[Haute-Forêt] Quête : Racines

[Voyageuse]

Les chants des oiseaux les réveillèrent en même temps. Sylvia adressa au rôdeur un sourire encore un peu endormi lorsqu'il ouvrit les yeux pour découvrir les siens posés sur lui. La journée s'annonçait belle, à en juger par le rayon de soleil qui se glissait déjà sous leur tente. Ils se sentaient tous deux parfaitement reposés. Kasumi avait la sensation d'avoir dormi d'une traite d'un sommeil profond et paisible, peuplé de rêves doux et agréables. Comme si l'endroit avait un effet apaisant sur son âme, y compris la nuit.
Aucun bruit ne se faisait entendre au-dehors : peut-être que leurs compagnons dormaient encore ? Ou étaient-ils partis en cueillette ? Il était nettement plus tard que d'habitude : la luminosité leur apprenait que le soleil était levé depuis au moins une heure sans doute. Mais cette petite grasse matinée leur avait fait du bien.

[Kasumi]

Kasumi se laissa un instant dériver dans le regard vert posé sur le sien et un sourire ourla ses lèvres tandis qu'il dispensait une tendre caresse sur l'épaule de Sylvia, lovée tout contre lui.

- Bonjour Sylvia. Tous les matins devraient ressembler à celui-ci : se réveiller dans tes bras, attendre l'un de tes baisers peut-être...

Il devait se lever, il en avait conscience. Il y avait ce conseil à suivre, ce bosquet à explorer puis la marche à reprendre. Mais quel mal y avait-il à se laisser émerger du sommeil d'une si douce façon. Juste une minute ou deux.

[Voyageuse]

Le baiser attendu fut offert avec un sourire gourmand, et l'instant de tendresse se prolongea, longuement, indéfiniment.
Mais les craquements des branches au-dehors annoncèrent une présence.
- Oh, les amoureux, vous voulez dormir toute la journée ? Le p'tit dej sera bientôt prêt ! Eärundra va nous rapporter du miel
Un crépitement annonça que le feu flambait déjà joyeusement.

[Kasumi]

Kasumi ne retint pas un rire léger en soufflant à l'oreille de Sylvia :

- Ah, si mon frère n'était pas là, on passerait nos journées au lit, je parie ! Mais je ne sais pas si je dois l'en remercier ou l'honnir pour cela ! Tu peux encore rester quelques minutes au chaud, si tu veux mon amour. Je vais voir ce dont parlait Eärundra.

Il quitta l'abri douillet des bras de sa compagne après juste un dernier baiser, se relevant sans se soucier de sa nudité. Par provocation peut-être. Il avait l'intention de suivre le son de la source avant de petit-déjeuner et il était plus que temps d'après les bruits dehors. Il se rhabilla donc, non sans contempler Sylvia qui l'observait puis quitta la tente avec le sourire aux lèvres, fin prêt à affronter les épreuves d'une nouvelle journée.

[Voyageuse]

Tilmandil s'affairait auprès du feu, disposant une gamelle d'eau à bouillir pour leur thé matinal. il lui tournait le dos et ne l'entendit pas sortir de la tente.
Eärundra était invisible, comme de coutume.
Le ciel était parfaitement dégagé, et les feuillages jaune orangés resplendissaient sous les rayons du soleil. Même la lumière paraissait plus douce, amicale.
Une sente, sans doute celle suivie par Eärundra la veille, partait vers l'ouest, parsemée de petites fleurs multicolores et bordée d'arbres vénérables.

[Kasumi]

Kasumi ne résista pas à l'envie un peu puérile de surprendre l'elfe et s'approcha dans son dos pour lui poser une main sur l'épaule avant de s'adresser à lui sans prévenir et d'une voix un tout petit plus forte que nécessaire :

- Du bon travail, aspirant rôdeur ! Tu as mérité que je te laisse t'occuper du feu désormais pendant que je vais aller explorer cet endroit magnifique. Ce sera un thé bien corsé et sans sucre pour moi.

