La Couronne de Cuivre

Kasumi répondit non sans une bonne dose d’autodérision :

- Va pour le tir à l’arc alors : comme ça, si je vous apprends des bêtises et que vous veniez à me blesser, le cours de premiers soins s’imposera ensuite d’autant mieux !

Il reprit néanmoins rapidement son sérieux, bien décidé à lui montrer des astuces qui pourraient lui servir aussitôt. Et les lui faire répéter pour qu’elles deviennent petit à petit un automatisme. Sa première leçon fut de lui faire travailler la position de son corps et les automatismes entre ses deux mains, la gauche devant saisir une flèche dans son carquois pendant que la droite positionnait l’arc dans la bonne direction. Ce fut un peu fastidieux mais Mylène gagnerait en rapidité et aussi en concentration : accomplir des gestes machinalement lui éviterait de gamberger au moment où il faudrait faire face à un danger.

Même si l'exercice était fastidieux et répétitif, Mylène s'y prêta de bonne grâce, faisant taire son impatience habituelle. Elle était consciente, sans doute, de la chance qu'elle avait de pouvoir bénéficier d'une formation inattendue et tenait à faire bonne impression. Elle se révéla une élève attentive -autant qu'elle le pouvait-, à peu près obéissante, et plutôt douée. Habile et agile, elle comprit très vite les quelques mouvements que Kasumi lui enseignait et finit par être capable d'encocher rapidement et efficacement ses flèches. Le tir, en revanche, n'était pas très précis: elle visait systématiquement un peu trop à droite, et devait apprendre à en tenir compte et à contre-viser.

Kasumi n’hésita pas à la féliciter la jeune femme quand elle réalisait correctement les séries d’exercices qu’il lui proposait et lui dispenser quelques conseils – parfois agrémentés de démonstrations – quand ce n’était pas le cas.
Au bout de deux heures, il choisit tout de même de lui proposer une activité moins fastidieuse : il s’agissait cette fois d’atteindre une cible de taille relativement modeste mais à une distance raisonnable :

- Vous oublierez probablement la plupart de mes conseils dans le feu de l’action. Au moins au début. Alors rien ne vaut la pratique régulière. Nous allons nous entraîner aujourd’hui et je pourrai vous dispenser quelques consignes mais je souhaite que vous recommenciez cet exercice chaque jour. Pas plus d’une fois par jour et en ne tirant que trois flèches, quel que soit le résultat.

Outre l’objectif de répétition, il s’agissait de lui apprendre à économiser ses traits mais aussi et surtout de réfléchir à la manière d’aborder ses tirs, d’accorder de l’importance au moindre tir.

Mylène tira ses trois flèches coup sur coup, désireuse d'appliquer les techniques d'encochage rapide travaillées juste auparavant. Deux flèches sur les trois -la première et la dernière- atteignirent la cible, mais pas au centre : elles étaient toutes deux sur le côté droit, à l'extrémité, légèrement plus haut que le centre visé.
" Pfff...je suis nulle..."
Certes, les flèches étaient loin du centre, mais le fait qu'elles soient groupées était plutôt bon signe.

Kasumi secoua négativement la tête et esquissa un sourire avant de venir se placer à côté de son élève :

- J’ai l’impression d’entendre Sylvia pendant nos premières leçons mais ne lui répétez surtout pas ça ! Si vous touchiez à tous les coups, surtout à cette vitesse, je n’aurais plus grand-chose à vous apprendre. Bon, essayez un peu plus lentement et visez un peu à gauche et vers le bas par rapport au centre.

Il lui tendit trois nouvelles flèches et arbora une mine encourageante et confiante à la fois. Il avait aussi l’intention de bien vérifier la position de son bassin, de ses pieds et de ses épaules pour détecter d’où venait ce déséquilibre.

" Promis, j'lui dirai rien", répondit-elle avec une certaine fierté dans la voix : être comparée à Sylvia ne pouvait être qu'un compliment.
En visant un peu plus à gauche, et en enchaînant les tirs plus lentement, Mylène plaça cette fois-ci ses flèches à deux ou trois pouces du centre. Ce n'était pas parfait, certes, mais c'était un tir honorable. Sa position n'était pas parfaite non plus. Elle tenait l'arc un peu trop bas, ses épaules étaient trop crispées et son bras gauche un peu raide. Mais sa souplesse naturelle corrigeait ces petites imperfections, son bassin et l'ensemble de son corps étaient stables, et même si ses pieds n'étaient pas suffisamment ancrés au sol, il n'y avait pas de déséquilibre flagrant. Elle se débrouillait mieux que certains rôdeurs débutants que Kasumi avait vu : elle s'était certainement entraînée durant son adolescence et avait appris, seule, à éviter les principales erreurs.

