La Couronne de Cuivre

" Vous avez fait ce que vous estimiez juste et nécessaire, dit Kerun avec un calme sourire. Et vos paroles étaient raisonnables. Laissez Mathieu tranquille. Il finira par digérer et comprendre la sagesse qu'il y avait derrière vos actions."
Lae ajusta les lanières de son sac sur son dos et se mit en route. Mathieu attendait plus loin, tourné vers la campagne environnante. Kerun rejoignit rapidement la drow. Il ne restait plus à Astrée qu'à pousser Kalju devant elle et leur emboîter le pas.

Astrée posa sa main sur l'épaule de Kalju et le poussa doucement en avant, le coeur toujours lourd. Elle continuait à tourner et retourner la question dans sa tête, et elle pressentait qu'elle dormirait mal cette nuit.
Il lui semblait toutefois que Kerun, du moins celui qu'elle connaissait et qui restait encore Raevan à ses yeux, aurait désapprouvé l'idée de révéler tous ses secrets à un être féérique, et qu'il était important qu'elle lui laisse une chance d'y réfléchir. Bien sûr, ils auraient pu profiter de son état de faiblesse pour prendre la décision à sa place, et ils auraient eu la satisfaction de le voir complètement redevenu lui-même. Mais il leur aurait peut-être, à juste titre, reproché cette trahison...

Mais si elle voulait être tout à fait honnête avec elle-même, la vérité était qu'elle avait eu peur pour Dimitri. C'était à cause de cette crainte que la solution du Conteur ne l'avait pas emballée, et qu'elle avait voulu prendre le temps de réfléchir et d'en mesurer toutes les implications. Et désormais, devant l'état de tristesse de Mathieu, et leur sentiment de culpabilité à tous trois, elle s'en voulait profondément... et elle ne saurait jamais si elle avait eu tort ou raison de s'en inquiéter.
Elle avait entendu dire un jour qu'il valait mieux vivre avec des remords qu'avec des regrets... Ils auraient sans doute dû foncer.
Ou pas.
Cette vaine interrogation lui promettait de longues nuits d'insomnies...

Ils marchèrent un long moment le long de la frontière noire, dans une herbe rousse parsemée de fleurs violettes, sur un terrain plane et ensoleillé. Ils surplombaient légèrement une vallée sur leur droite, tandis que le domaine du Félon, à gauche, paraissait plus accidenté. Ils ne virent pas âme qui vive, ni d'un côté, ni de l'autre, seulement des insectes et des oiseaux qui paraissaient presque ordinaires en regard de ce qu'ils avaient côtoyé la veille. Kerun et Lae marchaient devant tout en bavardant et des bribes de leur conversation qu'elle entendit, Astrée devina que l'elfe interrogeait la drow sur les événements des dernières années. Kalju marchait près d'Astrée, placidement, d'un pas régulier et tranquille, facilité par la douceur du relief. Elle devait à peine le pousser : il était désormais sur sa lancée, et c'est l'arrêter qui serait plus difficile. Mathieu demeurait bon dernier, suivant à distance, bras croisés et tête basse. Quand ils firent une pause pour se restaurer, il ne s'approcha pas d'eux et mangea dans son coin, assis dans l'herbe, tourné vers la vallée. Si Kerun et Lae lorgnèrent dans sa direction, ils se gardèrent bien d'aller empiéter sur son besoin d'espace.
Ils marchèrent encore, une heure, deux, trois, puis le soleil commença à décliner, doucement... Le verger tant espéré n'était pas encore en vue, mais peut-être l'atteindraient-ils le lendemain.

Astrée avait énormément de peine pour Mathieu, mais elle ne chercha pas à aller lui parler : elle était certainement la dernière personne à laquelle il souhaiterait se confier. Il devait être dans une colère noire, et ruminer sa rancoeur... Elle songea qu'il ne sortirait rien de bon de tout ça. Mais il était désormais trop tard pour faire marche arrière.

Le soir tombait, et il était temps de se trouver un endroit où camper. Mais puisque Kerun avait repris un peu de poil de la bête, c'était sans doute à lui d'en décider. Elle s'approcha néanmoins des deux elfes, prête à leur proposer de bivouaquer, dès qu'elle aurait repéré un endroit qui lui paraîtrait accueillant. Idéalement, avec un point d'eau et à l'abri relatif des regards...