Il lui dédia un sourire désarmant mais qui avait peu de chance de désamorcer les représailles...

[Voyageuse]

Tilmandil sursauta, renversant une partie du liquide -heureusement pas encore bouillant- sur ses genoux, et lui décocha un regard noir.
- Ton thé, tu pourras te le préparer toi-même ! Ou plutôt, non, je vais te préparer... mais à ma façon ! Bien corsé, sans sucre, c'est noté ! Faudra pas venir te plaindre...
Et il lui tourna ostensiblement le dos, retournant à ses préparatifs.
- Bonne exploration quand même, lâcha-t-il finalement. Tu me raconteras ?

[Kasumi]

Kasumi se rendit compte trop tard qu'il était peut-être allé juste un peu trop loin mais il ne se laissa pas démonter pour autant par la mauvaise humeur apparente de son demi-frère. Il répondit donc d'un ton un brin malicieux avant de battre rapidement en retraite :

- Bien sûr que je te raconterai... Si le thé est bon !

Sans laisser au barde le loisir de répondre, il s'engagea sur la sente herbeuse, gouttant immédiatement l'atmosphère paisible de l'endroit, s'émerveillant comme jamais de la beauté et des couleurs vives de chaque fleur, de chaque feuille, de chaque tronc à l'aspect rassurant.

[Voyageuse]

La sente qu'il suivait le mena vers des arbres plus anciens encore, certains immenses. Le soleil perçait la canopée, nimbant l'atmosphère d'une lumière douce et tamisée. Les oiseaux semblaient plus nombreux, ou peut-être chantaient-ils plus fort.
Peu à peu, cependant, la sente disparut : le sol redevint uniforme, comme si nul pas avant lui n'avait fouillé l'humus. Tout était parfaitement calme, et néanmoins accueillant. Quelque part, légèrement sur sa droite, il entendait le murmure d'une source.

[Kasumi]

Le rôdeur se dirigea vers le son de la source mais sans se hâter, laissant l'atmosphère baignant les lieux le détendre, humant l'air pour ralentir son souffle, ralentissant l'allure pour relâcher la tension qui persistait dans ses muscles. Tout ici inspirait la paix, la sérénité, invitait à la contemplation. Son seul regret peut-être était l'absence de l'être aimé qui aurait rendu l'instant parfait. Mais une part de sa conscience lui soufflait que c'était là une expérience qu'il devait vivre seul, pour se retrouver lui-même. Il n'en serait qu'un meilleur homme, y compris pour sa chère Sylvia.

[Voyageuse]

Il trouva la source dans une petite clairière, jaillissant de la colline et s'écoulant dans un bassin de pierres naturelles, avant de se muer en petit ruisselet dévalant la pente, plus loin. Le soleil matinal faisait luire mille reflets sur l'eau claire. Un poisson de belle taille bondit hors du bassin, retombant dans une petite gerbe d'éclaboussures. Un chêne immense, peut-être millénaire, poussait juste à droite de la source. Un autre chêne, plus petit, ainsi qu'un pommier garni de fruits mûrs, l'encadraient. Sur la gauche, un saule gigantesque semblait s'abreuver directement dans le bassin tant il s'en trouvait proche. A côté de lui, une pierre levée de haute taille, gravée de symboles runiques inconnus, complétait le tableau.
Kasumi ressentit immédiatement, au plus profond de lui, le caractère sacré de l'endroit. Et il sut qu'il y était accueilli.

[Kasumi]

Kasumi resta un moment immobile pour contempler le tableau naturel qui s'offrait à son regard. Bien qu'il se sentit immédiatement à sa place en ce lieu enchanteur mais il se sentait un peu démuni devant les bienfaits que la nature semblait désireuse de lui proposer. N'osant gouter aux fruits mûrs qui semblaient pourtant irrésistibles tant ils étaient appétissants, le demi-elfe s'avança néanmoins du bassin pour y recueillir un peu d'eau au creux de sa paume et s'en abreuver. Obéissant à une impulsion, il se releva et alla s'agenouiller devant la pierre levée, osant à peine l'effleurer de la main tout en adressant une prière silencieuse à la Dame des forêts en l'implorant de le guider sans savoir lui-même s'il faisait référence au moment présent ou aux jours à venir.

