La Couronne de Cuivre

« Si vous tenez tant que ça à aller vous promener, n’hésitez pas. J’ai parcouru suffisamment de couloirs et d’escaliers pour aujourd’hui, en ce qui me concerne. » s’exclama le Luménien. « Mais rapportez-nous donc de l’eau. Je vais nous préparer des infusions, ça nous revigorera un petit peu. »
Le vieillard disparut donc avec son plateau, tandis qu’Albérich sortait ses plantes. Il concocta trois mélanges délassants, verveine et camomille, un peu de valériane, se réservant une dose plus conséquente de millepertuis afin de chasser les pensées les plus noires. Il en profita aussi pour soigner ses pieds, qui avaient souffert de la journée. Quand César revint, ils mirent l’eau à bouillir sur l’âtre, et quelques minutes plus tard, ils avaient chacun, Bastien y compris, une tasse fumante à disposition.
« Etes-vous né à Combeloup ? » demanda finalement Albérich, tandis que César s’installait à son tour, les yeux dans les flammes.

-Oh non... répondit-il après avoir pris une lampée de son infusion. Certes, comme je suis ici depuis plus de quarante ans, je fais un peu partie du paysage. Mais en réalité, je suis né à Haradhar, sur la côte.
Reposant sa tasse, il entreprit de faire boire son petit-fils.

Albérich ne savait pas s’il devait prendre le laconisme de César pour un refus de parler du passé. Si Ada l’avait prévenu que les Combelupins se faisaient un devoir de ne pas juger les autres sur ce qu’ils apportaient d’autrefois, elle n’avait pas mentionné qu’il y ait une interdiction d’en parler. Pourtant, elle avait sous-entendu que nombre des villageois étaient venu jusqu’au hameau pour fuir quelque chose. Si César ne voulait rien dire, il détournerait la conversation.
« Et… Si ce n’est pas indiscret… Qu’est-ce qui vous a fait venir jusqu’ici ? Loin de la mer… »

César se fendit d'un sourire amusé.
-Ce qui m'a fait venir ? Une vie tumultueuse, d'une part, et, de l'autre, le hasard. Je dois dire que ce dernier à été prépondérant : après avoir fait... quelques bêtises, j'ai dû m'enfuir de chez moi, traverser la moitié de la vallée du Nirvana au triple galop, sans me retourner, et j'ai fini par déboucher ici. J'en ai été bien content : personne n'y vient jamais, ceux qui s'y trouvent ne posent pas de question... La planque parfaite, en somme. Je me suis dit que j'y resterai quelques mois, le temps que mes frasques soient oubliés. Et finalement, je ne suis jamais reparti : je me suis amouraché d'une accorte damoiselle - célibataire, pour changer -, j'ai fini par l'épouser...

Le récit de César arracha à Albérich son premier rire franc de la journée.
« Les deuxièmes chances, en effet… » murmura-t-il. « Je suis désolé de vous avoir posé la question, cela dit. Mais je ne suis pas d’ici, je n’ai pas encore vos bonnes manières dans ce domaine. De plus… J’ai toujours récolté les histoires des autres, par profession. Me trouver subitement dans un environnement où chacun se comporte comme s’il n’y avait rien derrière, rien avant… Ça me semble artificiel. Même si j’en comprends l’utilité, et la chance que cela représente. »

-Personne ne fait comme s'il n'y avait rien eu avant... répondit le vieil homme. Les gens, ici, sont aussi curieux que partout ailleurs, et le passé de chacun est généralement connu, au moins dans les grandes lignes. Mais, compte tenu de l'histoire particulière du village, qui a été fondé par des individus ayant décidé de rompre avec leur passé, de choisir une autre voie que celle qu'on leur avait tracée, nous pensons que ce qu'a été la vie des nouveaux arrivants avant qu'ils ne débarquent à Combeloup ne doit pas présupposer de leur avenir ici, du regard que nous porterons sur eux. Alors, nous ne leur posons pas de questions, mais nous sommes tout prêt à écouter, s'ils veulent parler. Et nous nous gardons de les juger.
Bastien ayant terminé de bore son infusion, le vieil homme se consacra à nouveau à sa propre tasse.
-Pour ma part, je me suis confié à Eloi quelques années plus tard. J'étais inquiet des conséquences qu'avaient pu provoquer mes écarts de conduite. Pas pour moi, évidemment, mais... pour une certaine dame. Et Eloi a profité de l'un de ses voyages hors du village pour se renseigner discrètement à ce sujet. A son retour, il m'a complètement tranquillisé : ladite dame n'a pas été répudiée, le fruit de nos coupables étreintes reconnu par son mari et orienté vers une carrière lui assurant plus de sagesse que je n'en ai jamais eu... Bref, au final, tout c'est arrangé, et, de le savoir, mes nuits s'en sont trouvées tout à coup plus calmes.

« J’imagine. » dit simplement le Luménien.
Il essaya d’imaginer le vieil homme lorsqu’il était un jeune coureur de jupons, ce qui le fit sourire. Les dernières paroles de César le firent cependant songer aux choses qu’il aimerait apprendre, lui aussi, pour se garantir des nuits plus tranquilles : qui avait pris sa succession, comment allait Marcus, et… que devenait Luménis ? Qu’était-il advenu de Noir Dessein ? Alaric avait-il pu aider Elsa ? Où errait l’âme d’Euryale, celle d’Erwan, d’Hector ? Il lorgna le fond de sa tasse, faisant lentement tourner la fin du breuvage.
« C’est une chance que vous ayez pu vous redéfinir ici. Je pensais pouvoir en faire de même… Mais je pense que cela n’arrivera plus. »

César haussa les sourcils, étonné.
-Pourquoi donc ? demanda-t-il.
Puis il grimaça, soupira.
-Pardonnez la bêtise de ma question, reprit-il, gêné. Je crois connaître la réponse. Ce qui se produit actuellement ici ne donne pas envie de s'attarder, quand bien même triompherions-nous de la menace qui pèse sur le village.

Albérich eut un faible sourire, embarrassé.
« Trop de choses intenses, trop vite. » dit-il simplement. « Et je ne pense pas que j’étais vraiment prêt… J’avais… J’aurais dû faire certaines choses dans l’ordre, plutôt que de venir jusqu’ici sans les avoir réglées… A présent… Mes relations avec de nombreuses personnes sont déjà faussées, mal engagées… basées sur des malentendus ou des mensonges, des silences… Si jamais… Si jamais nous nous en sortons, je ne pense pas que je resterai, non. »
Il leva les yeux et fixa le feu.
« Je n’en sais rien. L’avenir est beaucoup trop incertain, en ce moment. »

César, qui avait d'abord paru vouloir réagir dans l'instant, préféra finalement garder le silence. Il but son infusion à petites gorgées, observant tantôt la danse des flammes, tantôt Bastien aux yeux grands ouverts, tantôt l'ancien clerc. Enfin, il reposa sa tasse vide, étira sa longue carcasse.
-Ne vous mettez pas martel en tête... dit-il doucement. Les choses ne sont jamais figées, elles peuvent évoluer, les malentendus ou les mensonges se dissiper, on peut partir, revenir... Mais dans tous les cas, vous avez raison, il n'est pas temps de penser à cela. Il nous faut déjà nous préoccuper du présent, agir de telle manière qu'un futur existe pour nous tous. Ce n'est pas gagné...

« Non. »
Il sourit et se leva.
« Je vais me coucher, je suis épuisé. » murmura-t-il. « Nous verrons de quoi demain est fait. Bonne nuit, César, merci pour la conversation. »
Puis il alla se changer dans un coin de la chambre, avant de s’installer sous ses couvertures. Il occupa ses dernières pensées à faire un liste floue des personnes auxquelles il devait aller rendre visite le lendemain matin, avec priorité à ceux qu’il n’avait pu caser le jour même. Une jeune femme qui boitait sans raison. Deux bébés constipés. Un homme qui était tombé dans les escaliers. Plus repasser à droite à gauche… Chez la gamine qui vomissait… Chez… Aussi… Il dériva rapidement.

Mais quelqu’un frappe au milieu de la nuit. C’est un jeune berger dont l’épouse est en train d’accoucher. Il est venu avec un agneau, pour la chance, dit-il. Albérich passe son manteau par-dessus sa tunique et suit l’enfant dans les escaliers. Devant eux, un gros chien blanc aboie, pour leur ouvrir la route, et les villageois s’écartent pour les laisser passer. Mais quand il arrive au pied des marches, Albérich comprend que quelque chose ne va pas. Il y a beaucoup trop de sang. Il grimpe jusqu’à la chambre, tambourine à l’huis, et Ada lui ouvre la porte, juste assez pour lui tendre un petit paquet vagissant, dont il faut se débarrasser, vite, au plus vite, car l’accouchée n’en veut plus, c’est déjà le sixième. L’ancien clerc emmitoufle le nourrisson dans son manteau. Comme le bébé est lourd, il le donne à César, qui l’installe près du feu dans la grotte, et Albérich peut continuer à suivre la piste sanglante, sur les traces du chat, jusqu’à la salle de la garde. Le sol est écarlate, la flaque épaisse et collante, il y est un instant paralysé alors qu’il contemple la vérité cruelle : Elisa est debout, un pied sur l’épaule de son père terrassé, l’épée encore plantée dans son ventre, dont le sang s’échappe à gros bouillons, en flots fumants, l’odeur répugnante est à couper le souffle. Elle a un sourire dément sur le visage, sa poitrine se soulève, ample, ses cheveux courts, un peu fous, volent dans l’air glacé. Son justaucorps est maculé de sang, mais elle s’en moque. Hugues s’approche, ses yeux jaunes luisent dans l’obscurité, la fourrure pousse sur ses bras et son torse, drue, et grise, Albérich recule alors qu’il s’approche, crocs découverts, et la neige tombe, au moment où une main blanche se pose sur la sienne. Il recule, découvre Blanche, à la peau immaculée, ses yeux noirs sont profonds comme un lac de montagne, elle est nue, ses seins lourds, l’appel silencieux de ses cuisses, il se sent reculer, reculer pour la saisir, la renverser sur une table. Le loup hurle derrière eux, mais ça n’a pas d’importance. Il lui écarte les jambes, elle résiste un peu, elle est inerte, glacée comme la mort, il sait qu’elle ne vit pas vraiment, et sa bouche déborde de sang tandis qu’il se penche vers elle pour lui embrasser la gorge et la poitrine. Ses doigts se glissent dans son intimité, forcent l’entrée humide, la sondent, et quelques secondes plus tard, il la pénètre à même le sol. Il se penche contre elle, Blanche, ou Euryale, ses cheveux bruns forment un éventail sur la mousse, elle sourit, les étoiles se reflètent dans ses yeux, et il grogne comme la jouissance s’approche, referme une main sur sa joue, Elisa, qui le repousse et il s’interrompt, horrifié, alors que derrière lui retentit la voix d’Ada.
« Mais qu’est-ce que vous faites, Albérich, bon sang ? »
Explosion de haine dans les yeux sombres de l’adolescente, explosion en lui, il se réveille en sursaut.

Une vague de honte l’envahit comme il se redressait sur son lit, en sueur, le bas du ventre poisseux. Pas un mouvement. Au moins n’avait-il pas réveillé les deux autres. Un peu tremblant, il se frotta le visage d’une main, tentant de reprendre ses esprits. Pas la peine de s’appesantir. Il se mit péniblement debout et marcha jusqu’à l’âtre mourant, retira ses chausses qu’il lança dans un coin, en colère contre lui-même. Puis il s’assit sur un fauteuil et soupira. Bel effet du millepertuis, il devenait vraiment mauvais en matière de dosage. Les bribes de son rêve lui échappaient déjà. Il y avait eu des murs et des marches, le hurlement d’un loup et… et le résultat. Au dehors, le ciel était gris sombre, mais il ne se faisait pas d’illusions : il ne se rendormirait plus. Les yeux fixés sur les braises, il songea à Eudes, qui avait perdu les deux femmes qu’il aimait, deux fils, presque un troisième, un ami, sans doute, en la personne d’Eloi, mais qui conservait à travers tout sa détermination. Même si on le sentait endeuillé, il émanait encore de lui une certaine force, il parvenait à prendre les choses à bras le corps, il restait le seigneur de Combeloup. Comment était-ce possible ? Apprenait-on ces choses-là aux enfants nobles ? Un produit du sang bleu qui coulait dans ses veines ? Ou bien était-ce une fatalité locale ? Pourquoi Albérich était-il incapable de faire face à ses propres pertes ? Que lui manquait-il ? Sans doute aurait-il été moins faillible si tout ne s’était pas déroulé de concert : morts, tortures et silence d’en haut. Tout était si récent. Et il n’avait jamais été de ce roc dont on taille les héros et les survivants.

Un bruit l'arracha à ses réflexions. Un bruit ténu, léger, le glissement d'un drap ou le battement d'une aile, il n'aurait su dire. Peut-être même l'avait-il rêvé, comme il rêvait peut-être cette ombre fugace à l'instant entrevue, par la fenêtre, dans la pénombre de la nuit vieillissante.
En revanche, ce qui se produisit ensuite, il ne le rêvait pas : il entendit quelqu'un bouger, derrière lui, une couverture choir au sol. Le temps qu'il se retourne, Bastien était redressé dans son lit.

Albérich retint son souffle et ne bougea pas d’un millimètre, aux aguets, les yeux fixés sur l’ombre de l’enfant. Il ne voulait surtout pas le déranger, l’interrompre ou lui faire peur. Etait-il éveillé ? Ou simplement somnambule ? Quoi qu’il en soit, c’était un nouveau signe de la survivance de quelque chose, au sein de l’enfant. A moins qu’il ne soit possédé par la créature qui venait de se poser sur l’appui de fenêtre.

Bastien demeura d'abord parfaitement immobile. Puis, avec lenteur, il se dépêtra de ses draps, balança les jambes hors de son lit et tenta de se mettre debout. Tenta seulement, car sa longue immobilité l'avait affaibli : il tangua une seconde, vacilla,, puis ses jambes se dérobèrent sous lui et il s'étala de tout son long sur le plancher. Le bruit réveilla César qui se redressa brusquement.
-Que se passe-t-il ? murmura le vieillard.
Dans la petite chambre, tout était redevenu parfaitement silencieux. Au sol, le petit garon n'esquissait plus le moindre mouvement.

Albérich s’était agenouillé près de l’enfant.
« Bastien s’est levé. Mais ses jambes n’ont pas supporté son poids… Je pense. »
Il le retourna doucement mais ne fut pas surpris de retrouver le trouver aussi inerte qu’à l’accoutumée. S’il s’était fait un bleu en tombant, ils ne le découvriraient que le lendemain : il faisait bien trop sombre pour voir quoi que ce soit.
« Je vais le remettre dans son lit. » ajouta Albérich en le soulevant.

Le vieil homme acquiesça sans rien dire puis, se levant à son tour, gagna la fenêtre. Il resta à regarder au travers de longues minutes, puis retourna s'assoir sur son lit. Dans la pénombre, Albérich ne pouvait rien voir de l'expression de son visage, mais le soupir qu'il poussa et la manière dont il secoua la tête étaient explicites : il se posait de grandes questions. Grandes questions auxquelles, malheureusement, il ne pouvait apporter de réponse.

L’ancien clerc termina de border l’enfant et effleura son front. Il y avait là une bosse en gestation, il en était persuadé, mais puisque Bastien était à nouveau inconscient, cela ne servait à rien d’y remédier d’en l’immédiat. Il suivit César du regard alors que le vieil homme se déplaçait.
« Rien sur l’appui de fenêtre ? Aucune trace ? » demanda-t-il, par principe.

Il haussa les épaules.
-Il fait encore très sombre, et ma vue n'est peut-être plus tout à fait ce qu'elle était autrefois. Mais si je ne m'abuse, il y a des traces, si; Des marques laissées par les pattes d'un gros oiseau. Remarquez, cela ne veut pas dire grand chose, il peut s'être trouvé là il y a une minute comme une heure, ou dix... Mais enfin, il y a des traces.

« C’est lié au réveil de Bastien. L’oiseau s’est posé ou est parti juste avant qu’il ne bouge... C’est comme si… quelque chose du dehors… essayait de communiquer avec lui… ou lui rendait de l’énergie… Il y avait aussi quelque chose sur l’appui de fenêtre, au moment où je l’ai vu bouger, avant-hier soir… »
Enfermé dans le donjon, le petit garçon était à l'écart de la nature, privé, peut-être, d'une source importante de guérison. Albérich se leva et alla à son tour scruter la nuit noire.

Il acquiesça.
-Comme il y avait quelque chose à ma fenêtre la première fois qu'il a esquissé un mouvement. Je peux même vous dire que, dans mon cas, il s'agissait d'un corbeau blanc. C'est l'une des raison pour lesquelles je n'étais pas très heureux à la perspective de venir ici : j'avais peur que... Que s'il y avait un contact, il vienne à se perdre, à se briser.... Mais ce n'est pas le cas, apparemment.

« Dans ce cas… » fit Albérich. « