La Couronne de Cuivre

" Je ne suis pas spécialiste en herbes, mais la valériane, déjà, à des vertus apaisantes, et je pense que l'aubépine, aussi... Bon, vous avez peut-être l'un ou l'autre pouvoir de barde à disposition, je ne sais pas."
Elle pinça les lèvres.
" Bon, je vais vous préparer du ravitaillement. Comme vous l'avez compris, les gens n'adorent pas qu'on se serve dans leurs champs ou sur leurs arbres, donc... Mieux vaut emporter un maximum. Vous pourrez troquer les charcuteries."

-Merci beaucoup.
Et de se mettre en quête de Baptiste.
Si le gamin avait réellement envie de venir, il puiserait dans leur pharmacopée pour lui préparer quelque chose d'apaisant. La musique de barde aurait pu faire l'affaire, aussi, mais il n'aurait pas vraiment la possibilité d'y recourir tout en chevauchant.

Baptiste était dans la cour où il semblait superviser le petit déjeuner des poules d'un air absent. Il sourit distraitement au barde quand celui-ci s'approcha.
" Je crois que je vais rester ici, dit-il. Compulser tes notes. Comme ça, la prochaine fois qu'on sera à la ruine, je serai plus efficace pour les observations et les recherches."

Taliesin réprima un soupir.
-Tu es libre, Baptiste. Mais je voudrais que tu sois honnête avec moi. S'il n'y avait pas cette histoire de cheval, aurais-tu eu envie de nous accompagner ?
Et d'espérer que le gosse serait franc.

Le regard de Baptiste se fit fuyant et il regarda ses mains un moment.
" Je ne monterai pas sur un cheval, je te préviens. Que ce soit la cause ou pas... Ça ne change rien." finit-il par murmurer.

-Cela change beaucoup de choses, au contraire. Si tu n'as aucune envie de nous accompagner, cette histoire de cheval n'a aucune importance. Mais si tu as envie de venir et que c'est la fameuse chevauchée qui t'en empêche... C'est dommage. Et je vois bien que nous sommes dans le second cas de figure.
Il marqua une hésitation. Mais être franc valait mieux que le piéger ou qu'essayer de le piéger.
-Que dirais-tu si nous préparions une infusion apaisante ?

" Il vaudrait mieux m'assommer, murmura le petit garçon, à la fois sérieux et furieux. Une infusion..."
Il pinça les lèvres.
" Je ne sais pas. Tu crois que ça pourrait marcher ?"

-Je pense, oui. Nous pourrions par exemple reprendre l'infusion qui t'assurait des nuits paisibles en la dosant moins : ainsi, tu serais plus détendu, peut-être un peu somnolant mais sans t'enformir pour autant. Et la chevauchée serait beaucoup moins pénible pour toi.
Il lui sourit.
-Je comprends que ce soit difficile, mon grand. Mais ça vaut la peine de tenter le coup, non ? Nous monterions ensemble, je veillerai sur toi... Et qui sait si notre enquête pour retrouver Cordélia ne sera pas aussi l'occasion de passer de bons moments ? En tout cas, je serais ravi de vous avoir tous les deux avec moi.

" Tous les trois." corrigea le petit garçon, un peu machinalement.
Son regard se fit vague, tandis qu'il contemplait les poules sans les voir.
" Tu sais, quand j'étais... hum... quand je lui déplaisais... parfois... Elle me faisait enfermer avec les chevaux. Avant... avant je ne les aimais pas, et j'en avais un peu peur, mais... ce n'était pas la même chose..."

Son cœur se serra.
-Je suis désolé, Baptiste. Je ne savais pas... je pensais que c'était juste lié à ton accident...
Mais il ignorait presque tout de ce qu'il avait enduré sur Melandis.
-J'aimerais t'aider à dépasser cela. Tout ce qu'elle t'a fait en général et... cette histoire de chevaux en particulier. Mais je suis conscient qu'il vaut mieux procéder avec douceur. Alors si vraiment c'est trop rude... Ne forçons pas les choses. Tu peux rester ici, avancer sur les recherches... Il n'y aurait aucune honte à ça.

Baptiste resta silencieux, fixant quelque chose d'invisible, appuyé contre l'épaule de Taliesin, puis soudain il sursauta.
" Mais... ils ont sûrement une charrette quelque part, tu ne crois pas ? Si on avait une charrette, on pourrait atteler le mulet et ce serait parfait, j'aurais pas peur du tout. En plus je pourrais travailler sur la route !"
Son humeur avait changé du tout au tout...

