La Couronne de Cuivre

Elle rit joyeusement.
" Non, je te promets que rien de ce que tu diras ne sortira de cette pièce ! Je cherche juste à affiner mes idées. L'objectif est de vous représenter, ta belle et toi, sur le même tableau, il faut donc que j'imagine une scène où puissent se rencontrer vos souhaits réciproques... Et il y a certaines rencontres qui sont plus comiques que d'autres, c'est pour ça que je me demandais si tu as le sens de l'humour. J'ai eu une idée un peu délirante... mais passons, j'en ai d'autres. Il me manque cependant encore un ou deux détails. Allez, une question plus facile : tu veux être représenté en rôdeur, caché ou embusqué, dans la nature... Quel est ton paysage de prédilection ? La forêt profonde, le petit bois aéré, la prairie, la montagne, le désert, la mer, les marais... autre chose ?

Cette question lui demanda davantage de réflexion : depuis peu, il s'était habitué à la montagne et à s'émerveiller devant ses paysages à couper le souffle mais, au fond de lui, il s'était toujours davantage senti chez lui dans la forêt. Il visualisa de nombreux paysages issus de ses souvenirs avant de répondre avec sincérité :

- Un petit bois aéré serait l'idéal, oui ! Et je n'ai rien contre les touches d'humour sauf bien sûr si ça diminue la qualité de ta représentation de Sylvia...

" Oh, non, en aucune sorte. Enfin... pas de mon point de vue. Mais nos visions peuvent diverger, sans doute... Hum... oui, peut-être qu'elles divergeraient en réalité, sur ce point. Et justement, à propos de la représentation de Sylvia... S'il faut parmi vous deux un personnage plus central, davantage mis en valeur, préfères-tu que ce soit elle ou toi ? "
Elle grimaça.
" Oh flûte, ma question est biaisée : avec ton éducation galante je sais ce que tu vas répondre. Disons les choses autrement : préfères-tu que vous ayez une place équivalente ? Seras-tu gêné si l'un de vous a un rôle plus important ? Surtout si c'est elle ? Que souhaites-tu, sincèrement ?

Une question intéressante à laquelle il prit tout de même le temps de réfléchir posément avant de se fier finalement à sa première intuition :

- Si tu dois privilégier l'un de nous deux, je préfère largement que ce soit elle. Après, je n'aurais rien contre que tu nous donnes finalement une place équivalente. Juste parce que mon père sera certainement content de me voir représenté sur un tableau qu'il conservera pour quand je serai absent.

" Oh, mais ne t'en fais pas, tu auras largement ta place... mais dans une des scènes à laquelle je pense, Sylvia est le personnage central ; dans l'autre, vous avez davantage la même importance, mais je ne suis pas certain que la scène vous plaise... faut que je voie comment je peux tourner ça... Puis j'ai vraiment du mal à me décider entre les deux."
Les sourcils froncés, elle reprit son carnet d'esquisses, et ajouta un ou deux détails, puis secoua la tête.
" Bah, si je n'arrive pas à trancher je ferai les deux, comme ça vous en emporterez un... Ah, j'allais oublier de te demander, tu n'as pas d'animal apprivoisé ? Comme le faucon de Sylvia... "

Kasumi aurait préféré se prononcer pour l'idée qui laissait toute sa place à Sylvia mais l'idée de pouvoir emporter l'un des deux tableaux, au final, lui plut même si cela n'allait pas pouvoir se faire sans difficulté. Il préféra donc s'en remettre à la décision de sa tante et se fit un plaisir de répondre à sa seconde question :

- Oui, même si on ne peut pas vraiment dire qu'il s'agit d'un animal apprivoisé. Une louve des neiges a formé un lien avec moi, là-bas sur Helonna.

" Une louve des neiges... c'est un animal tout blanc j'imagine ? Ça n'est pas très discret dans les bois... Je vais me débrouiller pour qu'elle y soit elle aussi, peut-être un peu cachée, je verrai. Et je vais commencer par la toile où Sylvia est au centre, si ça ne te dérange pas. C'est celle qui est le plus aboutie dans mon imagination. L'autre nécessite que je réfléchisse un peu... pour ne pas risquer des hurlements lorsque je la dévoilerai !"
Sur un sourire mystérieux, elle s'éloigna pour prendre un chevalet et y fixer une toile. Les yeux dans le vague, l'air rêveur, elle semblait tout juste se souvenir de la présence de son modèle. Puis elle revint à l'instant présent et lui sourit.
" Va t'installer dans la lumière... sur le siège que tu préfères, ou bien debout, ou même assis par terre, comme tu te sens le mieux. Mais je voudrais que le soleil t'éclaire un peu de côté... et te voir aux trois-quart face aussi, je vais choisir le bon angle. Sylvia, tu peux revenir, appela-t-elle plus fort. Ah, j'oubliais... tes armes ce sont des épées et ton arc ?

