La Couronne de Cuivre

Hein ? Quoi ? Mais alors, Christophe qui était mort et qui se relevait ? C'était un ? Un ... Zombie ! La petite fille en voyant son copain eut du mal à ne pas se mettre à hurler. Mais c'est finalement la colère qui prit le dessus.

"Alors, c'est ça que tu veux faire ?, cria-t-elle, c'est tout ce que tu sais faire ? En fait, tu es moins forte que tous mes copains. En plus, tu vaux pas un clou face à la vraie Morticia. Tu n'es même pas un monstre de mauvaise série B."

En même temps, comme Pierre, elle se demanda comment leur copain aller se comporter.

Benoît, après ses invectives contre l’être haït, récita les mots mystiques à la lueur fébrile de sa lampe électrique. Sa voix, également, vacillait. La conviction était là mais l’exécution dû lui faire défaut car rien ne se passa. Grincevoix, trônant sur sa branche, le railla.

« Mage de pacotille, doux naïf, je t’ai permis de devenir quelqu’un, mais tu préfères n’être personne ! Vois ce qu’est le vrai, le seul pouvoir ! »

Disant cela, le diabolique monstre commença à s’auréoler de flammèches verdâtres. Pendant ce temps, Christophe chargea son arme avant de la pointer droit sur la tête de Bellatrix. Sans la prévoyance de Piotr, sans son coup d’épée qui brisa l’objet fabriqué, la terrible prophétie du noir corbeau aurait continué à s’accomplir. Mais n’était-ce pas que partie remise ? Changeant de cible, le défunt garçon se jeta sur Pierre, poings serrés. Peu rapide, il était encore temps de l’esquiver...

Comme si cela ne suffisait pas, la forêt se mit à bruisser en tout sens. Branches qui craquent, ronces qui fouettent l’air, murmure de tissu...

Bellatrix resta paralysée durant quelques secondes, incapable de bouger. Le carreau d'arbalète avait failli l'atteindre en pleine tête. Elle avait failli mourir. Et peut être pour de bon. Le pire, c'est que c'était son ami ou plutôt son ami zombie Cricri qui avait retourné son arme contre elle. Et c'était horrible. Un adversaire de plus, et pas des moindres. Elle se tourna vers son ami Rick Crochet et lui dit.

"S'il te plait, attrape Cricri et serre le dans tes bras pour l'empêcher de bouger. Mais ne lui fais pas de mal, d'accord ?"

Pierre avait bondi de côté pour éviter la charge du zombie, tout en se demandant comment se débarrasser de lui. Le frapper avec son épée était hors de question : il n'aurait pas la force de s'en prendre ainsi à quelqu'un qui, s'il n'était plus leur ami, en présentait toujours l'apparence. Cela excluait donc également un duel à mains nues. En revanche, le ligoter pour qu'il ne soit plus en mesure de leur nuire...

Il en était là de ses réflexions lorsque Bellatrix demanda à l'être qu'elle avait invoqué de s'occuper de "Christophe". Voilà qui réglerait le problème dans l'immédiat. Mais, sur la longue durée, cette solution ne s'avérerait-elle pas dangereuse ? N'auraient-ils pas besoin de toutes leurs forces pour affronter l'ennemi ? Il en avait bien peur, malheureusement...

Toutefois, une idée lui traversa l'esprit et, sans perdre un instant, il rangea sa lampe dans la poche de son manteau et, de sa main désormais libre,retira sa ceinture avant de la lancer à l'homme en noir muni de son crochet de boucher.

-Tu peux demander à Zorro de l'attacher, Bellatrix ?s'enquit-il. Comme ça, ensuite, il aura plus à s'occuper de lui, donc il pourra nous aider pour faire le guet et combattre...

C'est parce que Jonas et Phil s'étaient battus que Sophie n'avait pas vu Morticia approcher ; c'est parce qu'ils n'avaient pu concentrer toute leur attention sur l'ennemi qu'ils avaient succombé. Or, une telle chose ne devait pas se reproduire. C'est pourquoi il avait bien l'intention, sitôt que le zombie ne le menacerait plus, de recommencer à surveiller les environs, arme et torche électrique au poing.

