La Couronne de Cuivre

" Oui, surtout si le bosquet vient de renaître, il vaut mieux rester à proximité quelques temps. Si vous avez de quoi vivre... En tant que rôdeur, tu dois savoir vivre de ce que t'offre la nature, donc tes besoins sont sans doute limités, mais certainement pas inexistants, surtout avec un bébé à naître. En échange de tes services de clerc, lorsque tu seras un peu plus expérimenté, tu obtiendras souvent des dédommagements, en nature la plupart du temps. Ça na va pas chercher bien loin... Mais tu savais gagner ta vie avant d'être clerc, tu sauras encore !"
Elle sourit.
" Et le mariage, à l'automne... Comptes-tu le faire pour les Grandes Moissons ? Tu sais que c'est une date symbolique, dans notre église, souvent choisie par les couples pour leur mariage. Mais tu ne peux pas célébrer ton propre mariage..."

Kasumi ne se faisait aucun souci sur le plan financier : le fait que les villageois ait accepté de lui prêter la cabane contre services résolvait la majorité des problèmes en la matière. Pour ce qui était de la nourriture, il savait chasser et pêcher selon ses besoins, même en hiver. Et pour le reste, il avait économisé un petit pécule qui leur permettrait de tenir quelques temps s'ils faisaient attention à leurs achats. La question du mariage était un peu plus épineuse :

- J'avais envisagé cette occasion mais je dois bien reconnaître que je n'ai pas vraiment eu la tête à planifier les préparatifs. Je souhaite que nos familles puissent assister à la cérémonie, ce qui va demander une très grosse logistique pour les faire venir. Everaska et la Haute-Forêt ne sont pas la porte à côté. Et vous avez raison, je dois trouver un prêtre. Ou une prêtresse.

" Pour ce qui est de ta famille, vous seuls pouvez organiser leur venue, si tu tiens à ce qu'ils soient là. Et c'est vrai que la date dépendra alors de leurs disponibilités. Sinon, pour ce qui est de trouver un clerc... Et bien je serai ravie de vous rendre ce service si mon état de santé me le permet... Mais peut-être qu'il vaut mieux prévoir une autre solution le cas échéant. Bien sûr, Aïdan pourrait officier, mais tu es clerc de Mielikki, il serait préférable que ce soit quelqu'un de notre ordre qui s'en charge, il me semble. Il y a aussi la possibilité d'organiser simplement une cérémonie publique, sans clerc, je suppose que le chef de la communauté de Peyregorde pourrait s'en charger. Enfin, je ne sais pas comment vous percevez les choses, ta fiancée et toi... "

Kasumi commença par remercier chaleureusement Hortense pour accepter de prendre part au mariage. Mais ils savaient tous deux que cette proposition était soumise à bien des aléas extérieurs. Il partageait aussi son avis concernant l'importance de choisir quelqu'un de leur obédience pour bénir leur union. Ce point risquait d'être problématique mais peut-être pourrait-il se renseigner auprès de la communauté de Haute Forêt : un prêtre ou un druide accepterait sans doute d'offrir ce service à deux natifs de la communauté. A condition de prendre en charge le long voyage : les finances et les relations familiales allaient sans doute devoir être mises à contribution.

Si nécessaire, Hortense était prête à le mettre en contact avec les quelques membres de leur ordre dont elle se souvenait -pour peu qu'ils n'aient pas changé de secteur : elle n'avait pas encore retrouvé la foi depuis suffisamment longtemps pour pouvoir les contacter à distance. Mais elle comprendrait s'il préférait choisir un clerc ou même un druide qu'il aurait connu autrefois.
Elle l'interrogea ensuite sur cette fameuse communauté à laquelle il avait appartenu par le passé. Ne connaissant rien de semblable sur Hélonna, le principe l'intriguait : vivaient-ils complètement reclus, à l'écart de toute civilisation ? Étaient-ils au contraire connus des cités du continent, avec comme objectif de former des druides ou des rôdeurs, pour perpétuer et étendre leurs préceptes ? N'y avait-il pas de conflit avec des puissances politiques qui auraient pu souhaiter s'accaparer les ressources de la forêt ?