Kasumi aurait aimé pouvoir jeter un coup d'œil à la toile que venait de disposer Riniel mais il avait la nette impression qu'elle ne le laisserait pas même approcher avant de le rabrouer vertement. Il se dirigea donc dignement vers l'emplacement qu'elle lui avait assigné et choisit de s'asseoir en tailleur à même le plancher. Si cela devait durer des heures, la position risquait de devenir un peu inconfortable mais il était certain de s'assoupir s'il choisissait les coussins.

- Ici ça va ? Et oui, j'utilise surtout mes épées et parfois mon arc aussi. Tu as besoin que j'aille les chercher ?

Il l'avait demandé avec une pointe d'espoir, espérant gagner un peu de temps et peut-être glisser un coup d'œil à la toile au passage.

" Hum... Oui, je veux bien. Et dis à Sylvia, en la croisant, d'aller nous chercher du ravitaillement en cuisine !"
Déjà, elle déplaçait son chevalet, choisissant son angle de vue, s'éloignant du passage que Kasumi s'apprêtait à emprunter. Il ne pourrait pas décemment jeter un coup d'oeil à la toile sans le faire ouvertement exprès.
Sylvia apparût dans l'escalier juste au moment où le rôdeur se redressait.
" Ravitaillement en cuisine, j'ai bien entendu ? J'y cours ! Hum... La même chose que l'autre fois ?
- Oh, en plus fort peut-être..."
La rôdeuse eût un rire joyeux et commença à redescendre les marches, avec un clin d'oeil à Kasumi.
" Toi, file donc chercher tes armes pendant ce temps..."

Le rôdeur jeta un regard surpris aux deux femmes. Avait-il bien entendu ? Apparemment la séance de pose impliquait une consommation d'alcool, sans doute pour mettre à l'aise le modèle. Mmh, il n'était pas certain que ce soit une technique efficace avec lui-même mais il aviserait...

En tous cas, il ne tenta pas de voir la toile, se disant finalement que ça lui gâcherait le plaisir de la découverte quand elle serait achevée et il fila dans l'escalier à la suite de Sylvia. Il passerait récupérer ses armes laissées dans leur chambre avant de remonter. Comme la rôdeuse était encore à portée, il se fendit d'une remarque sur un ton léger :

- Pour que tu n'aies pas la mauvaise surprise tout à l'heure et t'éviter une déception, j'ai choisi de ne pas poser nu !

La rôdeuse éclata de rire.
" Et elle n'a pas insisté pour te faire changer d'avis ? Elle ne t'a pas sorti, comme à moi, les mille et un arguments de son répertoire d'artiste ? Ou joué de son charme ? Décidément, y'a pas d'justice... A quand l'égalité des sexes ?"
Riant à nouveau, elle s'engouffra dans le couloir menant aux cuisines.
" Mais inutile de chercher à m'interroger, je ne te dirai pas ce que j'ai décidé, moi ! Rien de rien ! Tu auras la surprise..."

Kasumi était à peu près certain qu'elle plaisantait mais elle s'était esquivée bien trop vite pour qu'il puisse l'interroger de toute façon. Il l'observa disparaître de sa démarche énergique et fluide coutumière avant de se remémorer ce qu'il était venu faire dans l'escalier. Cinq minutes plus tard, il remontait avec ses armes. Il avait en outre profité de son passage dans la chambre pour enfiler ses plus beaux atours de rôdeurs - une tenue assortie dans des tons de brun et de vert - ainsi que les bracelets offerts par Eärundra. C'était faire preuve de coquetterie peut-être mais ce n'était pas tous les jours qu'il servait de modèle à une artiste, après tout.