Il réfléchit. En charrette, ils iraient bien moins vite qu'à cheval, malheureusement. Mais ils iraient tout de même plus vite qu'à pied. Et si cela permettait à Baptiste de venir...
-C'est une bonne idée et je vais en toucher un mot à Mona : s'il est possible d'en obtenir une dans l'heure qui vient, on optera pour ça. En revanche, il faudra que tu sois discret avec les documents sur les ruines, d'autant que Phelan embarquera peut-être avec toi. Il me semble être bien intentionné mais vu sa situation pécuniaire, il pourrait vouloir récupérer de cette pierre étrange ou entreprendre des excavations...

" Ah... J'avais pas pensé à ça. Bon, ben... Je peux toujours travailler jusqu'à Champsdor, puis tout ranger, non ?"
Il sauta de son siège.
" Je vais demander à Mona. Je reviens."
Il disparut dans la maison tandis que Victor sortait des écuries avec le mulet et Minuit. Il s'approcha de Taliesin avec une grimace.
" Qu'est-ce qui lui est arrivé, au juste, à Mélandis ?"

L'elfe poussa un profond soupir.
-Je n'en connais que les grandes lignes : même à moi, il n'en a pas révélé beaucoup. Tu peux toujours lui poser la question, cependant : il faudra juste que tu respectes sa décision s'il refuse de t'en parler.
Il s'arracha un sourire.
-Bon, mais pour en revenir à des considération plus immédiates, on va voir si on peut obtenir une charrette, ce qui réglerait cette histoire de cheval.

" J'ai entendu, oui, dit Victor. Tant que moi je peux monter, ça me va très bien. Je ferai l'éclaireur."
Mona ressortit quelques minutes plus tard, avec Baptiste.
" Nous avons une vieille charrette, oui... mais elle doit être pleine de toiles d'araignée, je n'ose imaginer."
Elle se dirigea vers l'une des portes bordant la cour et ouvrit une sorte de petit hangar encombré.
" Elle est là tout derrière... Il va falloir déblayer."

-Ah, désolé de vous causer tant de dérangement...
Il était désolé pour Phelan, aussi : entre le dégagement du hangar, le nettoyage de la charrette, le trajet jusqu'à Champsdor, ils ne l'auraient pas rejoint avant midi. Et lui ne les aurait sans doute pas attendus.
-Je me demande si je ne devrais pas prendre les devants pour prévenir notre compagnon de recherches. Nous pourrions passer chercher les garçons et la charrette ensuite... fit-il, hésitant.

" Bah, s'il attend pas, c'est qu'il était pas vraiment motivé." dit Victor en se faufilant dans le hangar encombré comme une souris curieuse.
Il disparut à leur vue presqu'aussitôt.
" Si vous comptez aller à Champsdor puis le retour, vous ne serez vous-même pas rentré avant midi, ou presque... Sans parler de la fatigue de vos montures."

-Je pourrais convoquer un coursier fantôme : l'incantation prendrait une demi heure puis le trajet serait effectué en quelques minutes seulement. Le problème, c'est que ça effraierait et les animaux, et les passants...
Il soupira.
-Bon, tant pis : dégageons, nettoyons, embarquons !
Et de se mettre à l'ouvrage.

" Oui, je ne suis pas sûr que le coursier fantôme, ce soit la meilleure des idées..." avait grommelé Baptiste à mi-voix.
Comme ils étaient cinq sur le coup, le nettoyage de la charrette fut rondement mené. Seules quelques araignées furent très déçues de l'initiative. Une demi-heure plus tard, environ, les enfants décrétèrent que le véhicule était paré pour leur aventure. Ce n'était une caisse de bois sur roues, cependant, rien de bien confortable, mais Mona leur prêta des couvertures pour adoucir leur trajet, et les aida à atteler le mulet. Il ne leur restait plus qu'à se distribuer en selle et dans le véhicule, puis à partir sur les routes.

Il demanda à Mona de lui rappeler le nom des membres de sa famille vivant à Viveverte, la remercia chaleureusement pour son aide puis s'en fut récupérer ce dont ils avaient besoin, à savoir surtout la tente, ses armes et... le pipeau - on n'était jamais assez prudent. Enfin, quand tout fut paré, il donna le signal du départ. Il décida de laisser Victor chevaucher Minuit, parce que ça faisait plaisir au gamin et parce que le cheval pouvait leur être utile. Néanmoins, il garderait un oeil sur lui et le renverrait dans la charrette en cas de problème.

La fille de Mona, qui vivait à Viveverte, se dénommait Gwen, Taliesin en avait déjà entendu parler quelques jours plus tôt, par son frère. Elle avait épousé un apiculteur qui cultivait également du safran et de la lavande, ainsi que des oliviers, et leur ferme, située en bordure du bourg, s'appelait la Ferme Jaune. Mona y avait aussi une soeur, Cybèle, qui vivait dans le village même et y exerçait le métier d'écrivain public. On ne pouvait manquer son échoppe à côté de la taverne.
Ils s'ébranlèrent ensuite vers Champsdor, Victor sur Minuit, les trois autres dans la charrette que le mulet tira au trot, semblant ne pas trop souffrir de leurs poids réunis...
Il faisait radieux, bien sûr, et ils filèrent rapidement bon train sur la route.

