[Lieu] Temple de Sunie

[Galathée]

Soren avait déjà commencé à dessiner. Appuyé contre le mur, il croquait rapidement, le geste sûr, levant les yeux de temps en temps, la mine indéchiffrable. Il se déplaça, sans donner la moindre directive à la jeune femme, jusqu'à être derrière elle. Elle entendait juste le grattement de la mine de plomb sur le papier.
" Votre ami paladin sait que vous êtes ici ?" demanda-t-il soudain.

[Chandara]

Se sentir au centre de l'attention était bien sûr intimidant mais aussi, quelque part, étrangement grisant. La jeune-femme répondit d'une voix plus sûre qu'elle ne s'y attendait mais sans pour autant changer de position pour pouvoir regarder Soren :

- Arthur sait que j'ai choisi de me vouer à Sunie... Mais il préfère ne pas savoir ce que je fais de mon temps au temple. Je le crois sincère. Et pour sa tranquillité d'esprit, il ne sait donc pas que j'ai décidé de poser pour vous. Je ne pense pas que ce soit une mauvaise chose sinon la Dame ne m'aurait certainement pas guidé vers vous, n'est-ce pas ?

[Galathée]

Soren griffonnait tout en parlant.
" Que lui direz-vous le jour où il découvrira la statue que je vais créer ? Que vous êtes venue vous dévoiler devant un autre homme sans lui en parler ? Pensez-vous qu'il l'acceptera ?"

[Chandara]

Elle n'avait pas vraiment envisagé les choses sous cet angle, se disant que la statue que pourrait créer Soren n'avait que peu de chance de se trouver exposée et qu'Arthur en avait moins encore de tomber dessus par hasard. Mais elle se rendit compte que ce n'est pas ce qu'elle désirait : elle ne voulait pas avoir à cacher ce qu'elle faisait pour le compte de la Dame. Et pour le sien aussi. Elle ne voulait pas en avoir honte.

- Vous allez sans doute me trouver bien naïve mais je ne crois pas qu'Arthur soit du genre jaloux. Il est au courant du fait que nous nous baignons ensemble et est-ce une démarche si fondamentalement différente ? Pour autant, c'est vrai que je crains un peu de lui en parler. Il m'a confié préférer ne rien savoir et peut-être est-ce plus confortable pour moi de ne rien lui dire. Mais peut-être que je me trompe... Que me conseillerez-vous ? De lui en parler avant de revenir vous voir demain ? Cela ne changerait pas ma décision cela dit.

[Galathée]

" Je pense que vous le connaissez très mal et qu'il ne comprendra absolument pas votre démarche, dit le sculpteur sans ciller. Il ne comprend sans doute déjà pas comment vous avez pu préférer Sunie à Lathandre... C'est le propre des exaltés, et tous les paladins le sont. Tous les clercs, aussi, bien sûr. Je pense que le plus prudent serait d'essayer de me convaincre de ne jamais exposer le résultat de notre entrevue. Ou alors de le vendre à un acheteur étranger. Pas à Manost, bien sûr."

[Chandara]

Il y avait sincèrement de quoi se sentir déstabilisée... La jeune Sunite avait eu des hésitations au cours des derniers jours en songeant à la réaction ce que pourrait en penser Arthur mais elle avait fait un choix. Un choix qui avait mûri de la confiance que le jeune paladin lui avait manifesté. Mais d'un autre côté, il semblait effectivement sensible et c'est peut-être pour se protéger qu'il lui avait parlé la veille, au parc. Un peu déboussolée, Chandara chercha à capter le regard de Soren pour lui répondre d'un ton déterminé :

- Vous ne semblez pas du genre à vous laisser convaincre facilement... Et même sans cela, j'ai l'impression que ma démarche n'aurait pas beaucoup de sens si je tentais ensuite de vous convaincre d'en cacher le résultat. Ce n'est pas quelque-chose dont je veux me sentir coupable ou avoir honte.

[Galathée]

" Pourtant, Sunie vous teste incontestablement... Allez-vous répondre à son injonction... Elle vous a parlé, vous a suggéré de venir me voir, d'oser tomber la robe... Ce que vous avez fait très aisément, d'ailleurs... ou allez-vous vous soumettre à celle de l'homme que vous aimez ? Sunie ou Arthur ? Arthur ou Sunie ? En tant que future paladine, vous ne devriez même pas hésiter. Sunie exige que vous l'aimiez elle d'abord, vous ensuite, et Arthur en troisième lieu. Il n'y a pas d'alternative. Sunie vous aime mais elle vous tente. C'est normal. Vous venez d'entrer dans son miroir... De quelle étoffe êtes-vous faite, au juste ?"