Sylvia fut de retour quelques secondes après lui, alors qu'il venait de se rasseoir. Elle apportait un immense plateau, avec un assortiment de petits gâteaux appétissants, probablement issus de la pâtisserie favorite de la famille où ils s'étaient eux-mêmes rendus, ainsi qu'une corbeille de fruits. Elle portait également une théière fumante, une bouteille de bière rousse, fine et pétillante, que Kasumi reconnut immédiatement -l'une de ses préférées dans sa jeunesse, une bouteille d'alcool ambré assez fort, et une carafe où macérait un mélange de fruits et d'alcool. Kasumi avait déjà eu l'occasion de goûter le breuvage en question, et se souvenait qu'il s'agissait d'une boisson légère, délicieuse, et traîtreusement enivrante si on en abusait.
" Bon... qu'est-ce que je te sers ? Tu peux boire et manger depuis ta place bien sûr, ça ne me gêne pas, au contraire : lorsque tu bouges, je peux trouver une posture qui m'inspire. Simplement, quand je te dis de ne plus bouger, tu dois t'immobiliser, d'accord ? mais bref... qu'est-ce que tu as envie de goûter ?

De son avis, il était vraiment bien trop tôt pour boire de l'alcool d'autant qu'il avait fini son petit-déjeuner moins d'une demi-heure plus tôt. Il lorgna tout de même avec envie le plateau recouvert de douceurs avant de répondre :

- Mmh, pour l'instant ça va pour moi mais peut-être d'ici une heure ou deux si la séance dure aussi longtemps. N'hésites pas à te servir par contre ! Oh, et tout compte fait je vais gouter un de ces biscuits. Ils ne sont pas alcoolisés, dis ?

" Non ! Et je te rassure, je ne cherche pas forcément à te saoûler ! Mais parfois un peu d'alcool peut aider à se détendre et à oublier le léger trac qu'on éprouve quand on pose. Certains préfèrent une infusion pour se relaxer, mais les hommes optent souvent pour un peu d'alcool.".
Elle lui tendit le plateau, le laissant se servir. Sylvia, de son côté, prit également un biscuit et l'accompagna d'une tasse de thé. Riniel l'imita.
" Installe-toi le plus confortablement possible. Je le répète, tu peux bouger un peu, sauf quand je te dis stop... et, attends, je vais ajouter cette plante, là, pour filtrer un peu la lumière qui arrive à toi. Il va falloir que je reproduise les jeux de lumière qu'on trouve sous les feuillages. Sylvia, défense de regarder la toile pour toi aussi ! Mais tu peux t'installer dans le fauteuil, tout près de lui, vous pouvez bavarder, vous dire des mots doux... ah, oui, ce serait extra pour l'expression des visages, ça...
Sylvia rit joyeusement et s'approcha de Kasumi.
" Tu veux que je le regarde d'un air énamouré, comme ça ?
- Oh, toi j'ai déjà l'expression de ton visage, c'est la sienne que je veux... c'est lui qui doit te regarder !
- Tu ne voudrais quand même pas que je me mette toute nue ?
- Non, enfin sauf si tu y tiens !"
Les deux femmes rirent de concert. Sylvia, consciente de la gêne probable de Kasumi, déposa un léger baiser sur ses lèvres avant de s'asseoir presque face à lui, à même le sol elle aussi, mais sans gâcher l'angle de vue de l'artiste, qui, déjà, donnait les premiers coups de pinceaux à sa toile.

Kasumi avait ri nerveusement quand Sylvia s'était proposé de se déshabiller et il ne faisait aucun doute que son teint avait légèrement changé de couleur sans que cela ait le moindre rapport avec les jeux de lumière. Il chercha à avoir le dernier mot, en pure perte sans doute mais son sourire n'avait rien de feint quand il déclara :

- Allons ma chérie ! Tu n'as pas besoin d'être nue pour que je te regarde en amoureux ! Et puis ce serait une torture très cruelle que de te déshabiller alors que Riniel m'a défendu de bouger !

Se prenant au jeu, il se tourna légèrement pour l'observer tout son saoul et il ne mit guère de temps à oublier la présence de l'artiste en train de le croquer.

L'artiste, du reste, faisait tout pour se faire soigneusement oublier. Elle laissa les deux amoureux discuter entre eux sereinement, de tout et de rien. C'était à croire qu'elle avait briefé auparavant Sylvia sur le rôle qu'elle devait jouer, car celle-ci se chargea de faire la conversation, interrogeant le rôdeur sur sa vie à Luménis, lui rappelant quelques souvenirs de leur jeunesse, amenant parfois quelques rougeurs sur ses joues et très souvent un éclat malicieux dans ses yeux.
Au bout d'un temps indéfini, Riniel leur proposa à nouveau des gâteaux et des boissons, suggérant à Kasumi de se dégourdir les jambes en rejoignant le coin salon. Bien entendu, elle tourna la toile de façon à ce qu'ils ne puissent rien voir. Le soleil avait avancé dans le ciel, c'était certain, et midi devait approcher. L'heure idéale pour un petit apéritif alcoolisé, finalement. Et Sylvia fut la première à se servir du mélange de fruit et d'alcool qui sentait si bon.