Kasumi répondit plus facilement qu'il ne l'aurait pensé à ces questions, lui qui avait tout juste et à peine renoué le contact avec sa communauté d'autrefois. L'endroit était effectivement très isolé mais il était tout de même connu des voyageurs et des marchands, notamment au travers de la protection que les rôdeurs garantissaient sur les routes commerciales de la région face au monde sauvage omniprésent de cette partie du monde. Ils recueillaient de tant à autres de nouveaux apprentis venus des villages limitrophes de la forêt mais c'était tout de même un événement assez rare. Quant aux ressources de la forêt, peu étaient nombreux à vouloir les exploiter aussi loin en son cœur.

La prêtresse conclut avec un froncement de sourcil :
" Donc votre communauté n'est pas pérenne. Trop peu de sang neuf. Vous n'êtes pas très nombreux, vous avez peu de contact avec l'extérieur, il n'est pas simple de trouver un conjoint, très rare d'avoir des enfants, et il y a très peu d'apports extérieurs. D'un point de vue purement écologique, votre communauté est vouée à diminuer voire disparaître..."
Elle eut un sourire goguenard.
" Raisonnement de mielikkeane ! Et oui, même si nous ne sommes pas druides, il est important d'avoir quelques notions en ce domaine, de connaître les équilibres naturels, les relations entre espèces. Notre spécialité, par rapport aux druides, est que nous nous focalisons sur les rapports entre les humains et les autres. Mais tout de même, il faut avoir quelques connaissances sur la survie à long terme des espèces dans un milieu naturel."

Kasumi ne pouvait pas lui donner tort pour avoir plusieurs fois échangé avec Sylvia sur ce sujet. Il fut d'ailleurs lui-même surpris de livrer si naturellement son opinion sur ce que serait, selon lui, une communauté idéale. Sans rejeter totalement le modèle choisi dans sa contrée natale, il préférait voir des rapports se nouer avec les villages environnants ayant un lien plus ténu avec la nature de sorte de renouveler les populations mais aussi les idées et les pratiques de sorte à ne pas sombrer dans l'extrémisme et la réclusion.

L'équilibre, selon Hortense,ne serait pas simple à trouver. Mais elle considérait elle aussi que c'était préférable. Pour sa part, elle préférait l'exercice de la prêtrise en solitaire à proximité d'un village : elle n'avait pas l'envie ou le besoin d'appartenir à une communauté de ce genre. La proximité permanente de ses pairs lui pèserait. Elle préférait la variété des habitants d'un village -et de préférence vivre dans une maison un peu isolée en bordure de forêt. Enfin, d'ans l'absolu. Son grand âge l'obligeait à ses concession...
Au fil de la discussion, le temps passait. Le milieu de matinée était proche, et Hortense ne semblait pas vraiment en avoir conscience. Elle paraissait toute prête à bavarder des heures et des heures....

Et le demi-elfe ne voyait aucune raison de la priver de cette conversation. C'était bien pour échanger avec elle qu'il était venu la trouver et son apprentissage n'avait pas nécessairement à être formel. Surtout pour appréhender un culte fondamentalement peu structuré ou fermement ritualisé. Il entraîna néanmoins la vieille dame vers son jardin où ils pourraient continuer de deviser paisiblement à l'ombre de ses arbustes. Il pourrait éventuellement s'y atteler à quelques menus travaux sans interrompre son aînée.

Il trouva sans peine à s'occuper : des fruits murs attendaient d'êtres cueillis, avant l'orage qui menaçait au loin.
Il apprit, au fil de la conversation, le nom de quelques-uns de ses coreligionnaires, certains étant clercs itinérants, d'autres exerçant dans des régions aussi reculées que Solarcis, Corelliah ou Antelucas. Une majorité de femmes, mais quelques hommes également. Principalement des humains, deux ou trois demi-elfes, un seul elfe. Il leur arrivait de se retrouver pour l'une des grandes cérémonies de leur religion, auprès d'Eryan, qui avait formé plusieurs d'entre eux et officiait certainement toujours, non loin de Belred Luyn.
Elle lui raconta quelques anecdotes, lorsque sa foi s'était trouvée en contradiction avec les us et coutumes humains et qu'elle avait dû tenter par la négociation de faire entendre la voie de leur déesse, mais aussi quelques rencontres mouvementées dans les bois. La Forêt Maudite était dangereuse, et rengorgeait de créatures mauvaises. D'ailleurs, il faudrait qu'elle lui en parle plus longuement, à l'occasion : il y avait une source de malfaisance trop proche du bosquet, elle l'avait perçue autrefois et avait la certitude qu'elle était toujours là.
Mais elle commençait visiblement à fatiguer, et il devait être largement midi. Le ciel s'était peu à peu couvert et l'orage grondait, de plus en plus proche.