Il y avait peu d'arbres mais ils finirent par trouver un endroit où quelques pierres dressées et quelques conifères s'étaient rassemblés en une ronde statique. C'était un endroit qui aurait paru inquiétant dans leur Plan, mais qui semblait assez banal en Féérie, et ils n'y trouvèrent aucun signe d'occupation, aucun symbole, rien qui puisse indiquer que les lieux étaient sacrés, habités ou autre chose des plantes et des cailloux qui s'étaient trouvé là par hasard. C'était de loin le meilleur site qu'ils aient croisé depuis leur départ, et il n'y en avait aucun autre à portée de vue, et il commençait à faire très sombre. Contraste avec la nuit précédente, il n'y avait aucune trace de la lune. La seule chose qui manquait était un point d'eau mais leurs outres étaient pleines. On devinait une rivière dans la vallée en contrebas, mais elle était bien trop distante pour constituer une destination envisageable.

Le site était aussi parfait qu'il était possible de l'espérer en ces lieux, et Astrée fit arrêter Kalju avec un certain soulagement. Elle avait beau être habituée aux longues marches dans la nature, elle était complètement vannée, et Mathieu devait être dans un état pire encore.
Elle se tourna vers Raevan et Lae.
" Je suppose... que vous allez vous relayer pour monter la garde ? Mais si vous avez besoin que je vous relaie au petit matin, surtout n'hésitez pas..."
Ils avaient besoin de moins de repos, et ils avaient tous deux bénéficié de quelques heures de rêverie la nuit précédente. Il était donc logique qu'ils veillent sur leur sommeil, à Mathieu et à elle.

" Je vais prendre la première moitié de la garde, dit Lae. J'ai passé toute la journée d'hier en Rêverie, je peux encore tenir un moment malgré nos frasques de la nuit dernière."
Elle ouvrit son sac.
" J'ai l'impression que nos amis nous ont gâtés..." ajouta-t-elle en sortant un magnifique pâte en croûte de son emballage de toile.
Mathieu s'était arrêté à l'écart et il était clair qu'il ne les rejoindrait pas. Kerun semblait légèrement troublé par son attitude et la joie de Lae était un rien forcée, mais aucun des deux ne fit de commentaires et ils continuèrent à déballer les victuailles que leur avaient fournies les feys.

Astrée ne pouvait s'empêcher de regarder Mathieu, inquiète de son attitude. Elle s'obligea à avaler quelques bouchées, sans le moindre appétit. Elle était fatiguée mais n'étais pas certaine de trouver le sommeil.
Elle laissa son regard naviguer de Kerun à Mathieu, puis elle se décida à parler à l'elfe. Elle pouvait peut-être aider Kerun à comprendre, un tout petit peu, l'attitude de son jeune subordonné.
" Kerun... Si vous avez l'occasion de parler à Mathieu... Je ne sais pas grand-chose de vos relations mais... je sais qu'il avait vraiment beaucoup d'affection pour vous. Si tout ça s'est si mal terminé, si vous avez perdu la mémoire, c'est parce qu'il s'est lancé à votre recherche, fou d'inquiétude... de la même façon qu'il était prêt à aller tout seul vous arracher aux griffes des Illithids. Et je crois que vous l'aimiez bien aussi... mais vous avez tout oublié... et vous avez changé, aussi. Et il se sent responsable. Alors, avec tout ça... c'est normal qu'il soit vraiment très mal.... "

" Je vous crois sur parole, dit-il. Mais... Son attitude m'interpelle. Elle est tellement... à l'opposée de ce qu'on attend d'un agent."
Il plissa les yeux, comme s'il avait du mal à l'apercevoir, mais Mathieu était juste là, assis sur le flanc de colline, à observer la rivière qui glissait dans les ténèbres.
" J'ai beaucoup de mal à croire que j'ai pu recruter ce genre de tempérament. Et qu'il ait ce genre d'attachement... pour moi... Ce n'est pas sain. Nous servons Luménis, pas une personne... sûrement pas un supérieur hiérarchique. C'est une manière dévoyée d'exprimer sa loyauté... une manière dangereuse."
Il eut un demi-haussement d'épaules.
" Je reviendrai peut-être sur cette opinion à mesure que je réapprendrai à le connaître... Je veux dire, il doit bien y avoir une explication... Mais je suis... dubitatif, pour dire le moins."