Kasumi n'avait plus rien contre un apéritif et ne bouda pas son plaisir de pouvoir se dégourdir un peu les jambes après plusieurs très agréables mais où il avait du restreindre ses mouvements. Il opta lui aussi pour un assortiment de fruits sucrés avant de se servir en bière rousse, celle qu'il aimait tant autrefois. Il trinqua joyeusement avec Sylvia puis avec Riniel avant d'en avaler une gorgée et de s'exclamer d'un ton d'extase :

- Oh, cette boisson est vraiment formidable ! C'est dommage qu'on ne puisse pas en trouver en Helonna...

" Et bien, rien ne t'empêche de la fabriquer toi-même ! Il te faut un alcool fort, un alcool pétillant, un peu de sucre de canne mais si tu n'en as pas, du miel peut faire l'affaire. Des agrumes, du jus d'agrumes, et éventuellement quelques autres fruits de ton choix. Je t'écrirai la recette si tu veux... Il existe aussi une version plus simple avec juste un vin doux pétillant dans lequel on ajoute des framboises macérées une nuit dans une eau de vie légère."
Riniel sourit.
" Et oui, vous ne saviez pas que je m'y connaissais en cuisine ! Mais j'ai quand même passé pas mal d'années loin de la maison et de son confort : il a bien fallu que je me débrouille ! Et cuisiner un bon plat, marier les saveurs et les couleurs, finalement, ça n'est pas si différent de marier les teintes sur une toile...
- Kasumi se débrouille pas mal aussi, fit remarquer Sylvia. Mieux que moi en tout cas. Il a toujours plein d'idées pour faire quelque chose d'original même quand on manque d'ingrédients.
- Il va falloir me donner quelques-unes de tes recettes, dans ce cas-là. Tu peux me les noter pendant séance de pose de l'après-midi si tu veux... Sylvia, tu veux bien aller chercher un casse-croûte en cuisine ? Et pendant ce temps, dis-moi donc tes spécialités culinaires..."

Kasumi entendait lui aussi prendre des notes car Sylvia semblait grandement apprécier le résultat des recettes de sa tante. Cependant, il joua à nouveau la carte de la modestie dès que sa compagne eut quitté la pièce :

- Oh, la plupart du temps, je ne fais qu'improviser avec ce que j'ai sous la main ou en suivant l'idée du moment. C'est comme quand je sculpte à vrai dire. Et à ce propos, est-ce que tu aurais une boutique à me conseiller pour trouver du matériel : Sylvia voudrait que je lui confectionne une sculpture miniature et je comptais m'y mettre en quittant la ville.

" Tu sculptes ? Ah, je savais bien que toi aussi tu devais avoir quelque part une âme d'artiste ! Il n'y avait pas de raison pour qu'il n'y ait que Tilmandil qui hérite de ce genre de dons ! Dans la famille, on a tous un don artistique. Même mon frère, je veux dire ton père. C'est un pragmatique, il ne fait pas penser à un artiste, mais il a un certain don pour écrire des textes. Il peut être poète à ses heures perdues. Ma soeur Athel, elle, que tu n'as sans doute jamais rencontrée, est une danseuse hors pair. Et le don de sculpture, c'est vraisemblablement de ma mère que tu le tiens : sous ses dehors bourrus de rôdeuse, je sais qu'elle est très douée en ébénisterie. Mais elle utilise son talent plutôt sur des meubles... Mais pour en revenir à ta question, c'est quoi, ton matériau de prédilection ? Le bois, la pierre ?

Kasumi était étonné que son talent particulier ne soit pas encore parvenu aux oreilles de Riniel mais cela prouvait au moins que Tilmandil savait mieux tenir sa langue qu'il ne le pensait. En fait, il lui apparaissait de plus en plus régulièrement que son frère était bien plus complexe qu'il n'y paraissait de premier abord. Cela dit, le cours de ses pensées avait dérivé et il se reprit pour répondre à sa tante :

- Je sculptes des figurines en bois en fait. Et parfois d'autres objets aussi. Sylvia n'a pas voulu te montrer celle que je lui avais faite ? Enfin, j'imagine que non sinon tu serais au courant...