Le demi-elfe corrigea très légèrement la position de sa main sur la poignée de l’arc et celle de ses épaules et lui indiqua qu’elle n’avait pas grand-chose d’autre à changer : mieux valait ne pas trop perturber les habitudes personnelles qu’elle avait prises. Il lui demanda de réaliser encore plusieurs tirs pour bien confirmer que cela améliorait ses tentatives mais il n’avait pas l’intention de poursuivre l’exercice beaucoup plus longtemps : cette discipline était un travail de précisions et il valait bien mieux privilégier les progrès lents mais durables afin qu’ils soient bien intégrés et utiles en situation de stress.

Sylvia, du reste, n'était pas du genre à rester longtemps sur une même activité. Elle lança bientôt un "Et maintenant on fait quoi?" qui traduisait une certaine impatience. Pour autant, la leçon n'avait pas été vaine : elle s'appliquait à suivre les conseils reçus et ses derniers tirs atteignaient une précision honorable, même si ses épaules étaient encore trop tendues.
Elle reprit son verbiage dès que Kasumi lui indiqua qu'elle pouvait poser son arc.
" Les premiers soins je connais un peu... Enfin, je sais ce qu'il faut faire pour arrêter une hémorragie, faut comprimer la blessure, et je sais faire un pansement... mais je ne sais pas trop différencier une entorse d'une fracture par exemple... Ni... Je sais pas... Y'a d'autres choses à savoir ?"

Le rôdeur était assez fier d’être parvenu à ce résultat et surtout d’avoir suscité tant d’enthousiasme chez sa toute nouvelle apprentie. Puisque Mylène songeait aux premiers soins, il se décida à lui montrer comment improviser et poser une attèle à partir d’un bout de bois et aussi une recette de cataplasme convenant en cas de brûle ou d’insolation sévère et dont elle pouvait aisément réunir les ingrédients.

Mylène comprit très vite le bricolage de l'attelle, mais elle manquait singulièrement de douceur et aggraverait certainement la situation de son "patient" si elle s'avisait d'en poser une, tant ses gestes étaient brusques. Elle manquait de force, heureusement en un sens sans quoi elle aurait certainement causé une entorse à Kasumi qui servait de cobaye.
La cataplasme l'intéressa au plus haut point, pour les coups de soleil, et elle s'appliqua à mémoriser les noms et surtout l'aspect des quelques ingrédients qu'elle ne connaissait pas encore. Il fallait de l'argile, bien sûr, comme base, mais également certaines herbes qui ne poussaient pas forcément en toute saison, de la poudre d'écorce, et un peu d'huile.
Mais la journée avançait, et l'heure de déjeuner était passée déjà depuis un bon moment lorsqu'elle se rendit compte qu'elle avait faim et stoppa net la séance.

Kasumi avait dispensé bon nombre de conseils y compris les signes les plus visibles de la présence d’une fracture et les précautions à prendre en posant une attelle pour surtout éviter de couper la circulation sanguine du patient. Mylène aurait grand besoin de pratique mais il n’espérait pas qu’elle retienne en une journée seulement ce qui demanderait des semaines voire des mois d’entraînement et d’expérience.

De toute façon, il était grand temps de songer à manger aussi allèrent-ils se laver les mains à la source avant de se mettre tous les deux à la préparation d’un en-cas composé d’une salade de légumes et d’un peu de charcuterie et de fromage.

Mylène avait bon appétit, probablement aiguisé par la vie au grand air, et avala rapidement son petit en-cas.
" J'avais une de ces faims ! D'ailleurs, à propos de viande, il faut que je m'occupe d'emballer un peu de gibier pour ramener à ma mère... enfin, si vous êtes d'accord. Je vous promet qu'on partagera les pâtés avec vous ! Mais vous aviez peut-être prévu autre chose pour le peu de temps qu'il me reste, un entrainement quelconque ?

L’appétit de Mylène faisait plaisir à voir tout comme son enthousiasme et son énergie débordante. Le demi-elfe avait pris un peu plus de temps pour avaler sa part mais il lui répondit tout de même immédiatement quand elle l’interrogea :

- Je vais vous aider à préparer les paquets et j’ai hâte de goûter à vos pâtés ! D’ici là, souvenez-vous : vous me devez trois tirs par jour et nous verrons où vous en êtes la prochaine fois que vous aurez un bon de sortie.

