La Couronne de Cuivre

La druidesse hocha la tête, trop faible pour répondre, et ferma un instant les yeux, blottie contre sa poitrine.
Elle avait beau être légère, le trajet jusqu'à la grotte artificielle était relativement long, et Kasumi dut plusieurs fois s'arrêter pour raffermir sa prise. Peut-être qu'au mieux de sa forme, il aurait fait le trajet d'une traite... mais l'essentiel était qu'ils finissent par arriver.
Ils ne croisèrent nulle âme qui vive. Nul monstre, heureusement. Et Kasumi finit par atteindre l'ombre bienfaisante de l'abri, où il déposa une elfe pâle, mais consciente.
" J'ai juste besoin... de me reposer un peu. Ensuite je pourrai me soigner. Mais... j'ai soif..."

Kasumi s'empressa de récupérer l'une de leurs gourdes et de la lui rapporter avant de l'approcher de ses lèvres avec un sourire. Peut-être était-elle trop faible pour boire par elle-même aussi se devait-il de lui proposer son aide. Quand elle se serait désaltérée, il prendrait soin de nettoyer sa blessure de son mieux : si Eärundra était capable de se soigner plus tard, mieux valait tout de même éviter qu'une infection ne se développe dans l'intervalle.

Ensuite il tâcherait de se reposer tout en veillant sur elle : les combats et la chaleur au dehors avaient considérablement diminué son énergie sans parler du retour vers l'abri.

Eärundra accepta son aide pour boire, et ferma aussitôt les yeux. Elle le laissa nettoyer et panser sa blessure sans réagir, au point qu'il se demanda si elle était réellement consciente. Peut-être dormait-elle... mais elle respirait régulièrement, c'était l'essentiel.
Kasumi vit Rubis revenir dans la petite cuvette à l'entrée de la grotte, cherchant l'ombre quasi inexistante des parois de sable. Le soleil était au zénith, et la chaleur au-dehors devait être insupportable. L'aigle finit par s'installer juste devant l'entrée, protégeant sa tête sous ses plumes. Il semblait lui aussi se réfugier dans le sommeil. Et après tout, avec une chaleur pareille, une sieste était certainement la meilleure chose à faire, pour tout le monde. Le sommeil, d'ailleurs, surprit également Kasumi, sans qu'il l'eût vraiment souhaité.
Il se réveilla alors que la luminosité déclinait, nimbant leur abri de lueurs orangées. Rubis bénéficiait enfin de l'ombre d'une paroi. Eärundra dormait toujours, mais son souffle était régulier. Un grondement fort peu discret de son estomac lui rappela qu'il n'avait rien avalé depuis le matin...

Kasumi décida que mieux valait laisser Eärundra dormir encore un peu et il s'occupa de nourrir et d'abreuver Rubis, lui dédiant au passage une tape amicale sur le cou et quelques mots apaisants en elfique. Aussitôt après s'être occupé de l'oiseau, il entreprit de rassembler certains de leurs vivres dans l'optique de préparer un solide repas. Si la druidesse n'était toujours pas réveillée quand il en aurait fini, il serait alors temps de la rappeler doucement au monde des vivants. Elle trouverait ainsi de quoi se restaurer et récupérer un peu de ses forces perdues dès son réveil.

Ce furent sans doute les effluves émanant de la viande cuisant doucement sur le feu qui réveillèrent Eärundra. Kasumi ne s'en aperçut pas immédiatement : elle resta immobile, les yeux fermés, cherchant sans doute à rassembler ses souvenirs et à savoir où elle était. Il ne comprit qu'elle était réveillée que lorsqu'elle se mit à incanter, d'une voix un peu rauque. Une lueur verte l'enveloppa aussitôt et elle se redressa, souriant doucement.
" Ça a l'air bon... et je meurs de faim !"
Avisant l'orange intense du sable qui les entourait, éclairé par les derniers rayons du soleil couchant, elle ajouta, d'un ton plus grave.
" Je ne pensais pas avoir dormi si longtemps que ça... Mais merci de m'avoir ramenée. Et de m'avoir sauvé la vie. Je n'oublierai jamais..."

