[Lieu] Mersant

[Taliesin]

Taliesin sentit la colère poindre en lui : s'il s'agissait d'une blague, certains allaient la sentir passer. Surtout s'il s'agissait des gamins.
Néanmoins, il resta sur ses gardes : les pirates, s'il y en avait, pouvaient très bien rester dissimulés, histoire qu'il ne se méfie pas, qu'il fonce tout droit dans le traquenard.
-Oui oui, répondit-il simplement.
Et de rester tendu comme la corde d'un arc, près à agir à la moindre alerte.
Il serait bientôt fixé.

[Galathée]

Mais il n'y avait personne d'autre que les deux enfants et le courtisan dans la petite salle et ce dernier accueillit le barde avec un sourire chaleureux.
" Victor s'est fait une petite bosse en perdant pied, il dit que tu DOIS absolument le soulager d'un de tes sorts merveilleux sinon il va mourir dans l'heure." dit-il avec un sourire.
" Je me suis fait mal !" s'exclama l'enfant, buté.
" Je pense que s'il faut soigner quelque chose, ce sont les mains de Jehan. Sa ceinture a lâché dans le puits et il s'est rattrapé in extremis à la corde, mais il a glissé sur un bon mètre et ses paumes sont à vif. Mais il y a peut-être un baume efficace dans un des sacs, je n'ai pas encore regardé."
Le petit Merlu eut un sourire désolé et soupira. Il avait l'air plutôt secoué.

[Taliesin]

Le soulagement déferla, lui menant les larmes aux yeux, manquant l'emporter.
Puis ce fut la honte qui le tétanisa.
Il resta un long moment à observer les enfants, sans réellement les voir.
Ridicule.
Pitoyable.
Lamentable.
-Je dois... commença-t-il.
Mais sa voix s'éteignit, et il se fendit d'un geste en direction du boyau.
Il ferma les yeux, tenta de se reprendre à grand peine.
-Je dois redescendre, reprit-il, atone, après avoir avalé sa salive. J'ai cru... Les cris, le sang, le silence... J'ai pensé... Je dois dire aux autres qu'il n'y a rien. Je reviens tout de suite pour soigner...
Réprimant son envie de se laisser aller, de pleurer sans retenue, il se détourna, à moitié pour cacher son trouble, à moitié pour ne pas perdre de temps, ne pas laisser les autres plus longtemps en proie à l'inquiétude dans laquelle il les avait si stupidement plongés.
-Je me suis trompé de vocation : je n'aurais pas dû faire barde, mais bien bouffon, lâcha-t-il, amer.
Puis, les mains rivées à la corde, il se lança dans la descente. Il sentit à peine l'eau glacée le tremper jusqu'aux os, les aspérités du roc faire des accrocs dans ses frusques humides.
Déjà, il était en bas, se retrouvait face à Goran, face à Philibert.
-Il n'y a rien. Rien de rien, évidemment. La ceinture de Jehan a lâché, il s'est rattrapé de justesse à la corde, ses mains sont blessés... C'est tout. Pas de pirates, naturellement. Je suis désolé. J'avancerai bien, comme excuse, que le sort s'est tellement... Mais non, je n'ai pas d'excuse.
Il avait parlé d'une traite, sans reprendre son souffle. L'instant suivant, il se détournait à nouveau. Recommençait l'ascension.
A quoi était-il bon, au juste ? A oublier, au pire moment, les seuls atouts dont ils disposaient ? A faire paniquer ses compagnons pour des broutilles, à jouer les bergers qui criaient au loup ?
Oui, il semblait fort qu'il n'était bon qu'à ça. Et si les autres se moquaient de lui ou le jugeaient désormais indigne d'accomplir la moindre mission, ils auraient bien raison.
Comment pourrait-il même songer à leur donner tort ?
Il n'était qu'un bouffon. Un fou de cour aussi pimpant dans les discours que minable dans les actes.