Alors que Grincevoix disparaissait derrière son feu d’émeraude, prémisse évidente à une sombre manigance de sa part, Benoît traça son symbole de protection à même le sol. Il n’eut point à attendre pour savoir si cela avait fonctionné car sitôt le dessin achevé, il se mit à briller d’une pure blancheur. Le cadavre de Christophe ne put s’approcher d’avantage. De toute façon, l’instant d’après, il était attrapé par l’effrayant gardien au service de Bellatrix. Le mort se débattit mais rien à faire face au Zorro de cauchemar. Ce dernier n’avait pas récupéré la ceinture de Piotr. La fillette, si elle voulait suivre l’idée de son camarade, devait en donner l’ordre à sa création.

En attendant, dans un croassement terrible, le roi corbeau écarta ses ailes. Ses flammes se dispersèrent parmi les arbres avant de se perdre dans le noir. Le bois, en réponse à cet appel funeste, se mit à gronder. Dès lors, les ronces s’allongèrent, les branches se tendirent, les buissons se rapprochèrent, les troncs craquèrent, les racines se muaient en serpent végétal... Toute la flore devenait hostile, désireuse d’engloutir les enfants. Même le chemin était en train de disparaitre. Seul l’espace délimité par les fleurs blanches étaient, pour l’instant, épargné. Dans le tumulte toujours plus impressionnant, le froid rire de Morticia revint. Puis, il y eut quelques mots de sa part :

« Soyez raisonnables, jeunes gens. Il n’y a jamais eu d’espoir dans les Limbes, sachez-le. »

Bellatrix avait regardé Rick attrapant Cricrizombie. Il le tenait fort. Et il lui obéissait. Elle se sentait un rien ennuyée et quelque peu flattée d'avoir un chevalier servant de cette envergure. Elle avait regardé Grincevoix, sa magie pernicieuse. Elle avait dit simplement.

"Rick Crochet. Attache Cricri avec la ceinture, s'il te plait."

Oui, elle restait polie. Parce qu'on ne savait jamais. Mais quand la pseudo Morticia leur adressa froidement la parole, voulant les faire plier, elle ne put s'empêcher de répondre.

"Et il y a pas d'espoir dans ton linge, morue."

Une fois certain que le zombie ne pourrait plus s'en prendre à lui, Pierre avait récupéré sa lampe de poche et examiné avec soin les alentours, en quête, par exemple, d'une Morticia tentant de s'approcher subrepticement. L'horrible magie qui se déchaînait autour d'eux, transformant la forêt en monstre multiforme, le glaçait évidemment jusqu'à la moelle. Mais la confiance qu'il plaçait dans les paroles du petit fantôme et l'espoir qu'une heureuse conclusion soit encore possible l'aidaient à ne pas flancher.

-Quoi qu'il arrive, on bouge pas tant que Sophie et son amie sont pas arrivées, souffla-t-il. S'ils font tout ce cinéma, ça prouve bien qu'ils peuvent pas nous atteindre : ils veulent juste qu'on flippe, qu'on fasse n'importe quoi, qu'on les attaque ou qu'on s'enfuie... Mais on va être plus malins qu'eux !

Concernant l'identité de l'amie en question, il se demandait s'il ne s'agissait pas de la fille de monsieur Larouge et de son ancienne épouse. Il croyait se souvenir que Sophie en avait parlé à Christophe, lui avait dit qu'elle n'était pas malveillante...

Secondes après secondes, la diabolique flore progressait. Le chemin n’était plus qu’un infime sentier à peine visible. Epines, racines, branches et feuilles commençaient à former une sorte de muraille autour des fleurs blanches, de la tombe en leur centre et du cercle de protection de Benny. Ce petit espace de sûreté tenait encore bon même si, tous en avaient l’impression, il se faisait peu à peu grignoter. Comme si cela ne suffisait pas, les corbeaux, par centaines, s’invitèrent sous les arbres pour former un véritable déluge de serres et de becs. Mais eux non plus ne pouvait de trop s’approcher, demeurant à quelques mètres du sol.