Kasumi fut un peu décontenancé par la déclaration un peu trop exaltée de la druidesse et il se défendit immédiatement pour relativiser la portée de son geste :

- Allons, tu en as déjà fait largement plus pour moi et nos autres compagnons et à plusieurs reprises ! Et de toutes façons, c'est ainsi qu'agissent les amis dans un groupe, non ? Et en plus je serais bien perdu sans toi pour me ramener en ville alors n'en parlons plus !

Elle secoua la tête.
" Tu saurais très bien rentrer sans moi, ne dis pas n'importe quoi. Rubis t'obéit très bien, et tu saurais te diriger. Je ne te suis plus vraiment utile, à la réflexion."
Son ton était un peu rauque, presque triste. Peut-être était-ce l'émotion, ou tout simplement la fatigue. Puis elle secoua la tête, se leva et s'approcha du feu, d'une démarche un peu hésitante, et reprit la parole d'un ton beaucoup plus léger, peut-être pour faire oublier son accès de mélancolie.
" A en juger par l'odeur, ça doit être prêt ! Tu fais le service ? Tu comprends, faut encore un peu de temps pour que je me remette..."

Surprendre Eärundra dans un moment de faiblesse allait un peu à l'encontre de l'image de druidesse toujours maîtresse de la situation qu'il s'était forgée mais Kasumi ne considérait pas forcément cela comme un mal : l'elfe avait conscience de ses limites et tant de choses à apprendre encore. Et c'était aussi un signe qu'elle lui faisait maintenant suffisamment confiance pour parfois baisser sa garde. Il s'empara de l'écuelle dévolue à l'elfe pour la remplir généreusement avant de la lui tendre avec un sourire :

- Bien sûr que je comprends ! Il ne s'agirait pas que tu es une rechute et que je me retrouve de corvée tout le reste de notre séjour !

" Ah mince, j'avais oublié ce fichu pari... J'ai perdu le combat, donc c'est à moi de cuisiner tous les jours jusqu'au retour d'Opale. Ah, décidément, je ne sais pas si je serai en état, tu sais... Je n'ai fait qu'un soin léger, parce qu'il vaut toujours mieux laisser faire la nature, tu comprends... non, tu n'es pas d'accord ? Bon, va pour la cuisine. Je te propose une fricassée de scorpions pour demain, et de la goujonnette de serpent après-demain. Est-ce que ça te va ? "
Elle souriait d'un air parfaitement innocent. Saisissant l'écuelle tendue, elle en huma avec délices l'odeur.
" Ca sentira aussi bon que ça, je te promets ! De toute façon, tu n'as pas le choix... tu n'avais qu'à me laisser gagner si tu voulais manger autre chose !

Le rôdeur se prit aussitôt au jeu et répondit tout en se servant à son tour :

- Mais pas du tout ! Je n'ai pas gagné : il y a eu match nul ! Et en plus c'est toi qui a réussi à mettre le scorpion en fuite alors oublions ce pari. Et je t'aurais bien laissé gagner si je n'avais pas aussi peur que tu ruines ma réputation de combattant héroïque ou - pire - que tu réclames l'autre compensation que tu avais évoquée. Non, non il valait mieux rester sur ce match nul.

Il piocha aussitôt dans sa gamelle, se découvrant un bon appétit : les émotions fortes avaient fait leur travail.

" C'est comme tu préfères. Moi ça me va très bien le match nul ! Mais... je crois qu'il me faudra quelques jours encore pour me remettre... et que je vais un peu abuser de ta cuisine quelques temps", conclut-elle avec un clin d'oeil.
Mais elle aussi semblait affamée - signe qu'elle était mieux remise qu'elle le prétendait-, et ils eurent tôt fait de terminer leur gamelle, de se resservir, de terminer à nouveau... pour découvrir qu'ils avaient fini le plat. Il restait des fruits, heureusement, et ils découvrirent même une sorte de fromage de chèvre sec dans les provisions de l'asabi.