[Galathée]

Quand il parvint à nouveau au sommet, ses trois compagnons n'avaient pas bougé. Victor se frottait toujours la tête d'un air revêche et Jehan, stoïque, contemplait ses mains ensanglantées comme si elles avaient appartenu à quelqu'un d'autre. Martin dévisagea le barde avec une légère inquiétude puis se fendit d'un sourire.
" Je suis désolé d'avoir fait une bête blague." dit-il finalement. " Mais j'ai dit que c'était une blague. Enfin... Navré de vous avoir inquiétés. Je veillerai à ne plus raconter n'importe quoi."
Il se tourna vers les enfants.
" Dès que tu en as fini avec le petit, je t'attends pour la suite."

[Taliesin]

Le barde, se gardant bien de croiser son regard, lui adressa une espèce de sourire penaud qui tenait plus, cependant, de la grimace.
-Tu n'as rien à te reprocher : j'ai été le seul à m'inquiéter, Goran pensait que je délirais... C'est moi qui veillerai, à l'avenir, à ne pas céder aussi facilement à la peur. J'essayerai, du moins.
Sur un nouveau soupir, il rejoignit Jehan et se mit en devoir d'incanter. Mais il était tellement abattu, troublé, qu'il lui fallut s'y reprendre trois fois avant que l'habituelle lumière bleutée n'entoure, puis ne se fonde dans les mains du petit garçon.
-Est-ce que ça fait moins mal ? s'enquit-il. Si c'est encore douloureux, je peux recommencer.

[Galathée]

Jehan avait les paumes intactes et il les lui présenta avec surprise.
" Moi aussi je vais être barde, plus tard." annonça-t-il avec sérieux.
" On fera un duo." lâcha Victor.
Et ils se mirent à glousser. Martin secoua la tête avec un sourire et fit signe à Taliesin de venir le rejoindre. Le courtisan donna ensuite le signal du départ aux deux compères qui se trouvaient encore en bas. Pendant les premières minutes, il demeura silencieux, concentré, puis finit par prendre la parole, à mi-voix.
" Je comprends ton... inquiétude. Nier le danger serait stupide, l'anticiper est plutôt... bienvenu. La plupart des gens, ici, semblent ne pas réaliser dans quelle situation nous nous trouvons." commença-t-il. " Mais..."
Il pinça les lèvres une seconde.
" Je sais que nous ne connaissons pas. Aucun d'entre nous. Nous ne savons pas encore qui est fiable, qui est faible, qui est susceptible de trahir, qui donnera sa vie pour le groupe. Je sais que je suis Mélandien, ça ne me rend pas très fréquentable, et dire que mon comportement a toujours été loyal ou respectable, serait un mensonge. Plus d'un, sans doute. Je sais aussi que vu ma... profession, il serait logique que... tu considères que je ne suis pas bon à grand chose, hormis donner du plaisir à ceux qui me paient pour cela... Mais... je voudrais te convaincre de me faire confiance. Je ne vous aurais jamais attirés dans un piège. Si les pirates me prennent, même s'ils prennent les gosses avec moi... Je sais que notre espérance de vie est de toute façon réduite. Je ne crains pas de me faire trancher la gorge."
Il eut un triste sourire.
" De plus... Je connais bien ces grottes. Je les comprends. Je ne me ferai pas surprendre par des pirates embusqués. Je les entendrai avant qu'ils ne me tombent dessus. Je sais que... je ne peux que prétendre... Fais-moi confiance, on dirait le discours bancal d'un entourloupeur maléfique mais... tu peux me faire confiance. Et quelque part, tu dois. Nous ne pouvons pas faire autrement que de nous fier les uns aux autres, aussi inquiétant cela soit-il."

[Taliesin]