[Chandara]

La jeune-femme resta longuement silencieuse, pas tout à fait certaine que ces questions appelaient à discussion. C'est par ses choix, par ses actes et non par ses intentions qu'elle y apporteraient ses réponses et même qu'elle les découvrirait. C'est donc avec une pointe de défi dans le regard qu'elle fit face au sculpteur, bien consciente qu'il la poussait dans ses retranchements, qu'il cherchait à la mettre à nu plus qu'au sens propre :

- Seul l'avenir le dira et Sunie me jugera. Je ne compte pas la décevoir en tous cas. C'est mon intention. Mais je suis humaine, faillible. Et novice en ces sujets. Je peux faire des erreurs. Arthur place sa dévotion en Lathandre en premier lieu et c'est bien normal. C'est à moi de faire mes propres choix : je ne suis pas prête à renoncer à lui mais il est le premier à m'encourager à ne pas manquer mon rendez-vous avec Sunie. J'espère de tout mon cœur qu'il restera assez de place pour notre amour mais nous savons l'un et l'autre que nous devons d'abord tourner nos pensées vers le dieu que nous avons choisi de servir. Et qui nous a choisi en retour.

[Galathée]

" Allez, on va considérer que c'est une bonne réponse. Très... académique. Mais c'est normal quand on débute et qu'on a été helmite de surcroît, je suppose."
Il entra à nouveau dans son champ de vision, continuant à dessiner, la mine concentrée.
" Vous allez partir à Antelucas, alors ? Adieu Dorrandin, bonjour Hélonna ?"

[Chandara]

Ainsi, il s'agissait bien d'un test... La jeune-femme esquissa un sourire en ne pouvant s'empêcher de se demander ce que Soren voyait en elle. Elle répondit cette fois d'une voix bien plus assurée, peut-être parce que la question lui apparaissait plus évidente, peut-être parce qu'elle était rassurée d'avoir satisfait à la première question :

- J'irai où la Dame me guidera, où l'Ordre aura besoin de moi. Pour l'heure, c'est à Antelucas car j'ai énormément à apprendre.

[Galathée]

" Pas de famille en Dorrandin ? Pas de racines ? Personne qu'on abandonne derrière en suivant la voie de Sunie ?" continua le sculpteur, sans croiser son regard, n'observant que ce dont il avait besoin, les formes de son corps manifestement.

[Chandara]

Chandara sentit un frisson à se sentir ainsi observée et se surprit à regarder le sculpteur en retour. Aphrodite avait raison, elle devait se l'avouer : cette vision était loin d'être désagréable. Mais elle ne se laissa pas aller à rêvasser pour autant :

- J'y ai mes racines, si. Et ma famille naturelle y vit. Je les aime, évidemment, et je ne compte pas couper les ponts pour autant. Comme je ne l'ai pas fait quand j'étais helmite et que j'ai dû m'éloigner d'eux. Mais le service envers la Dame passe avant les désirs personnels. J'aspire à rejoindre une autre famille et elle aussi doit compter.

[Galathée]

" Ah, l'exaltation de la jeunesse ! s'exclama Soren. Vous devriez les prévenir, tout de même. Si ce n'est fait. Ils ne s'attendaient sans doute pas à ce que votre voyage touristique tourne à la révélation transcendante. Même si, avec une fille de votre tempérament, ils ne seront sans doute pas plus surpris que ça."

[Chandara]

Chandara se mit à songer à sa famille, à son père toujours fier d'elle même quand sa témérité lui faisait commettre des imprudences, à sa mère qui avait désespéré de la voir affirmer sa féminité mais qui avait certainement songé à autre que la voir se vouer à Sunie, à son grand frère qui l'avait toujours protégée et soutenue dans ses entreprises même parfois malgré elle. Elle pensa aussi à son amie Amélie qu'elle avait laissé au Clos des Roses et qui accueillerait certainement la nouvelle avec l'un de ses sourires mutins. Et bien sûr, elle songea à Marvin, son jumeau. Celui le mieux à même de la comprendre même s'ils étaient opposés sur bien des aspects.

Le silence s'était installé, à peine brisé par les coups de crayons de Soren et Chandara dut faire un effort pour revenir à la réalité de l'instant présent et répondre d'un ton attendri :

- Oui, je les préviendrai.

[Galathée]

" Terminé." dit alors le Sunite.
Il releva les yeux.
" Vous pouvez vous rhabiller. Nous nous verrons demain. N'arrivez pas à midi, sinon je serai déjà passé à autre chose."

[Chandara]

La jeune-femme se rhabilla avec une certaine hâte, la remarque assez peu flatteuse l'ayant un peu mise à l'aise. Elle répondit néanmoins d'un ton respectueux en terminant de lacer ses bottes :

- Comptez sur moi ! Je viendrai directement ici demain matin. Bonne journée, maître Soren. Et merci d'avoir accepté ma requête.