Ils étaient en train de débattre d'un ton léger sur la corvée de vaisselle quand Kasumi ressentit une étrange sensation de picotement dans la nuque. Puis une voix connue résonna subitement dans son crâne. Celle de Galawen, la compagne de son père.
" Kasumi ? Bonsoir... Je viens aux nouvelles..."
Si le sortilège utilisé était de même nature que celui décrit par la magicienne qui les avait téléportés en Haute-Forêt, ils n'avaient droit qu'à trente mots chacun, qu'ils pouvaient scinder en autant de parties que nécessaire.

Le dîner s'était déroulé dans une humeur légère qui tranchait nettement avec les incidents de l'après-midi. Cependant, la soirée s'annonçait courte étant donné le besoin de repos d'Eärundra quand Kasumi ressentit le message. Il se redressa en se demandant fugitivement si l'elfe l'avait perçu elle aussi mais - si ce n'était pas le cas - son expression soudain concentrée et son mouvement pour se redresser devait l'avoir alerté. Il n'eut pas vraiment le temps de se réjouir de cette voix familière car il ne savait pas de combien de temps il disposait pour répondre. Il préféra le faire sans en référer à l'elfe de peur que les mots qu'il prononcerait seraient décomptés de son quota autorisé. Alors, compendieusement, il tâcha de résumer les faits les plus importants à voix haute :

- Nous rentrons dans quatre jours. Il nous faut mille cinq cent pièces d'or.

Galawen comprendrait certainement que le nous impliquait que tous deux allaient bien et il avait préféré arrondir la somme demandée par Huasasth pour aller au plus court et prévoir une marge sans entrer dans les détails. Il voulait aussi se laisser la liberté de répondre à d'autres questions comme le lieu possible de rendez-vous. Après une brève hésitation, il ajouta la question qui lui brûlait les lèvres :

- Comment va papa ?

" Quatre jours... tu es trop optimiste, fit remarquer Eärundra presque à voix basse. J'aurais dit cinq ou six en comptant..."
La voix qui résonna dans son crâne, couvrant les paroles que la druidesse ajoutait.
" Elryndel va mieux. Sylvia t'embrasse ! On espère que vous allez bien... Le rendez-vous est vers la frontière, dans quatre jours ?"
La magicienne devait approcher de la fin de son message. Vingt-sept mots, en recomptant bien.

Kasumi décida de faire confiance à la druidesse : il avait compté qu'Opale reviendrait dans deux jours et qu'ils ne leur en faudrait que deux autres pour rejoindre la frontière mais c'était effectivement compter sans un temps raisonnable de repos et la nécessité de trouver des aires de repos et de laisser les aigles un peu chasser. Savoir que son père semblait se remettre le remplit de joie et la mention de Sylvia le fit sourire. Il répondit de bonne humeur cette fois :

- Plutôt cinq ou six. Nous allons bien. Je vous embrasse aussi, surtout Sylvia !

S'il avait correctement décompté ses mots, il devait être parvenu aux trente autorisés mais il ne regrettait d'en avoir employé certains pour mettre un peu de baume au cœur à sa belle rôdeuse très certainement inquiète voire contrariée.

" A bientôt Kasumi !" conclut la voix.
Et la présence dans son esprit s'évanouit aussitôt, le laissant un instant déstabilisé.
" Alors, les nouvelles sont bonnes ? On dirait, à voir ta mine..."
Eärundra souriait joyeusement. Elle avait entassé la vaisselle et commencé à la laver, oubliant que l'instant d'avant elle se plaignait de ne pas être en forme.
" Comment ils vont, là-bas ? Ton père... ?"

Kasumi mit un moment à reprendre prise avec la réalité, son attention tout d'abord accaparée par le jeu des assiettes sous ses yeux. Il finit cependant par esquisser un sourire comme le sens des paroles d'Eärundra atteignait son esprit et déclara avec entrain :

- Il va mieux apparemment. Peut-être n'est-il pas encore totalement remis mais j'imagine que c'est encourageant et que le temps fera le reste ! Et ils nous donnent rendez-vous à la frontière ce qui nous économisera un peu de trajet. Je suis impatient de me mettre en route !

