereine...

La réaction du groupe, et de l'institutrice, était exactement ce qu'avait craint Hubert et il se morigéna mentalement d'avoir cédé à la pression populaire. Il semblait en plus qu'il ait fait un choix discutable. Il sourit néanmoins à la gamine, puis décocha une moue embarrassée à l'institutrice.
" Je suis désolé pour le... heu... dérangement, fit-il. C'est juste pour aujourd'hui..."
Il se souvint que les institutrices lui avaient promis de le faire payer les pots cassés s'il mettait le foutoir dans leurs classes. Et c'était exactement ce qu'il venait de faire.
" En guise de dédommagement, je peux peut-être... vous remplacer demain après-midi ?"
Si je suis toujours vivant, songea-t-il.

-J'en discuterai avec Rebecca : elle aura son mot à dire, puisqu'elle doit déjà être en train de subir les dégâts collatéraux de votre... visite. Ce qui est sûr, c'est que vous ne vous en tirerez pas comme ça, Hubert. Je vous préviens en toute amitié.
Était-elle furieuse contre lui ? Découragée, simplement ? Amusée, au moins un peu ? A voir la complexité de son expression, sans doute éprouvait-elle un mélange de ces divers sentiments...
-A présent, si vous le permettez, j'aimerais tenter de sauver ce qui peut encore l'être, ajouta-t-elle.
L'indescriptible brouhaha ne faisait que croitre et, de la pièce voisine, s'élevait un vacarme qui n'allait pas tarder à le rattraper en intensité.

" Bien sûr." fit-il, terriblement embarrassé, avant de battre en retraite vers la sortie avec la dénommée Ruth.
Pourquoi est-ce que je fais toujours tout de travers ? songea-t-il, démoralisé.
Il avait espéré rentrer dans le rang, satisfaire les attentes de chacun, et voilà le résultat... Une catastrophe. C'était assurément de la faute d'Albérich, qui avait manigancé pour ne pas devoir lui tenir sa lance au moment crucial, mais c'était lui qui allait récolter les ennuis. Une fois à l'extérieur, il se tourna vers Ruth.
" Bonjour. Je suis ravi de faire ta connaissance." dit-il en lui tendant une main amicale.
Il espérait qu'elle allait rapidement tempérer son angoisse d'avoir commis une grave erreur.

-Moi aussi ! s'exclama-t-elle d'un ton enjoué, en lui serrant la main d'une poigne ferme et calleuse. Et c'est super gentil de m'avoir choisie ! Ah, ça va en rabattre le caquet à certains, moi j'vous le dis ! Et vous verrez, vous serez pas déçu. Bon, j'ai jamais été écuyer, encore, et y a plein de trucs que je sais pas faire, mais quand je peux, je vais à l'armurerie pour regarder, alors je connais quand même une ou deux choses... En tout cas, je ferai de mon mieux pour vous aider ! Vous pouvez en être sûr !

" Je n'en doute pas, dit-il avec le sourire, tout en se dirigeant vers le coeur du campement. Nous allons d'abord aller jusqu'à ma tente chercher mon matériel. Je crois que nous ne serons pas trop de deux pour tout transporter jusqu'au terrain d'entraînement. Ensuite, on verra un petit peu... Il faudra que nous allions chercher mon cheval. Et puis je verrai s'il y a une quintaine, ou quelque chose du genre... Je ne serais pas contre me remettre un peu dans le bain de la joute."
Et du reste, songea-t-il.
Il n'avait plus croisé le fer avec personne depuis le dernier entraînement d'Albérich. Le matin, il avait réussi trois fois à remplacer un jeune combattant pour lui montrer la subtilité d'un mouvement, mais chaque fois, ça avait été de la démonstration, rien d'autre.