Combien de temps, encore, fallait-il attendre ? Combien de temps, encore, le refuge résisterait-il ?

Voilà qu’à quelques distances les enfants purent distinguer une lumière dans les ténèbres du bois cauchemardesque. C’était un halo blanc, peut-être l’amie de Sophie. La lumière s’approchait lentement, peut-être trop lentement. En son sein, il y avait une silhouette floue, quelqu’un de grand, de droit... Pour rejoindre cette personne, il fallait s’engager sur l’infime sentier. Difficile mais pas impossible. Ou bien, il fallait attendre ici et prier pour que l’endroit résiste...

Benoît hésitait quant à la conduite à tenir. Cependant, son intuition d’enfant un peu en avance sur son âge lui dictait que le doute était l’arme des cauchemars qui leur faisaient face. Qu’ils se risquent dans les bois et ils seraient irrémédiablement débordés, dispersés, traqués et la prophétie de Grincevoix se réaliserait. Pris d’une inspiration subite, le gamin chercha dans son grimoire quelque chose, non pour lutter contre le mal, mais pour renforcer le bien, son symbole de protection. De la lumière ! Tous les monstres en avaient peur, non ?

- Il faut tenir bon, rapprochez-vous de mon symbole !

A son corps défendant, Pierre commençait à douter, à se demander si la force invisible qui protégeait leur petit sanctuaire n'allait pas finir par succomber face aux forces incommensurables de leurs ennemis. C'est pourquoi il hésita en apercevant la lumière, tenaillé par l'envie de tenter le tout pour le tout et de se ruer vers elle. Cependant, la prudence et un détail relevé dans l'apparence de l'être qui s'approchait l'en dissuadèrent.

-J'en suis pas sûr, mais je crois qu'ils nous tendent un piège, murmura-t-il à ses amis. Si je me souviens bien de ce que Christophe nous a raconté à propos de son rêve, Sophie lui a dit que la fille de monsieur Larouge était gentille... Alors, à mon avis, c'est elle, son amie. Et d'après ce qu'on a vu sur le tableau, dans la salle à manger, elle n'est pas très grande. Pas comme un adulte, en tout cas. Alors que ce qui arrive... C'est grand. J'ai donc l'impression qu'ils veulent qu'on fonce vers cette lumière... Ou qu'on ne fasse que la regarder en oubliant le reste.

D'ailleurs, il jeta aussitôt un regard autour de lui, bien décidé à ne pas sa laisser surprendre.

Benoît s’était remis à chercher dans son livre, Bellatrix tentait de s’imaginer une macabre muraille et Pierre, lui, restait sur ses gardes, regardant de tout côté, ne se laissant pas abuser par la lumière distante. Le garçon remarqua alors une ronce particulièrement vaillante qui, furtivement, s’était frayé un chemin entre les fleurs blanches. Elle sinuait, tel un serpent, déjà prête à forcer le cercle magique de Benny. Le sournois végétal semblait vouloir s’entourer autour de la cheville de la fille, suivante sur la liste du corbeau. D’un coup d’épée en bois, la tentative fut avortée. Le vent lui-même sembla rugir de colère, d’impatience.

Benoît trouva un sort qui pouvait correspondre à ses attentes. Dès lors, il l’exécuta et il créa une source de lumière là où il se tenait. Difficile de savoir si elle allait tenir à distance la flore diabolique, mais au moins les ombres avaient reculées. Bellatrix, quand à elle, n’arriva à rien. Désormais, néanmoins, elle pouvait dessiner pour de vrai, ce qui risquait d’être plus efficace.

Tout d’un coup, malgré les corbeaux, la lune refit son apparition. D’abord un rayon timide sans cesse malmené. Puis il se raffermit, chassant les volatils, devenant colonne comme avant. La tombe en fut illuminée. De cette blancheur, une silhouette se découpa, prenant corps... une demoiselle toute de blanc vêtue, celle du portrait... la fille de M. Larouge, la Dame Blanche... Par elle, tout avait débuté. Benoît s’en souvenait, il l’avait vu au bord de la route avant même l’accident fatidique... La jeune femme avait un visage beau et mélancolique. Elle regarda les enfants tour à tour, sans oublier celui qui était tombé. Puis elle dit, presque dans un murmure :

« Il va falloir me suivre, ne pas vous éloigner de moi... Venez, votre car n’est pas loin... »

L’autre lumière, celle avec la personne grande et droite, s’approchait toujours... elle semblait même aller plus vite désormais.

Dès lors qu’il reconnut la dame blanche aperçue au bord de la route, la dernière figure du monde réel qu’il avait croisé, le dernier lien avec ce dernier peut-être, Benoît sut qu’ils devaient lui faire confiance, lui obéir s’ils voulaient avoir une petite chance. Il jeta un regard inquiet en direction de l’autre silhouette qui hâtait le pas puis s’approcha de la jeune-fille illuminée et héla ses camarades :

- Il n’y a pas un moment à perdre. Je l’ai déjà vue. Elle est réelle dans notre monde. Elle doit pouvoir nous y ramener.

Bellatrix se sentit rassurée de pouvoir dessiner de nouveau. C'était comme ça qu'elle aiderait le mieux. Lorsqu'arriva la silhouette illuminée, elle sentit son cœur bondir dans sa poitrine. Alors, c'était elle. Celle du début, celle de la fin. Comme dans un vrai scénario. Par réflexe, elle attrapa la main de Benny et la serra dans la sienne.

"D'accord, on y va. On te suit."

-Oui, on vient avec vous, enchaîna Pierre en adressant à la jeune fille un sourire peu assuré.

La dernière étape de leur cauchemardesque périple était sur le point de débuter et, s'il avait plus que jamais l'espoir qu'ils parviennent à quitter les limbes, il était convaincu que Morticia et Grincevoix ne se résoudraient pas à les voir s'échapper et qu'ils utiliseraient tous les moyens possibles pour les retenir. La prudence et la vigilance étaient donc aussi indispensables qu'auparavant, sinon plus encore. Quant au soulagement... Il devrait attendre.

Sans perdre une seconde, la Dame Blanche se mit à avancer sur le chemin presque effacé. A son approche, les ténèbres se tordaient, se cabraient, voulaient résister mais devaient céder. Arbres et plantes, bien malgré eux, se reculaient. Grincevoix, en proie à une frustration sans égal, hurla toute sa haine.

« Ce n’est pas terminé ! Ce ne le sera jamais, JAMAIS !! J’AI L’ETERNITE POUR VOUS CHASSER !!! »

L’autre forme de lumière, désormais proche, perdit toute luminosité, révélant, sans trop de surprise, l’immonde Morticia. Elle aussi fulminait.

« Garce ! Cesse tout de suite ! Tu ne respectes pas le contrat ! Le Voleur d’Ames sera furieux ! »
« Je n’ai rien signé, moi ! » répliqua la demoiselle sans arrêter de marcher.

Avec elle comme guide, les trois rescapés trouvèrent bien vite la fin du bois. Les voilà sur le chemin menant à la route. La nuée de corbeaux tenta bien de fondre sur eux mais elle ne pouvait pas approcher la Dame Blanche. Les oiseaux semblaient lutter contre un vent bien trop fort, un vrai mur invisible. Tout d’un coup, voilà qu’un fantôme passait en courant, dépassant le groupe, allant lui-aussi vers la route. C’était Phil, son souvenir. Il disparut au moment où le car apparut.

