La Couronne de Cuivre

-Tu sais, si ça n'avait tenu qu'à moi, je n'aurais pas quitté son chevet : je vois donc très bien ce que tu veux dire. Et c'est vraiment gentil de te proposer d'aller luit tenir compagnie.
Il sourit.
-Vas-y. On se revoit tout à l'heure.
Il faillit lui demander d'être prudent mais s'abstint : Victor avait déjà dit qu'il le serait et il était donc inutile d'en rajouter, même si l'envie était forte.

Victor repartit donc vers l'auberge. Sa disparition passe inaperçue un moment, mais Marius fut le premier à réaliser que leur aîné s'était volatilisé, et revint à son tour vers le barde.
" Où il est Victor ? Il est parti ? Il est rentré ? On rentre nous aussi ? Moi j'ai de nouveau faim."
Titus, lui, était resté dans son petit bois de noisetiers.

-Oui, il est rentré à l'auberge, pour tenir compagnie à Baptiste au cas où celui-ci ce soit réveillé.
Et il espérait vraiment, vraiment que ce soit le cas.
-On ne va pas tarder à rentrer. Mais on n'est pas obligés de le faire tout de suite. Et j'ai de quoi te faire un petit goûter.
Déjà, il entreprenait de joindre le geste à la parole.

" Super !" dit Marius.
Il s'accroupit dans l'herbe, juste devant Taliesin, surveillant le barde tandis qu'il étalait de la marmelade d'orange sur une tranche de pain. Il la dévora aussitôt que l'elfe la lui tendit et attendit la suivante, une lueur de convoitise au fond des prunelles. Au même moment, Titus sortit du bois, suivi, à quelques mètres, par trois silhouettes. La première appartenait à un homme d'une quarantaine d'années, portant une robe verte et une barbe fournie. La seconde appartenait à ce qui ressemblait à une sorte de panthère, presque blanche, tachetée de noir. La troisième était indéniablement celle d'un faune adulte, encore jeune, qui tirait trois notes d'une petite flûte à plusieurs tuyaux. Titus, lui, avait l'air épouvanté.

A coup sûr, Victor allait râler, dire encore que c'était sitôt qu'il tournait les talons que des choses se passaient. Et le barde ne pourrait pas lui donner tout à fait tort.
Lui-même, curieux, tendit sa deuxième tartine à Marius puis se leva, prêt à accueillir les nouveaux venus - et à rassurer Titus.
L''homme devait être un druide. A moins qu'il ne s'agisse d'un clerc d'une divinité liée à la nature, comme Mielikki par exemple. Mais il ne se serait pas attendu à en trouver si près de la ville.

" Bien le bonjour, messire, s'exclama le premier des trois visiteurs. Et d'emblée mes excuses, je crains que Dina n'ait effrayé votre ami."
Il avait prononcé Dina avec une inflexion elfique, ce qui signifiait "silencieuse".
" Elle n'est pas méchante, mais par nature, elle surgit toujours là où on ne l'attend pas."
Le faune s'était immobilisé à quelques mètres, incertain, observant Taliesin, Marius et Titus avec suspicion.
" Approche, Agrin, ils n'ont pas l'air méchants."
Le faune n'approcha pas pour autant.
" Pardonnez-le. Il n'a pas l'habitude des humains... ou des elfes, d'ailleurs. D'habitude, il reste au niveau du bois."

Voilà quelque chose qui ne le dépayserait guère.
-Il n'y a pas de problème, je comprends très bien.
Il sourit au faune puis, revenant à l'homme, il désigna les enfants.
-Je vous présente Titus et Marius. Moi-même, je me nomme Taliesin. Puis-je savoir à qui ai-je l'honneur ?

L'étranger adressa un signe de tête et un sourire aux enfants, avant de tendre une main ferme à Taliesin.
" Vous avez fait la connaissance de Dina... et d'Agrim... Je suis Olivier. Enchanté de faire votre connaissance. Je ne crois pas vous avoir jamais vu à Pont-d'Ire et vous n'êtes pas du genre à passer inaperçu. J'en déduis que vous êtes de passage."

-Enchanté de faire votre connaissance. Et effectivement, nous sommes de passage : nous sommes arrivés hier et nous devions repartir dans la matinée.
Il jeta machinalement unr egard en direction de la ville avant de refaire face à son interlocuteur et de décider de laisser libre cours à sa curiosité.
-Serait-il indiscret de vous demander si vous êtes druide ? Clerc, peut-être ?
Si tel était le cas, il aurait peut-être bien un service à lui demander.

Olivier sourit, manifestement amusé par la question.
" Officiellement ni l'un ni l'autre. Je suis herboriste. Ou apothicaire."
Il gratta la tête de la panthère, derrière ses oreilles. L'animal lâcha un ronronnement.
" Mais officieusement... pourquoi cette question ?"