-Vous inquiétez pas, y en a une de quintaine ! répondit-elle après l'avoir attentivement écouté. Y en a même trois ! C'est messire d'Argencourt qu'a voulu qu'on les prenne, il dit qu'une charge de cavalerie c'est destructeur et que ça serait bien que les gardes ils apprennent à attaquer avec une lance quand ils sont à cheval. Messire Robert, il est d'accord, mais il dit que ça sera pas faisable quand on traversera les marais, parce que le terrain il est pas comme il faut, et qu'on verra quand on sera arrivés à la cité.

" Il est clair qu'une charge de cavalerie est redoutable, fit le paladin tout en cheminant vers la tente. Mais ça ne s'improvise effectivement pas complètement."
Une fois à bon port, il arrêta la gamine d'un geste puis se faufila dans son repaire. Il demeura un moment immobile dans le petit espace, rassemblant son courage, puis entreprit de dénicher ce dont il avait besoin... Son harnois en pièces détachées, son bouclier et les vêtements adéquats. Il n'avait plus de caparaçon pour Grand Vent depuis longtemps, il espérait que Robert visait bien.
Il ressortit.
" Bon, je te donne les vêtements, le heaume et le bouclier, je prends le reste." annonça-t-il à Ruth.
Il espérait qu'elle n'allait pas déjà crouler sous le poids et qu'elle parviendrait vivante au terrain d'entraînement.

La fillette parut sur le point de protester, sans doute pour dire qu'il pouvait la charger bien davantage. Elle se ravisa cependant, se contenta d'acquiescer et prit ce qu'il lui donna. Le poids du bouclier la fit grimacer, mais elle s'efforça de n'en rien montrer et, à aucun oment au cours du trajet, elle ne flancha ni ne protesta.
Lorsqu'ils arrivèrent enfin au terrain d'exercice, le paladin constata que, contrairement aux après-midi précédents, il était loin d'être désert. Les instructeurs s'entraînaient les uns contre les autres, et on avait déjà installé les quintaines : l'ensemble des chevaliers devaient ressentir le besoin de se dérouiller quelque peu... Pour l'heure, toutefois, ils étaient invisibles : soit ils se trouvaient à l'écurie, soit ils se préparaient sous leur tente.

A sa connaissance, Hubert n'avait pas de tente, lui, aussi décida-t-il de se renseigner rapidement, histoire de se préparer à devoir se changer au vu et au su de tous. Au point où il en était, ce n'était peut-être pas dramatique. Il n'avait cependant pas tellement envie d'imposer un tel spectacle à Ruth aussi se tourna-t-il vers elle.
" Peux-tu aller aux écuries et me ramener Grand Vent ? C'est un grand cheval gris... Il y aura sûrement un palefrenier pour te le montrer. Tu peux mettre la selle en équilibre sur son dos et prendre la bride, je m'occuperai de le harnacher. Mais si tu arrives à dénicher une brosse, je pense que tu gagnerais en popularité auprès de lui. Or, c'est un allié de poids..."
Dès que la gamine se serait mise en route, il irait aux nouvelles... Il avait besoin d'une lance, aussi...

-Bien noté ! J'reviens tout d'suite !
Et, sitôt qu'elle eut déposé son fardeau, elle détala ventre à terre en direction des écuries, tandis qu'Hubert rejoignait les instructeurs. Dès qu'il le vit, Edgar interrompit sa passe d'armes avec Ted pour l'écouter.
-Ils se changent sous leur tente habituelle, mais elles sont pas très loin du terrain, contrairement à la vôtre... répondit-il. Bah, vous n'avez qu'à demander à Robert de partager la sienne, je suis certain qu'il n'y verra aucun inconvénient.
-

" Vous voulez que je partage la tente de l'ennemi ? Mais vous êtes fou, Edgar, cela ne se fait pas. Je me changerai dehors, ce n'est pas un problème. De toute façon, ce n'est pas comme si ça allait m'arriver trois fois sur la journée..."
Il jeta ensuite un coup d'oeil aux deux combattants, le sourire aux lèvres.
" Au fait, suis-je toujours sous embargo, ou bien l'un d'entre vous acceptera-t-il de croiser le fer avec moi, aujourd'hui ?"