L'elfe le dévisagea, aussi surpris qu'embarrassé par son discours.
-Martin... commença-t-il d'une voix atone. Tu ne dois pas te méprendre, pas penser que ma réaction de tout à l'heure est liée à toi... Il n'en est rien. Je n'ai pas imaginé que tu nous avais trahis, que tu nous avais sciemment menés dans un piège. Jamais. A aucun moment. Je veux dire... Déjà, je n'ai aucun apriori sur ton métier. Ce serait d'autant plus ridicule que nos professions sont somme toute très proches, même si, pour d'obscures raison de morale, ce sont les bardes que l'on respecte. Ensuite... Que tu sois mélandien... J'ai assez vécu pour savoir que les gens ne se résument pas à une origine, à une nationalité, voir à un passé. Pour savoir que la réalité est toujours mille fois plus complexe qu'il n'y paraît. Enfin, au-delà de tout le reste, comment pourrais-je douter de toi alors que tu te démènes sans trêve pour nous, alors que tu t'épuises à arpenter, à repérer ces grottes ? Douter de toi, ce serait aussi odieux que stupide... Tu as toute ma confiance, et ce ne sont pas de vains mots.
Il s'arracha un sourire.
-J'ai aussi confiance dans tous les autres. Parce que... Nous n'avons pas le choix, comme tu le disais. Mais surtout... Je crois que je n'arriverai jamais, quoi qu'il m'arrive, à être fondamentalement méfiant. Surtout pas dans les circonstances actuelles où notre avenir dépend de notre capacité à nous reposer les uns sur les autres, à œuvrer ensemble, en nous serrant les coudes. Je vous confierai ma vie et celle des enfants sans la moindre hésitation. Preuve en est : je vais laisser les petits à Philibert. Ils seront même seuls avec lui tant que tu n'auras pas ramené Elerinna. Mais je sais que tout ce passera bien, qu'ils feront au mieux pour s'entendre, pour travailler de concert.
Son sourire disparu, et il se détourna, à nouveau penaud.
-Pour en revenir à tout à l'heure... J'ai été d'une bêtise crasse. J'ai vu des signes là où il n'y en avait pas : le cri d'effroi de Jehan, ton laconisme, la corde qui redescend en silence, cette histoire de blague, de sang... J'ai été persuadé que des pirates vous avaient pris, qu'ils te contraignaient à faire comme si de rien n'était, pour que nous nous jetions dans la gueule du loup. J'ai même dit à Goran de se replier si je ne revenais pas, pour prévenir les autres... Si la vie ne m'a pas rendu méfiant, je crains en revanche qu'elle m'ait transformé en paranoïaque. Surtout quand la sécurité des gosses est en jeu...
Il se concentra sur la corde, aidant de son mieux le courtisan à la tirer. Mais c'était surtout un bon moyen de se donner un semblant de contenance.
-Je suis désolé, conclut-il. Autant je te fais, je vous fais entièrement confiance, autant je pense ne pas avoir fait en sorte que la réciproque soit valable. Mes actes, mes manquements ne vous donnent aucune raison de vous fier à moi, j'en suis bien conscient. J'essaierai malgré tout de me rattraper. Au moins, cela, je peux le promettre.

[Galathée]

Martin sourit.
" Je ne doute pas de toi. Quand on fait mon métier, lire les gens, deviner leurs intentions, leurs penchants, est vital. Ici, à Mersant, nous avions un cadre de travail relativement préservé, relativement sûr, mais je n'ai pas toujours travaillé dans ce genre de conditions. Et pas toujours à mon compte, si tu vois ce que je veux dire. Les détraqués ne sont bien sûr pas monnaie courante, mais être capable d'anticiper les problèmes... Enfin soit. Avec toi, ce n'est même pas nécessaire. Tu es comme un livre ouvert, malgré tes mystères, ce que tu ne veux pas révéler, ce que tu gardes pour toi. Mais de temps à autre... L'honnêteté de tes réactions... Je sais que tu es barde. Expert du mensonge, de la comédie. Mais je suis l'expert inverse. Malgré tes erreurs, et nous en commettons tous, continuellement, je ne doute pas de toi."
Il se tut un instant, tendit l'oreille. On percevait les éclaboussures étouffées que faisait quelqu'un en grimpant.
" Et ce que je voulais dire, aussi, c'est que... personne ne me fera jouer la comédie contre mon gré. Même avec un couteau sur la gorge. Même avec un couteau sur la gorge d'un autre. A quoi bon retarder l'inévitable ? Le Squale ne fait pas de quartiers."