Voilà le point de départ. Voilà, le point d’arrivé. Le véhicule, bien que toujours défoncé, semblait avoir été un peu réparé. De derrière émergea le fantôme du chauffard, celui à l’origine de l’accident. Une clé à molette en main, il salua les vivants avant de s’évanouir. Ce fut ensuite Christophe, tout aussi fantomatique, qui se présenta avec ses outils. Il était accompagné de Sophie et de sa peluche. Eux-aussi saluèrent, eux-aussi disparurent. Voilà le trio arrivé à la porte du car.

« Allez-y, vite ! » fit la Dame Blanche, tout en jetant un regard inquiet derrière elle.

Dans le ciel nocturne, l’orage gronda. Déjà le vent gagnait en vigueur... Déjà la lune était voilée...

Ne sachant que faire exactement si ce n’est leur faire gagner un peu de temps, Benoît dessina machinalement son symbole de protection sur la porte du car avant de s’adresser à Pierre et Bellatrix. Il n’avait du reste pas lâché la main de cette dernière depuis le début de leur fuite éperdue. Pas même au moment d’adresser un pied de nez au maudit Grincevoix. Un geste bien puéril mais tellement libérateur !

- Vite, Piotr. Il faut peut-être encore modifier l’article ou retrouver nos autorisations de sorties à tous les quatre. Si on les trouve pas, on pourra ajouter dans le journal que quatre enfants se sont perdus après l’accident mais qu’ils ont retrouvé leur chemin, sains et saufs.

Bellatrix, sans lâcher la main de Benny tendit le crayon qu'elle tenait dans son autre main. Son crayon, son si fidèle crayon qui lui avait tant rendu service depuis le début. Elle savait dessiner comme pas deux, par contre, modifier les articles n'était pas vraiment sa tasse de thé. Aussi tendit-elle le crayon à Piotr.

"Je te fais confiance.", dit-elle.

Rengainant son épée, Pierre prit le crayon avec précautions, sachant à quel point Bellatrix y tenait.

-A mon avis, vaut mieux qu'on monte d'abord dans le bus, dit-il cependant. Comme y aura pas de vent et comme je pourrai être assis, ça sera plus pratique pour vérifier l'article. Pis pendant ce temps, vous pourrez chercher le sac de madame Pougon...

Aussitôt dit, aussitôt fait : le gamin se ruait à l'intérieur du car, se juchait sur le premier fauteuil à sa portée - celui du chauffeur - puis fouilla dans son sac pour en tirer le journal. Alors, lampe torche dans une main, crayon dans l'autre, il relut l'article et les corrections apportées par leur défunt ami.

-J'ai rien changé, annonça-t-il finalement. C'est parfait, ce qu'a fait Christophe... Vous avez trouvé quelque chose, de votre côté ? Sinon, c'est pas grave : je crois que l'article suffira. Et puis, faut plus qu'on traîne pour démarrer... D'ailleurs, l'un de vous deux peut venir me filer un coup de main ? Je suis trop petit pour tenir le volant et appuyer sur les pédales en même temps...

L'instant suivant, il tirait d'une poche intérieure de son manteau le trousseau récupéré une éternité plus tôt dans la boîte à gant et cherchait la clef de contact.

Benoît se précipita aux côté de son copain après s’être assuré que Bellatrix le suivait. Il se pencha entre les jambes de Piotr pour accéder aux pédales.

- Bon, je crois que je pourrai y arriver avec mes mains. Mais il faudra bien me dire quand accélérer et combien et surtout quand faudra freiner. Tu crois que tu sauras diriger ce truc, Piotr ?

En tant qu’enfant, Benny n’avait que très peu de notions de pilotage ou même de comment s’y prendre pour diriger un véhicule. Mais distinguer les pédales devaient être dans ses capacités. A condition qu’il n’y ait pas trop de passages de vitesses…

"D'accord, dit Bellatrix, je me charge du reste : du klaxon, des rétroviseurs, des phares et aussi de la tronçonneuse. Très importante la tronçonneuse. Enfin, j'espère qu'on aura pas un nouvel accident. Parce que c'est un peu la mode dans les films. Tu crois que les personnages sont sauvés et puis plaf ..."