Les deux hommes semblèrent embarrassés.
-Mais... vous avez jamais été sous embargo.
-On vous taquinait, c'est tout.
-On passe notre temps à s'entraîner les uns avec les autres.
-Alors pourquoi on le ferait pas avec vous, vu que vous faites partie du groupe ?
-Ce sont des affrontements... confraternels.
-Oui, on s'en fiche de qui gagne ou qui perd : on progresse dans tous les cas.
-Bon, d'accord, il y a les paris, mais... Çà pimente juste un peu la chose !
Ils échangèrent un regard, un demi sourire, puis Edgar reprit :
-Et vous pouvez franchement demander à Robert, pour la tente. Au pire, il se dépêchera pour voua la laisser... Sinon, je doute pas que des membres de la communauté installés dans le coin seront ravis de vous héberger.
-Oui, je connais plusieurs demoiselles qui...

" Non merci, vous êtes gentils... Je me cacherai dans un coin et personne ne se rendra compte de rien, fit-il avec une grimace. Je vais vous laisser vous entraîner... Quand l'un d'entre vous a un moment, je suis intéressé."
Puis il battit en retraite vers l'endroit où il avait laissa son matériel. Il ferait sans doute mieux de mettre son harnois tout de suite, histoire de se réhabituer à le porter. Il était en bon état, il l'avait vérifier l'avant-veille, mais il ne l'avait plus porté depuis un certain temps, la cotte de mailles étant nettement plus fonctionnelle dans l'exercice de ses fonctions solarciennes.
En attendant le retour de Ruth, il jeta un coup d'oeil circulaire sur le terrain d'entraînement et ne put retenir un léger soupir. Dans quoi s'était-il embarqué...
Il ne doutait pas de retrouver ses sensations dès qu'il serait à pied d'oeuvre, cependant. C'était le genre de situations où trop réfléchir ne lui apporterait rien de bon.

Ruth revint bien plus tôt qu'il ne l'aurait cru, suivi par un Grand Vent docile. On s'était manifestement très bien occupé de lui et, de surcroît, il était déjà complètement harnaché.
-Me v'là ! annonça la gamine, radieuse. Arnaud, il l'a sellé, pis y m'a dit que si vous vouliez un carapaçon, y aurait pas de problème pour en trouver un. Bon, du coup, comme il a été sympa, peut-être que je me vengerai pas, même s'il a eu l'air de trouver super bizarre que vous m'ayez choisi. Ah, ces garçons, j'vous jure, tous les mêmes ! Enfin, sauf vous, bien sûr.

Hubert se demanda de quoi, exactement, elle entendait se venger, mais il se retint de poser la question, craignant le déferlement d'une querelle de jeunots dont il ne voulait, surtout, rien savoir. Il eut cependant un sourire à la mention du nom du palefrenier, se souvenant de leurs démêlés de la veille, mais aussi parce que c'était le prénom de son frère aîné, et qu'un instant, infime, il se demanda comment celui-ci se portait. Il avait la quarantaine bien sonnée, maintenant, c'était probablement toujours une force de la nature.
" Je crois que je vais me débrouiller sans caparaçon. C'est une joute amicale, pas la guerre." fit-il en saluant son cheval d'une caresse.
Il se hissa ensuite en selle et se sentit tout de suite mieux. Rassemblant les rênes de Grand Vent, il le guida vers l'endroit où on avait installé les quintaines, et chercha une lance du regard. Il percevait l'enthousiasme du destrier en dessous de lui et lui flatta l'encolure.
" Les coups de sabot et les morsures sont interdits, cher ami, lui souffla-t-il avant d'aviser Ruth. Dame mon écuyer, trouve-moi une lance, veux-tu ?"

