[Lieu] Une route oubliée

[Hubert de Maleval]

Hubert acquiesça. Il y avait quand même une vingtaine de guerriers et certains étaient dans un état épouvantable. Il jeta un regard circulaire autour d'eux puis soupira.
" Je ne veux pas retarder tout le monde, mais je dois dire que je me sentirais... plus en paix avec moi-même si nous pouvions nous donner ce mal, oui."
Il vit qu'Albérich s'était arrêté et avait déposé ce qu'il transportait. Il avait fatalement tout entendu et son expression était vaguement distante, indéchiffrable. Il se sentit rougir comme il se détournait.
" Je sais que c'est ridicule, que ces gens étaient peut-être simplement des guerriers maléfiques bien heureux de servir un seigneur dément mais si un seul d'entre eux était un aventurier malheureux..."

[Taliesin]

-Très bien.
Puisqu'il aurait été imprudent de laisser des gens en arrière, puisqu'il aurait de toute façon fallu les attendre avant de rejoindre la colonne, c'est tout le groupe qui fit halte. Il y eut bien quelques grommellements - certains avaient particulièrement hâte de quitter le tumulus -, mais aucune protestation franche : après tout, Robert étant inconscient, c'est Hubert qui exerçait les fonctions de commandant.
Avec le respect dû à des défunts, l'on replaça les guerriers dans leur sépulture, puis l'on remit en place les couvercles des sarcophages.
-Je m'occupe de l'oraison ou vous préférez vous en charger ? s'enquit Gabriel lorsque tout fut terminé.

[Hubert de Maleval]

" Je ne suis pas prêtre, se défendit Hubert. Mais je pense que vous pouvez faire court..."
Embarrassé d'avoir arrêté tout le monde, il se mit en retrait et attendit que le clerc commence. Il jeta un coup d'oeil circulaire sur le groupe, repéra Albérich qui s'était placé le plus loin possible de la cérémonie à venir, près d'Alban et Ruth, qu'il surveillait d'un oeil distrait. Le paladin se morigéna pour ses idées stupides, mais en même temps, il avait le sentiment d'avoir agi pour le mieux. Il prit la bonne résolution d'aller parler à Albérich dès qu'ils repartiraient.

[Taliesin]

Le Lathandrite s'exécuta. Il commença par rappeler que ces monstres d'outre-tombe avaient jadis été des hommes, qu'ils avaient aimé, été aimés, qu'ils avaient aspiré au bonheur avant que, pour une raison ou une autre, on ne les condamne à une terrible parodie d'existence. Il poursuivit en parlant de l'ombre vaincue, de la lumière et de l'espoir qui avaient été amenés en ces lieux, du repos éternel dont profitaient désormais les guerriers, auprès du dieu qu'ils avaient vénéré, quel qu'il soit. Quoique bref, son discours s'avéra efficace, bien tourné, porté par la conviction du jeune clerc, et tous ceux qui l'entendirent se sentirent mieux, plus détendus, plus apaisés. Un peu émus, aussi.
Vint enfin le moment de reprendre leur lente remontée vers l'extérieur.

[Galathée]