-D'abord et avant tout par curiosité : la présence de vos compagnons suggère que vous avez un lien privilégié avec la nature et ceux qui vivent dans ce milieu.
C'était la pure vérité.
-J'avoue cependant que croiser un clerc m'arrangerait bien : j'en cherche un, mais comme la ville n'en abrite aucun à demeure, il me faut compter sur la chance.
Autant être franc jusqu'au bout.

" Je ne suis malheureusement pas clerc, je suis druide, dit Olivier. Si je puis vous aider, dites-moi en quoi. Sinon... Des clercs passent à Pont-d'Ire assez régulièrement. Et il y en a à Togoria. Ce n'est plus très loin d'ici, par la route."
Il se tourna vers la rivière.
" Alternativement, vous pouvez sans doute aussi trouver une barge pour Haradhar."

-Il n'y a pas forcément urgence, de toute façon.
Mais puisqu'il avait commencé...
-L'un de mes fils a eu un très grave accident, ce matin. Dieux merci, par divers moyens, je euis parvenu à le soigner : physiquement, il est indemne. Mais il ne s'est guère réveillé qu'un instant, depuis lors, et j'aimerais donc qu'un guérisseur l'examine, pour s'assurer que... la grande quantité de magie qui s'est déversée en lui n'ait pas eu de conséquences néfastes.

" Ah. La magie n'est jamais la réponse la plus adéquate à une blessure, dit Olivier avec une grimace. Mais je suppose que vous n'aviez pas le choix. Si vous voulez, je peux y jeter un oeil. Je descends à Pont-d'Ire, de toute façon : c'est mon périple mensuel vers la civilisation."
Il désigna son sac.
" C'est difficile d'être complètement autarcique dans la broussaille... Dès qu'on a vécu un peu parmi les hommes, on s'habitue à certains conforts... Enfin. Si vous le désirez, je suis à votre service."

-SI cela ne vous dérange vraiment pas...
Il eut une légère grimace.
-Mais je ne voudrais pas, non plus, vous donner l'impression de vous sauter dessus. Comme je l'ai dit, ma question était avant tout motivée par la curiosité...

" Je vous l'ai dit, c'est ma visite mensuelle. Je viens vendre mes préparations, ce qui me permet de ramener chez moi des choses plus difficiles à confectionner soi-même... Le parchemin, par exemple, certaines étoffes, certains outils. Et en général, on me demande toujours de voir une personne ou l'autre... donc vous voyez, ça ne me changera pas. Dina et Agrim restent généralement ici, à l'abri des regards, d'où notre rencontre. Je vis un peu plus haut dans les collines, à environ trois heures de marche. J'aurai bien le temps de faire mon tour habituel et d'aller voir votre fils."
Il se tourna vers Pont-d'Ire, dont on apercevait les premiers toits.
" Je vais descendre maintenant, d'ailleurs. Vous n'êtes pas obligé de mettre fin à votre sortie, cependant. Si vous me dites où se trouve votre fils, je passerai vous voir avant de partir."

-Nous sommes descendus à la Loutre en Fureur.
Il jeta un regard aux enfants.
-Nous n'allions pas tarder à rentrer. Mais peut-être... Enfin... Pensez-vous qu'Agrin serait d'accord pour discuter avec Titus ? Il faut que je voies si ce dernier en a envie, bien sûr, mais ce pourrait être une bonne occasion...

" Oh oui, n'hésitez pas. Agrin est timide mais c'est parce qu'il n'a pas l'habitude des gens... et pas non plus de ceux de sa race, malheureusement. Mais il n'y a pas une once d'agressivité en lui et il sera sûrement prêt à parler avec votre garçon."
Le visage du druide se fit légèrement soupçonneux, puis se fendit d'un sourire.
" Me permettrez-vous de vous demander comment... vous l'avez... trouvé ?"

-La personne qui veillait auparavant sur lui, une alaghi du nom d'Ainhoa, m'a demandé de conduire Titus auprès de son peuple. Mais ce qu'elle ignorait, et ce que l'on m'a dit après coup, c'est qu'il avait aussi du sang elfe dans les veines et que, par conséquent, il ne serait pas accueilli très.. favorablement par les faunes. Alors je lui ai proposé de venir s'installer chez nous, ce qu'il a accepté. Je ne sais pas si c'est l'idéal pour lui, dans l'absolu, mais... Nous vivons à la campagne et au moins, il sera accepté, entouré et aimé comme il le mérite.