-J'vais vous en chercher une tout d'suite !
Fort logiquement, elle fila en direction de l'endroit où, durant les entraînement, on installait les râteliers d'armes. Elle eu raison car, se penchant, elle ramassa une lance mille fois trop grande pour elle, qu'elle entreprit de ramener à Hubert tout en essayant, sans grand succès, de ne pas trop la laisser traîner par terre. Les instructeurs ne manquèrent pas de remarquer son manège : prenant pour la première fois conscience de sa présence, ils lui jetèrent des regards surpris, à elle mais aussi à Hubert. Manifestement, le choix qu'il avait fait pour son écuyer du jour ne manquerait pas de faire parler de lui...

Sautant de cheval, le paladin se porta à son secours, tout en tâchant de ne pas trop y paraître. Il ne voulait pas vexer la gamine, mais pas non plus la mettre dans une situation désespérée, et il était plus que conscient que leur tandem était devenu la cible des regards. Il attrapa la lance, la releva, puis faillit expliquer à la gamine comment la transporter, avant de réaliser qu'elle était de toute façon trop menue pour s'en sortir. Il l'en délesta donc avec un sourire tout à fait satisfait, ne laissant en rien paraître son embarras, et la remercia.
" Mon heaume, maintenant, s'il te plait, lui dit-il. Mais reste sur le côté, je vais voir si je peux déjà toucher cette quintaine en y voyant clair."
Il fit ensuite volte-face et remonta en selle. Grand Vent renâcla et le paladin y décela comme une moquerie. Soupesant la lance, il réalisa qu'il n'avait aucune idée du type de joute que Robert entendait disputer. Ce type d'énorme lance servait à désarçonner l'adversaire, ce qui était la variante la plus violente de l'exercice, et il n'était pas certain que ce soit une excellente idée à quelques jours d'un long périple. Il imaginait que le chevalier préférerait la version où l'on cherche à briser sa lance sur le bouclier de l'adversaire. Il faudrait qu'il se renseigne. En attendant, la quintaine ne verrait pas d'objection à ce qu'il la charge une première fois.

Si elle vit une objection, elle ne le montra guère, sinon par un grincement lorsqu'il la frappa. Il l'avait touchée du premier coup, ce qui était à la fois rassurant et normal : ce que l'on a tôt appris et longtemps fait ne s'oublie pas aisément... Ruth, cependant, n'avait pas dû souvent voir des chevaliers à l’œuvre et elle ne cacha pas son enthousiasme :
-Bravo ! lança-t-elle d'une voix forte. J'suis sûre que vous allez faire mordre la poussière à sire Robert !
Elle tenait le casque dans ses mains, prête à le lui remettre.

Le paladin était soulagé d'avoir touché, en réalité. Même si c'était un exercice d'une facilité confondante, il ressentait une légère appréhension à l'idée de ce qui allait suivre. Mais l'enthousiasme de Ruth lui fit chaud au coeur et il vint au trot dans sa direction.
" Merci de ta confiance, Ruth, dit-il. Mais je te suggère de conserver ton énergie pour le tournoi en lui-même. Et aussi de te préparer à la possibilité que le résultat de l'affrontement soit inverse à tes espoirs."
Il lui prit son heaume et l'enfila. On n'y voyait rien dans cette boîte en fer, c'était terrible. Il releva la visière le temps de reprendre position. La quintaine avait tourné et n'était plus correctement alignée, aussi alla-t-il d'abord la replacer. C'était le rôle de l'écuyer, mais Ruth était beaucoup trop inexpérimentée pour qu'il prenne le risque de la laisser se placer au coeur de la lice.
Hubert avait conscience que le fait de monter un destrier de paladin était un avantage certain. Alors que les chevaliers devaient généralement lutter un rien avec les caprices d'un animal, il avait une maîtrise parfaite d'un cheval intelligent, qui pouvait participer à l'assaut comme un réel combattant, se déportant pour diriger l'arme de son cavalier, changeant de cadence selon les besoins, se redressant pour le récupérer s'il venait à perdre l'équilibre. Pour cette raison, le paladin était relativement confiant dans sa capacité à mener en joute, d'autant que Robert avait avoué ne plus avoir combattu de la sorte depuis dix ans. Il aurait peut-être dû changer de cheval, tout compte fait, mais ni Placide, ni Douce ne pourraient faire l'affaire. Ça aurait été nettement plus honorable.
Il soupira. Il poserait la question à Robert plus tard. Rabattant sa visière, il chargea une seconde fois en direction du bouclier défoncé du mannequin tournant.

