La Couronne de Cuivre

Le sylvanien émit un son étrange, à la fois rauque et léger, qui devait être un rire.
- J'ai rarement de la visite en effet. Je n'ai jamais vu autant de monde en aussi peu de temps. Alors pourquoi me priverais-je de ce plaisir ?
Il se releva et repris sa posture initiale. Une fois debout, immobile, il ressemblait à s'y méprendre à un n'importe quel chêne. Peut-être un peu plus feuillu, avec une couleur de feuilles un peu trop uniforme pour cette journée d'automne.
- Mais lorsque tu reviendras, je pense les questions que j'aurai à te poser ne concernent que toi.

Kasumi répondit avec sincérité tout en ressentant une pointe de mélancolie à l'idée de quitter ce lieu enchanteur.

- Je ne manquerai pas d'y répondre avec toute la sincérité dont je pourrai me montrer capable. Et j'attends avec impatience le moment de notre prochain entretien. Que la Dame vous garde en sa bienveillance d'ici là, vénérable Celd. Et pardonnez-moi d'avance si je vous envoie un bavard invétéré qui aura mille questions à vous poser pour compenser mon mutisme.

Il adressa un sourire léger au sylvanien avant de porter ses pas vers le sentier. L'évocation de la curiosité de Tilmandil et la perspective de retrouver Sylvia rendirent le chemin de retour moins difficile qu'il ne l'avait craint.

Lorsqu'il rejoignit le campement, il constata que le temps avait filé plus vite que prévu. Ses compagnons avaient terminé leur petit déjeuner, même s'ils avaient pis soin de lui en laisser une portion consistante. Et ils lorgnaient tous dans la direction par où il était parti avec plus ou moins de discrétion.
- Alors ? questionna Tilmandil.
- Tu as trouvé quelque chose ? ajouta Sylvia. Eärundra n'a rien voulu nous dire...
La druidesse, quant à elle, gardait une expression parfaitement neutre.

Kasumi adressa un sourire tranquille à ses compagnons et s'installa après avoir déposé un baiser sur le front de Sylvia, faisant mine de vouloir prendre tout son temps pour répondre aux manifestations de curiosité de la rôdeuse et surtout du barde. Il commença même à gouter son thé avant d'adresser une grimace au barde :

- Oh, j'ai trouvé des choses oui. Des questions, des réponses. Ce genre de choses. Et aussi une présence amicale et curieuse de nouvelles rencontres. Une présence qui ne laisse pas "de bois", si vous m'en permettez l'expression !

Avisant la mine soudain inquiète de Sylvia, il s'empressa d'ajouter d'un ton tranquille :

- Je vous encourage à y aller, tous les deux. Il a hâte de faire votre connaissance. Ensuite nous nous mettrons en route.

Sa discussion avec le sylvanien lui avait fait oublié sa petite chamaillerie du matin avec son frère, aussi fut-il passablement surpris par le goût de son thé : corsé, très corsé, comme promis. Sans sucre. Et... salé....
Mais Tilmandil n'attendit pas sa réaction. Déjà, il s'était levé et s'avançait dans la direction d'où était venu Kasumi. Sylvia se levait à son tour.
- Je pense qu'il vaut mieux que vous y alliez chacun à votre tour, intervint doucement la druidesse.
- Oh, bafouilla la rôdeuse en rougissant. Bon, je... très bien.
Et elle revint s'asseoir aux côtés de son compagnon, un peu gênée. Et parut enfin s'apercevoir qu'il faisait une drôle de tête en sirotant son thé...

Le rôdeur avalait une gorgée du breuvage quand il prit conscience de son goût absolument immonde. Sa gorge se révulsa et le choc fut tellement rude qu'il en laissa échapper sa choppe, en répandant une partie non négligeable et atrocement brûlante sur ses cuisses ce qui lui arracha une nouvelle grimace, de douleur cette fois. Ses chausses avaient absorbé une partie du liquide lui évitant l'essentiel de la brûlure, ce qui lui permit d'adresser un regard mauvais dans le dos de Tilmandil et des paroles ironiques :

- Fameux ton thé ! Je n'en ai jamais gouté de meilleur.