" De toute façon, avec les aigles, il ne nous faudrait qu'une heure pour gagner la ville depuis la frontière," répliqua la druidesse.
Lui jetant un coup d'oeil, elle grimaça brièvement.
" Bon, j'oubliais que ce cher commandant ne veut pas qu'on voie des civils sur ses aigles. Oublie... Enfin, moi je peux y aller, mon aigle n'est plus à lui, ajouta-t-elle innocemment. Bon, allez, ne fais pas cette tête..."
Elle lui sourit.
" Je suis soulagée pour ton père en tout cas. Tu as réussi..."

Le demi-elfe lui rendit un sourire sincère avant de répondre :

- Non : nous avons réussi ! Tu veillais sur mes arrières et nous sommes une équipe, n'oublie pas ! Enfin, je ne le dirai pas devant Ta'sslan, promis !

Il marqua une pause avant d'ajouter un peu plus sombrement :

- C'est mieux que nous n'approchions pas de la ville avec Rubis : peut-être nous faudra-t-il prétendre que je l'ai perdu ce que corroborera mon absence plus prolongée.

Eärundra acquiesça.
" On verra ce que souhaitera Rubis à son retour. C'est à lui de décider s'il veut disparaître ou rentrer... Bien sûr, la pénalité financière ne sera pas la même. Mais l'essentiel est d'avoir réussi, quelqu'en soit le prix en monnaie. Les vies valent bien plus que l'or."
Elle s'étira, termina sa vaisselle.
" Mais je crois qu'on ferait mieux de dormir. Et de réfléchir à ce qu'on va bien pouvoir faire durant les deux jours à venir pour s'occuper... si des monstres ne viennent pas nous fournir une occupation toute trouvée !"

La question de Rubis ne pourrait en effet pas être résolue tant qu'il n'aurait lui-même choisi son destin même si le rôdeur ne doutait pas vraiment de ce qu'il préfèrerait entre une vie bien nourrie dans une cage et la possibilité de voler et de chasser librement, peut-être avec Opale. Il faudrait aussi en discuter avec sa famille pour s'organiser : les ressources de la maison de son père n'étant pas illimités, il faudrait peut-être trouver un autre arrangement. Là encore, il aurait largement le temps de retourner la question le lendemain et les jours suivants. Pour l'heure, il importait davantage qu'Eärundra puisse se reposer.

- Je préfère autant m'ennuyer un peu que de me battre encore contres ses monstruosités mais on verra bien de quoi demain sera fait. Il commencera par une bonne grasse matinée si nous avons de la chance !

Ils s'installèrent pour la nuit, aussi confortablement que possible, et ne tardèrent pas à trouver le sommeil. le silence oppressant du désert était presque devenu habituel.
La lumière du jour réveilla Kasumi un peu plus tard que d'habitude. Eärundra était en train de préparer le petit déjeuner, comme à l'ordinaire. Une bonne odeur de thé flottait dans l'atmosphère, et, au-dehors, Rubis étirait ses ailes. La matinée s'annonçait tout à fait ordinaire, en somme...

Kasumi consacra quelques instants de plus que nécessaire à émerger de sa semi-conscience, sachant d'avance que rien ne pressait et que la journée avait tous les risques d'être longue et ennuyeuse. Le demi-elfe prit encore le temps de s'étirer avant de se lever et de rejoindre Eärundra près des braises qu'elle entretenait. Après l'avoir salué et observé ses préparatifs d'un œil critique mais intéressé, il se décida à lancer une conversation : cela aurait peut-être le mérite de meubler agréablement une partie de la journée :

- Dis-moi Eärundra : tu sais que j'ai pas mal voyagé et j'ai cru comprendre que c'était aussi ton cas. Alors, raconte-moi tout puisqu'on a le temps : es-tu née près d'Everaska, déjà ?