Elle se dirigea lentement vers la porte après avoir esquissé un sourire indéchiffrable. Le clerc lui avait assurément donné beaucoup à penser, notamment en ce qui concernait Arthur...

[Galathée]

Le clerc lui adressa un sourire avant qu'elle ne franchisse la porte.
" Vous avez passé la première épreuve, soyez radieuse à présent. Mais je vous secouerai encore un peu demain. Vous en avez besoin, avant Antelucas, croyez-moi. Et faites un arrêt aux thermes avant de venir. Vous aurez meilleure mine."
Puis il referma derrière elle et elle fut livrée à elle-même dans le couloir.

[Chandara]

Ces encouragements lui remontèrent effectivement le moral tout en apaisant la tension que le clerc avait intentionnellement installée. C'est donc avec un sourire aux lèvres qu'elle se retrouva dans le couloir et repartit dans la direction qu'elle avait empruntée à l'aller. Elle n'était cependant pas du tout certaine de parvenir à retrouver la sortie toute seule d'autant que ses pensées vagabondaient déjà : quelle heure pouvait-il bien être ? Lui restait-il encore un peu de temps avant de déjeuner et surtout se lancer dans les derniers préparatifs pour sa petite soirée d'au-revoir avec Arthur ?

Elle avait l'intention d'y consacrer l'après-midi mais peut-être avait-elle encore un peu de temps pour flâner dans les jardins du temple et peut-être saluer les amis qu'elle n'avait pas croisée depuis quelques jours déjà.

[Galathée]

Il était sans doute presque midi, ou du moins est-ce ce dont elle eut l'impression à la faveur d'une baie de lumière qu'elle traversa par inadvertance au cours de ses pérégrinations. Elle finit par tomber sur une adolescente d'une quinzaine d'années, d'une beauté renversante malgré son âge, qui portait la robe des novices. Celle-ci la guida jusqu'à la sortie, sans parvenir à se départir d'un sourire légèrement moqueur : sans doute n'était-ce pas la première fois qu'elle devait mener des personnes qui s'étaient perdues dans le labyrinthe.
Une fois dans les jardins, Chandara réalisa que le temple s'était bel et bien éveillé : les allées bruissaient de conversations.

[Chandara]

Chandara avait tenté de se montrer attentive au chemin emprunté mais elle s'était tout de même laissé distraire à regarder la jeune novice d'un air appréciateur. En plus, elle aurait été bien en peine de retracer les pérégrinations qui l'avaient conduit de l'atelier de Soren à elle. En bref, il était probable qu'elle se trouve tout aussi perdue le lendemain...

Elle ironisa la situation en se disant qu'il lui faudrait vraiment un plan pour se repérer dans son propre temple ! Mais c'est avec bonne humeur qu'elle retrouva enfin les jardins et remercia la jeune-fille. Puisque le temple était éveillé, elle avait l'intention de déambuler un peu dans les jardins à la recherche de têtes connues : partir sans saluer ses amis aurait été indigne.

[Galathée]

Elle trouva Moïra sous un arbre, en train de lire un courrier. La jeune femme replia la lettre et la rangea et l'accueillit d'une accolade peu protocolaire, avant de renifler.
" Hum. En voilà une qui a fréquenté les alcôves argileuses. Pourtant tu ne portes pas de stigmates... Etrange. Soren se serait-il contenté d'observer sans toucher ? Très inhabituel."

[Chandara]

La jeune-femme fut ravie de tomber sur son amie et plus encore de la façon dont elle l'accueillit. Elle ne put cependant que se demander comment Moïra avait deviné d'où elle sortait : se pouvait-il qu'Aphrodite ait vendu la mèche ? Mmh, c'était un mystère qu'il valait peut-être mieux ne pas éclaircir tout compte fait. D'autant plus que la remarque ingénue de la prêtresse ne manqua pas de piquer sa curiosité tout en l'inquiétant un peu. Elle demanda donc d'une voix un peu timide :

- Comment ça sans toucher ? Soren a juste dessiné quelques croquis et m'a demandé de revenir dès demain matin... Mais c'est vrai qu'il a dit qu'il me bousculerait encore un peu. Dois-je m'inquiéter ?

[Galathée]

" Non. Pourquoi ? Mais d'habitude... et bien il touche. C'est un sculpteur, tu comprends ? Les peintres regardent, les musiciens écoutent... et chez les sculpteurs, ça passe par les mains. Or tu es toute propre ! A moins que tu ne sois passée par les thermes avant de sortir ? Non, tu ne sens pas le savon non plus... Donc, c'est bien qu'il ne t'a pas touchée. Ce qui est surprenant. Il a dû sentir que tu étais... encore trop timide pour ça."