[Voyageuse]

Un frémissement derrière lui, sans doute le vent dans les feuilles. Pourtant, c'était plus prononcé. Rien d'inquiétant, lui soufflait la nature alentour. Il était en sécurité.
- Deux visiteurs en deux jours, voilà qui est rare, fit une voix étrange, à l'accent rocailleux. Une voix qui semblait ne pas servir souvent, lente, hésitante. Ou qui, peut-être, ne parlait que peu le commun.
Se retournant, Kasumi ne vit personne. Pourtant, quelque chose avait changé. Le chêne, le plus petit des deux... il avait bougé. Et on aurait dit qu'un visage de bois se dessinait en haut de son tronc rude. Était-ce une illusion ?

[Kasumi]

Kasumi haussa un sourcil en cherchant son interlocuteur avant de comprendre à quoi il avait affaire. Il devait bien reconnaître ne pas s'y être attendu, malgré ce qu'avaient dit les sirènes, malgré l'étrangeté des lieux. C'était - il fallait le reconnaître à sa décharge - sa première rencontre de ce type aussi dut-il chercher ses mots pour éviter de bafouiller et présenter une moins bonne maîtrise encore de sa propre langue que l'arbre parlant.

- Euh... Oui, j'imagine. Bonjour. Vous n'êtes pas Celd, j'imagine... Mais je suis honoré de faire votre connaissance. Mon nom est Kasumi.

Voilà qui devait à coup sûr le faire passer pour le dernier des idiots !

[Voyageuse]

- Je suis Celd... Mais comment donc as-tu entendu parler de moi, jeune Kasumi ?
La voix du sylvanien était étrange, ressemblant à la fois au frottement de branchages et au souffle léger de la brise dans les feuilles.
- Et pourquoi donc croyais-tu que je ne sois pas moi ?
Le visage paraissait sourire. Ou peut-être était-ce le dessin naturel de l'écorce.

[Kasumi]

Kasumi se sentit rougir mais fit un effort pour relever les yeux. Bien lui en prit car le ton presque paternel et l'expression - de bois mais qui semblait toutefois amicale - le fit sourire à son tour et le détendit quelque peu. Juste assez pour se reprendre et répondre de manière cohérente :

- Pour répondre à votre première question : ce sont des sirènes qui m'ont parlé de vous. En termes élogieux je dois dire. Et... euh, pour parler franchement, je vous imaginais différent. Mais je dois bien reconnaître que je n'avais encore jamais rencontré un membre de votre espèce vénérable. Vous êtes donc bien vous alors... Je vous remercie pour votre accueil : tout me parait amical et bienveillant depuis mon arrivée en cet endroit.

[Voyageuse]

- La nature est bienveillante pour qui se montre bienveillant à son égard... répondit le sylvanien d'un ton calme.
Le tronc se sépara en deux... en deux jambes, on ne pouvait guère les appeler autrement, et l'arbre bougea, s'avançant d'un pas.
- Je suis l'un des gardiens du bosquet. De ce secteur de la colline, en fait. Et si tu ressens aussi fortement cette bienveillance, c'est sans doute que tu es l'un des servants de Mielikki ou de Rillifane Rallathil...

[Kasumi]

Rassuré malgré l'aspect massif de Celd qui s'avançait vers lui, Kasumi s'assit sur le sol devant lui, en un signe de confiance. Il leva la tête pour continuer à regarder vers le visage de l'être vénérable et répondit d'une voix fervente :

- Je suis la foi de Mielikki et je suis l'un de ses serviteurs. Vous n'êtes donc pas le seul de votre espèce en ces terres ? Peut-être l'un des vôtres ou même vous-même a-t-il vu mon père et son groupe. Un elfe venu ici il y a quelques jours à peine...

