La Couronne de Cuivre

Byron ne protesta pas, se glissant sous l'arche de bois puis sur le sol à l'intérieur de l'arbre. Il s'appuya aussitôt contre la paroi et ferma les yeux, la couverture complètement repliée autour de sa carcasse frissonnante. Il n'y avait pratiquement rien dans la cavité, ni mousse, ni branches, et elle n'était pas aussi protégée qu'elle le paraissait, car l'eau du ciel s'immisçait jusqu'à eux par mille crevasses. La jeune femme dut donc ressortir pour quêter de quoi allumer son feu, et s'aventurer relativement loin du chêne. Elle finit par revenir avec une maigre provision, trouvée surtout au pied de sapins très denses, n'offrant que peu de prise à la pluie. C'était cependant du bois qui brûlerait très vite, trop sans doute. Quand elle revint vers l'arbre mort, elle trouva Byron endormi, Prince couché contre lui, comme pour lui offrir un peu de chaleur.

Astrée assembla son bois le plus sec en un petit tas bien ordonné, et parvint à l'allumer, ajoutant progressivement des morceaux plus gros. Une fois le feu bien parti, si le froid s'intensifiait, elle pourrait ajouter du bois même un peu moins sec, au risque de dégager plus de fumée que de chaleur. L'endroit paraissait tranquille, et elle commençait à espérer n'avoir rien à craindre. Mais dans l'immédiat, elle devait préparer une infusion corsée pour soigner Byron.
Elle mit aussitôt un peu d'eau à bouillir et commença à trier ses herbes. Tilleul, thym, saule blanc, sauge, eucalyptus, extrait de houx également, de la camomille et du miel pour adoucir le goût. En quantité suffisante pour une créature presque dix fois plus lourde qu'elle. Elle laissa infuser un bon moment, observant le centaure avec inquiétude.
Elle posa sa main sur son front pour évaluer sa fièvre, puis lui pressa doucement l'épaule.
"Byron... réveille-toi, il faut que tu avales ça, pour aller mieux. Tu pourras dormir ensuite. Mais bois d'abord..."

Byron ouvrit un oeil vitreux au sein de son masque sanglant. Il la regarda un moment sans la voir, puis le referma en maugréant, et se tourna contre le bois mort, repliant la couverture par dessus sa tête. Soulevant un pan de toile, Astrée constata que la blessure de la flèche s'était rouverte et que le sang en coulait doucement, sur la peau glacée du centaure. Son front était par contre brûlant. D'une main mal assurée, il la repoussa, et elle manqua renverser son breuvage. Sa queue battit violemment l'air et il eut un mouvement peut-être réflexe du postérieur gauche, dangereux.

Astrée grimaça. Il était presque en aussi mauvais état que lorsqu'elle l'avait soigné, il y avait moins d'une veille... une éternité en fait. Mais elle avait réussi à le sauver, ce jour-là, il n'y avait pas de raison qu'elle ne réussisse pas à nouveau.
Elle le contourna pour s'agenouiller près de sa tête, veillant à se tenir à distance de ses jambes. Doucement, elle repoussa la couverture qui lui cachait le visage. Posant un instant sa tisane, elle prit un morceau de tissu dans son sac, l'imbiba d'eau, et, avec douceur, commença à lui nettoyer le visage à l'eau fraîche. Les mêmes gestes que lorsqu'elle l'avait soigné la première fois. Presque la même urgence, aussi. Elle lui parla, d'un ton doux et calme, apaisant.
- Byron, c'est Astrée... Accroche-toi, je vais te soigner. Ensuite, on pourra rejoindre ta mère, et les autres. Mais il faut que tu boives cette infusion, et il faut que je soigne ta blessure. Laisse-moi faire, fais-moi confiance. Byron... je suis là, tu ne crains plus rien... Il faut boire pour guérir.
Quel dommage qu'elle ne sache pas parler en sylvestre... Peut-être qu'elle pourrait chanter la chanson de Reynald, si les mots ne suffisaient pas ? Peut-être que ça pourrait l'apaiser d'entendre sa langue... même si elle la chantait mal.