Tilmandil l'ignora ostensiblement, tandis que Sylvia l'observait d'un air inquiet... et qu'Eärundra pouffait de rire. A se demander si elle n'était pas au courant. Au moins avait-il la consolation que Sylvia ne le soit pas.
Du reste, la rôdeuse se fit un devoir d'aller lui chercher des chausses de rechange, insista pour le badigeonner de baume pour les brûlures, et lui offrit même de refaire du thé. La druidesse s'était éloignée, apparemment pour s'occuper de Léo - en réalité très certainement pour pouvoir rire de bon coeur sans être vue.

Le barde revint un long moment après. Ils avaient eu le temps de démonter les tentes et de ranger tout leur matériel, Eärundra s'occupant de la tente du barde. Bien évidemment, Sylvia s'éloigna aussitôt à son tour, après un léger baiser sur les lèvres de son compagnon. Tilmandil était étonnamment silencieux. il prit son sac des mains de la druidesse et entreprit d'y ranger les affaires restantes, sans un mot, ni même un regard en direction du rôdeur. Il semblait songeur. Et avait très certainement complètement oublié cette histoire de thé.

Kasumi n'avait pas plus envie d'évoquer cet épisode malencontreux qui ne les mettait pas en valeur, ni l'un ni l'autre. De toute façon, l'expression et le mutisme du barde l'amenèrent à d'autres considérations. Il attendit que Sylvia se soit éloignée pour s'approcher de son demi-frère et demander d'un ton soucieux :

- Cela s'est mal passé ? Tu veux en parler ?

Tilmandil lui adressa un regard un peu flou.
- Je... Non, je n'ai pas envie d'en parler... mais merci...
Il baissa les yeux vers le sac qu'il était en train de ranger, se concentrant apparemment sur sa tâche.
- Il sait bien trouver les questions qui déstabilisent, reprit-il d'un ton un peu plus assuré. Il est étrange... Mais bon, peut-être que tous les sylvaniens sont étranges...
Il réussit enfin à sourire.
- En tout cas, moi qui n'en avais jamais rencontré, me voilà comblé... Je pourrai en parler mieux à présent. Et quelle étrange voix il a. Tu sais qu'il sait même chanter ?

Kasumi s'était inquiété des premières paroles de son demi-frère, regrettant déjà d'avoir posé la question et même d'avoir suggéré à Tilmandil d'aller à la rencontre de Celd. Cependant, la suite de son discours le rasséréna un point sur ce point et il se surprit même à sourire franchement de sa dernière remarque :

- Sacré Tilmandil ! Tu vois que toi aussi tu parviens à faire chanter le bois ! A croire que c'est un trait de famille ! Mais je dois reconnaître que c'était aussi ma première rencontre d'un membre de son espèce. Et c'était tout aussi vrai pour les sirènes. Les génies et les serpents de lac géants ! Quelle aventure, n'est-ce pas ? En tous cas, Celd m'a laissé une forte impression à moi aussi et ses questions m'ont un peu déstabilisé.

Le barde parut soulagé d'entendre confirmer sa propre impression, et eut un sourire un peu gêné.
- Il m'a dit qu'il te reverrait sûrement lorsqu'on aurait retrouvé papa... Il semblait confiant. Et il m'a indiqué la direction à suivre, aussi. Il faut contourner la colline par l'est, d'abord en longeant le ruisseau qui part de la source, puis en suivant une sente. J'imagine que si papa est en civière, la sente va être facile à trouver, comme la piste précédentes. Mais il a déjà donné toutes les informations à Eärundra, paraît-il.
La druidesse confirma.
- Il suffira de toute façon de suivre leurs traces. Je pense qu'on sentira très vite la différence d'atmosphère quand on franchira la frontière entre les deux bosquets. Même vous, vous devriez vous en rendre compte, Tilmandil. Il nous faudra être sur nos gardes là-bas. L'endroit grouille de morts-vivants, mais aussi de créatures mauvaises et dangereuse, chacune ayant son territoire. Il ne sait pas lesquels nous traverseront...

Kasumi avait blêmi à l’évocation des créatures qu’ils allaient probablement avoir à affronter. Non pas par crainte d’avoir à s’y frotter mais parce que le groupe de son père n’était pas aussi armé que le sien pour y faire face. Il s’en voulut aussi de n’avoir pas pensé à s’enquérir de ces informations auprès de Celd quand il en avait eu l’occasion. Il ne pouvait donc que se féliciter que les deux elfes se soient montrés moins distraits et plus prévoyants que lui.