Il avait aussi l’intention de lui laisser un mot à l’intention de Sylvia, pour lui dire qu’il comptait rester jusqu’au solstice et rentrer le lendemain si rien ne venait contrarier ses plans d’ici là.

" Trois tirs par jour... c'est noté ! Promis, je vais me fabriquer une espèce de cible et m'entraîner ! Histoire de pouvoir abattre seule le gibier la prochaine fois... Mais peut-être qu'il faut un meilleur arc pour y arriver ? Marco disait toujours que celui-ci était bien pour du petit gibier mais ne suffirait pas pour un sanglier..."
L'arc de Sylvia était en effet nettement moins puissant que celui de Kasumi. Elle conclut en haussant les épaules.
" Mais de toute façon, je dois m'en contenter, je n'aurai pas les moyens pour m'en acheter un autre."

Kasumi esquissa un sourire rassurant et attendri : décidément, Mylène était du genre à sauter les étapes et à s’emballer mais ce n’était pas forcément une mauvaise chose. Tant qu’il y avait quelqu’un pour l’encadrer en tous cas.

- Cet arc vous permettra de travailler la précision et le placement. Vous aurez aussi le temps de gagner un peu en force en pratiquant régulièrement. N’hésitez pas à vendre une partie des pâtés que vous tirerez de nos prises en attendant d’être prête à utiliser un arc supérieur. De toute façon, il ne faut pas l’envisager avant l’année prochaine. Sylvia ou moi nous vous aiderons alors à choisir une arme qui vous convienne.

" Les vendre ? Mes pâtés ? Mais ici, on se les donne gratuitement ! Enfin, ça fait partie des échanges de service naturels... On voit que vous avez vécu en ville !", conclut Mylène en riant.
Elle secoua la tête en levant les yeux au ciel et ajouta, plus sérieusement, avec un peu de regret dans la voix :
" C'est dommage que vous ne soyez pas des nôtres ce soir. Pour le solstice, il y a des traditions que vous ne connaissez sûrement pas ! Ça vous aurait aidé à faire connaissance avec tout le monde. Et je suppose que Sylvia ne pourra pas non plus y assister : danser autour d'un feu, ça doit pas être recommandé dans son état..."

Kasumi répondit avec une pointe de regret dans la voix : oui, il aurait aimé pouvoir se joindre aux festivités et surtout y accompagner Sylvia mais il avait un devoir envers le bosquet :

- Il y aura d’autres fêtes auxquelles nous pourrons assister et j’ai le sentiment que mon devoir est de rester ici ce soir. Auprès du jeune chêne. Hortense m’a fait comprendre que ce serait un moment spécial. Un moment où il atteindrait sa pleine maturité. Et je crains que les mort-vivants tentent une dernière attaque pour l’en empêcher. Peut-être que je me trompe mais je ne peux pas prendre ce risque.

" Je comprends, acquiesça la jeune fille. Ce n'est pas si grave : on se rattrapera à l'équinoxe !..."
Avec un sourire, elle se redressa.
" Bon, mais voyons ces cuissots de vieux chevreuil. Je dois avoir un vieux sac de cuir pour envelopper les morceaux... Et après, promis, je ferai la vaisselle."

Kasumi l'aida à empaqueter la viande et s'attela ensuite à ranger le campement pendant que Mylène tenait sa promesse. Il lui remit enfin la lettre destinée à Sylvia en espérant pouvoir revenir au village dès le lendemain. Son regard se perdit un instant dans le vide alors qu'il songeait à l'équinoxe et à toutes les promesses que l'automne lui réserverait cette année. Entre son enfant, son installation et son mariage... Cela donnait presque le tournis.