[Taliesin]

Il hocha lentement la tête.
-Je me doutes bien que tu agirais ainsi. Et je ferais de même... Malheureusement, sous le coup de l'inquiétude, je n'ai pas réfléchi aussi loin... Mais je m'en souviendrai pour la suite. Enfin, j'espère que je n'aurais pas à assister à pareille chose, évidemment...
Il se tut, grimaça, adressa un sourire au courtisan. Aussi pâle, modeste fût-il, on pouvait y lire toute la gratitude qu'il éprouvait à son égard, pour tout ce qu'il avait dit. Le barde ne s'était pas encore remis de ses émotions et, oui, il devait être un véritable livre ouvert.

[Galathée]

Quelques secondes plus tard, Philibert émergeait du conduit, passablement trempé. Il décocha cependant un sourire brave à ses compagnons alors que Martin l'aidait à prendre pied dans la nouvelle caverne.
" C'était... périlleux." fit le Mélandien en jetant un coup d'oeil. " Mais j'ai réussi !"
Il avait l'air plutôt fier de lui. Le courtisan le gratifia d'une tape amicale sur l'épaule puis se repencha sur le conduit.
" Goran, c'est bon ! A toi !"

[Taliesin]

Le barde n'avait pas lâcher la corde, prêt à aider Martin une fois encore.
-Si ça vous dit... commença-t-il. Le pipeau pourrait nous procurer de quoi nous réchauffer et nous sécher, une fois dans la caverne. Il faudra voir bien sûr si la fumée ne serait pas trop visible de l'extérieur, et si l'instrument veut bien être coopératif, mais... ça pourrait nous revigorer un peu. Je crois qu'on en a tous besoin.
Redonner un peu d'allant aux autres après la peur qu'il leur avait fait... c'était la moindre des choses.

[Galathée]

Martin allait répondre quelque chose quand il y eut un brusque choc sur la corde, puis un cri perçant, et d'un seul coup, ils basculèrent en arrière, sans desserrer leur prise. La corde était molle, celui qui s'était trouvé à l'autre bout l'avait manifestement lâchée. On n'entendait que le silence, le glougloutement de l'eau dégringolant entre les jambes puis dans le conduit, ruisseau souterrain venu de nulle part.
" Oh bouse..." souffla Martin. " Goran ?"

[Taliesin]

Taliesin ferma les yeux : décidément, ils n'étaient pas aidés par la chance. Et peut-être cette fois-ci s'agissait-il de quelque chose de plus grave que de simples mains éraflées.
-Philibert ? demanda-t-il. Tu veux bien aider Martin à tenir la corde ? Je vais descendre voir... filer un coup de main à Goran.
Conscient de la fatigue qu'avaient laissée en lui ses montées et ses descentes successives, il entreprit de nouer la corde autour de sa taille. Une fois terminé, et à moins que les autres n'y voient une objection, il regagnerait le périlleux boyau.

[Galathée]

" Reste en haut, je m'en charge. Je suis plus habitué que toi. Si j'ai besoin d'aide, je te ferai signe." fit le courtisan en lui prenant la corde des mains. " De plus, tu viens de faire un peu trop d'exercices et je ne tiens pas à ce que Guéric me fasse la peau..."
Il sourit et sans attendre, se glissa dans le conduit. Il ne fallut pas longtemps pour que sa voix surgisse des profondeurs, colportant d'abord un juron.
" Belenn ! Je pense que je vais avoir besoin de toi !" lança-t-il. " La corde a lâché, je descends voir..."

[Taliesin]

La corde avait lâché.
La chute avait dû être rude. Très rude.
Mais il refusa d'y penser, se concentra, plutôt, sur les moyens de remédier aux dégâts : il pouvait lancer des sorts de soin, il disposait du pipeau... Il y avait de quoi faire.
Préférant ne pas prendre le risque de se retrouver privé d'aide au beau milieu du tunnel, il farfouilla dans leurs affaires pour y quérir une nouvelle corde, l'attacha soigneusement à un rocher, puis s'arnacha.
-Bon, et bien, j'y vais... lança-t-il. Les garçons, n'hésitez pas à filer un coup de main à Philibert, au besoin.
Il leur sourit à tous trois, bon gré, mal gré, puis, une fois encore, débuta la difficile descente.