Le demi-elfe s’était attelé aux travaux les plus urgents avant l’orage – à savoir la cueillette des fruits les plus mûrs et donc les plus fragiles. Mais il n’avait rien perdu de la conversation avec Hortense, la laissant parler jusqu’à ce qu’elle s’interrompe pour lui poser de temps à autres une question sur un point qu’il voulait éclaircir ou lui faire partager ses propres rencontres de la forêt. C’est ainsi qu’il évoqua le druide Thanaën et les rituels qu’ils avaient mené mais aussi le sylvanien vénérable dont il avait fait la connaissance près de la source.

Hortense n'était pas certaine de se souvenir de Thanaën : elle avait croisé plusieurs fois des druides, certains elfiques, mais n'aurait pas su remettre un nom sur un visage. Tout cela remontait à trop loin et sa mémoire était un peu défaillante. Elle se souvenait en revanche très bien de Akuburanar, le sylvanien, dont le domaine, si sa mémoire était bonne, se trouvait quelque part dans le sud de la forêt maudite. Il lui avait rendu visite par le passé, à elle aussi. Et son aide lui avait été très utile pour mieux comprendre, à l'époque où elle était toute jeune, les soins qu'elle devait donner au bosquet alors menacé par une menace mort-vivante très présente. Son don de communication avec les végétaux en faisait un allié de choix. Elle semblait ravie d'apprendre qu'il était toujours vivant et se préoccupait de la renaissance du bosquet.
Elle se leva lorsque le vent se fit plus fort, annonçant l'orage dont les premières gouttes ne tarderaient pas, et l'entraîna à l'intérieur, lui laissant le soin de poursuivre la discussion.

Kasumi ne se contenta pas d’alimenter la discussion : il entreprit également de préparer le repas à partir de sa récolte du matin. La luminosité baissa tant et si bien dans la cabane qu’il jugea préférable d’allumer une lampe même s’il n’en avait pas vraiment besoin pour lui-même. Au détour de leur échange, le demi-elfe revint sur ses projets : il pensait rentrer dans deux ou trois jours à Peyregorde de sorte d’y passer au moins une nuit avant de se rendre au bosquet pour y organiser son premier Chant des arbres.

Hortense ne le laissa préparer le repas qu'à contrecoeur : elle n'aimait pas voir quelqu'un à sa place dans sa cuisine, mais elle devait bien s'avouer un peu fatiguée. D'ailleurs, elle s'installa dans son fauteuil habituel sitôt le repas terminé, le laissant libre de faire ce qu'il voulait pour le début d'après-midi. Au-dehors, il pleuvait des cordes, il ne pouvait donc pas vraiment s'occuper du jardin ou de travaux extérieurs. Il pouvait, s'il n'avait pas peur de la pluie, aller prendre des nouvelles de son aube. Il pouvait également lire les deux ouvrages de prières et psaumes qu'elle avait sortis de ses archives. Elle en avait également un, plus épais, qui traitait de l'histoire de leur église sur Féérune -Hélonna n'étant mentionnée que dans les derniers chapitres, au titre de nouvelle terre d'élection de leur déesse, loin vers l'ouest.

Kasumi décida de profiter du début de sieste d’Hortense pour sortir Ombrage. Le hongre serait certainement ravi de la balade malgré la pluie et il pensait ne pas en avoir pour longtemps. De toute façon, il avait l’intention de ne pas laisser la vieille dame trop longtemps seule après la frayeur de la veille et l’occasion de lire les recueils traitant de son culte était trop belle pour la laisser passer. Il savait déjà que Mielikki avait un lien particulier avec les races elfiques malgré son appartenance au panthéon humain et il se demandait si cet aspect avait contribué à son implantation sur une île où les communautés de ses ancêtres étaient anciennes et bien ancrées.

Ombrage se montra ravi de l'aubaine. Le temps maussade avait chassé les paysans de leurs champs et des routes, et ils purent prendre le galop, au grand plaisir du hongre. Mais comme il l'avait décidé, il ne s'attarda guère au-dehors, préférant revenir se sécher et lire un peu.
Les questions théologique qu'il se posait ne trouvèrent pas réponse dans le livre d'Hortense. Il redécouvrit simplement les principes fondateurs de l'église qu'il représenterait désormais, principes qu'on lui avait déjà enseignés par le passé. Son histoire, en revanche, lui était en grande partie inconnue, même s'il connaissait celle de la Dame des Bois. Il s'aperçut notamment qu'il savait peu de choses des liens que Mielikki entretenait avec d'autres dieux, et de leur évolution. Et c'était pourtant une connaissance importante à avoir en tête lorsqu'il s'agirait de créer des liens avec des clercs d'autres obédience.