La druidesse eut un rire malicieux.
" Tout te raconter , Comme tu y vas ! Tu ne voudrais tout de même pas que je te dévoile ma vie intime !"
Elle lui fit un clin d'oeil taquin, puis repris, un peu plus sérieusement.
" Mais pour en revenir à ta question... oui, je suis née près d'Everaska, dans les montagnes où je vis actuellement. Ma mère était druide, c'est elle qui m'a tout appris. Les elfes de bonne famille la considéraient un peu comme une sorte de sorcière, certains comme une sage, d'autres comme une originale, une sauvageonne. Elle était plutôt solitaire en fait. C'est une elfe de soleil, comme tu l'as sans doute deviné. Mon père était demi-elfe, mais je ne l'ai quasiment pas connu. Je crois qu'il avait une mère elfe des bois et un père humain. Il était rôdeur, comme l'avait été sa mère si j'ai bien compris. Comme toi... tu tiens aussi ton métier de ta mère... et de ta grand-mère, si je ne m'abuse ?"

Kasumi n'avait pas déçu la druidesse en rosissant légèrement et en regardant son petit déjeuner après ses premiers mots taquins. Mais il avait écouté avec attention les révélations d'Eärundra, honoré qu'elle lui fasse assez confiance pour les partager avec lui. Quant elle en vint à lui retourner la question, le rôdeur répondit d'un ton enjoué :

- Je m'étais douté que tu avais des ancêtres du soleil : une telle blondeur est plutôt rare à Everaska pour sûr ! Et pour mes origines de rôdeur, il semble en effet que je tiens de toute une lignée même si je ne savais pas pour ma grand-mère. Papa évitait le sujet, sans doute parce qu'il était un peu déçu que je ne suive pas la voie qu'il s'était choisie. Quelque part, Tilmandil a été bien plus fidèle à cette vocation même s'il ne la pas élevé. La vie est parfois ironique, je trouve !

" Il faut dire, à la décharge de ton père, que ta grand-mère ne vivait pas souvent à Everaska. Elle est partie peu après ta naissance pour revenir il n'y a que quelques années. Et je crois qu'ils étaient plus ou moins brouillés, à cette période... en froid, pour le moins. Ca explique pourquoi il ne te parlait pas d'elle. Mais d'après ce que me disait ma mère, ta grand-mère était quelqu'un qui aimait vivre libre et suivre ses envies du moment. Elles s'entendaient bien, d'ailleurs... C'est même à se demander si la naissance de ton père n'était pas juste un accident de parcours dans sa vie bien remplie. Quoiqu'il y a eu ta tante, aussi... Elle n'a pas toujours été là pour eux, mais elle a fini par revenir sur ses vieux jours. Je pense que c'est définitif cette fois-ci... Et tant mieux pour toi qui peut enfin la connaître."
Elle sourit.
" Hum, excuse-moi, je ne parle que de ta grand-mère alors que tu la connais à peine... Mais c'est la seule personne que je connaisse bien de ta famille ! Mais toi... tu peux me parler de ton père si tu veux. Je ne le connais que de nom, quasiment..."

Kasumi réfléchit un bon moment avant de se lancer : parler ainsi de sa famille avec une personne qui en connaissait des aspects qu’il ignorait totalement était une situation des plus étranges et déstabilisantes. Mais il fallait reconnaître que la plupart des éléments qu’il avait appris récemment avait largement bouleversé la vision qu’il se faisait de son ascendance et de ses aïeux.

Il ne chercha pas à se dérober pour autant, trouvant même une certaine sérénité à évoquer ces sujets avec Eärundra :