Une fois Alban et Ruth en mouvement, Albérich s'apprêta à les suivre. Il n'avait pas réellement écouté ce qui s'était dit, assister à des cérémonies lathandrites restait globalement pénible. Dire que moins d'un an plus tôt, il avait présidé à la veillée funèbre d'Eudes de Combeloup... Il avait fait marche arrière, finalement. Ou bien au contraire, était-ce un progrès. Il savait qu'en réalité, tant qu'il ne parviendrait pas à répondre à cette question en son âme et conscience, il restait coincé dans cette non-existence spirituelle qui était devenue son quotidien.
Il fut interrompu dans ses pensées, cependant, car il eut la surprise d'être rejoint par Hubert. C'était délibéré de la part du paladin, exactement comme l'éviter l'avait été depuis leurs retrouvailles, mais Albérich n'était pas vexé. Il sentait la situation douloureuse pour son ami, et il avait envie de l'aider à retrouver une certaine tranquillité d'esprit. C'était maigre, comme contribution, mais c'était sa seule possibilité.
Hubert ne dit rien, cependant, et le Luménien eut l'impression de deviner des mots esquissés, non prononcés, dans ses traits anormalement tendus.
« Est-ce que ça va ? Tu as l’air un peu… faible.
— Rien de grave. J’ai besoin de repos.
— Tu n’es pas parfaitement indemne. Veux-tu que je demande à Barthélémy si…
— Ce n’est pas nécessaire, Albérich. »
Ce dernier prit une profonde inspiration. S’il ne disait rien, il pourrait probablement rester dix jours sans parler à Hubert, qui manquait manifestement de courage dans certains registres. Mais il fut doublé sur le fil.
« Je suis désolé si tu as pensé que je n’étais pas content de te voir.
— Et je suis désolé d’être venu si c’est le cas. »
Hubert pinça les lèvres et secoua la tête.
« Non, c’est juste… j’aurais voulu… ne pas… Je suis désolé. Je suis fatigué.
— Je suis heureux que tu sois vivant. » lâcha aussitôt le Luménien.
Le paladin lui jeta un regard en coin, le visage reflétant son embarras.
« Moi aussi. »
Albérich lui sourit doucement.
« Et c’est tout ce qui compte. »
Le paladin acquiesça, la mine froncée. Sa bouche s'entrouvrit, se referma, il secoua la tête et soupira.
« Pouvons-nous reparler de ça plus tard ? Je ne me sens pas vraiment en état.
— Bien sûr. »
Ils continuèrent en silence, l’un à côté de l’autre quand c’était possible, Hubert devant et Albérich dans son sillage quand ça ne l’était pas. Petit à petit, l’ancien clerc retrouva un semblant de sérénité. Il y avait l'aura, bien sûr, mais il y avait aussi la promesse d'aller au bout des choses, aussi pénibles soient-elles à raconter. Ce n'était pas rien.

[Taliesin]

Le trajet fut long et pénible. Ils étaient fatigués, avaient faim, portaient de lourdes charges et commençaient tous à trouver pesantes les ténèbres du sépulcre que les torches ne faisaient que repousser temporairement. Mais, après un temps que personne ne fut en mesure d'évaluer, ils en vinrent enfin à bout.
Le ciel c'était dégagé. A l'ouest, le soleil vespéral, bas au-dessus de l'horizon, parait le paysage de teintes mordorées. Baignés par cette chaude lumière, succédant au sinistre décor du tumulus, les pourtant mornes landes offraient un tableau flamboyant et paisible.
Malheureusement, ils ne pouvaient se permettre de rester à l'admirer : la nuit ne tarderait plus, il fallait se mettre en route. Aussi commença-t-on à charger le butin dans les fontes et sur le dos des chevaux que plusieurs gardes avaient surveillés en l'absence du reste de l'expédition.

[Galathée]

Albérich serra doucement l'avant-bras d'Hubert, en guise de salut, avant de partir vers son cheval. Malgré leur départ précipité, il avait réussi à dénicher Douce et avait pu cheminer jusqu'au tumulus sans adjoindre le stress de la chevauchée à son anxiété déjà démesurée. Il avait alors pris Ruth devant lui, en selle, mais peut-être aurait-elle envie de faire le trajet retour avec Alban. L'écuyer était certainement meilleur cavalier que lui et le destrier de Robert était libre. Le chevalier serait sans doute transporté par Hubert, dont le cheval était le plus puissant et le plus maniable de leur groupe : la chaise à porteur devenait peu pratique dans le marécage. Sans se formaliser, demeurant disponible en cas de besoin, le Luménien observa donc les préparatifs de chacun. Il lui tardait de retrouver le semblant de sécurité offert par le convoi, désormais... mais le crépuscule était superbe et il se laissa aller à l'admirer sans arrière pensée.

[Taliesin]

Les préparatifs touchaient à leur terme lorsqu'Edgar s'approcha du paladin. Le sergent avait l'air des plus embarrassés.
-Mon capitaine, voulez-vous que je supervise la garde ? Enfin, je dis ça mais... Mais je suis bien conscient d'avoir commis une erreur effroyable en laissant Alban se faire enlever, alors même que la colonne était sous ma responsabilité... Je comprendrais donc que vous préfériez ne pas me confier une telle mission...
A l'entrée du tumulus, les enfants se tenaient immobiles, indécis, ne sachant quelles dispositions seraient prises les concernant et n'osant pas s'avancer par peur de gêner les adultes.