Le centaure répondit à la mélodie et se mit à la fredonner doucement, à voix basse, sans desserrer les lèvres. Cela parut le détendre et Astrée put finalement lui faire boire sa potion, petit à petit, tandis qu'il glissait à nouveau dans le sommeil. Ses frissons et sa tension diminuèrent, la jeune femme parvint à accéder à sa blessure. La cicatrice avait cédé, mais la plaie était propre, le sang dénué d'impuretés, elle pouvait aisément la panser. Elle voyait cependant qu'il serait nécessaire de la recoudre, mais ce n'était probablement pas le lieu. Au dehors, le ciel s'était assombri. Toujours cheval, Prince continuait à soutenir le centaure, mais celui-ci était à présent alangui, couché en travers du flanc du petit étalon qui ne semblait pas s'en offusquer.

Bien que ce ne soit pas absolument nécessaire, Astrée nettoya, par habitude, la blessure sur une large surface. Puis elle fit un nouveau pansement bien serré, comprimant suffisamment la plaie pour stopper l'écoulement du sang. Il n'y avait pas d'urgence à donner d'autres soins. Le seul élément vraiment préoccupant était la fièvre, et elle paraissait baisser un peu sous l'effet de l'infusion. Il faudrait qu'elle lui en donne à nouveau lorsqu'il se réveillerait, mais pour l'heure, il allait mieux.
Elle dilua dans de l'eau bouillante un fond d'infusion restant, et l'avala par précaution : ayant été sous la pluie toute la journée, elle était transie de froid et craignait de tomber malade à son tour. Elle eut un sourire attendri pour Byron et Prince qui le soutenait.
"Merci Prince, murmura-t-elle en flattant doucement le chanfrein de l'animal. Heureusement que tu es là. Je te le confie un moment..."
Elle était certaine que sa présence, sa chaleur, aidaient Byron à se sentir mieux. Elle remit un peu de bois dans le feu, pour maintenir une température acceptable, puis sortit de son sac les vêtements de Byron, une tenue de rechange pour elle, la deuxième couverture achetée autrefois à Rohan pour cacher Prince. Malgré toutes ses précautions, les tissus avaient pris l'humidité durant sa longue journée d'attente, mais ils pourraient sécher près du feu. Elle les étala de son mieux, utilisant son sac et sa maigre provision de bois comme supports. Puis elle sortit de leur abri, discrètement, pour explorer à nouveau les alentours. Elle devait vérifier que rien ne les menaçait dans l'immédiat, et, en l'absence de danger, elle en profiterait pour rapporter encore un peu de bois. Et peut-être pourrait-elle attraper quelques poissons dans la rivière toute proche, et trouver quelques fruits ou tubercules. Elle avait faim, et ses rares provisions fondaient comme neige au soleil. Mais le plus important était de vérifier qu'aucun humain ne se trouvait dans les parages, en train de remonter la rivière. Il fallait aussi qu'elle voie si elle pouvait dissimuler mieux leurs traces. Elle écoutait de toutes ses oreilles, guettant les réactions de la faune alentour qui pourraient annoncer la présence d'un danger.

Astrée ne vit rien d'inquiétant au cours de sa ronde. Elle ramassa du bois, toujours humide car le ciel semblait n'avoir aucune pitié, trouva des champignons comestibles, poussant en grappes au pied des arbres, dénicha un nid sur lequel elle put surprendre une bécasse en pleine couvaison, déterra des racines. Dissimuler leurs traces s'avéra plus fastidieux car Prince et Byron avaient laissé de profondes empreintes dans la terre détrempée. L'un et l'autre avaient des sabots relativement petits, mais Byron avait été ferré pendant sa captivité et sa marque était très caractéristique. Il fallut à Astrée beaucoup d'énergie et d'ingéniosité pour dissimuler leur passage sans devoir frotter les traces une à une, ce qui lui aurait probablement pris toute la nuit.
Elle était passablement recrue en regagnant le chêne creux et il faisait désormais nuit, une nuit profonde, pluvieuse, sans la moindre lumière autre que son petit feu. Prince leva la tête à son entrée, Byron demeura sous sa couverture, appuyé contre l'encolure du cheval. La fièvre était encore présente mais moins forte, et il était profondément endormi, sa poitrine blême se soulevant doucement.