" Je vous le dis, je ne vous connais pas assez pour en savoir plus. C'est avec lui que vous devriez parler, pour comprendre ce qui a pu vous lier..."
Elle haussa les épaules. Mais elle se devait tout de même de corriger l'impression négative qu'il avait de Mathieu en tant qu'agent.
"Par contre... vous m'avez explicitement dit que c'était une recrue prometteuse, et qu'il serait même très bon lorsqu'il aurait appris à canaliser son impulsivité. Et on était plus ou moins tombés d'accord pour dire que c'était un élu de Tymora : il se met dans des situations impossibles et arrive toujours à s'en sortir in extremis. Il a aussi une très bonne intuition... je ne sais pas comment le qualifier autrement... concernant les personnes qu'il rencontre, les situations. Il sait quoi dire, quoi faire, d'instinct. Il est capable d'embobiner à peu près n'importe qui. Et c'est un excellent comédien, je l'ai vu à l’œuvre."
Elle sourit de son propre empressement à vanter les mérites de Mathieu.
" Je dis ça juste pour vous aider à mieux comprendre... Je m'étais fait la réflexion qu'il ferait un très bon espion avant de savoir ce qu'il en était. Et visiblement, vous partagiez cette idée. Ah, et je sais aussi que vous lui appreniez l'elfique."

Kerun haussa les sourcils.
" Déjà que je ne le parle pas très bien, c'est une idée curieuse."
Mais il esquissa un sourire.
" Mais je ne doute pas qu'il ait des qualités, dont certaines conviennent à notre profession. Simplement... Elles conviennent aussi à un charlatan des bas fonds... Ce n'est pas ça qui fait un bon agent des services secrets."
Il se retourna vers la campagne et l'endroit où Mathieu s'était désormais allongé dans l'herbe.
" Mais je lui parlerai demain. Lael'fynn ne le connait pas plus que vous et elle n'a rien pu m'en dire. Il faudra bien qu'il comble les trous lui-même. Et à présent, nous ferions mieux de nous reposer, tous... Les distances m'ont l'air particulières, dans cet endroit."

Astrée acquiesça.
" Oui. Les distances... sont incompréhensible. Notre passeur nous avait prévenu de ce fait. Et ce monde, comme le temps qui y passe, a tendance à se remodeler de par sa propre volonté, j'ai l'impression... ou de par la volonté de ceux qui y vivent. Mais vous avez raison. Il est temps qu'on dorme un peu. Bonne nuit à vous..."
Elle se recroquevilla contre l'un des arbres, après avoir vérifié que Kalju était bien installé. L'endroit semblait relativement accueillant, mais ils ne pouvaient se fier à rien, dans ce monde. En outre, ils étaient près de la ligne noire, et cela l'inquiétait un peu : elle se demandait si le Conteur avait eu vent de leur passage et pouvait s'offusquer de voir leurs secrets lui échapper. Pouvait-il encore tenter une action quelconque ? Il l'aurait sans doute déjà fait...
Elle était partagée entre le soulagement de n'avoir pas trahi le secret de Dimitri, et son remord d'avoir brisé quelque chose entre Mathieu et Kerun. Elle espérait, de toute son coeur, qu'ils retrouveraient un équilibre...
Ruminer ces inquiétudes et ces idées sombres ne l'aida pas à trouver facilement le sommeil, mais son épuisement était tel qu'elle finit par sombrer.

Elle s'éveilla dans la lumière charmante du matin et pendant un moment, elle demeura ensorcelée par la beauté des lieux, le vert de la mousse sur le gris de la pierre, la rousseur du paysage alentours, les formes alambiquées des arbres, quelques papillons, le chant en trilles d'un oiseau invisible. Il faisait bon pour la saison — c'était l'automne en Féérie, ou du moins dans cette région — et elle put s'étirer tranquillement. Elle réalisa une seconde plus tard que tout le monde était déjà levé, à l'exception de Kalju. Cherchant les autres des yeux, elle vit Kerun debout face à la Vallée, la main en visière. Lae revenait en courant de la direction dont ils étaient arrivés la veille. Astrée la vit secouer la tête. Croisant le regard de la druidesse, la drow eut une grimace.
" Il est parti, dit-elle simplement. On l'a perdu."
Il n'était pas nécessaire de préciser de qui elle parlait : il ne manquait qu'une seule personne.