Son hôtesse, quand à elle, dormait paisiblement, l'air plus frêle et plus fragile que jamais. Elle se réveilla dans une quinte de toux, l'air un peu souffreteuse. Mais elle ne s'attarda pas sur son état de santé -courant à son âge-, préférant se trouver une activité utile. Au-dehors, le ciel était de plus en plus sombre, au point que Kasumi avait dû allumer une bougie.
" Alors, ces bouquins ? Y as-tu trouvé des choses intéressantes ? Choisi les prières de ta prochaine célébration par exemple ?"

Kasumi avait lu avec une grande attention les éléments que contenait le premier livre qu’il avait décidé de consulter. Il comptait bien tirer parti de ces connaissances de base qui lui faisaient encore cruellement et en grande partie défaut pour rattraper une partie de son retard et gagner un peu confiance en son rôle de conseiller.

Comme de bien entendu, ces lectures ouvraient plus de questions qu’elles n’apportaient de réponse mais cela alimenterait les prochaines conversations qu’il allait avoir avec Hortense avant la fin de son court séjour.

Quant aux chansons et poèmes qu’il comptait retenir pour sa première cérémonie, il n’y avait pas encore réfléchi même si certains passages l’avaient particulièrement inspiré et faisaient résonnance à son expérience. Notamment ceux faisant la part belle au renouveau de la nature, sorte d’allégorie à la renaissance du bosquet et, dans une moindre mesure, à l’émergence de nouveaux fidèles et clercs comme lui-même.

Hortense lui montra un ou deux psaume qu'elle affectionnait particulièrement, et s'essaya même à un chanter un, mais sa voix était éraillée, un simple filet qui n'arrivait plus à monter dans les aigus, alors qu'elle se souvenait avoir aimé chanter autrefois. L'effet, aujourd'hui, était assez pitoyable et elle n'insista pas. Il y avait, à côté du texte, quelques notes sur une partition, et Kasumi pourrait toujours demander à son demi-frère de lui jouer la mélodie s'il le souhaitait.
La vieille femme, pour tromper l'ennui de cette fin d'après-midi sombre et pluvieuse, demanda ensuite à Kasumi de lui ramener les herbes et champignons qu'ils avaient cueillis et qu'il avait commencé à trier. Elle lui présenta celles qu'il ne connaissait pas, lui précisant leur usage -parfois simplement culinaire, souvent médicinal- et la partie de la plante qui devait être utilisée. certaines étaient toxiques crues, mais comestibles cuites, ou séchées, d'autres avaient des feuilles toxiques mais des racines ou des fleurs aux vertus puissantes. La vieille prêtresse en connaissait visiblement un rayon sur les plantes, et elle avait à cœur de transmettre une partie de ses connaissance. Avant qu'il ne soit trop tard, répéta-t-elle à plusieurs reprises, peut-être plus inquiète de son état de santé qu'elle ne voulait l'admettre. La fin de l'après-midi fila sans qu'ils en aient conscience : même la luminosité ne variait pas. Il fit nuit sans qu'ils l'aient vu venir.

Kasumi s’exerça lui aussi au chant même s’il avait un peu de mal à ne pas se sentir un peu ridicule dans cette activité qui ne lui était pas du tout coutumière. Le faire en compagnie d’Hortense était toutefois un peu moins intimidant et, la conversation aidant, il se prit rapidement au jeu. Les deux clercs discutèrent aussi beaucoup de la signification et des interprétations de certains passages et le demi-elfe se laissa lui aussi surprendre par la nuit. Encore une fois, il proposa son aide pour la préparation d’une soupe légère histoire que leur estomac ne reste pas vide.

La veillée ne s'éternisa pas. Hortense était fatiguée et il faisait si sombre qu'on se serait cru déjà à une heure fort tardive.
Couchés tôt, ils n'eurent aucune peine à se réveiller avant l'aube, presque en même temps. Hortense, guillerette, paraissait plus en forme, et elle souhaitait d'ailleurs retourner dans la forêt durant la matinée, juste pour une courte promenade, si Kasumi avait la bonté de lui prêter son hongre. Elle semblait parfaitement sereine quant à ses capacités à tenir le choc, si toutefois la sortie ne dépassait pas une heure.
La prière fut magique, comme d'habitude : la déesse était si proche, si présente dans son cœur, que c'était à se demander comment il avait pu vivre toutes ces années sans Elle. Hortense le laissa aider à la préparation du petit déjeuner, et en profita pour lui demander s'il avait d'autres questions à lui poser sur le dogme, l'organisation de l'église, la quotidien de la vie de clerc, ou toute autre interrogation.