Astrée posa une compresse imbibée d'eau fraîche sur le front du centaure, sans le réveiller, espérant contribuer à faire baisser la fièvre. Puis elle se laissa tomber avec lassitude auprès du foyer : elle avait faim, elle était épuisée, frigorifiée et avait besoin de dormir.
Elle ranima le feu et se fit une grosse omelette aux champignons et aux tubercules, sentant son estomac gargouiller alors qu'une odeur alléchante se répandait dans l'atmosphère. Elle n'avait pas pris de repas chaud depuis le petit déjeuner de la veille, et le savoura avec délectation. Elle prépara un peu de potion à l'avance : Byron pouvait se réveiller, la fièvre monter à nouveau, elle ne voulait pas être prise au dépourvu. Une infusion, même froide, l'aiderait.
Et elle s'autorisa, enfin, à ôter ses vêtements trempés, enfiler ceux qu'elle avait fait sécher et s'envelopper dans la couverture. Elle s'assit près de Byron, ôtant la compresse et posant une main légère sur son front, évaluant sa température, puis mouilla à nouveau le tissu d'eau froide et le repositionna.
Ils ne risquaient probablement rien durant la nuit : les humains ne se risqueraient pas à attaquer dans le noir des créatures dotées de vision nocturne. Enfin, elle l'espérait. Elle avait de toute façon impérativement besoin de dormir un peu. Elle décida cependant de veiller encore un petit moment, ses armes à portée de main, en attendant que le feu s'éteigne de lui-même : ils étaient bien cachés dans cette cavité, il n'était pas nécessaire de trahir inutilement leur présence par la lueur des flammes ou la fumée.

Astrée finit par glisser dans le sommeil, bercée par le chant de la pluie, le souffle de ses compagnons, réchauffée par leur présence, enlacée par les ténèbres. Et pendant un moment, elle put goûter au repos et glisser dans des rêves profonds obscurs...
Des rêves où cheminait une louve blanche, tache immaculée sur une sente de terre noire... Rivière bouillonnante, brûlante, couleur sang, charriant des animaux morts, ventre à l'air, un cheval, un boeuf, un chat... Forêt en flammes... Pluie en torrents, nettoyant tout, les ruines d'une cité, ou d'un village, ou simplement d'un petit château isolé... Le vent... La nuit... et puis un cri déchirant, qui transperce la nuit comme un coup de couteau...
Hors du rêve.
Astrée se sentit brusquement bousculée, puis une douleur fulgurante lui traversa le bras gauche, lui coupant le souffle. Il faisait nuit noire. Le chant de la pluie, le bruit de quelque chose qui s'enfuit, qui s'estompe... et puis cette souffrance indicible...

Astrée hurla de douleur, se tenant le bras. Il faisait noir, elle ne savait plus où elle était, ce qu'elle faisait là. Les fragments du rêve se mêlaient à la réalité. Il y avait le feu à la forêt ? Pourquoi avait-elle si mal ? Quelqu'un avait crié. Qui ? Non, il n' avait pas le feu autour d'elle, il faisait noir, il pleuvait... Qui s'enfuyait ? Où était Prince ? Elle avait tellement mal...
"Prince ? "
Elle se souvenait. Byron, malade, désorienté, affolé...
"Byron ?!" appela-t-elle, au bord de la panique. Était-il là ? Parti ?
Elle se redressa, et la souffrance lui arracha un nouveau cri de douleur. Son bras... Qu'est-ce qu'il avait ? Il fallait... qu'elle fasse de la lumière. Son sac était tout proche...

Bouger l'élança du petit doigt à l'oreille et elle réalisa qu'elle ne pouvait pas déplacer le bras gauche sans s'infliger une douleur insupportable. Elle eut un haut le coeur puis un vertige. Prince nicha son museau d'écureuil contre son cou, puis dégringola, comme devinant ce dont elle avait besoin, et une seconde plus tard, les naseaux tièdes et veloutés d'un cheval lui déposèrent son sac sur les genoux. Il était inquiet, très inquiet, elle le percevait dans son esprit et dans les hennissements ténus qui s'échappaient de sa gorge.

A tâtons, d'une main, essayant de ne pas bouger le bras gauche, Astrée chercha son briquet, une bougie. Elle se sentait au bord du malaise. Elle inspira doucement, relâcha ses poumons, luttant contre la douleur, contre la nausée. Byron... il avait dû faire un cauchemar, paniquer, et s'enfuir, complètement désorienté... Et son bras ? Cassé, sûrement. Elle se souvenait des avertissements de Dymphéa et Leanne concernant les risques d'écrasement. Elle avait oublié, s'était endormie à côté de Byron...
Inspirer, expirer. Doucement. Elle parvint à mettre la main sur la bougie, qu'elle cala entre ses genoux, puis sur le briquet. La flamme jaune l'éblouit. Elle alluma la bougie, et contempla avec appréhension son bras fracturé.