[Hubert de Maleval]

Hubert dévisagea Edgar sans comprendre pendant une seconde, puis secoua la tête.
" Allons, ne dis pas n'importe quoi. J'étais l'officier supérieur sur ce front et c'est moi qui ai pris la décision stupide de négliger ces oiseaux de malheur jusqu'à la dernière minute. De plus, si nous devons jouer à ce petit jeu, il y a au moins dix personnes qui peuvent revendiquer la responsabilité de cette affaire. Alors pour le salut des huit autres, je propose que nous ne nous appesantissions pas."
Il eut un sourire contraint.
" Je vais porter Robert, et nous allons mettre les enfants sur son cheval. Alban le connait bien, il n'y aura pas de soucis. Vois avec Varamyr comment organiser au mieux le retour. Nous n'avons pas revu les ombres volantes et malgré le décès de leur patron, j'aimerais autant qu'on garde un oeil sur le ciel. Pour le reste... J'imagine que le terrain imposera l'allure de notre formation, mais il faut que les... civils soient bien encadrés. Surtout les gosses, Barthélémy... Albérich, je suppose. Enfin, je te laisse superviser ça. J'ai toute confiance."
Il pinça les lèvres, releva les yeux avant que l'officier ne s'éclipse.
" Et merci, Edgar. Pour votre intervention à tous. C'était à deux doigts, je vous suis redevable... Je ne l'oublierai pas."

[Taliesin]

Le sergent balaya les remerciements d'un geste.
-Vous me devez rien, capitaine. Rien de rien. On est sur le même bateau, c'est normal qu'on se serre les coudes. Et que tout le monde s'en soit tiré vivant, ça me suffit largement.
Il lui sourit, le salua puis tourna les talons.
Les choses se passèrent comme Hubert en avait décidé. Sitôt le butin arrimé, on lui confia Robert, conformément à sa demande, et on proposa aux enfants de chevaucher ensemble la monture du chevalier inconscient, ce qu'ils acceptèrent. Après que l'écuyer ait retrouvé ses bottes et que Ruth lui ait d'autorité mis une deuxième couverture sur les épaules, on les aida à s'installer sur le dos du grand destrier. Dès lors, il ne fallut guère de temps avant que tout le monde ne soit en selle. Tout le monde hormis Varamyr ce qui, comme précédemment, ne les ralentit en rien, même lorsqu'ils eurent regagné la route et purent adopter une allure plus soutenue, grâce aux traces qu'avait laissé le convoi et qu'il leur suffisait de suivre.
Aucun incident ne ponctua leur périple : pas un seul mort-vivant pour les assaillir, pas une seule horreur volante pour plonger sur eux depuis les cieux obscurcis. Et c'est ainsi qu'après une longue cavalcade, alors que la nuit était tombée depuis des heures déjà, qu'ils aperçurent des scintillements dans le lointain. Les deux colonnes de chariots étaient parfaitement en ordre, entouré par le système défensif que Frida, Robert et Hubert avaient imaginé, quoique ces derniers n'aient pu présider à sa mise en place.

[Galathée]