[Chandara]

Oui, Soren avait dû sentir que cela l'aurait affolée s'il l'avait frôlée. Et rien que de penser à ses mains sur son corps nu, Chandara sentit les battements de son cœur s'accélérer et sa vision se troubler un peu.

Elle pensa inévitablement à Arthur. A son désir que le paladin saute enfin le pas. A ce qu'elle ressentirait s'il posait sa main sur sa peau, s'il se risquait à une caresse, une étreinte... Non, mieux valait ne pas y penser : elle avait rougi, c'était certain. Et Moïra n'en avait certainement rien manqué.

[Galathée]

" Tu te fais des idées. Soren ne t'aurait pas touchée... comme ça. Tu n'es pas du tout son type, crois-moi. Beaucoup trop jeune, déjà."
Elle sourit.
" J'espère que tu vas survivre à la promiscuité des Sunites. Nous sommes des gens très tactiles."

[Chandara]

Chandara esquissa une grimace : Moïra lisait certainement dans ses pensées comme dans un livre ouvert mais ce n’était pas vraiment ce qui la gênait. C’était même plutôt le contraire car trouver quelqu’un avec qui partager ses doutes et ses appréhensions était bienvenu en cette période où toute son existence semblait chamboulée.

Elle s’assit à côté de la prêtresse avant de répondre d’un ton un peu incertain :

- Tu dois vraiment trouver que je m’effarouche d’un rien… C’est juste que c’était la première fois que je me retrouvais nue et seule avec un homme. J’ai bien conscience que la plupart des filles de mon âge ont connu des expériences amoureuses mais je n’avais jamais vraiment flirté avant Arthur. En tombant amoureuse de lui, je pensais découvrir toutes ces choses avec lui. Enfin voilà, je sais que je vais progresser pas à pas mais je ne sais pas où se situe la limite. De ce que Sunie attend de moi. De ce que je peux ressentir, expérimenter sans avoir le sentiment de le trahir. Fichtre, je dois te paraître totalement embrouillée par dessus le marché !

[Galathée]

" C'est sûr que c'est assez particulier d'arriver à Sunie aussi tardivement... et avec le coeur déjà pris. En général, les novices expérimentent beaucoup entre eux... et nous sommes finalement peu nombreux à nous... caser. Enfin, je parle des clercs. C'est un peu compliqué de pouvoir être prodigue de son amour quand on a le coeur pris. Les paladins sont différents, bien sûr... et je suis donc mal placée pour te guider. Je suis certaine que tu trouveras des gens, à Antelucas, pour t'aider à faire sens de ta propre histoire, et de la manière dont tes sentiments pour Arthur s'insèrent dans ta dévotion à Sunie."

[Chandara]

Chandara avait craint que la Sunite ne la rudoie comme avait pu le faire son aîné et elle fut d'autant plus soulagée d'entendre ses paroles rassurantes. Cela raffermissait son sentiment qu'elle avait encore énormément à apprendre mais qu'il était peu probable que la déesse ne réclame qu'elle aille à l'encontre de ses élans concernant sa propre vie amoureuse. Du moment qu'elle donnait la priorité à sa charge évidemment... Son sourire à nouveau radieux valait toutes les réponses mais elle crut bon d'ajouter d'un ton plus détendu :

- Je pense que je me rendrai à Antelucas dès la prochaine veille. Enfin, dès que Soren en aura terminé avec moi bien sûr. Hors de question d'abandonner maintenant : comme il l'a dit, ce que je pourrai apprendre au cours de nos séances me servira sûrement et puis Sunie m'a encouragé à répondre à sa requête. Cela signifie beaucoup en soi !

[Galathée]

" Je peux imaginer." dit Moïra.
Elle sourit.
" Mais ce sera vite fini : Soren est rapide, c'est l'affaire de deux jours grand maximum."
Elle soupira, rêveuse.
" Je t'admire de te tourner vers la carrière de paladin. C'est quelque chose que je ne pourrais jamais faire. Toutes ces règles, ce protocole, ces codes... Brrrr... Ça m'est complètement incompréhensible."

[Chandara]

Chandara se laissa aller à rire de cette remarque puis à répondre gaiement :

- Tu plaisantes : sans ces règles et ce code, je serais encore plus chamboulée. Passer de Manost à Luménis puis Antelucas. De Helm à Sunie ! Il faut que je me raccroche aux branches pour ne pas avoir le vertige. Bref, heureusement qu'il y a le protocole sinon je serais totalement perdue...

Elle marqua une pause et reprit d'un ton un peu plus sérieux :

- Et puis, c'est aussi une philosophie de vivre en harmonie avec ces règles. De savoir qu'elles ont le plus souvent une bonne raison d'être quand elles ne sont pas tout simplement nécessaires. Brr, tu as raison en fait : voilà que je parle comme un vieux barbon de Tyr : il faut que tu m'aides de toute urgence !