" Je vois. Ce n'est pas évident. Agrim est dans la même situation."
Le faune s'était éloigné de quelques pas et tirait à nouveau des notes de sa curieuse petite flûte.
" Je l'ai récupéré dans un cirque itinérant. C'est souvent là qu'ils terminent."
Il eut un sourire.
" Bon, mais je vous laisse. La Loutre en Fureur. Je n'oublierai pas."

Il lui rendit son sourire.
-Merci beaucoup. Je vous dis à bientôt, car j'espère bien que nous aurons à nouveau l'occasion de nous parler.
Restait donc à consulter Titus... Le pousser à discuter avec tous les faunes qu'ils croisaient était peut-être un peu artificiel, mais ça n'était pas non plus comme s'ils en croisaient tous les jours...

Titus finit par oser approcher le faune, tandis que Marius — qui avait profité de la diversion pour engouffrer une tartine de plus — observait la panthère avec intérêt. Celle-ci s'était couchée dans l'herbe et léchait tranquillement ses pattes, comme un gros chat inoffensif. Le druide, lui, avait descendu la colline et s'apprêtait à pénétrer dans Pont-d'Ire.

Eux-mêmes n'étaient pas encors sur le départ. S'en aller maintenant aurait été dommage, compte tenu de ce qui se passait. Et puisque Victor était avec Baptiste, puisque le druide passerait lui rendre visite, il n'y avait vraiment aucune raison de lever le camp.
-Je veux le même compagnon animal, souffla-t-il à l'oreille de Marius. Les chats, c'est bien, mais c'est un peu petit...
De fait, il avait toujours aimé les félins.

" C'est vrai mais une grosse bête comme ça, c'est quand même pas pratique, dit Marius, songeur. Ça fait peur aux gens, ça met des poils partout... Moi je trouve ça impressionnant mais... je suis pas sûr que je voudrais en avoir un dans ma chambre. J'aime mieux les petits trucs qui se faufilent et qui peuvent aller chaparder un morceau de saucisse pour toi à la cuisine sans que personne le voit."
Il sourit.
" Tu ferais avec une bête comme ça ? Tu ferais régner la terreur dans ton village ?"

-Dans mon village ? Que nenni : c'est sous mon toit que je la ferais régler ! Ah ça, ça filerait droit : il n'y aurait plus besoin de négocier des heures durant pour que d'aucuns acceptent d'aider à débarrasser la table ou de ranger leur chambre. Ah, se serait la belle vie !
Il sourit à son tour.
-Non, mais... Je ne sais pas. j'aime les félins, voilà tout. Ce serait un bon compagnon de route.

" Je croyais que tu voulais rentrer chez toi." dit Marius avec une grimace.
Il tendit la main vers Dina, qui se laissa caresser entre les oreilles.
" Une bête comme ça, ça fait peur aux chevaux, aux moutons, aux poules, aux enfants... Tu serais plus le bienvenu nulle part et dès que tu entrerais dans une ville, on te dirait de le laisser en cage ou en laisse, jusqu'à ce que tu repartes."
Un peu plus loin, Agrim et Titus s'étaient assis et le premier avait baissé la tête, pour que le second puisse lui tâter les cornes, ce qu'il faisait avec une étrange révérence. Agrim avait déjà des cornes enroulées, pareilles à celles d'un jeune bélier.

-Ne sous-estime pas la capacité d'un barde à persuader autrui... répondit-il d'un ton léger.
Puis il se fit plus sérieux.
-Mais de toute façon, à moins de vivre dans la nature comme Olivier ou... de circonstances vraiment particulières, s'attacher pareil être ne serait pas très gentil pour lui... Néanmoins, dans l'absolu, j'aimerais bien quand même.

" T'as pas l'esprit très pratique, en fait." dit Marius avec un sourire mutin.
Il s'allongea dans l'herbe et regarda le ciel, en musant à mi-voix. Dina se déplaça vers le bois, d'un pas nonchalant, ondulant des hanches comme le font les félins. Titus et Agrim bavardaient à mi-voix, puis le plus jeune des deux faunes se leva et revint vers Taliesin. L'autre leur jeta un coup d'oeil, toujours méfiant, puis partit sur les traces de la panthère.

Taliesin lui avait souri, amical, mais s'était abstenu de l'interpeller, respectant sa timidité.
Il resta quelques instants à l'observer tandis qu'il s'éloignait, puis il reporta son attention sur Titus.
-Alors ? Intéressante, cette discussion ?

" Oui." dit le faune avec un léger sourire.
Il s'assit dans l'herbe.
" Mais il est comme moi... donc il ne connait pas les vrais faunes. Il habite avec des gens... des autres créatures... mais personne comme nous. Il dit qu'il n'est pas malheureux. Mais il parle mal le sylvestre. Moi, c'est Ainhoa, surtout, qui me l'a appris."

La Couronne de Cuivre

[Quête] A travers la vallée...