Albérich était plus ou moins persuadé qu'il allait finir par tomber de selle lorsqu'ils aperçurent enfin les lueurs du convoi. Dieux, qu'il avait envié Varamyr, caracolant comme si de rien n'était à leurs côtés, tandis qu'il se pulvérisait le fessier chaque fois qu'un sabot heurtait une pierre. Il allait s'écrouler par terre en arrivant. Heureusement, il ne serait pas au centre de l'attention, il pourrait se cacher discrètement derrière une bâche et s'éclipser tout aussi rapidement pour aller poser son postérieur sur un coussin, une demi-heure, avant de prendre son tour de garde. Car malheureusement, ils devaient encore survivre à leur mauvaise nuit, et il s'était proposé pour jouer les sentinelles. Il s'en sentait absolument incapable à la seconde, mais il supposait qu'avec un bon repas roboratif dans l'estomac, la vie lui semblerait brusquement moins insupportable. Tout ça à cause de ce maudit bourrin. Misère, les supplices qu'il s'infligeait au nom de l'amitié !
Il sourit de son micro-drame, jeta un oeil aux enfants stoïques, à Hubert qui demeurait droit et digne en dépit d'une fatigue qui se faisait de plus en plus manifeste. Lui aussi devrait être sur le pont toute la nuit et Albérich espérait qu'il accepterait qu'Agnès le requinque un rien avant de regagner son poste.
Mais ils étaient tous vivants et il était l'heure de profiter, un moment, de la chaleur avec laquelle ils seraient immanquablement accueillis.

[Taliesin]

S'ils avaient pu établir un campement en bonne et due forme, sans doute l'essentiel de la communauté se serait-il rassemblé pour saluer leur retour. Malheureusement, compte tenu des conditions, semblable réunion était impossible... Néanmoins, quatre des cinq conseillers demeurés avec le convoi les attendaient à l'arrière de celui-ci. Leurs visages souriants étaient exempts de toute inquiétude, et pour cause : l'aigle de Frida était venu rendre visite à la petite expédition et Varamyr en avait profité pour lui confier un message. Ils savaient donc qu'aucun mort n'était à déplorer.
-Les dieux m'en soient témoins, c'est un bonheur immense de vous revoir tous ! lança Étienne.
-Je vais conduire les blessés au dispensaire, où Barthélemy et moi-même veillerons sur eux jusqu'à ce qu'ils soient complètement remis, annonça Agnès.
-Les autres peuvent regagner leurs chariots respectifs où leur sera apporté un bon repas et de l'eau chaude, s'ils le désirent, fit Ignace.
-Ils pourront ensuite jouir d'un repos bien mérité, enchaîna la rôdeuse. Et dormir sur leurs deux oreilles : vu le nombre de personnes s'étant portées volontaires pour monter la garde, le convoi n'aura absolument rien à craindre cette nuit.

[Hubert de Maleval]

Hubert accepta l’aide d’Etienne pour descendre Robert de Grand Vent. Il avait un peu de mal à analyser tout ce qui venait de se dire mais en avait retenu l’essentiel : il ne devait pas monter la garde cette nuit-là. C’était un soulagement. Il aurait fait son devoir, bien sûr, mais sans doute avec une efficacité très limitée.
« Je vais le porter au dispensaire, dit-il au jeune Fontbrune. J’irai me coucher ensuite. »
Il confia les rênes de Grand Vent à un palefrenier au hasard, puis chercha les enfants du regard. Albérich était en embuscade, prêt à intervenir, mais sans doute la mère de Ruth prendrait-elle soin d'Alban jusqu’à ce que Robert soit à nouveau sur pied. Quoi qu’il en soit, il pouvait considérer qu’ils étaient désormais tous de retour dans la sécurité du convoi et que ce n’était plus à lui de surveiller les uns et les autres. Il avait besoin d'un répit.

[Taliesin]

Et ce répit lui fut accordé. Ingrid, qui faisait partie de la petite assistante, s'empressa de rejoindre sa fille pour la serrer dans ses bras. Et, spontanée, elle réserva le même traitement à un Alban rouge comme une pivoine - pour ne pas changer - avant de prendre les deux anvants sous son aile et de les mener en direction de son chariot.
Si Agnès laissa Hubert porter le chevalier jusqu'au dispensaire et l'y installer, elle ne tarda pas, ensuite, à le mettre dehors, gentiment mais fermement. Elle le menaça même de le soumettre à un examen complet s'il s'attardait trop : après tout, argua-t-elle, il n'avait pas très bonne mine.

[Hubert de Maleval]

Un petit sort de soin bien dosé l'aurait sans doute remis immédiatement sur pied, mais Hubert savait que la nature était préférable à l'énergie des dieux, même quand on était un de leurs fervents serviteurs. Il souhaita donc la bonne nuit à Agnès et partit errer entre les chariots, sans savoir réellement où se poser. Ou plutôt si, il savait exactement où il avait envie de se poser, mais il craignait les conversations qui viendraient obligatoirement avec les lieux... A moins que sa mine ne soit discours suffisamment éloquent pour qu'on le laisse un peu tranquille. Il se mit donc en quête de l'Académie, devant laquelle il s'immobilisa, tâchant d'entendre si quelqu'un y était déjà avant de faire son apparition.

[Taliesin]

Il entendit des sifflements, des fredonnement émanant apparemment d'une seule et même personne. Et il crut l'identifier : à son avis, il s'agissait de Giovanni. En dehors de cela, rien. Mais était-ce si étonnant ? Albérich ne lui avait-il pas dit que tous les membres de l'Académie s'étaient portés volontaires pour jouer les sentinelles ?
Quelques instants plus tard, une odeur ténue de fumée s'échappa du chariot. Il fallait croire que le barde venait de se bourrer une bonne pipe.

[Hubert de Maleval]

Hubert prit une profonde inspiration puis entrouvrit les pans de toile protégeant l'intérieur du chariot.
" Bonsoir maître barde, dit-il avec le sourire. Pensez-vous que je puisse venir m'incruster dans votre auguste refuge ? Je sais que les gens d'armes dans mon genre sont supposés interdits de séjour, mais Albérich m'a donné un laissez-passer hier, et je dois avouer que j'ai un souvenir assez nostalgique de vos nombreux coussins... Je me ferai tout petit et je crois que je ne ronfle pas. De surcroît, vous n'aurez pas à subir ma conversation, je pense m'endormir plutôt rapidement... "

[Taliesin]

Le barde exhala une bouffée de fumée - qui ne sentait pas tout à fait le tabac ordinaire - et gratifia son visiteur d'un sourire amical.
-Hubert, comment pourrais-je vous refuser l'accès à l'Académie, alors que je ne sais pas si j'ai moi-même le droit de m'y trouver ? En effet, il n'est pas impossible que mes condisciples, suite à ma participation à cette expédition et bien que je n'aie usé que d'une arbalète, m'assimilent désormais aux gens d'épée... Alors entrez donc et installez-vous confortablement ! Lorsque les autres seront relevés, nous serons endormis depuis belle lurette et je suis certain qu'ils n'auront pas le cœur de nous réveiller pour nous chasser. Mieux, il se peut que l'odeur qui émane de nos personnes les fassent fuir. Car en ce qui me concerne, si l'eau chaude promise doit arriver après le repas... Je crains que la fatigue et la digestion m'aient terrassé bien avant qu'elle ne parvienne ici.

[Hubert de Maleval]

Le paladin sourit.
" Je vais quand même partir en quête de mes fontes. Je ne voudrais pas dormir dans cette... chose. Ma cotte de mailles est définitivement fichue, je le crains... Il me reste mon harnois, mais ça va être moins pratique à enfiler chaque matin... Enfin. Ma tunique de nuit me suffira pour l'heure. Je reviens."
Mais au moment de faire volte-face, il se ravisa, songeant soudain à une question qui le turlupinait depuis un moment.
" Giovanni, tant que j'y pense, je voulais vous demander... Si je cherchais quelqu'un, dans la communauté, qui s'y connaîtrait particulièrement bien en races... Je veux dire... Les humains, les elfes, les nains, ce genre de choses... Pas seulement leur histoire ou leur culture, mais aussi... leur nature, j'imagine... A qui devrais-je m'adresser ? L'un d'entre vous, bardes, ou bien un des rôdeurs ? Je me dis que vous connaissez mieux les gens que moi, vous pourrez peut-être m'aiguiller vers la bonne personne ?"

[Taliesin]

Il fronça les sourcils.
-Alors là, vous me posez une colle ! Je n'ai entendu aucun de nos compagnons dire qu'il était spécialiste en ces matières. Mais les rôdeurs et les bardes me semblent de bonnes pistes. Personnellement, je connais les grandes caractéristiques des races communes et d'autres moins courantes... Je peux donc essayer de répondre à vos questions, sans garantie aucune d'y parvenir.