- Je dois dire que je le connais très peu moi aussi. Et tout ce que j’ai appris depuis mon retour me prouve que j’en connaissais encore moins que je ne pensais. Elryndel a été assez présent dans mon enfance aussi loin que je m’en souvienne. Puis, quand j’ai eu l’âge de l’accompagner en voyage, nous ne nous voyions plus que quelques mois par an quand il m’emmenait à Everaska ou lors de ses rares séjours au campement. Il a tenté de m’apprendre beaucoup de choses sur son peuple et son métier mais je ne manifestais qu’un goût limité pour cette culture qui me semblait étrangère, distante et complexe. J’avais déjà choisi ma voie malgré ses efforts et je crois qu’il s’en est vite aperçu. Finalement, les voyages et les visites se sont de plus en plus espacés dans mon adolescence alors que j’étais formé parmi les rôdeurs. Vers la fin, avant la mort de ma mère, nous ne nous parlions déjà presque plus. Puis, quand j’ai rompu tous les ponts, je n’ai pas cherché à renouer le contact. Je crois que je m’en voulais quelque part mais je suivais moi aussi ma propre destinée. Il semble que c’est une sorte de tradition familiale…

On sentait que ce constat lui était douloureux et qu’il le regrettait en quelque sorte.

Eärundra lui adressa un sourire compatissant.
" C'est peut-être normal, tu ne crois pas ? De quitter sa famille pour vivre sa vie ? Ça me semble plutôt sain... et ensuite, quelques années après, on a du plaisir à se retrouver..."
Elle avala son bol de thé, songeuse.
" Ce qui compte, c'est de ne pas se brouiller définitivement... ou de savoir se réconcilier ensuite. Tu regrettes d'avoir mis de la distance quelques années avec ta famille, mais quelques années, ça n'est rien pour des elfes. Ils s'en sont peut-être à peine rendu compte. Je sais que ma mère trouvait que je restais trop dans ses jupons. Il faut dire que je partais rarement plus de trois ou quatre ans d'affilée. Mais j'aimais ce qu'elle avait à m'apprendre... Et je suis quand même partie presque dix ans, une fois, avec ta grand-mère. Ce fut ma plus longue absence..."

Kasumi esquissa un sourire tout en grignotant son petit-déjeuner et finit par répondre d'un ton doux-amer :

- La vie des demi-elfes est bien plus courte : je ne regrette pas vraiment d'être parti. Je regrette d'avoir beaucoup oublié, d'avoir cherché à renié mes racines en quelque sorte...

Il marqua une pause avant de reprendre d'un ton plus résolu :

- Mais maintenant j'ai une occasion de réparer une partie des dégâts que j'ai causés. Une chance de me retrouver et de continuer à me construire sur de meilleures bases. Mais seul l'avenir dira si je saurai la saisir ou si j'ai l'âme trop aventureuse et trop solitaire pour cela.

" Quel que soit ton choix, il sera bon si tu suis tes inclinaisons propres. On n'est pas tous faits pour vivre en famille, constamment les uns sur les autres. Il faut bien que certains partent vivre au loin pour que les populations se mélangent, se découvrent, s'apprécient, pour que les sangs se mélangent et s'enrichissent. Si tu sens que ta vie est au loin, suis ton coeur. Ta famille restera tienne quoiqu'il arrive, et ce sera toujours un point d'attache fiable lorsque tu voudras venir te ressourcer à tes racines. Une vie aventureuse et solitaire n'est nullement incompatible avec un bon ancrage familial. Au contraire, un proverbe druide dit qu'il faut avoir de bonnes racines pour pouvoir ouvrir ses ailes... Je crois que ça te correspond bien !"
Elle coupait machinalement de petits morceaux de fromage et de jambon, qu'elle avalait aussitôt.
" Et ton avenir... c'est à toi de le construire. Et à toi, peut-être, de donner des racines à des enfants qui naîtront..."

Le sourire de Kasumi s'élargit au fil des paroles de la druidesse et son regard se perdit un instant dans le petit feu mourant avant qu'il ne reprenne la parole :

- Tu as sans doute raison : l'important est de ne pas se trahir. Mais je crois que j'ai assez donné dans la solitude et même si je repars en Helonna, je crois que j'aurai besoin de revenir ici régulièrement. Surtout si je laisse de tels amis derrière moi. Quant aux enfants... Il me semble qu'il faut être deux pour en avoir ! Alors on verra bien ce qu'en pensera Sylvia... Quand il sera temps. Enfin, si elle accepte déjà de me suivre !

La Couronne de Cuivre

[Désert d'Anauroch] Quête : Racines