- J’ai une certaine habitude des mort-vivants et je les détecte plus facilement que d’autres créatures mais quel malheur que père ait été dirigé vers ce lieu de perdition. Surtout si nous ressentons aussi fortement la puissance de l’autre bosquet… Celd vous a-t-il révélé un moyen d’en contrer les effets délétères ? Pour ce qui est de le revoir, il m’a effectivement demandé de revenir après que nous ayons retrouvé Elryndel afin de me poser d’autres questions qui pourraient nous orienter sur la façon de contrer le mal dont il souffre. J’ignore comment il compte s’y prendre mais je lui fais confiance.

- Je pense qu'il a déjà une petite idée sur la question, issue des dires de votre père... Et qu'elle rejoint probablement ce que m'ont dit les druides de la communauté, en plus précise je l'espère. Mais s'il veut vous revoir, c'est sans doute qu'il compte sur vos paroles pour confirmer ou infirmer son intuition.
Eärundra sourit.
- Quoiqu'il en soit, le plus urgent est de retrouver votre père. Et si possible en pas trop mauvais état. Mais il ne m'a rien dit sur la façon de combattre les influences néfastes du bosquet maudit. Nous verrons bien une fois sur place.... Espérons que nous pourrons nous mettre en marche sans trop tarder, pour avancer le plus possible avant la nuit.
Comme pour répondre à son attente, Sylvia fit sa réapparition peu après.

Fort heureusement, toutes leurs affaires étaient prêtes mais Kasumi profita d'amener son sac à la rôdeuse pour s'enquérir de son état d'esprit. Il avait été enthousiaste après son propre entretien mais la réaction de Tilmandil l'avait un peu angoissé et inquiété sur ce que ressentirait Sylvia. Il lui adressa un sourire timide en tendant ses effets à la jeune femme avant de laisser libre cours à sa curiosité :

- Comment cela s'est-il passé, ma douce ? Si tu veux m'en parler, évidemment...

Il avait pris soin de laisser sa main en évidence, espérant que la rôdeuse s'en saisisse mais en lui laissant tout de même le choix.

Sylvia prit sa main comme si c'était tout naturel, entrelaçant ses doigts aux siens avec un bonheur visible.
- C'était instructif... On a parlé des choix difficiles, des priorités qu'on décidait ou non de se donner... mais aussi de l'équilibre du monde, du bien et du mal, bref, de choses complexes... Et je ne suis absolument jamais arrivée à connaître le fond de sa pensée, alors que lui sait tout des miennes ! Quel mystère, ce sylvanien...
Tilmandil et Eärundra avaient chargé leurs affaires sur leur dos, et semblaient pressés de partir.
- J'imagine qu'on garde la même organisation que d'habitude ?

Kasumi tenta de répondre d'un ton sérieux qui ne trompa guère son monde :

- Oui, Sylvia et moi prenons la tête : je dois l'entretenir de ce que vous m'avez appris sur la route qui nous attend !

Il adressa un sourire radieux à cette dernière sans chercher le moins du monde à dégager sa main, prenant visiblement un grand plaisir à ce contact même s'il excluait qu'ils gardent leurs arcs apprêtés. Quand ils eurent pris quelques mètres d'avance sur les elfes, le rôdeur se pencha vers sa compagne et déclara d'un ton taquin :

- A moi aussi il m'a paru difficile de le comprendre : on sent sa sagesse ancestrale. Et ses questions étaient plutôt inhabituelles. J'aurais vraiment bien aimé être là pour écouter les tiennes ! Mais peut-être devrais-je me déguiser en arbre et te les poser ! Ou alors on pourrait en profiter pour faire une farce à Tilmandil qui va voir des sylvaniens partout maintenant. Je fais ça très bien, tu te rappelles nos exercices de camouflage ?

- Justement, maintenant qu'il en a vu un, il ne se laissera plus prendre à mon avis...
Sylvia leva vers lui un oeil amusé.
- Et il est hors de question que je te révèle ce dont j'ai discuté avec Celd. C'est... personnel !
Elle non plus ne lâchait pas sa main. Pour l'heure, du reste, ils ne risquaient rien : ils étaient au coeur du bosquet sacré.