[Hubert de Maleval]

Hubert hésita, jaugeant le barde. Puis il pinça les lèvres et lâcha un bref soupir.
" C'est pour une question personnelle. Si je vous en parlais je voudrais... que vous gardiez cela pour vous... Je ne veux présumer de rien mais j'ai connu plusieurs personnes de votre profession, certaines ont été mes proches amis, mais... la discrétion n'était pas toujours leur point fort. Sans vouloir... hum... vous offenser."

[Taliesin]

Le sourire de son interlocuteur s'élargit.
-Rassurez-vous : je sais de quelle réputation jouit ma profession, et je ne suis pas assez corporatiste pour dire que c'est totalement infondé... Mais dans mon cas, vous pouvez être rassuré. Vous pensez bien que si j'étais du genre à trahir les secrets, plus aucun temple ne m'embaucherait, vu tout ce que je vois et entends quand j'officie en leurs murs... Bref, rien de ce que vous me direz ne sortira de ces murs. Enfin, si je puis m'exprimer ainsi.

[Hubert de Maleval]

Hubert opina du chef puis prit une profonde inspiration.
" Voilà, je... j'ai toujours eu une bonne vue dans le noir... meilleure que la plupart des gens... des humains, je veux dire... Ça ne m'a jamais semblé particulièrement spectaculaire, certains sont plus costauds, d'autres plus malins, d'autres encore ont une belle voix..."
Il releva les yeux et sourit au barde, puis se sentit rougir.
" Et moi j'y voyais mieux que d'autres pendant les patrouilles nocturnes à Solarcis. Rien de dramatique. Mais dans cette tombe... Il n'y avait par moments pas une seule goutte de lumière. Pas une fenêtre sur l'extérieur, ni lune, ni étoiles, ni vestiges d'un feu ou lanterne distante... et pourtant... J'y voyais parfaitement. Enfin... sans les couleurs, mais... Je dois avouer que ça me trouble beaucoup. Je suis fils d'un forgeron tout ce qu'il y a de plus ordinaire, mes oreilles m'ont l'air rondes et... Je ne crois pas que Lathandre gratifie ses servants de ce genre de prouesses... Je ne suis pas complètement sûr d'être né comme ça, peut-être est-ce un sortilège ou une malédiction... enfin, une bénédiction, je suppose, mais... ça remonte en tout cas. Et ça m'inquiète un peu. J'ai toujours pensé que j'étais... plutôt normal."

[Taliesin]

Giovanni le dévisagea, sa curiosité piquée.
-Vous avez pu être touché par un sortilège, oui... Mais dans ce cas, celui qui vous l'a lancé l'a accompagné d'un sort de permanence. Pour éclaircir ce point, il faudrait qu'on vous lance une dissipation de la magie... L'autre option, c'est l'hérédité. Vous savez, bien des humains ordinaires, avec des parents et même des grands-parents ordinaires, présentent des particularités dont ils ignorent l'origine. Et pour cause, puisqu'elles sont l'héritage d'un ancêtre ayant vécu parfois des siècles auparavant... Quand à savoir qui a pu être ce fameux ancêtre, là, mystère ! Ce que vous décrivez, ce n'est pas la vision des elfes, qui ont besoin d'une source de lumière même infime pour percer les ténèbres. Ce que vous décrivez, c'est la vision des nains, des gnomes des profondeurs ou encore des kobolds. Hum, et je doute que vous en ayez un dans votre ascendance. Un dragon, peut-être ?
Il sourit.
-Si vous voulez, je peux essayer de fouiller ma mémoire en quête d'autres races ayant cette caractéristique. Mais il me faudra un peu de temps...