En une fraction de secondes, tout l'enchantement de ce petit matin féérique disparut.
Astrée s'assit sur son séant et se prit la tête entre les mains, un sentiment de désespoir au fond du coeur.
" Oh non... C'est ma faute... Bon sang... Je savais qu'il fallait faire attention à lui..."
Dimitri lui avait bien dit de veiller sur Mathieu, non ?
" J'aurais jamais dû m'interposer, hier... je savais que c'était trop important pour lui que Kerun retrouve la mémoire. J'aurais dû prévoir qu'il allait craquer."
Elle leva les yeux vers Lae.
" Aucun de vous n'a vu dans quelle direction il est parti ?"

" Non... Il était un peu dans la pente... et il a arrangé ses affaires pour faire comme s'il dormait. On vient seulement de s'en rendre compte."
Elle poussa un bref soupir.
" Il est peut-être parti depuis des heures... On ne le voit pas, ni vers la vallée, ni vers le domaine du Félon... Kerun pense que s'il avait traversé la zone noire dans ce coin, ça se verrait... Ses empreintes se marqueraient dans la terre... mais dans l'herbe, ici, avec la propension de la nature à reprendre aussitôt ses droits..."
Elle parut désoeuvrée.
" Je ne sais pas."

Astrée soupira et se leva, la mine fermée.
" Il y a peu de chance qu'on réussisse à relever la moindre trace sur cette végétation qui pousse trop vite. Il faut qu'on réfléchisse... à ce qu'il a pu vouloir faire."
Elle soupira.
" Ce coup-ci, je le vois mal s'être laissé tenter par les charmes de quoi que ce soit. La seule chose qui importe pour lui, en ce moment, c'est que Kerun redevienne lui-même et qu'il retrouve la mémoire... Alors il me semble assez probable qu'il soit parti à la recherche du Conteur. Ou d'une autre solution. Et si son objectif est le Conteur, il a pu traverser la ligne noire plus loin."

" Tu penses qu'il irait à ce point à l'encontre de ce que Kerun veut pour lui-même ?" dit Lae.
Elle paraissait sceptique mais finit par acquiescer.
" J'ai déjà remonté la frontière noire de ce côté-là... et rien vu. On peut faire la même chose dans l'autre direction, je suppose... et pousser plus loin dans celle que je viens d'explorer."

" Ça va nous prendre un temps fou. Si seulement on avait une certitude, on pourrait traverser directement. Mais comme tu dis, ce n'est pas certain qu'il irait à l'encontre des décisions de Kerun. Après... c'est vraiment très important pour lui, et il peut estimer que ça l'est aussi pour Kerun, et considérer que Kerun se trompe en négligeant ces neuf années".
Et puis, il était parfaitement capable de désobéir quand il l'estimait nécessaire.
" Et... on ne sait pas... peut-être qu'il a entrevu une solution. Est-ce que quoi que ce soit a pu s'approcher de lui pendant la nuit ? Entrer en contact avec lui, lui suggérer une solution à son dilemme ?"
Tout en parlant, elle commençait à se diriger vers Kerun, scrutant le paysage de part et d'autre, en vain sans doute : elle avait la moins bonne vue d'eux tous.

Kerun se tourna vers elle au moment où elle n'était plus qu'à quelques mètres. Son expression reflétait sa contrariété, mais aussi une certaine lassitude.
" Je suppose que vous n'avez aucune idée de l'endroit où il aurait pu aller ?"
Ce n'était pas vraiment une question.
" Nous devrions continuer notre route. Il sait où nous allons. S'il veut nous y rejoindre, il le fera."
Lae croisa les bras et lui lança un regard peu amène, sans doute choquée de son manque d'empathie.
" Notre meilleure chance de le retrouver est peut-être de continuer, effectivement. Avec un peu de chance, Lunn nous attendra au Verger, et c'est un pisteur hors pair, qui connait bien la région. Il est attaché à Mathieu. Il pourra sans doute faire quelque chose."

" Sauf que le verger, c'est loin... Mais tu as raison, on aurait bien besoin de Lunn... enfin, sauf si Mathieu a traversé..."
Astrée se tourna vers Kerun, et lui lança, un peu fraichement.
" Le Kerun que vous étiez, avant-hier encore, n'aurait pas juste repris sa route. L'autre soir, vous vous êtes précipité à son secours comme il s'était précipité au votre. Vous avez changé... ou bien il y a un lien fort entre vous que vous avez oublié... et je comprends tout à fait qu'il ait le besoin désespéré de remédier à cela."