[Galathée]

La corde avait lâché au niveau du premier palier, un peu avant l'endroit où Martin l'avait arrimée à une concrétion. Avec le mouvement des escalades successives, le chanvre s'était abîmé sur des aspérités acérées, qui l'avaient rongé petit à petit, jusqu'à la chute. Goran n'était pas exactement un petit gabarit, de surcroît. Martin avait déjà glissé jusqu'au départ de l'ascension et Taliesin eut finalement moins de mal à le rejoindre qu'il ne l'avait craint.
Le courtisan était agenouillé près du Mersantais, lequel gisait sur le sol, inconscient. Sa poitrine se soulevait cependant à un rythme rassurant. Il avait une plaie à la tête, sanglante, mais ce genre de blessure avait toujours tendance à se répandre en flots écarlates, même lorsqu'il ne s'agissait que d'une égratignure. Pour le reste, difficile de savoir. Aucun de ses membres ne formait un angle étrange, en tout cas.
" Il a l'air bien sonné..." murmura Martin.

[Taliesin]

Taliesin ne savait s'il pouvait se laisser aller à un soupir de soulagement où s'il devait serrer les dents en prévision de la mauvaise surprise à venir. Il avait encore en mémoire son choc terrible lorsque, au cœur du camp mercenaire en flammes, il avait découvert un Victor à demi brûlé vif, agonisant, alors qu'il le pensait indemne.
Il ne fit ni l'un ni l'autre, cependant? Se montrant pragmatique, il incanta à deux reprises, administrant ses deux derniers sorts de soin au blessé. Même si un ssul avait suffit - ce dont il doutait fort -, il faudrait rentrer au camp... et donc redonner des forces à Goran, forcément secoué. D'autant que le trajet était long et pénible.
Si sa faible magie ne suffisait pas, il aurait recours au pipeau. En espérant qu'il se montrerait coopératif. Du moins, dans le sens qu'il attendait.

[Galathée]

Goran commença à émerger après le premier sort de soins et reprit connaissance après le second. Il semblait un peu hébété et dévisagea Martin et Taliesin comme s'il ne les avait jamais vus pendant quelques secondes, avant de retrouver ses esprits.
" J'ai glissé, je crois." fit-il, penaud.
" La corde a lâché. Elle s'est usée sur des rochers coupants." répondit Martin avec un sourire tranquille. " Belenn t'a retapé, tu es comme neuf."
L'ancien rôdeur se leva en s'appuyant sur le courtisan.
" On dirait bien."
Il fit quelques pas.
" On dirait bien, oui."
" Alors on est repartis." fit Martin en claquant dans les mains. " Je vais replacer... une... Belenn, excellente initiative ! Je vais replacer une corde et je vous attendrai au premier palier. Ce sera plus prudent de cette manière."
Puis il pressa amicalement l'épaule de Taliesin, avec un sourire, et reprit son ascension.

[Taliesin]

Cette fois, l'escalade se passa sans embuches, sans chutes, sans mauvaises surprises. Il faut dire qu'ils redoublèrent de précautions, prirent tout leur temps, malgré l'envie qui les tenaillaient d'émerger enfin de l'obscur conduit et d'échapper à l'eau glacée qui y ruisselait, achevant de tremper ce qui, chez eux, avait pu rester sec, et d'effacer jusqu'au dernier souvenir de ce que pouvait être la chaleur. Mieux valait ça, cependant, que s'exposer à de nouvelles blessures.
Une fois tous rassemblés au sommet, ils reprirent un moment leur souffle, avant de se charger à nouveau du matériel et de se remettre en route. Tous étaient pressés d'arriver et, en son for intérieur, le barde doutait de plus en plus de la pertinence de faire des trajets quotidiens. Mieux vaudrait, sans doute, organiser une expédition d'importance pour transférer tout l'équipement d'un seul coup. Après, il serait toujours possible de rassembler l'ensemble de leur groupe dans la grotte marine, et de procéder à la construction, quitte à camper sur place.