Le demi-elfe n'avait pas mis longtemps à se laisser convaincre d'accepter la promenade en forêt. Du moment qu'ils se montraient raisonnables, cela ne pouvait faire que du bien à la vieille prêtresse. après leur prière et alors qu'ils se dirigeaient vers les premiers arbres, Kasumi se sentait débordant d'énergie et il n'hésita pas à chercher à étancher sa soif de connaissances :

- Je sais déjà que notre culte est peu structuré. Mais pouvez-vous me dire quelles sont les relations des prêtres de Mielikki avec les autres obédiences ? Comment suis-je censé me comporter avec les autres prêtres ? Nous arrive-t-il de nous entraider ?

" Ah, les relations entre églises... C'est tout un poème ! Il y a toujours une espèce de concurrence, chacun voulant faire en sorte que ses préceptes soient adoptés par le plus grand nombre, chacun cherchant à attirer de nouveaux fidèles... On n'est pas toujours sur la même longueur d'onde avec les Chaunteans par exemple..."
Elle secoua la tête avec un sourire.
" Mais ceci mis à part, lorsqu'il s'agit de combattre les malarites, les morts-vivants, ou d'une façon plus générale le mal et ses serviteurs, l'entraide est de mise bien sûr. En particulier, les servants des dieux de la nature sont nos alliés naturels, notamment ceux qui suivent Eldath et Sylvanus. Nos divinités sont très proches, et nous nous devons de les considérer comme nos frères en religion. Il arrive aussi que nous recevions l'aide des suivants de Lurue, Gwaeron Bourrasque ou Shiallia, puisque leurs divinités servent la Dame. Ils ne sont cependant pas très nombreux. Côté elfes, tu sais que Mielikki est réputée être la servante de Rillifane Rallathil, et bien sûr leur clergé est allié aux Mielikkéens. Nous croisons moins les autres... même s'il arrive aussi, pour combattre des morts-vivants par exemple, que nous nous associons à des Lathandrites. C'est même relativement fréquent dans ces bois. Il m'est arrivé de demander l'aide du prédécesseur d'Aïdan, autrefois. Les relations entre nos églises sont toujours cordiales, il n'y a pas de point de discorde entre nos dogmes. On se méfie plus des Tymoréans, plus susceptibles de provoquer des catastrophes involontaires....

Kasumi pressentait que chercher à retenir quelle attitude adopter avec chaque culte lui donnerait des maux de tête mais il pouvait considérer qu'il y avait peu de chance de croiser des représentant de la plupart de cultes dans cette région si limitrophe de la forêt. Il se dit qu'il lui appartiendrait de définir en partie son attitude vis-à-vis des prêtres qu'il croiserait malgré tout mais était tout de même rassuré de savoir que son amitié avec Aïdan ne serait pas remise en cause par sa nouvelle allégeance.

Hortense le rassura : il était très facile, même s'il ne connaissait pas bien une divinité, de connaître ses préceptes, en écoutant un peu attentivement le discours de ses clercs. Il saurait immédiatement si ces principes étaient ou non compatibles avec ceux de la Dame. Ce qui, à la réflexion, valait pour n'importe quel type d'organisation, pas seulement les églises. En tant que membre du clergé mielikkéen et représentant sur Toril de la Dame des Bois, il se devait de choisir avec soin ses alliés, ses combats, ses missions, pour ne jamais risquer de se retrouver entraîne à faire des choix qui pourraient se révéler contraire à sa religion. Bien sûr, c'était évident... et pourtant, dans les faits, ça ne l'était pas tant que ça ! Car peu d'organisations humaines se souciaient de préserver la nature. Au contraire, la plupart cherchaient à en tirer profit sans vergogne. Et il pouvait très facilement se retrouver en porte à faux avec des alliés potentiels sur ce thème.
" Souviens-toi, ce qui doit primer sur tout, c'est la défense des préceptes de notre foi. Il n'y a pas de compromis possibles sur certains sujets, tu devras être intransigeant. Et, parfois, les autres ne le comprendront pas. Tu peux en arriver à perdre des amis, ou la confiance de tes alliés... Mais entre tes amis et ta déesse, c'est toujours elle qui doit primer. N'accepte jamais une mission qui te mettrait dans une situation qu'elle jugerait répréhensible."