L'elfe parut légèrement agacé mais demeura très calme lorsqu'il reprit la parole.
" Je suis désolé si mon attitude vous choque. Mais il est difficile de s'engager pour quelqu'un dont on n'a absolument aucun souvenir. Je lui ai expliqué hier que j'étais navré de ne pas pouvoir accéder à ses désirs, et que je m'emploierais à retisser le lien qui existait entre nous, s'il voulait bien me le raconter. Je ne suis pas responsable du fait qu'il pense la chose impossible. Et je ne suis pas non plus responsable d'avoir perdu la mémoire. Je suis celui que je suis aujourd'hui. Vous ne pouvez pas exiger de moi de mettre en danger ce qui constitue le fondement de mon existence parce que ça rend quelqu'un triste. Si vous me l'imposez, je vais commencer à croire que tout ce que vous m'avez raconté depuis que je vous ai rencontrés est un mensonge et que tout ceci..."
Il eut un geste pour englober les lieux.
" Est un stratagème ingénieux pour m'amener à un endroit où je ne veux pas aller."
Son regard était devenu plus dur.
" Si ce Mathieu avait une réelle affection pour moi, comme vous semblez le croire, il respecterait ce que je suis aujourd'hui, même si ça ne lui convient pas."

Astrée resta tout aussi calme. Il était inutile de s'emporter : Kerun n'était pas responsable de la situation actuelle. Il la subissait, lui aussi. Et ce ne devait pas être confortable.
" Sans doute, oui. Il souffrirait mais il respecterait ce que vous êtes. Enfin, je suppose. Je ne vous connais pas assez, l'un et l'autre, pour être certaine de ce qui est préférable."
Elle haussa les épaules.
" Mais Mathieu... peut aussi s'être laissé tenter par une solution facile. Ou alors on fait complètement fausse route et il a pu être kidnappé... ou toute autre solution intermédiaire : il a pu entrevoir une possibilité prometteuse puis se faire piéger."
Elle secoua la tête.
"Quoiqu'il en soit, moi, je ne le laisserai pas tomber. Vous, vous êtes libre de faire ce que vous voulez, et peut-être même de rentrer sur Hélonna. Avec un peu de chance, mon sortilège de soins vous a guéri de la larve de l'illithid. Bon, simplement, si vous partez de votre côté et qu'il vous arrive quelque chose, Mathieu m'étripera quand je le retrouverai..."
Quelle sale situation...

" Je n'ai pas dit que j'entendais me désolidariser du groupe." grommela-t-il.
Il embrassa à nouveau les lieux d'un geste.
" Que suggérez-vous ?
— Nous pouvons remonter la frontière des deux côtés, comme l'a proposé Astrée, intervint Lae. Ou aller jusqu'au Verger et espérer y trouver Lunn. Je ne vois pas d'autres alternatives..."

" Je pense en tout cas qu'il ne faut pas se séparer. Tu as déjà exploré la frontière dans la direction d'où nous venions. Si son projet était simplement de traverser, il ne serait pas allé très loin avant de le faire. En partant du côté du Verger, on vérifiera qu'il n'a pas traversé la frontière de ce côté-ci... Et si on ne trouve de trace nulle part sur la frontière, alors il nous faut l'aide de Lunn pour le retrouver. On n'y arrivera pas sans lui... En tout cas, moi, je me sens impuissante à repérer une piste datant de quelques heures dans cet environnement-là... Donc je propose que nous avancions en direction du verger, en gardant les yeux bien ouverts. On ne sait jamais..."
C'était tout de même la poisse qu'avec deux elfes au regard acéré, Mathieu ait réussi à filer....

" Faisons ça." dit Lae.
Kerun acquiesça et ils remontèrent vers leur campement de fortune. Rassembler leurs affaires ne prit que quelques minutes. Les elfes sortirent du couvert des pierres tandis qu'Astrée aidait Kalju à se relever. Au moment où le genasi fut debout, un morceau de parchemin jaune tomba sur le sol. Sans doute avait-il été coincé quelque part sur lui. La druidesse le remarqua, le ramassa et réalisa qu'on y avait écrit quelque chose à son intention. Son nom, mal orthographié, était écrit en travers.
Cela disait ceci :

Hastrée,

Quand tu lira ceci, je serai parti. S’il te plait, ne me cherché pas. Je n’ai pas le désir de vous retardez, Lae et Kerun ont besoin des soin de Kalgivahou et le temp passe dans notre plant. Moi je n’ai pas le désir de rentré chez nous. Je n’ai plus rien a y trouvé. Ici, finallement, c’est une autre chance pour moi. Je veut la sésir saisir. Je vous souaite bonne route.
Que Timorra vaille veille sur vous.