[Voyageuse]

Le sylvanien eut un mouvement de branches qui était sans doute l'équivalent sylvestre d'un haussement d'épaules.
- Tous les gardiens de ce bosquet ne sont pas sylvaniens, fit-il remarquer. Et tous les gardiens de cette colline ne sont pas bienveillants... Il y a deux bosquets sacrés qui se côtoient sur cette colline. Deux faces d'une même pièce. Le bien et le mal, en un équilibre constant.
Kasumi le vit se contorsionner étrangement... et s'asseoir à son tour au sol. Une nuée d'oiseaux s'envolèrent de ses branches au moment où il toucha le sol, pour revenir s'y poser aussitôt.
- Mais pour en revenir à ta question... J'ai vu un elfe qui te ressemblait, accompagné par un rôdeur servant de Mielikki, comme toi. C'est sans doute celui dont tu parles. C'était... il y a trois jours je crois.

[Kasumi]

Cette fois, Kasumi écarquilla les yeux de surprise tant il ne s'était pas attendu aux révélations de Celd. Et pourtant... La quiétude de ces lieux ne cadrait pas du tout avec l'idée qu'il s'était forgée concernant les asabis. Se pouvait-il dès lors que ces derniers aient entraîné son père de l'autre côté, sur la face sombre de la colline. Le rôdeur releva des yeux effrayés vers le sylvanien :

- Ce doit être eux en effet. Sont-ils ici ? Ou de l'autre côté ? Pouvez-nous nous aider à les retrouver ? J'ai peur que mon père ne se soit égaré par désespoir... il devait y avoir une femme elfe avec eux. L'avez-vous aperçue, elle aussi ? Je sais que cela fait beaucoup de questions... Je dois vous paraître mal élevé.

[Voyageuse]

A nouveau ce mouvement de branche, comme un haussement d'épaules.
- Les humains et les demi-elfes sont toujours pressés de savoir et de poser mille questions. Les elfes sont en général plus patients... Sauf celui-ci, justement. Il était trop fébrile. Malade. On sentait le désespoir en lui. Je crains de n'avoir guère pu l'aider...
Il soupira, et ce fut comme une brise légère.
- Il y avait une femme avec lui, mais elle n'est pas venue me voir. Ce n'est pas une femme de la forêt. Lui non plus n'en était pas... Il cherchait une plante qui ne pousse que dans le bosquet maudit. Je lui ai dit qu'elle ne lui apporterait rien, que la réponse à son mal était ailleurs, mais il ne m'a pas cru...

[Kasumi]

C'est ce qu'il craignait : un nouvel espoir déçu pour son père qui l'avait certainement conduit à négliger toute prudence. A n'écouter que les mauvais conseils dictés par son désespoir. Mais y avait-il un autre moyen ? Kasumi pouvait comprendre que son père ait pu refuser d'écouter ceux qui ne lui proposaient aucune aide concrète alors que son besoin était impérieux. Ce n'était pas un bon choix bien entendu pas plus que cela ne l'aiderait pas à venir à bout de son mal. Mais il était aux abois et il devait préférer penser que l'on cherchait à se jouer de lui plutôt que de renoncer simplement. Elryndel avait eu la réputation d'être un diplomate tenace. Cette qualité lui jouait-elle des tours à présent ? Le rôdeur leva un regard quelque peu angoissé à nouveau :

- Je vais essayer de le retrouver. De l'aider. Mais je n'ai aucune idée de comment faire. Pouvez-vous me guider ? M'indiquer la voie à suivre ? Y a-t-il quelque espoir de sauver mon père du mal qui le ronge ? J'ai besoin d'y croire moi-même sinon comment pourrais-je en convaincre mon père ? Et j'avoue douter.

[Voyageuse]

Le sylvanien l'observa d'un air songeur.
- Je t'indiquerai le chemin, comme je le lui ai indiqué. En espérant qu'il te conduise à lui. Et oui, il y a un moyen de le sauver, certainement. Il existe toujours un moyen d'annuler toute forme de malédiction. Il suffit de trouver lequel... Et parfois il faut savoir chercher la réponse en son propre cœur.
Il sembla réfléchir un moment. Un long moment. Ses yeux ne quittaient pas Kasumi des yeux, comme s'il cherchait à le jauger.
- Puis-je te poser une question ?