[Galathée]

Et ils y parvinrent enfin. Au bout d'un conduit qu'ils durent arpenter à quatre pattes, l'espace s'élargit soudain et ils débouchèrent dans une grotte de belle taille, vaguement circulaire, qui comportait une sorte de quai contre lequel clapotait la mer. L'ouverture se trouvait plus loin, arche lumineuse dévoilant l'infini grisâtre d'un océan chargé. La surface disponible pour s'installer n'était pas énorme, mais il y aurait de quoi travailler et se ménager un coin repos. Martin s'étira dans la pénombre et posa sa lampe sur le sol.
" Vous voilà rendus." fit-il.
Il faisait un peu moins froid que dans le ventre de la terre et l'atmosphère sentait bon les embruns.

[Taliesin]

L'elfe se déchargea au plus vite des planches et des outils qu'il portait, puis laissa son regard courir sur la caverne et, au-delà, sur les eaux du détroit.
-Je propose que nous allions piquer une tête, lança-t-il, joyeux, au bout d'un moment. Parce que franchement, crapahuter comme ça, dans la touffeur de ces galeries, ça m'a mis en nage...
Il sourit.
-Sous ce climat tropical, un feu, un remontant, ça serait malvenu, non ?
Plaisanter pour se redonner le moral. Et pour améliorer celui des autres... Ils auraient besoin de courage, en tout cas. Tous : ceux qui resteraient pour travailler comme ceux qui rentreraient...

[Galathée]

" L'eau n'est pas si froide, en réalité. Mais le printemps prend son temps, cette année... En été, c'est presque paradisiaque." fit Martin. " Presque. Il y a les méduses, quelques requins... Hum. Bon, ça ne vaut pas les plages d'Antelucas, à ce qu'on dit."
Le jeune Mélandien était en train de faire l'inventaire de ce qu'ils avaient emporté, concentré, alignant les outils et les planches. Goran s'était assis, encore un peu troublé. Victor et Jehan exploraient prudemment leur nouveau terrain de jeu.
" Je pense que vous devriez vous reposer un peu... Je vais aller chercher Elerinna. Nous pourrons rentrer ensemble." ajouta le courtisan à l'intention de Taliesin.

[Taliesin]

Celui-ci le dévisagea une seconde, puis secoua la tête.
-Pas question que tu partes dans l'instant, Tu as été de sortie toute la nuit, tu as dormi à peine quelques heures, et en venant ici, tu en a fait plus que nous, hissant le matériel, montant, redescendant... Il est impératif que tu te reposes aussi un peu.
Il observa à nouveau la salle.
-Est-ce que ça te paraît trop risqué si j'essaie de convoquer un feu ? Est-ce qu'on a emporté quelque... cordial, en plus de la nourriture ? Sinon, je peux essayer de m'en procurer en faisant appel à nos amies d'Eauprofonde...

[Galathée]

" Nous avons de quoi allumer un feu, mais ce serait gaspiller le bois dont nous avons grandement besoin..." fit Martin, songeur. " Si tu sais nous avoir quelque chose qui ne nécessite pas qu'on l'entretienne... Hum."
Il secoua la tête.
" Et je suis parfaitement en état de repartir. Ne t'inquiète pas pour moi."
Il sourit.
" Ce n'est pas désagréable, cela dit, qu'on puisse s'inquiéter pour moi... Inédit. Mais je sais ce que je fais, n'aie crainte. Je me reposerai ce soir, dans mon lit, pendant que vous arpentez la lande."

[Taliesin]

Il soupira.
-D'accord... Tu es le seul à connaître tes limites. Mais prends au moins le temps de manger ou de boire quelque chose. De mon côté... Je vais voir ce que ce bout de bois à dans le ventre
Tirant le pipeau de sa poche, il hésita. "Vaincre la nuit" apportait la lumière, pas la chaleur, et le feu n'apparaissaient pas toujours, même quand ils en avaient besoin. Alors, il eut recours aux "DEmoiselles".