Mathieu Martin

Elle sentit les larmes lui monter aux yeux. Il était parti, vraiment parti, et par sa faute à elle. Elle n'aurait jamais dû remettre en question leur décision de rendre la mémoire à Kerun. Elle pressentait que l'elfe était la personne à qui Mathieu tenait le plus au monde... sans trop savoir quel sens y mettre réellement. Elle aurait dû lui laisser retrouver la mémoire. Après tout, le risque n'était peut-être pas si grand, pour Dimitri ? Et encore moins pour Lumenis... Elle s'était inquiétée d'un risque futur, hypothétique, et avait négligé le danger immédiat.

Elle hésita à en informer les deux elfes. Dès qu'il aurait lu le message, Kerun renoncerait à le chercher puisque Mathieu ne le souhaitait pas. Et pourtant, elle avait la conviction qu'il ne fallait pas le laisser ici. Il pouvait se retrouver dans des ennuis jusqu'au cou en un rien de temps. Et il pouvait, également, causer des ennuis à Dimitri. Elle ne pouvait pas le laisser en arrière, c'était une certitude. Elle devait le retrouver, quitte à y aller seule si Kerun refusait.
Elle hésita, puis glissa le papier dans sa poche. Elle devait tâter le terrain avant de leur montrer.
Il devenait cependant évident que seul Lunn pourrait les aider : Mathieu n'avait pas rejoint le Conteur.

Kerun et Lae les avaient attendus un peu plus loin et lorsqu'Astrée et Kalju les rejoignirent, ils se remirent en marche. Lae lorgnait le sol noir qui jouxtait l'herbe rousse et Kerun continuait à scruter la campagne ensoleillée, moins tendre avec les yeux sensibles de la drow. La journée était magnifique, le paysage ensorceleur, immense, révélant bientôt, en contrebas, une forêt gigantesque qui avala la rivière. Entre les arbres, on distinguait néanmoins comme un trou, juste avant d'imposantes montagnes.
" Je vois les cascades et je crois que je vois aussi le creux de la rivière que nous devrons suivre" dit Kerun sans s'arrêter.
Le verger, cependant, n'était toujours pas visible, mais la colline s'élevait légèrement et il n'était pas impossible qu'ils le découvrent bientôt dans un creux.

" Espérons que nous trouverons Lunn..."
Elle hésita.
" Kerun... Je sais que vous avez hâte de rentrer à Lumenis... Mais je pense que Mathieu va se mettre dans des ennuis, d'une façon ou d'une autre. Il est exceptionnellement doué pour ça, et particulièrement désespéré. Et... je pense aussi que tôt ou tard il mettra en danger celui qui nous a fait traverser, en révélant son existence. Ou peut-être que ça nous mettra aussi en danger, je ne sais pas, ça avait l'air important de ne rien dire. Mais donc, pour toutes ces raisons, je pense qu'il ne faut pas le laisser en arrière... même si Lunn ne découvre finalement aucune trace inquiétante."

" Je n'avais pas l'intention de le laisser en arrière s'il est possible de le retrouver, dit l'elfe, un peu surpris. Mais chercher dans cette botte de foin gigantesque... Avouez que ce n'est pas très raisonnable. Cela pourrait nous prendre mille ans... même si nous n'y survivrions sans doute pas plus de quelques jours. J'espère sincèrement que votre ami brownie pourra nous aider. Sans quoi... même en comprenant vos inquiétudes, je pense que nous serons démunis."

" Je suis sûre que Lunn saura nous aider. Et puis, Mathieu l'a libéré de la fée ombreuse qui l'avait capturé et le maintenait en esclavage. Ça crée un lien fort entre eux. Il fera son maximum pour l'aider."
Elle soupira.
" En tout cas, il est clair maintenant qu'il n'est pas allé trouver ce Conteur. Il est parti ailleurs... et probablement de son plein gré : on ne l'aurait pas kidnappé sous notre nez. Mais je ne donne pas cher de sa peau dans ce monde... enfin, je me trompe peut-être : il peut aussi être très débrouillard..."
Elle haussa les épaules.
" Reste à espérer que Lunn nous attend bien là-bas..."
Elle accéléra l'allure, insensiblement, poussant Kalju devant elle. Bien sûr, il fallait rester vigilant, ce monde idyllique pouvait aussi héberger des dangers. Mais elle avait hâte de trouver Lunn.

La Couronne de Cuivre

[Féérie] Sur la piste de Kaljivahu...