-J'suis sûre que ça arrivera pas ! s'était-elle exclamée alors qu'il s'éloignait déjà. Et même si ça arrive, je vous vengerai en mettant la pâtée à son écuyer ! T'façon, Alban, c'est rien qu'une mauviette !
Sans doute aurait-elle mieux fait de se taire car, lorsqu'il eut à nouveau touché au but, Hubert se rendit compte que l'intéressé avait fait son apparition, tenant par la bride un superbe étalon à la robe grise. Le gamin, lui-aussi, était tout de gris vêtu : il portait une belle tenue arborant les couleurs et le blason de Robert, lequel figurait un loup blanc.
Si l'élève était là, le maître ne tarderait plus.

Pas trop mécontent de lui-même, Hubert félicita son cheval puis revint au trot vers Ruth, gratifiant Alban d'un geste au passage. Il mit pied à terre devant la petite fille.
" Ruth, fit-il à mi-voix. J'ai réfléchi à ce que tu viens de dire. Il est absolument hors de question que tu ailles te battre avec Alban. Ou avec n'importe qui d'autre, d'ailleurs. Un écuyer se tient et reste digne. Aller rouler dans les caniveaux, ça n'est pas convenable. Il faut que tu puisses contrôler tes... instincts. Si Sir Robert me bat au tournoi, et bien c'est ainsi. Je ferai mieux la prochaine fois, voilà tout, et dérouiller son écuyer, même si ça te démange, n'est pas une manière acceptable de gérer les émotions négatives qui découlent d'une défaite. Si tu veux, nous irons jeter des cailloux sur un tronc d'arbre ensemble, ou quelque chose comme ça."
Jetant un coup d'oeil vers Alban, il regretta de ne pas pouvoir faire porter ses couleurs à la gamine, mais à dire vrai, il ne possédait même plus de tabard les figurant pour lui-même. Il lui restait juste son bouclier et une vague dominante bleue dans sa garde robe civile.

La petite fille s'empourpra.
-Je... Bien sûr, messire. Je ferai comme vous dites. Mais... Je parlais pas d'une bête bagarre. Je parlais d'un vrai duel. Agathe, elle nous a expliqué, tout à l'heure, que des fois, dans les tournois, les écuyers ils se battaient aussi, pour montrer ce qu'ils ont appris. Alors, je pensais qu'on pourrait faire pareil, puisque ça va être un vrai grand tournoi ! Et puis, Alban et moi, on est dans le même groupe, pour les exercices, donc on s'est déjà affrontés ! Vous pouvez demander à Ted !

Hubert grimaça, conscient d'avoir sauté sur la conclusion la moins positive avant d'avoir laissé la petite fille d'expliquer.
" Dans ce cas, et si les choses s'organisent ainsi, je serais fier de te voir défendre mes couleurs." répondit-il alors.
En réalité, il n'était pas certain de trouver très réjouissante l'idée qu'une gamine qu'il n'avait même pas entraînée puisse venger son honneur.
" Je suis sûr que tu serais capable de lui mettre... une pâtée, effectivement."
Il chercha ensuite Robert du regard. C'était le moment de s'enquérir des modalités de la joute.

La Couronne de Cuivre

[Quête] Dans la Campagne du Soleil