Kasumi n'avait pas l'intention de prendre cette mise en garde à la légère et il remercia comme il se doit Hortense pour ses bons conseils. Il avait lui-même noté que les préceptes de Mielikki pouvaient paraître au mieux étranges à la plupart des humains qui se défiaient de la forêt ou de ses créatures ou - au contraire - cherchaient à en tirer profit.

Il pressentait de toute façon que son passé de collaboration avec l'armée luménienne était derrière lui tant il semblait y avoir de travail pour préserver le bosquet et ses environs. Peut-être faudrait-il tout de même garder le contact avec cet allié potentiel mais la ville semblait particulièrement lointaine à présent. Il fallait déjà commencer par convaincre les habitants de Peyregorde de l'accepter dans son nouveau rôle de prêtre.

Hortense avait su amadouer Ombrage, qui se montrait étonnamment doux avec elle. Elle mit pied à terre, avec l'aide de Kasumi, sitôt arrivée à la lisière des bois, et huma l'air avec délices.
" Moi qui était soulagée de vivre un peu plus loin des bois, voilà qu'ils me manquent à nouveau. Le hameau n'est pas suffisamment proche pour que je puisse y venir sans aide, et ma maigre haie ne vaut pas une forêt. Il y a ici une fraîcheur, une atmosphère, des senteurs, tellement différentes de celles de mon petit jardin... Cela va me manquer quand vous aurez regagné vos pénates. Je vais regretter d'avoir choisi une maison si loin des bois, alors que c'était justement la raison pour laquelle je l'avais choisie... Être dans les bois redevient pour moi un réel besoin."
Elle haussa les épaules.
" Il va falloir que je négocie avec mes voisins. Peut-être, en leur promettant de ramener des herbes aromatiques et médicinales, et des champignons, accepteront-ils de m'amener ici. Ils n'y connaissent pas grand-chose..."
La lisière de la forêt était calme et paisible, semblable à n'importe quelle lisière de n'importe quel bois, sans trace de souillure. Hortense s'arrêta cependant quelques instants, concentrée, semblant chercher à écouter quelque chose.

Kasumi allait lui répondre que ses voisins apprécieraient certainement son aide en herboristerie et que, même sans cela, elle semblait être beaucoup appréciée et qu'il s'en trouverait bien quelques-uns pour lui rendre ce service. Mais la réaction d'Hortense ne manqua pas de l'alerter. Il se tut pour écouter à son tour et regarda le visage de la prêtresse pour déterminer si ce qu'elle avait entendu l'inquiétait.

Hortense resta concentrée quelques minutes, sans paraître ni vraiment inquiète, ni vraiment sereine. Elle eut un vague haussement d'épaules et poursuivit sa marche.
" Les bois ici sont différents de ce que j'ai connu là-bas. Ce ne sont plus les mêmes arbres, plus les mêmes sons, plus les mêmes odeurs. Autrefois, près du bosquet, je connaissais la forêt par cœur, et j'étais capable de déceler le moindre changement dans la végétation ou dans les sentes tracées par les animaux, je savais immédiatement quand un nouvel oiseau ou même un rongeur venait s'installer parmi nous, je décelais les altérations causées par les êtres ne respectant pas la nature. C'était un domaine que je connaissais parfaitement. Ici, je ne me sens pas chez moi, et je n'aurai pas le temps de recréer ce lien que j'avais autrefois.... "
Elle réprima un soupir.
" Ça peut te paraître excessif, ça l'est sans doute. Mais tu créeras toi aussi ce lien particulier avec le bosquet, et tu comprendras alors à quel point cet important. Lorsque tu voyageras, les autres forêts te paraîtront à la fois familières et étrangères. "

Les paroles d'Hortense pouvaient paraître un brin déstabilisantes mais ce qu'elle affirmait résonnait tout de même avec ses récentes expériences. Particulièrement quand il avait mené des cérémonies, seul ou avec Aïdan, il avait senti un lien transcendant avec la nature environnante. Il ne se sentait peut-être pas encore si proche de sa forêt et de ses habitants mais il venait tout juste d'arriver et le fait d'avoir réveillé le bosquet et de le servir dans les mois futurs lui ouvrirait certainement ces perceptions profondes.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Respelm