Elle se tut quelques instants, le temps de se rendre compte de l'horreur de ses propos.

"Enfin, je suis sure que ça nous arrivera pas."

Le moteur du bus se mit à pétarader, semblant au début peiné à tourner. Mais très vite, son ronronnement se fit plus régulier. Très vite aussi, ce son synonyme de salut fut occulté par l’orage furibond. De la Dame Blanche, plus une trace. Au dehors, la pluie se mit à tomber, de la grêle aussi. Ce fut très vite un vrai vacarme. Certaine vitres étant déjà brisées, un froid mordant s’invita dans le véhicule. Encore quelques secondes et toute la carcasse tremblait sous la fureur des éléments. Les phares, allumés grâce à Bellatrix, révélèrent une brume de plus en plus épaisse. La foudre s’abattit sur un arbre non loin, le changeant en brasier. Un grêlon, comme un poignard, fit voler en éclats une nouvelle vitre.

Le car s’ébranla, s’élança sur cette départementale méconnaissable. Normalement, elle était plutôt droite comme route, un point positif. Mais où était la route ? Où était le bois ? Où était le sol ? Où était le ciel ? Le brouillard était tel qu’on n’y voyait plus rien. Piotr dirigeait au hasard, les mains crispées sur le volant. Un bruit d’ailes commença à percer l’ouragan, porté par les hurlements du vent. Grincevoix et sa légion poursuivaient trois âmes fuyardes. La voix sévère et contrariée de Morticia raisonna aux jeunes oreilles.

« On ne quitte jamais vraiment les Limbes. »

L’instant d’après, un éclair move passa juste devant le par brise. Celui-ci se brisa. La brume entra, cachant tout. Pierre, Benoît et Bellatrix n’entendaient plus qu’un sifflement. Une sensation de vertige, de chute libre... Le bus tombait-il dans un gouffre ?

...

« Hé, Piotr, tu m’écoutes ? »
C’était la voix d’Etienne qui réveilla Pierre. Ce dernier était assis à côté de son ami... dans le car. Sur la même rangée, mais séparés par l’allée centrale, il y avait Benoît et Bellatrix. Eux-aussi semblaient s’être un instant assoupis. Plus loin, à l’avant, Christophe devait supporter son collègue sportif. Mais il n’avait pas trop à se plaindre car Simon, quand à lui, avait fort à faire face au bras droit de l’insupportable Julie. Bref, tous les CE2 étaient là, en partance pour la classe de neige. Au dehors, il faisait beau, c’était le matin. Tout allait bien... Pierre, Benoît et Bellatrix se souvenaient encore de leur affreuse aventure, même si déjà les détails s’estompaient. N’était-ce pas un rêve au final ? Un cauchemar plutôt ?

HRP : Christophe reste un PNJ sous mon contrôle. Navré pour Mornagest.

Était-il possible qu'il ait eu raison, en fin de compte ? Qu'il se soit endormi et que tout cela n'ait été qu'un affreux cauchemar ? Le fait que certains détails commencent déjà à devenir flous dans son esprit corroborait cette théorie. Et pourtant, l'épisode lui avait laissé un sentiment beaucoup plus profond qu'un mauvais rêve ordinaire. Beaucoup plus profond, aussi, que les étranges visions dont il était parfois l'objet...

-Pardon, je crois que je me suis assoupi... répondit-il.

Le gamin regarda autour de lui puis reporta son attention sur son ami.

-Étienne ? souffla-t-il. J'ai... J'ai un mauvais pressentiment, disons. Alors je crois qu'il vaudrait mieux qu'on s'accroche bien à nos sièges...