Ils rejoignirent le petit ruisseau, qu'ils longèrent, et trouvèrent enfin, au bout d'une petite heure quelques traces de leurs prédécesseurs. Eärundra leur expliqua que la magie du bosquet effaçait tout, peu de temps après le passage des visiteurs : c'était pour cela qu'ils n'avaient vu aucune empreinte, aucune trace, durant un bon moment. Et pas seulement à cause de la végétation beaucoup plus aérée.
La piste n'était pas facile à suivre au milieu d'arbres aussi espacés, mais Kasumi et Sylvia étaient suffisamment expérimentés pour remarquer des signes qui auraient échappé à des observateurs moins entraînés. Et peu à peu, ils avançaient. La végétation devenait plus ordinaire. Les arbres anciens laissaient place à des essences plus jeunes. La végétation devenait plus touffue, et la piste plus marquée. Ils sentaient qu'ils quittaient le coeur du bosquet, pour s'approcher, sans doute, de l'autre, dont ils ne sentaient pas encore l'influence, mais qu'ils devinaient tout proche. Les ronces, de plus en plus nombreuses, et les nombreux arbres morts, en étaient-ils un signe précurseur ? Quoiqu'il en soit, le soleil déclinait peu à peu. Ils allaient sans doute devoir faire halte à la frontière entre les deux bosquets. Ou, peut-être, seraient-ils déjà dans le bois maudit ?

Kasumi avait souri du refus de se confier de sa compagne, ne lui en voulant absolument pas de garder une part de mystère et quelques secrets : ils avaient des années pour se découvrir donc il ne servait à rien de brusquer quoique ce soit, sinon à se gâcher le plaisir de l'exploration, des tentatives et des petites victoires du quotidien sur l'inconnu.

Toutefois, l'atmosphère n'incita rapidement plus guère à la félicité et à ce genre de douces interrogations. Au fur et à mesure de leur avancée dans la zone plus difficile, l'attention des rôdeurs s'étaient de plus en plus focalisée sur la recherche de dangers éventuels. A leur grand dam, ils avaient fini par devoir rompre le contact pour progresser plus librement. La nuit semblait tomber vite également, rendant pressant le besoin de se trouver un abri comme le fit remarquer le demi-elfe :

- Je ne pense pas que nous avons encore atteint les limites de l'autre bosquet et je préfère autant que nous n'y passions pas inutilement la nuit, quitte à écourter notre étape du jour : mieux vaut s'arrêter tôt et repartir à l'aube demain. Et cette fois, le feu et la garde s'imposera, j'en ai bien peur.

A la faveur de l'arrêt, il s'était à nouveau emparé de la main de Sylvia, ce qui avait le mérite de repousser un peu son malaise en cet endroit sinistre.

Sylvia serra doucement sa main, et tous ses compagnons acquiescèrent.
- Arrêtons-nous dès que nous trouverons une clairière un peu dégagée.
Ils traversaient en effet une zone particulièrement épineuse -au sens propre du terme-. Il leur fallut progresser encore un moment avant de trouver une clairière, elle aussi entourée de ronces d'ailleurs, mais suffisamment vaste pour y installer leurs tentes.
- Au moins ne manquerons-nous pas de fruits, fit remarquer la druidesse en désignant les multiples mûres qui y poussaient. Au milieu de ce paysage déprimant, elles semblaient particulièrement appétissantes.
Léo, quant à lui, avait un air particulièrement dépité en venant se coucher aux pieds de sa maîtresse : le petit gibier était bien trop habile à se glisser sous les buissons d'épineux qui le blessaient, et ses rares tentatives de chasse, sur la fin du trajet, s'étaient révélées infructueuses.