[Kasumi]

Le rôdeur hocha gravement la tête, prenant la mesure des paroles du sylvanien : il ne serait pas facile de trouver le remède mais s'il ne parvenait pas à garder l'espoir que ce soit possible, il serait alors impossible de le faire. Un maigre réconfort et pas de quoi redonner de la force de conviction à Elryndel... Mais le demi-elfe sentait la sérénité des lieux et si une telle force du bien pouvait exister alors il en existait forcément d'autres capables de lutter contre le mal qui rongeait son père. Prenant conscience qu'il n'avait pas répondu à Celd, il le fit avec quelque précipitation mais aussi avec la sincérité de la spontanéité :

- Bien entendu : je vous en ai posé plusieurs déjà alors il vous en reste bien quelques-unes d'avance ! Je ne peux pas vous garantir de savoir y répondre en revanche.

[Voyageuse]

Le sylvanien eut un sourire bienveillant. Il le scrutait toujours du regard. Il pencha légèrement la tête de côté, comme s'il écoutait un bruit lointain que la forêt lui transmettait. Puis il parut se souvenir de la présence de kasumi.
- Dis-moi, jeune rôdeur... Si un ennemi te cause du tort, disons, une grande souffrance... Saurais-tu distinguer où s'arrête la justice, et où commence la vengeance ? Combien de vies, pour une vie ? Combien de souffrances, pour une souffrance ?
Il parut hésiter.
- C'est peut-être un peu flou, comme question... Essayons avec un exemple. Un groupe d'hommes brûle ma forêt. Quelle justice suis-je en droit d'exiger ? Si je les tue, est-ce justice ou vengeance ? Ou bien... Un orque d'une tribu voisine tue l'un de tes proches. Réclames-tu justice ou vengeance ? Où sera la limite ?
Son regard, qui s'était perdu dans le vague, se posa à nouveau sur le rôdeur.
- J'espère que tu ne t'offusques pas de ces questions... je cherche juste à mieux connaître ton coeur...

[Kasumi]

Le rôdeur se fit songeur comme des passages relativement douloureux de son existence lui revenaient à l'esprit. La question n'était pas facile mais il se voulait d'y répondre avec le maximum de sincérité. Son esprit lui avait évoqué son comportement envers la tribu d'asabis qui avaient attaqué le campement et provoqué la mort de sa mère. La guerre civile et le massacre du quartier ouest succédèrent à cette bribe de passé pénible puis le souvenir des esclavagistes qui s'en étaient pris à Astrée lui revint aussi en tête, lui arrachant une grimace douloureuse. S'arrachant à ses souvenirs mais en cherchant à éprouver la teneur de sa réponse à leur aune, il répondit d'un ton grave et prudent :

- Parfois, les actes ne s'accordent pas avec le cœur ou l'esprit. Il m'est arrivé de me demander si j'étais allé trop loin dans la punition infligée à des ennemis, voire à le regretter en comprenant que je n'avais pas agi avec sagesse. Mais je n'ai jamais regretté d'avoir défendu des proches ou de simples compatriotes. J'ai toujours trouvé quelque réconfort à penser que si mes armes faisaient couler le sang pour rétablir ce que je jugeais juste, j'évitais aux autres d'avoir à le faire. Je préservais la pureté de leur cœur, au détriment du mien peut-être. Je n'ai jamais été apaisé pour avoir accompli un acte de représailles mais c'est parfois nécessaire. Ne serait-ce pour éviter que d'autres puissent souffrir. Je ne sais pas si j'ai vraiment répondu à votre question. Je ne suis pas certain qu'il y ait de bonne réponse. Je ne cherche pas à me défiler cela dit. Je dirais simplement qu'il vaudrait mieux éviter d'avoir à se faire justice soi-même de peur de ne pas faire preuve de mesure en écoutant sa seule douleur, en devenant aveugle à tout le reste. Ces hommes pourraient peut-être replanter la forêt qu'ils ont dévasté mais elle ne sera jamais plus telle qu'elle était. La mort de cet orc ne ramènera pas celui de ses proches qu'il aura tué. Je crois que je serais incapable de clémence envers lui s'il avait assassiné un être proche. Un être que j'aurais aimé. Et pourtant, je m'en voudrais de laisser parler ma colère, ma douleur. Je m'y perdrais et ainsi je ne ferais que souiller les souvenirs de l'être que je chercherais à venger. Le perdant tout à fait.