L'intéressé sachant qu'il voyait parfois des choses étranges et qu'elles avaient une tendance tout aussi bizarre à se réaliser par la suite, les chances étaient minces pour qu'il se moque de lui. Pierre aurait aimé donner le même conseil à Bellatrix, Benoit et Christophe, mais ça n'aurait pas manqué d'attirer l'attention, voire de causer une panique dont les conséquences risquaient d'être désastreuses si, comme il le pensait, un accident venait bientôt à se produire : le choc serait violent, même s'ils avaient modifié l'article de journal... Bref, il ne pouvait qu'espérer que ses copains se montreraient prudents.

Non, ce n'était pas du jeu ! C'était comme un film qui tournait en boucle au moment ou tout le monde s'attendait à voir la fin. Dans peu de temps, le bus risquait d'avoir encore un accident. Non, ce n'était pas possible. Peut-être était-ce le moment de changer un peu les choses. Elle leva la main pour attirer l'attention de la maîtresse.

"M'dame, est-ce qu'on ne pourrait pas aller moins vite ? J'ai un peu envie de vomir."

Etienne observa Piotr, intrigué par son conseil. S’il ne le connaissait pas autant, il en aurait sans doute rit. Là, il demanda tout en raffermissant légèrement sa prise sur les accoudoirs :

« Heu, mais pourquoi ? »
Dans le même temps, Louise Pougon se détourna de son collègue pour regarder Bellatrix qui venait de l’interpeller. Ralentir n’était pas vraiment envisageable, d’autant plus que le car n’allait pas bien vite. Par contre, la fillette pouvait changer de place, aller dans les premières rangées, et bénéficier d’un des petits cachets miracles contre le mal de la route.

La route, justement, parlons-en. Benny avait l’impression de la reconnaitre. Enfin, ce n’était qu’une impression, une sale impression. Et se carrefour qui se profilait, aussi, il le reconnaissait... tout comme la voiture de sport fonçant à toute vitesse...

Crissement de pneu, fracas de carrosserie, choc terrible, vitres en éclats... Benoît, Bellatrix et Piotr eurent beau s’y attendre, cela ne changea pas grand-chose. Cette scène, pour tout trois, avait un goût de déjà vu. Pourtant, contrairement à la première fois, il n’y eut pas de coupure, la scène continua. Le car, percuté de côté, zigzaga sur l’asphalte, chassa par l’arrière et s’immobilisa finalement, à moitié dans l’herbe, perpendiculaire à la nationale. Après quelques instants où même les adultes furent pris au dépourvu, la voix forte de Philippe Galop, prof de sport, couvrit les premiers pleurs et gémissements d’une classe déboussolée. Sous sa direction, il conduisit les enfants dehors.

« Piotr, tu commences à me faire flipper ! » fit Etienne, qui eut un peu de mal à lâcher les accoudoirs tant il les avait serré.

Mis à part quelques coupures et autres bobos sans gravités, personne n’avait rien. L’événement n’était toutefois pas anodin et beaucoup de regards étaient hagards. Les accidents, ce n’était pas qu’aux infos ou dans les films, cela pouvait aussi arriver en vrai, troublante découverte. Christophe semblait particulièrement avoir été secoué. Il était devenu... tout pale. Il en allait de même pour le chauffard, responsable du carambolage. Quasi amorphe, blanc comme un cachet d’aspirine, il se contentait d’observer sa belle voiture devenue épave alors que lui-même était observé par les victimes de son inconscience.

Visiblement, la classe de neige venait de se terminer avant même d’avoir commencé. Bientôt, les CE2 allaient être rapatriés à Pont-l’Espoir. En attendant, l’étrange voyage dans les Limbes se muait en songe distant, laissant place à la concrète réalité. Louise Pougon, qui faisait preuve d’une gentillesse qu’on ne lui connaissait pas, faisait de son mieux pour rassurer ceux qui en avait besoin. Un peu plus loin, Philippe devenait lui aussi songeur en fixant le carrefour... Enfin, dans le bois proche, un corbeau croassa.

HRP : ceci est mon dernier post, ma conclusion à cette aventure. Vous pouvez conclure à votre tour si vous le voulez.