" Hummm... maintenant que tu me le dis, elle avait fait allusion à tes talents artistiques. Mais elle n'avait pas voulu me donner plus de précisions, et comme j'étais concentrée sur ma toile... Mais donc, si tu cherches des outils pour travailler le bois, je peux t'indiquer une boutique. C'est là où se fournit ma mère d'ailleurs, elle peut même t'y conduire. Ils auront sûrement ce qu'il faut..."
Riniel eût un sourire rêveur, et, comme prise d'une idée subite, revint à sa toile pour y donner quelques coups de pinceaux.
" Pour cette toile, j'ai pris de la peinture à l'huile, c'est ce qui fait le mieux ressortir les jeux de lumière et de transparence. Mais si tu veux, pour l'autre je peux tenter une autre approche. Du pastel par exemple. En attendant que Sylvia revienne, tu peux jeter un coup d'oeil à mes toiles, celles qui sont là-bas, ajouta-t-elle en désignant un angle de la pièce, si tu veux voir la différence entre les styles."
Les toiles en question étaient soigneusement rangées contre le mur, et c'était sans doute les seules de la pièce à être achevées. Il y avait là une oeuvre réalisée à la gouache, épaisse, une majorité de toiles réalisées à la peinture à l'huile -que Kasumi identifia aux fameux jeux de lumière-, quelques-unes qui devaient être des pastels, mais aussi deux ou trois portraits qui paraissaient simplement crayonnés à la mine de graphite, et qui étaient pourtant criants de vérités, avec des reliefs parfaitement rendus. Sa tante avait véritablement un don pour représenter les choses, et particulièrement les gens. Il y avait là une majorité de portraits, certains tout à fait classiques, représentant la personne en pied ou en gros plan, et d'autres plus originaux, dotant les modèles d'ailes, de plumes, de fourrure même, et les représentant dans diverses activités ou position. Il y avait, également, plusieurs nus, parfois très crus, impudiques, parfois beaucoup plus suggérés, cachant l'essentiel sans pour autant que le modèle porte le moindre vêtement.

Kasumi prit le temps d'admirer les œuvres, appréciant la technique exceptionnelle qui se reconnaissait dans toutes les peintures, que soit la technique que Riniel avait employée. Sa tante avait un talent certain pour sublimer ses modèles et les rendre vivants et s'il rougit quelque peu devant certaines des œuvres les plus privées, le demi-elfe dévora toute cette collection d'un regard admiratif.

- A dire vrai, ils sont tous magnifiques mais j'ai une petite préférence pour la peinture à l'huile et les pastels. Tu dois lire dans mes pensées ou alors nous avons les mêmes goûts ! Si je me doutais d'avoir une tante aussi douée pour l'art, je serais rentré plus tôt. En tous cas ça me donne encore plus envie de voir le résultat final.

" L'huile est la plus indiquée pour les jeux de lumière, et ils sont nécessaires compte tenu de vos choix respectifs. Cela dit, je peux éventuellement tenter un pastel. Je vais y réfléchir... Mais, je crois que je vais garder l'huile pour les deux."
Des pas dans l'escalier annoncèrent le retour de Sylvia, portant un panier plein de victuailles : une tourte toute chaude aux champignons, des crudités, de la viande froide, du pain, du fromage et des fruits. Apparemment, l'artiste n'avait pas prévu de leur accorder de réelle pause déjeuner. Néanmoins, le fumet qui se dégageait de la tourte mettait l'eau à la bouche.
" Pour manger, tu as le choix. Soit on poursuit la pause, ici, soit tu te réinstalles en pleine lumière pour que je continue de peindre sans perdre trop de temps. C'est comme tu veux, vraiment. moi, je me connais, je vais juste grignotter un bout et me remettre à l'oeuvre... Ah, et à propos d'oeuvre, Sylvia, tu m'as caché la figurine que Kasumi t'a sculptée ! Est-ce donc si laid ?
- Non, non, elle est magnifique au contraire ! Je voulais juste éviter que Kasumi se retrouve avec une demi-douzaine de commandes qu'il ne pourrait pas honorer... je tiens à garder la priorité !"

La seule vue du panier mettait l'eau à la bouche et, en outre, l'odeur de la tourte chaude était tout à fait irrésistible. Toutefois, même si les mets semblaient délicieux et digne d'un repas de fête, il était désireux de permettre à Riniel de travailler à sa peinture. Ainsi, il pourrait peut-être aller se promener un peu en ville et aller acheter les instruments dont il avait besoin mais l'œuvre serait aussi prête plus tôt. Il emporta donc une généreuse portion de tourte ainsi que d'autres victuaille et un pichet de bière avec l'intention de retourner manger depuis son coin. Mais avant cela, il adressa un sourire lumineux à la rôdeuse pour son compliment et ajouta avec modestie :

- Allons, la principale raison qui la rend réussie est que tu y figures, ma muse ! En plus, avec une artiste aussi douée que Riniel dans la famille, il est peu probable que je reçoive des commandes. Et même si c'était le cas, tu aurais toujours ma priorité ! D'ailleurs, certaines des œuvres de ma tante m'ont donné des idées que je pourrais appliquer pour toi !

Il lui adressa un clin d'œil à la fois taquin et coquin avant de se diriger vers sa place.

La rôdeuse mit quelques instants à comprendre l'allusion, puis se mit à rougir -ce qui se voyait tout de même nettement sur son teint de rouquine.
Riniel, quant à elle, fit mine de ne pas saisir. Ou peut-être était-elle déjà repartie dans son monde de rêverie... Elle saisit elle aussi une part de tourte, et s'en fut vers sa toile, pensive, grignotant quelques bouchées. Kasumi la vit prendre un second chevalet, une seconde toile, et commencer à y déposer un peu de peinture, l'air songeuse.
" Je commence à être plus inspirée par la seconde toile que par la première. Je vais la démarrer, jeter les premières esquisses, je reviendrai à l'autre ensuite. De toute façon, on a tout l'après-midi devant nous. Tu as dit à Kasumi combien d'heures tu avais posé, Sylvia ?
- Hum... Non, je n'ai pas voulu lui faire peur...
- Tu as bien fait je pense. Mais je te rassure, kasumi, la journée d'aujourd'hui devrait suffire pour l'essentiel, puisque je me centre exclusivement sur son visage, tes expressions, ta silhouette. J'installerai le reste du décor ensuite, comme ça je pourrai te libérer... Mais il me faudra sans doute encore un jour ou deux pour finir mes toiles. Et sans doute que j'aurai besoin d'une courte séance de pose demain, mais en pleine nature cette fois-ci... dans le jardin, ça devrait suffire.

Kasumi était ravi de l'effet qu'il avait réussi à obtenir de la part de sa compagne ce qui ne faisait que renforcer sa détermination à réaliser une œuvre qui lui rendrait hommage. La mention d'heures de pose le fit cependant déchanter avant que l'espoir soit à nouveau ravivé par une séance en pleine nature.

- Et pourquoi ne pas aller au bosquet plutôt que dans le jardin ? A moins bien sûr que tu n'aimes pas transporter tes affaires en dehors de la ville ?

Tout de même, une séance hors des murs ne serait pas pour lui déplaire avant qu'il se souvienne brusquement que ses mouvements étaient limités avant l'audience. Sa mine s'assombrit aussitôt à) cette perspective peu réjouissante.

" Bah, si vraiment tu y tiens... Mais franchement, je préfère ne pas transporter tout mon matériel en-dehors de la maison. Et puis il y a toujours quelque chose qui me manque à la dernière minute, un pinceau de la bonne taille, un chiffon... Et transporter une toile non achevée, encore humide de peinture fraîche, il vaut mieux éviter. Donc non, vraiment, je préfère le jardin. Je suis désolée, je me doute que tu préfères le bosquet... mais tu auras encore quelques jours devant toi pour t'y promener, non ? Tu ne repars pas immédiatement ?
- On n'a pas vraiment décidé," expliqua Sylvia, hésitante.

Kasumi lui adressa un sourire hésitant lui aussi, sa bonne humeur quelque peu douchée par la prise de conscience de la restriction de mouvement qui lui était imposé. Non pas par Riniel, c'était là un plaisir plutôt flatteur mais il ne pouvait occulter de son esprit la rencontre prévue le lendemain matin.

- Non, nous n'avons pas encore arrêté la date de notre départ. Mais nous avons déjà visité le bosquet il y a quelques jours. Alors si nous ne pouvons pas nous y rendre avant notre prochaine visite, ce n'est pas si grave. Va donc pour le jardin !

La Couronne de Cuivre

[Everaska] Quête: Racines