Mylène ne s'attarda guère. Bien qu'elle se défendit d'être réellement attirée par la perspective d'une soirée de fête et de danses avec les jeunes de son âge, elle semblait pressée de rentrer. Après tout, même si, de son propre aveu, elle se sentait peu de points communs avec la plupart des jeunes gens, chanter et danser avec les autres n'était pas une occupation désagréable. Et il lui fallait rentrer tôt pour pouvoir auparavant ranger soigneusement la viande dans la cave, en prévision d'un salage dès le lendemain matin... une fois que les brumes alcoolisées de la soirée seraient dissipées. Car l'alcool coulerait à flots ce soir-là. C'est du moins ce que Kasumi comprit du discours un peu décousu de la jeune fille, qui divaguait entre des remarques dédaigneuses sur les gamines de quinze ans qui sauteraient pour la première fois par-dessus le feu ce soir là pour marquer leur changement de statut, d'autres tout aussi critiques sur les vieux qui les surveillaient de trop près tout en buvant plus que de raison, et des explications confuses sur le menu du repas qui semblait lui aussi très codifié. Bref, tout un monde qu'il découvrirait l'an prochain, et que les discours de Mylène ne faisaient qu'ébaucher de façon très imprécise. D'ailleurs, elle parlait davantage pour elle-même que pour lui...
Elle se mit en route un peu avant le milieu de l'après-midi, laissant le rôdeur seul dans sa petite clairière enchantée.

Quand il se retrouva seul, le rôdeur ne put s'empêcher de penser à nouveau à Sylvia, se demandant si elle participerait elle aussi à la fête. Il espérait qu'elle puisse y faire un tour tout en regrettant de ne pas pouvoir l'accompagner dans cette fête et cette nouvelle occasion manquée d'intégrer sa nouvelle communauté. Nul doute que sa lettre ne suffise pas à apaiser sa déception de le voir rester loin d'elle en cette soirée spéciale. Une soirée qui le serait peut-être également pour lui. Et en prévision de mauvaises surprises, il entreprit aussitôt de replacer ses quelques pièges et avait l'intention de dormir une bonne partie de l'après-midi pour être capable de veiller à nouveau l'essentiel de la nuit.

Tout était parfaitement calme lorsqu'il s'endormit après avoir posé quelques pièges, et rien n'avait bougé lorsqu'il émergea de sa petite sieste. Il avait dormi plus de deux heures. Le soleil se couchait à l'horizon, donc un ciel parfaitement dégagé. La lune, à son dernier quartier, n'était pas encore levée, et les étoiles étaient encore invisibles.
Une petite brise le fit frissonner : la nuit s'annonçait fraîche pour la saison. Il n'y avait pour l'instant aucune trace de la brume qui envahissait si souvent les sous-bois. Le jeune chêne balançait doucement ses branches sous la brase, paisible. Il avait encore grandi au cours des derniers jours et mesurait une bonne toise. Comme un chêne de trois ou quatre ans d'âge. Kasumi savait qu'il serait vingt fois plus grand lorsqu'il aurait atteint sa pleine maturité, ce qui, pour un chêne ordinaire, prenait plusieurs décennies.

Le chêne était vivace et il ne craignait maintenant plus la plupart des dangers naturels qui auraient pu le menacer mais il semblait à Kasumi encore bien jeune et bien exposé aux regards hostiles. Sa croissance extraordinaire était une réussite formidable mais le rôdeur persistait à se demander s'il avait fait tout ce qu'il fallait. S'il était vraiment parvenu à ressusciter le bosquet d'autrefois.

Sans la présence d'une dryade pour le lui confirmer, il aurait bien du mal à s'en convaincre mais il avait l'intention de prier sa déesse en ce jour si spécial. Pour qu'elle continue de bénir cet endroit et lui rendre sa grandeur d'antan. Il s'agenouilla donc sous le si jeune arbre et rechercha la sérénité qu'il trouvait si facilement en ces terres sacrées.

Il lui fallut quelques instants à peine pour retrouver cet état de grâce où il sentait la présence de sa déesse toute proche, et il pria avec ferveur, comme chaque jour depuis qu'il veillait sur le bosquet. Il se savait écouté, entendu, exaucé peut-être. Prier, ici, semblait tellement simple, naturel, évident, qu'il aurait presque pu passer ses journées à adorer sa déesse. Mais il savait que sa mission était avant tout de veiller sur le jeune chêne, et qu'il lui fallait pour cela être pleinement vigilant.
La nuit tombait lorsqu'il émergea de sa transe. Les premières étoiles s'allumaient au sud et à l'est, les plus lumineuses de toutes. Un coup de brise un peu plus fort, froid et humide, le fit frissonner, et il constata que les premiers bancs de brume apparaissaient, un peu plus loin, là où la forêt calcinée était désertée par la vie.