Cependant, l'humeur de Taliesin n'était pas aussi radieuse que le temps.
Car il s'inquiétait.
Pour Cordélia, d'abord : quelque chose avait cloché, forcément, et il fallait espérer qu'elle soit encore en vie.
Pour Titus, ensuite : il craignait de nouveaux incidents avec les habitants du cru. Sans compter que plus le temps passait, plus il doutait de trouver des faunes auprès desquels le ramener.
Enfin, chaque chose, chaque souci en son temps.

Titus s'était emmitouflé dans une couverture des pieds aux épaules et portait le chapeau de Victor vissé sur le crâne. Il était tendu, lui aussi, lorgnant les paysans affairés dans leurs champs avec inquiétude. Avec la température presque estivale, sa tenue de camouflage attirait en fait l'attention. Baptiste lisait et écrivait, de son côté, parfaitement imperméable aux angoisses de ses compagnons. Sa peur terrible des chevaux ne débordait apparemment en rien sur cette promenade en charrette. Et Victor jouait au mercenaire garde du corps, littéralement, et avec un plaisir non dissimulé. Il scrutait la plaine, faisait des rapports farfelus sur l'approche de "l'armée trollesque", piquait parfois un petit galop pour aller "reconnaître le champ de bataille" puis revenait joyeusement en déclarant la voie dégagée.
Il leur fallut un peu plus d'une heure et demi pour atteindre Champsdor. Après leur départ tardif, il était largement passé la mi-matinée, mais il n'était pas encore midi. Comme prévu, ils s'engagèrent sur la route qui contournait le bourg et rejoignirent la piste qui partait vers l'ouest un peu plus tard. A la grande surprise de Victor, Phelan était au point de rendez-vous... mais il dormait profondément, un chapeau en tout point identique à celui du gosse penché sur le visage pour le protéger du soleil.

Rassuré de constater qu'il les avait attendus, désolé de leur retard, Taliesin immobilisa la charrette, sauta à terre et s'approcha du jeune homme pour le réveiller. Avant de se remettre en route, il faudrait qu'il procède aux présentations et, évidemment, qu'il évoque le cas Titus. Il fallait espérer que Phelan réagirait bien...

Le jeune homme se réveilla en sursaut quand une motte de terre l'atteignit en pleine poitrine. Taliesin se trouvait alors à moins d'un mètre mais le coupable, Victor, faisait semblant de rien.
" Hein ? Quoi ? Qui ! Oh... Je m'suis endormi."
Il sourit au barde en se relevant, frottant la poussière qui le maculait.
" Vous êtes en retard, messire. Mais bon... C'est pas comme si j'avais mille choses à faire, non plus..."

Il jeta un regard noir à Victor puis adressa un sourire désolé à Phelan.
-Toutes mes excuses pour le retard : il a fallu régler quelques difficultés, logistiques notamment, et nous n'avons donc pas pu partir auss tôt que prévu... Mais nous sommes là, à présent, et c'est très gentil à vous de nous avoir attendus.

" Ce n'est rien." dit le jeune homme.
Il se tourna vers la charrette.
" Diantre, vous avez embarqué toute la colonie, aujourd'hui. Charmant chapeau, gamin !"
Titus se recroquevilla sous sa couverture.
" Il a froid ?" demanda Phelan, surpris.

-Non...
Il hésita mais la franchise lui sembla être la meilleure solution.
-Il se nomme Titus et c'est un petit faune qu'on m'a chargé de ramener auprès de ses semblables. C'est un être de la nature absolument pas maléfique mais voilà, les habitants de la région étant superstitieux et méfiants, il vaut mieux qu'ils le prennent pour un gosse humain.

" Un faune... C'est original. Vous avez raison de le planquer... Les gens d'ici sont un peu à cran à cause des demi-canassons qui campent dans la prairie. Il parait que la pire chose qu'on peut faire, avec un centaure, c'est de l'enfourcher. Enfin, personne a survécu pour le raconter, alors... on en sait rien."
Il sourit.
" Bon, Victor, tu descends ? C'est moi qui vais prendre le cheval, mon gars.
— Quoi ?! Taliesiiiiin ! Non, quand même, hein ?"

-Allez, Victor, laisse-lui la place : prends ça comme une compensation pour... tu sais quoi.
La fameuse motte de terre, en l'occurrence.
-Phelan, comme il adore l'équitation et n'a que rarement l'occasion de s'y livrer, je compte sur vous pour lui céder Minuit de temps à autre, d'accord ?

La Couronne de Cuivre

[Lieu] La Vallée Fertile