Ayant remarqué l'attitude dépitée du lion, Kasumi décida de faire une tentative de conciliation avec le compagnon d'Eärundra en s'approchant de lui pour lui poser une main sur la crinière, comme il aurait posé une main sur l'épaule d'un humain pour le rassurer. Il espérait que ce geste contribuerait à les rapprocher et - à défaut - qu'il n'y risquerait pas sa main. Cependant, ses préoccupations se tournaient déjà vers les modalités pratiques de leur bivouac :

- J'ai l'impression que nous aurons des difficultés à chasser quelque-chose pour Léo ce soir. Je pense, qu'en plus de la cueillette, nous devrions poser des collets dès maintenant et que nous allions nous coucher rapidement pour les relever avant de partir demain. Je pourrais m'en charger si nous inversons les tours de garde. Enfin, si tu es d'accord pour prendre le premier tour ce soir, Sylvia.

Léo tourna vers lui son regard jaune, un bref instant, avant de l'ignorer à nouveau.
Eärundra et Tilmandil acquiescèrent à ses suggestions : la pose de collets était une bonne idée. Tilmandil se déclara tout à fait prêt à contribuer à leur fabrication, et Eärundra annonça qu'elle se chargerait de la cueillette.
Seule Sylvia trouva à redire.
- Je peux relever les collets aussi bien que toi, demain matin ! Pourquoi donc veux-tu inverser les tours de garde ?
Elle avait l'air un peu vexée d'être ainsi... mise à l'écart, en quelque sorte.

Kasumi se réjouit du bel enthousiasme que manifesta Tilmandil mais les objections de Sylvia lui firent comprendre qu’il avait peut-être manqué un peu de diplomatie aussi se tourna-t-elle vers elle pour répondre d’un ton conciliant en espérant qu’elle ne prendrait pas la mouche :

- Ne te méprends pas, s’il te plait : je sais que tu es tout aussi capable que moi sinon plus, ce n’est pas ça. Mais comme nous irons nous coucher alors qu’il fera encore jour et que j’espérais que nous serions prêts à lever le camp avant l’aube, je pensais que ma vision nocturne serait plus adaptée.

La rôdeuse rougit, un peu gênée de s'être, peut-être, emballée trop vite.
- Oh, et bien, je... Oui, effectivement, tu as raison. Je n'avais pas songé à ça... Mais je vais prendre le premier tour, oui...
Elle grimaça un sourire embarrassé.
Entre-temps, Tilmandil avait sorti leurs tentes des sacs et mit la plus grande d'autorité dans les bras du rôdeur, coupant court à la discussion.
Eärundra s'éloigna, et Kasumi nota son aisance à se déplacer au milieu des ronces sans même, apparemment, les effleurer. Léo, lui, renonça à la suivre.

Kasumi était désolé de la gêne de Sylvia mais aussi soulagé qu'elle ne prenne pas si mal ce qu'elle avait peut-être d'abord perçu comme une remise en cause de ses capacités. Il lui adressa un sourire rassurant avant que Tilmandil ne lui mette la tente d'office entre les mains. Il annonça donc d'un ton dépité comme si la décision lui en revenait :

- Je vais m'occuper d'installer le campement. Tilmandil, tu ne m'en voudras pas si je sabote un peu la tienne, rapport au thé de ce matin ? Sylvia, si tu peux le tenir éloigné quelques minutes pour poser les collets, ça me rendra un grand service !

Bien sûr, le barde s'offusqua et refusa tout net que quiconque l'aide à monter sa tente. Après quelques soirées d'entraînement, il se sentait parfaitement apte à se débrouiller seul. Il fit mine d'aller bouder dans son coin.
- J'ai besoin de toi pour les collets, insista pourtant Sylvia.
- Non ! Tu te débrouilleras parfaitement sans moi ! Et de toute façon je dois répéter mes chants !
Et il ne leur accorda plus la moindre attention, ni à l'un, ni à l'autre, se concentrant sur ses piquets à planter, sa toile à tendre. Et finalement, il réussit. Il lui fallut bien sûr trois fois plus de temps qu'à n'importe lequel d'entre eux, et il fallait espérer qu'il n'y ait pas une tempête durant la nuit... mais ça tenait !

Quand le barde eut achevé de monter péniblement son abri, il put constater que celui plus grand de Sylvia et Kasumi tenait déjà en place. Le rôdeur fit mine de s'approcher de la tente de Tilmandil dans l'intention de redresser un piquet de guingois ou juste pour faire penser qu'il comptait y mettre son grain de sel. Mais un regard à son demi-frère parut le dissuader et il partit à la recherche de la rôdeuse en se justifiant :

- Bon, puisque tu boudes, je te laisse t'occuper du feu pendant que j'aide Sylvia et que je repère où elle a posé le premiers pièges. Garde bien Léo !

Sylvia avait été particulièrement efficace : il la trouva occupée à poser un dernier collet, un peu éloigné du campement, à l'abri des regards. Elle l'attendait visiblement, et elle l'accueillit d'un baiser passionné, profitant de leur relatif isolement.
- Alors, ce soir, c'est moi qui vais devoir négliger mon tour de garde pour rester un peu auprès de toi ?, murmura-t-elle avant de l'embrasser à nouveau avec tendresse.
Elle l'avait enlacé, et semblait bien décidée à ne pas le lâcher de sitôt. Mais l'endroit, plein de ronces et de buissons d'épineux, n'était pas aussi accueillant que lors de leurs escapades précédentes. Il était peu probable qu'elle ait réellement envie de s'allonger sur un sol aussi peu confortable : ce n'était qu'une façon de l'inviter à poursuivre les choses... plus tard dans la soirée.

Kasumi n'avait pas cherché à se dérober aux baisers de la jeune femme, bien au contraire. Quand elle s'approcha de lui, il enfouit son visage dans ses cheveux en lui rendant son étreinte. La sensation était douce et merveilleuse, un peu irréaliste aussi. Comment songer qu'il l'a retrouverait et qu'il se passerait entre eux ce dont il avait tant rêvé des années durant. Il y avait eu Astrée pour combler son cœur évidemment mais ce n'avait été qu'un épisode de sa vie au final. Il n'avait pas envie de songer que son histoire avec Sylvia puisse avoir une fin, elle aussi. Il n'avait déjà pas envie que ce moment de simple bonheur où il pouvait sentir son parfum s'achève lui non plus. Il murmura donc sans s'éloigner, caressant le dos de la rôdeuse tout en murmurant à son oreille :

- Et moi qui imaginais déjà que je devrais quitter la tente pour te surprendre et voler quelques instants de ta garde ! J'ai envie de rester près de toi. De parler aussi. Je ne trouverai pas le sommeil si je te sais dehors à affronter le froid sans que je puisse te réchauffer. J'aurais tant de choses à te dire... Mais pour le moment, j'ai envie de te dire que je t'aime.

- Je t'aime aussi, murmura Sylvia. Tu m'as tant manqué, toutes ces années... Et... Oh, oui, j'adorerais que tu restes auprès de moi un moment ce soir, près du feu... J'espère qu'Eärundra ne va pas nous espionner depuis un arbre quelconque. Et que deux heures de sommeil de moins ne te manqueront pas trop. Mais dans mon souvenir, tu n'étais pas un très gros dormeur... Et puis, mieux vaut venir près du feu que te tourner et te retourner encore et encore dans les couvertures, si tu penses que tu ne pourras pas dormir, non ?
Elle l'embrassa à nouveau, avec tendresse.
- Enfin, sauf si tu as vraiment envie de dormir... tu me dis, hein, je ne serai pas vexée que tu préfères de doux rêves à mes bras ! Bon, peut-être un tout petit peu vexée en y réfléchissant bien...
Elle passa son bras autour de sa taille et se blottit doucement contre lui.
- Oh, je t'aime tant mon amour... Mais viens, les autres nous attendent. Ils vont se moquer si on traîne trop. On aura toute la veillée à nous deux ! Et ils n'en sauront rien...

Le rôdeur se calqua avec bonheur sur l'allure étonnamment lente de sa compagne. Il était évident qu'elle avait tout autant envie que lui de retarder le moment de rentrer. Il avait passé une main derrière son épaule et continuait à lui parler à voix basse en penchant la tête vers elle pour le cas bien improbable où on les espionnerait :

- C'est toi mon doux rêve. Et c'est de loin le plus beau car je n'ai pas besoin de dormir pour le vivre. Je ne suis pas endormi depuis des jours, n'est-ce pas ?

Et comme pour s'en assurer, il se glissa avec espièglerie devant elle pour lui voler un baiser et glisser effrontément une main sur ses fesses avant d'ajouter, le regard pétillant de malice :

- Ah non : c'est bien vrai !

La Couronne de Cuivre

[Haute-Forêt] Quête : Racines