Si sa main et son bras étaient intacts, la marque de sabot était énorme sur son avant-bras, ronde et sanglante là où le fer avait déchiré ses vêtements et sa peau. La fracture n'était heureusement pas ouverte, et peut-être un des deux os avait-il résisté au poids de l'animal, car le poignet paraissait correctement aligné par rapport au coude. La douleur était terrible, étincelante, comme le son d'une cloche résonnant à l'intérieur de chacune des fibres de son corps. Elle devina que son avant-bras allait rapidement bleuir et gonfler. Qu'il fallait qu'elle l'immobilise correctement mais qu'avec une seule main fonctionnelle, ça allait être pratiquement impossible.

Elle n'avait pas le choix. Il fallait qu'elle parvienne à l'immobiliser. Elle était seule, elle ne pouvait compter sur aucune aide.
Elle pivota légèrement pour se caler le dos contre la paroi de bois, serrant les dents. L'élancement dans le bras lui arracha un gémissement étranglé, et elle se trouva à nouveau au bord du malaise. Elle sentit les larmes couler sur sa joue. Elle n'allait jamais y arriver. Et personne ne viendrait la chercher ici. Byron ne se souviendrait plus, si toutefois il parvenait à retrouver ses esprits... Elle allait crever ici...
Elle s'obligea à respirer lentement. La douleur était insupportable. Il fallait absolument qu'elle parvienne à immobiliser son avant-bras. Elle pouvait utiliser le bas de sa tunique pour l'envelopper, coude compris, et le caler ainsi à hauteur de sa taille. Une fois sommairement bloqué, il lui faudrait consolider sa position en se bricolant une sorte d'écharpe, peut-être avec ses chausses de rechange, ou quoi que ce soit qu'elle trouverait à portée de main. Le seul souci, c'était que replier la tunique par-dessus le bras l'obligeait à le déplacer un peu, et qu'elle craignait de s'évanouir sous l'effet de la douleur. Mais elle n'avait pas d'autre solution. Elle regarda son étalon. Prince, si je m'évanouis, va chercher du secours. Trouve les centaures. Byron, s'il va mieux, ou Neffen.
Elle essaya de lui transmettre mentalement l'image du shaman.
Puis elle inspira profondément, bloqua l'air dans ses poumons, et, lentement, se mit à replier sa tunique autour de l'avant-bras fracturé, le soulevant légèrement pour l'immobiliser contre sa taille.

Prince n'attendit pas qu'elle tourne de l'oeil pour s'élancer à l'extérieur. Astrée l'entendit hennir à l'extérieur de l'arbre mort, une fois, une deuxième, puis détaler au grand galop dans un bruit de terre meurtrie, tandis que la souffrance s'était faite pulsatile, battant dans son crâne au rythme de son coeur emballé.

Et un instant plus tard, elle sentit une main froide se poser sur son front et elle ouvrit les yeux, surprise. Elle s'était manifestement évanouie. Elle croisa le regard vert, atterré, de Byron.
" Dieux, mais qu'est-ce que j'ai fait ?" souffla-t-il d'une voix misérable.
A la lueur de la bougie mourante, Astrée vit que le centaure était à genoux devant elle, la surplombant. Prince était debout dans son ombre, ses yeux noirs brillaient doucement dans la pénombre.
" Dis-moi ce que je peux faire, Astrée... Je suis tellement, tellement désolé... Je n'y connais rien... Je suis désolé..."

Astrée eut un élan de gratitude envers Prince, et elle parvint à grimacer un sourire. Puis, le regard un peu flou, elle tourna la tête vers Byron. Lui, au moins, allait mieux. Mais combien de temps était-elle restée sans connaissance ?
"Pas grave... Leanne et Dymphéa m'avaient bien dit de ne pas dormir à côté d'un centaure... que je ne ferais pas le poids..." tenta-t-elle de plaisanter. Mais sa voix s'étrangla dans sa gorge et son sourire se changea en grimace tandis que la douleur, un instant oubliée, explosait dans son crâne.
Elle ferma un instant les yeux, sentant quelques larmes jaillir bien malgré elle. D'un ton haché, elle reprit :
- Il faut immobiliser... complètement... mon avant-bras. Essaie de... replier ma tunique par-dessus, en enveloppant bien le coude avec. Puis il faut le maintenir en place... avec ce que tu trouveras dans mon sac. Il ne faut pas qu'il puisse bouger. Mais va doucement..."
Elle serra les dents, affichant un sourire crispé.