[Galathée]

Il y eut un bref éclat de lumière, qui força tout le monde à se détourner ou à se protéger les yeux, puis ils purent constater les résultats de la mélodie. Un feu respectable brûlait désormais dans la grotte, dégageant une fumée presque invisible, assorti de sa pile de bûches replète. Mais le pipeau avait cru bon d'y adjoindre une pile de couvertures et de vêtements secs ainsi que quatre lits de camp, déjà montés.
Martin ne put s'empêcher de sourire.
" Décidément, tu pourrais t'improviser aubergiste itinérant. Ce serait original." fit-il, avant de fouiner parmi les vêtements pour se trouver une tenue sèche.
Il se changea, comme de coutume, sans la moindre fausse pudeur. Taliesin capta un regard du Mélandien qui contemplait le courtisan avec un intérêt certain. Martin alla ensuite chercher une pomme et du fromage dans le sac de provisions qu'ils avaient emporté.
" Tu vois, je suis très obéissant." fit-il à Taliesin, avant de le gratifier d'un clin d'oeil et de reprendre le chemin des profondeurs.

[Taliesin]

Aubergiste itinérant... L'idée était amusante. Même si, à tout prendre, il préférait un établissement sédentaire. Et, de toute façon, s'il évoquait à nouveau cette possibilité, Victor protesterait avec énergie : il commençait a avoir une sainte horreur des tâches ménagères et craindrait certainement qu'on l'y astreigne...
-Les garçons ? lança-t-il. Si vous êtes mouillés, il vaut mieux que vous vous changiez.
Lui-même, cette intention en tête, s'était rapproché du feu, dont la chaleur était mille fois bienvenue. Néanmoins, avant de s'occuper de lui, il se tourna vers Philibert et Goran.
-Si vous avez besoin de quelque chose, n'hésitez pas à vous servir, ou à me demander. Autant profiter à fond de l'aubaine !

[Galathée]

Les deux hommes ne se firent pas prier. Il y avait évidemment juste de quoi contenter chacun et ils se retrouvèrent bientôt tous secs, prêts à affronter la froidure de la grotte que le feu joyeux contribuait à dissiper. Ils s'offrirent quelques minutes silencieuses à lorgner les vagues et les flammes, puis Philibert attaqua ce pourquoi ils s'étaient déplacés, avec les aléas que l'on sait, jusque là. Il déroula un parchemin qu'il cala avec des pierres, esquissa quelques traits, retourna vers son tas de bois pour choisir quelques planches et les disposer sur le sol. Victor et Jehan finirent par s'approcher, curieux. Goran se fit un oreiller d'une couverture et poussa un profond soupir avant de fermer les yeux.

[Taliesin]

L'elfe demeura assis près du feu, à grignoter une pomme tout en observant le Méléndien occupé à dessiner son plan et les enfants qui l'avaient rejoint. Il était décidé à rester à distance, à ne pas intervenir sans nécessité absolue : jusqu'au retour de Martin, il pourrait voir comment ces trois-là s'entendaient, avoir une vague idée de la manière dont se déroulerait leur collaboration. C'était une chance qui ne se reproduirait sans doute pas avant un bon moment. Il avait bon espoir que tout se passerait sans heurts, et, au cas contraire, il pourrait régler avant qu'il ne dégénère d'éventuels différends.

[Galathée]

Au début, les enfants et le Mélandien ne parlèrent pratiquement pas, puis ce dernier commença à commenter ce qu'il dessinait, sans réellement les impliquer, et les gamins finirent par poser quelques questions. Enfin, Philibert les mit au travail en les envoyant déblayer un vaste espace au sol, duquel ils retirent des cailloux avant de le balayer sommairement. Ils transportèrent ensuite les planches et les empilèrent dans un coin, en les triant consciencieusement par ordre de taille. Ils semblaient motivés, obéissants, mais aussi clairement fatigués. Après ce rapide transport, ils allèrent d'ailleurs s'écrouler sur les lits que le pipeau leur avait offerts. Philibert ne s'en soucia guère : il avait fort à faire avec son plan.
Martin et Elerinna surgirent moins d'une heure plus tard. La courtisane sourit à la cantonade, amusée de les découvrir tous avachis.
" Bon, je pense qu'on peut repartir." fit Martin avec le sourire. " On marchera à notre aise. Et je viendrai vous rechercher dans la nuit, je suppose."
" Nous sommes bien installés, dirait-on." s'exclama la prostituée en allant se chauffer un instant. " Fais au mieux. Mais je pense que nous devrons nous installer ici, à terme, non ? Au moins l'équipe de travail."