[Hubert de Maleval]

Un... kobold ?
" Ce serait... J'apprécierais beaucoup, oui. Ce n'est pas urgent, bien sûr... Mais si vous avez l'opportunité..."
Il haussa les épaules, un rien embarrassé. Il avait l'impression de s'être découvert alors même qu'il n'avait rien fait de mal. Il ne s'était jamais posé beaucoup de questions sur sa nature humaine, sans doute un travers d'appartenir à l'espèce la plus répandue sur l'île. Il était juste... un homme. Et il avait déjà eu assez de mal à accepter ses particularités personnelles par ailleurs.
" Enfin... Merci. Je vais aller chercher mes fontes... S'il vient de la nourriture, gardez-moi quelque chose !"
Puis, sur un geste reconnaissant de la tête, il regagna la nuit et la double-ligne de chariots. Il fallait qu'il déniche Grand Vent, et il pourrait le faire aisément en lui frôlant l'esprit, mais il voulait aussi passer voir Alban... Il avait songé à sonder son aura au moins mille fois depuis leur victoire contre la liche, mais n'avait pas pris le temps de le faire. Son pouvoir devait franchir la toile d'un chariot. Ce serait un peu traître, mais au moins, cela ne bouleverserait pas l'enfant.

[Taliesin]

Il arriva près du fameux chariot au moment même où Barthélemy en sortait.
-Vous avez de la chance que je ne sois pas Agnès, fit doucement le vieil homme en l'apercevant. Sinon, je vous obligerais à passer une nuit au dispensaire, pour cause de non respect du repos prescrit. Mais je ne puis cependant m'empêcher de vous conseiller de dormir au plus vite, messire. Ayant dû parer au plus urgent, je n'ai pu vous offrir le moindre soin. Ce qe je regrette car, sauf votre respect, vous me semblez fort éprouvé.

[Hubert de Maleval]

" J'ai manqué d'énergie pour me retaper complètement, fit le paladin avec un haussement d'épaules contrit. Mais je ne suis pas mourant et une nuit de sommeil me fera du bien. Je me soignerai demain matin si je ne me sens pas en pleine forme."
Il jeta un coup d'oeil sur le chariot.
" En fait, je venais voir... Alban. Mais je constate que vous quittez l'endroit où je l'imaginais réfugié... Vous pourrez donc me donner des nouvelles. Je m'inquiétais entre autres de... d'éventuelles traces de la possession dont il a fait l'objet."

[Taliesin]

-A dire vrai, c'est la même inquiétude qui m'a mené ici. Et je suis donc en mesure de vous rassurer comme je viens de l'être moi-même : rien de mauvais n'habite ce garçon. Absolument rien. Bien que n'ayant pas assisté à la scène et ne la connaissant que par le récit qu'on m'en a fait, je pense par conséquent qu'il a été victime d'un sortilège de domination. Extrêmement éprouvant pour sa victime, mais ne laissant pas la moindre trace maléfique lorsqu'il a cessé.

[Hubert de Maleval]

Hubert soupira de soulagement et sourit.
" Ah... C'est une excellente nouvelle. J'imagine que vous auriez pu faire face mais... Ce gosse a déjà tellement pris aujourd'hui que... c'est au moins une chose qui ne le hantera pas."
Il regarda à nouveau vers le chariot, hésitant sur l'opportunité d'aller y pointer son nez. Les enfants devaient être sur le point de s'endormir et il leur rappellerait peut-être des mauvais souvenirs à venir s'incruster dans leur intimité.
Tu joues les Helmites, Hubert. Ça ne te ressemble pas.
" Est-ce qu'il avait l'air... bien ? Je veux dire... Vous pensez qu'il va savoir dormir ?"

[Taliesin]

-Il va s'endormir, oui. Rapidement, même : il est épuisé. En revanche, je crains que sa nuit ne soit ponctuée de violents cauchemars... Mais Ingrid veillera sur lui. Er Ruth, surtout. C'est une chance qu'il n'en veuille pas à la petite et que la culpabilité n'empêche pas celle-ci de rester à ses côtés : ils se font énormément de bien l'un l'autre.
Il sourit.
-Il n'empêche, je suis inquiet pour les jours et les semaines à venir. Alban est du genre à ne jamais se plaindre, a dire que tout va bien même quand ce n'est pas vrai. Parce qu'il ne veut pas inquiéter les autres, parce qu'il ne veut pas qu'on le traite en victime... Il faudra donc être vigilants. Cependant, je fais confiance à Robert pour veiller sur lui. Et puis, c'est un garçon solide. Je suis convaincu qu'il finira par s'en remettre.