" D'accord..." fit-il.
Ensuite, elle perdit un peu le fil de ce qui se passait autour d'elle, car elle vit surtout des tournesols, des pissenlits, et le soleil sur un champ de blé. Elle avait toujours mal, mais la douleur semblait avoir reculé, comme si elle l'observait depuis l'ombre, tandis qu'elle profitait d'un été formidable, du parfum délicieux des fleurs, de la vitesse d'un grand galop, de toute cette lumière, de toutes ces corolles épanouies, et délicieuses, et formidables...
La souffrance la lança, comme une déchirure, mais ensuite, les oiseaux s'envolèrent, il faisait bon et chaud et merveilleux...
" Est-ce que je peux te préparer quelque chose pour que tu dormes ? Ou pour atténuer la douleur ? Est-ce que ça te semble assez serré comme ça ? Pas trop ?"
La nuit et le froid envahirent tout son horizon, la douleur refit son apparition, et elle regagna le réel. Byron avait posé son attelle avec un certain doigté, son avant-bras était plaqué contre sa poitrine, immobile, inutile, et le centaure la dévisageait avec appréhension.

L'étrange sensation de regagner son corps alors qu'elle ne se souvenait pas avoir eu l'intention consciente de s'en échapper la laissa un moment sans voix, le regard flou. Elle ne comprenait pas vraiment ce qui s'était passé. Était-ce Prince qui lui avait volontairement fait partager des sensations positives pour l'isoler de la douleur ? Était-ce quelque chose qui avait lieu à leur insu, simple conséquence du lien qui les unissait ?
Puis elle prit conscience du regard inquiet de Byron, qui attendait une réponse.
"C'est parfait comme ça, merci", murmura-t-elle d'un ton rauque, s'efforçant de sourire, en contemplant son oeuvre.
Il avait fait du bon boulot. Mais elle peinait à rassembler ses idées. Elle ne voulait pas dormir, non. Juste avoir moins mal.
"Ce serait bien si tu pouvais faire bouillir de l'eau, oui... Et m'apporter ma sacoche à herbes, je vais te montrer lesquelles il faut faire infuser, pour la douleur. Il faudra les couper en tout petits morceaux... Ah, et tu devrais boire ce qu'il reste dans ma timbale, avant, si tu te sens encore un peu fiévreux. Je l'avais préparé pour toi... Si tu es sûr de ne plus en avoir besoin, tu peux jeter, mais tu m'en laisses un fond, il y a deux ou trois plantes dedans qui devraient m'aider à tenir en attendant que tu aies fini de préparer l'infusion."

Byron s'exécuta rapidement. Il vida le surplus de la timbale, l'apporta à la jeune femme et l'aida à boire, puis alla chercher son sac, le lui rapporta, lui présentant les herbes une à une, la mine sérieuse. Il les coupa ensuite en menus morceaux, les mit à bouillir et lui rapporta l'infusion. Il mouvait son énorme corps avec une précision étonnante, parfaitement conscient de sa forme et de ses dimensions, dans un espace pourtant réduit. Jamais il ne heurtait les parois ou ne bousculait quoi que ce soit, jamais il ne frôlait le feu de trop près, pas même avec sa longue queue. Une fois qu'il eut rechargé le feu, il revint vers la jeune femme et réajusta la couverture sur ses épaules.
" Je suis vraiment navré... souffla-t-il. Tu prends soin de moi et voilà comment je te récompense..."

Astrée but l'infusion avec une grimace. La douleur avait commencé à refluer légèrement lorsqu'elle avait avalé le fond de tisane préparée pour Byron, et elle avait les idées un peu plus claires. Mais ça ne durerait pas : la quantité de pavot qu'elle était en train de prendre pour soulager la douleur risquait de la rendre un peu vaseuse dans les heures à venir.
Elle sourit au centaure, et répondit d'un ton presque léger.
"Et bien... tu prends soin de moi à ton tour... c'est un juste retour des choses finalement !"
La douleur pulsait jusque dans son crâne lorsqu'elle parlait. Elle ferma les yeux un bref instant, puis les leva vers lui.
"C'était un accident, Byron, tu ne dois pas t'en vouloir... Et puis, je suis sûre que Leanne ou Neffen sauront me réparer ça. En tout cas, je suis soulagée de voir que tu vas mieux. J'étais tellement inquiète hier soir..."