Kasumi se sentait galvanisé par sa longue prière et la nécessité de défendre coûte que coûte tout ce en quoi il avait tant investi de sa personne et de ses espoirs. L'arrivée de la brume annonçait la présence prochaine de créatures mort-vivantes et le demi-elfe entreprit aussitôt de vérifier son matériel - ses épées comme son arc et les quelques flèches spéciales confiées par Thanaën : il pressentait qu'il n'aurait pas de trop de toutes ses ressources ce soir et regrettait de ne pouvoir compter sur l'aide ni de Sylvia, ni de Première Neige Thanaën, ni du sylvanien ou même de Mylène rentrée participer aux festivités à Peyregorde. Toute reposait donc sur ses épaules mais au moins n'avait-il à s'inquiéter que de sa propre sécurité pour une fois.

L'obscurité s'installa peu à peu, insensiblement. Dans cette forêt, elle semblait plus épaisse qu'ailleurs, comme si elle était une chose vivante et malfaisante cherchant à étouffer toute lumière, toute vie peut-être. Près du chêne et de la source, cependant, cette sensation déplaisante était atténuée, preuve de la magie diffuse qui imprégnait les lieux. Mais autour de la clairière, Kasumi devinait que la brume s'épaississait, étouffant les bruits. Il en ressentait le froid et l'humidité, même protégé comme il l'était.
Deux heures après que l'obscurité se fut pleinement installée, il devina, plus qu'il n'entendit, le tintement des petites clochettes qu'il avait installées aux alentours. Le bruit provenait, approximativement, de ce qu'il savait être la direction de la lumière. Puis, juste après, il y eu une autre alarme, plus au sud. Pour le moment, il ne distinguait rien : les créatures qui avaient déclenché l'alerte étaient dissimulées par la brume, qui lui semblait encore plus épaisse que d'ordinaire.

Ces alertes réveillèrent la vigilance du rôdeur mais il jugeait trop risqué d'aller au devant du danger : certes, il aurait eu une petite chance d'éliminer une partie de la menace pour ne pas avoir à affronter tous ses ennemis en même temps mais s'aventurer dans ce brouillard ne serait pas à son avantage et il pouvait fort bien s'y perdre et laisser l'opportunité à l'autre groupe d'atteindre la source ou le chêne avant de pouvoir réagir. Il se contenta donc de rester adossé à l'arbre - au pied duquel il avait une bonne vision d'ensemble de la clairière et de la source toute proche - et d'encocher une flèche pour accueillir comme il se devait le premier monstre qui s'aventurait hors de l'écran de brume.

Il entendit un peu après une autre alarme, presque derrière lui. Il ne pouvait hélas pas surveiller toutes les directions à la fois... Puis il devina des grognements, des piétinements. Il comprit que ses adversaires étaient plusieurs. Nombreux, même. Il finit par deviner des mouvements dans la brume, derrière le couvert de la haie de buis à demi calcinée. Des relents nauséabonds parvenaient jusqu'à lui. Un projectile venu de l'arrière passa tout près de lui, une sorte de petite fléchette. Au même moment, un petit groupe de goules ou de blêmes apparut sur sa droite. Et il y en avait d'autres, devant lui.

Kasumi sursauta en voyant un projectile manquer de peu de le toucher : il ne s'était pas attendu à ce que ses ennemis puissent l'attaquer à distance et cela changeait grandement la donne en sa défaveur. Non content d'être bien plus nombreux, ses ennemis semblaient disposer de ce qui était son seul avantage jusque-là. Il n'eut d'autre choix que de se cacher de son mieux derrière le tronc trop peu épais du chêne et attaqua les seuls ennemis visibles depuis sa position : il visa l'un des blêmes, espérant se débarrasser d'un ennemi dangereux sans prendre davantage de risque.

Il n'eut aucune peine à se débarrasser d'un blême, puis d'un autre : un seul tir suffit pour le premier, deux furent nécessaire pour le second. Entre-temps, le gros de la troupe s'était rapprochée de lui, sur sa droite et devant lui, et il ne lui restait plus le temps de tirer qu'une seule flèche avant qu'ils arrivent au contact. Il y avait encore un blême dans chacun des deux groupes, et une petite dizaine de goules au total. Sans compter l'ennemi invisible derrière lui qui tira -de façon heureusement assez imprécise- une autre fléchette au moment où lui-même lâchait sa troisième flèche. Son esprit enregistra machinalement le tintement d'une autre clochette au loin sur la gauche, mais il avait plus urgent à faire qu'à écouter ce genre de "détail".

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Aubépine