[Voyageuse]

Le sylvanien l'avait écouté avec attention, et ne répondit pas immédiatement, analysant peut-être sa réponse.
- Le bon choix, le plus juste, n'est pas toujours facile à déterminer. Et la frontière entre justice et vengeance parfois bien floue... Surtout, comme tu le dis, lorsqu'on cherche à faire justice soi-même. Mais je lis dans tes yeux que tu as déjà eu à faire pareils choix, et que ces choix n'ont pas été faciles... Y en a-t-il que tu regrettes ? Des choses que tu aurais fait autrement, si tu n'avais pas été aussi concerné par le problème ? T'es-t-il arrivé de franchir cette frontière floue qui sépare la justice de la vengeance ?

[Kasumi]

Le rôdeur réfléchit à nouveau longuement, sans se soucier du temps qui passait ou que l’un de ses compagnons puisse s’inquiéter de ne pas le voir revenir. Il finit par répondre toutefois, d’un ton plus assuré qu’il ne l’avait fait pour la première question :

- J’ai eu à prendre des vies à plusieurs reprises. Mais il s’agissait la plupart du temps d’hommes mauvais, qui n’avaient pas nui qu’à moi-même. Et qui auraient recommencé leurs forfaits si on les avait laissés libre de leurs actions. Des hommes qui n’auraient pas regretté leurs actions si on leur avait laissé une chance. J’en étais convaincu à l’époque. Je le suis encore aujourd’hui. Mais je regrette de m’être laissé aveuglé par ma douleur, d’y avoir beaucoup perdu pour l’assouvir. Après la mort de ma mère, j’ai tout quitté pour réaliser ma croisade. Elle ne m’a en rien apaisé. Il ne restait que la honte de la façon dont j’étais parti, dont j’avais quitté des proches qui m’étaient chers. Si je regrette, ce n’est pas les actions que j’ai commises, uniquement contre des créatures ou des êtres dangereux. Ce que je regrette, c’est de m’être consacré tout entier à ma vengeance, en oubliant tout le reste.

[Voyageuse]

- La vengeance apporte rarement l'apaisement que l'on recherche, commenta Celd. Et elle peut consumer celui qui s'y livre pendant des années, lui ôtant tout ce qui fait réellement la vie...
Il eut une sorte de sourire.
- J'aurais encore d'autres questions à te poser. Elles sont importantes, sans doute, par rapport à ce que tu cherches par ici, mais elles ne sont pas urgentes. La jeune elfe qui est venue me rencontrer hier va sans doute s'inquiéter si je te garde trop longtemps... Je vais donc te laisser partir, à moins que toi, tu n'aies d'autres questions à me poser. Reviens me voir lorsque tu auras retrouvé ton père. Nous parlerons mieux...

[Kasumi]

Kasumi se redressa, sans vraiment savoir quelle impression - bonne ou mauvaise - il avait laissé au sylvanien. Relevant à nouveau la tête, il se contenta de répondre d'un ton calme :

- Je reviendrai. Cette rencontre était édifiante et je souhaite réfléchir à ce que vous m'avez révélé, y compris sur moi-même, avant la prochaine. J'aurais deux questions cependant : devrai-je revenir seul ? Acceptez-vous que d'autres de mes compagnons viennent consulter votre sagesse ? Si vous n'avez pas l'habitude des visites, je peux concevoir que vous ne préfériez pas les voir.