Doucement, il glissa un bras derrière ses épaules, et la souleva pour l'arracher à la paroi glacée du tronc d'arbre. Il se coucha sur le sol et l'installa contre son flanc, assise, un peu comme il s'était trouvé lui-même un peu plus tôt, avec Prince.
" Ne t'inquiète pas, je ne me rendormirai pas, tu ne risques rien." fit-il avec une grimace.
Il était évidemment beaucoup plus chaud et confortable que l'écorce morte du vieux chêne. Il réarrangea la couverture autour d'elle, puis soupira.
" Je ne sais pas ce que c'était... Sans doute le contrecoup. J'ai eu tellement peur, sur le moment même... Mais je me sens clair, maintenant. Et je ne t'ai pas remerciée. Merci. Merci à toi et à ta... créature étrange."

Astrée chercha du regard Prince avec un sourire rêveur.
"C'est un cheval, à la base... mais il est un peu particulier, je te l'accorde. Il a ses petits secrets rien qu'à lui..."
Elle était certaine que Byron ne les trahirait pas.
Elle laissa aller sa tête contre le flanc du centaure. La peur, la douleur, la lutte pour ne pas s'évanouir, tout cela l'avait épuisée.
"Je ne sais pas si j'ai encore du temps pour dormir... Je suppose qu'on approche de la fin de la nuit et qu'il va falloir repartir. J'ai essayé de dissimuler un peu nos traces jusque-là pour qu'ils ne puissent pas nous suivre, mais je ne sais pas si c'est suffisant... J'espère que tu trouveras un itinéraire un peu rocailleux et dégagé, je ne voudrais pas qu'ils remontent jusqu'à la harde.

" Dors, Astrée, dit alors Byron. Cet endroit est surveillé par nos oiseaux. Si quelqu'un s'en approchait, un hibou ou un faucon viendrait nous en avertir. Nous filerions en quelques minutes. Je peux perdre n'importe qui par ici... Leurs centaures sont moins adroits, moins rapides, ils ne connaissent rien à la nature. La harde doit savoir que nous nous sommes réfugiés ici. Neffen viendra peut-être nous trouver, s'il en a l'utilité. Mais avec lui, il ne faut jamais jurer de rien, les détours de son esprit sont imprévisibles."

"D'accord... Merci..."
Elle avait paniqué pour rien. Neffen serait venu la chercher si elle n'était pas ressortie. Du moins, elle l'espérait... S'il en avait l'utilité... Que voulait-il dire ? Il aurait pu venir la veille, les aider. Il aurait su soigner Byron mieux qu'elle, certainement. Il devait avoir ses raisons pour ne pas l'avoir fait... Peut-être était-il important que Byron reprenne seul ses esprits, que la harde ne le voie pas affaibli ? Peut-être n'avait-il pas prévenu les autres qu'ils étaient ici, craignant qu'on les empêche d'arriver ? Non, ils ne s'en prendraient pas à Byron... Et puis l'essentiel était qu'ils s'en soient sortis. Il était inutile qu'elle cherche à comprendre pourquoi il les avait laissés seuls.
Pour l'heure, ils étaient en sécurité, sur leur territoire, les peintures le prouvaient. Elle bailla, sentant son esprit dériver lentement vers le sommeil. Les peintures...
"Byron... c'est toi qui fait ces peintures ? Il y en avait de l'autre côté de la muraille, dans une grotte où j'ai dormi, avant la bergerie. Elles étaient toutes fraîches..."

Byron eut un rire léger.
" J'aimerais en être l'auteur, mais non, ce n'est pas moi qui les ai peints. Ce n'est pas que ce n'est pas mon rôle, cette fois, mais la peinture est un art réservé aux femmes, chez les centaures. Il y en avait deux dans notre groupe, quand nous avons quitté la vallée..."
Sa voix se cassa.
" Je suis heureux que tu aies pu contempler leur message, même si tu n'as pas pu le comprendre. Peut-être restera-t-il mille ans et seront-elles ainsi pareilles aux étoiles, immortelles..."

Astrée tendit sa main valide pour saisir celle de Byron et la serra doucement, sans un mot. Elle s'en voulait d'avoir involontairement réveillé sa peine, et elle ne trouvait rien à dire pour l'atténuer.
Elle ferma les yeux et se laissa aller contre son corps doux et chaud. Il était libre, il allait bien, il allait veiller sur son sommeil. Elle pouvait dormir. Et surtout, ne pas songer à ce qui les attendait le lendemain et qui lui faisait tellement peur. Elle n'avait pas la force de penser, de toute façon. Elle était juste soulagée, heureuse, que son ami ait retrouvé la liberté.
Elle eut une vague pensée pour Reynald, juste avant de glisser dans le sommeil. Il lui manquait.

La jeune femme s'endormit rapidement, aidée par les bienfaits de sa potion apaisante, sa souffrance réduite à un élancement sourd. Cette fois, nul rêve ne troubla son sommeil et lorsqu'elle ouvrit l'oeil, si sa douleur s'était réveillée, Byron était, comme promis, toujours là, couché mais conscient, et il lui décocha un calme sourire. Prince leva également la tête et hennit doucement pour la saluer. Il faisait jour mais il pleuvait toujours, un crachin sinistre, probablement glacé. Le centaure souleva Astrée sans se lever, puis se mit sur ses jambes et la porta jusqu'à Prince. Ensuite, il ranima leur feu et remit de l'eau à chauffer.
" Je vais aller nous trouver de quoi manger. Prends-le temps de t'éveiller. Nous avons bien le temps de rejoindre la cascade avant la nuit."

"D'accord. Merci, c'est gentil à toi."
Elle se sentait encore un peu vaseuse, mal réveillée. Et la douleur pulsait à nouveau jusqu'à son crâne.
"Je vais peut-être essayer de me faire une nouvelle infusion, pendant ce temps, en y allant doucement..."
Elle s'adossa au corps de Prince et sourit au centaure.
"Soit prudent, Byron...", ajouta-t-elle machinalement.
Elle savait que c'était un conseil bien inutile : il était chez lui, sur son territoire. Il ne risquait rien. Enfin... elle espérait qu'il ne se trompait pas en l'affirmant hier. Et si les humains suivaient leurs traces ? Mais elle n'était décidément pas en état d'y réfléchir.

Chaque mouvement demeurait pénible et Astrée sentait que son bras, bien qu'immobilisé, avait besoin de soins plus experts que ceux que le jeune centaure avait pu lui procurer. Prince remarqua également qu'elle souffrait beaucoup et finit par se faire écureuil pour aller fouiner dans son sac à sa place. Commença alors un étrange dialogue silencieux, tandis que la créature et la rôdeuse échangeaient des impressions mentales, fugitives, pour communiquer. Une odeur, une forme, un goût, même, parfois. Au final, Astrée parvint à rassembler le nécessaire sans devoir trop bouger et Prince redevint cheval et dossier. Byron surgit quelques minutes plus tard, avec un lièvre et un sourire ravi. Il était manifestement fier de lui, mais son expression redevint sérieuse lorsqu'il vit la mine de la rôdeuse.
" Nous n'allons pas nous éterniser. Tu as besoin de soins." commenta-t-il.
Il se mit aussitôt à dépiauter le fruit de sa chasse, et bientôt, une délicieuse odeur de viande grillée emplit leur refuge. Astrée nota que Byron avait pris la liberté de s'habiller. Il avait l'air, si on faisait abstraction de sa partie inférieure, d'un jeune elfe tout à fait ordinaire.

"J'ai mal, admit la rôdeuse en hochant la tête avec une grimace, surtout quand je bouge, même un tout petit peu. Mais l'infusion devrait atténuer ça... Je risque d'être un peu vaseuse pendant une heure ou deux, par contre."
Elle sentit son estomac gargouiller, et sourit avec reconnaissance au centaure.
"Ça a l'air délicieux... Bon, c'est plutôt bon signe si je ressens encore un peu d'appétit. N'hésite pas à fouiller dans mon sac, il doit y avoir encore du sel, des tubercules et deux ou trois autres choses plus ou moins comestibles... "

La Couronne de Cuivre

[Quête] Montequine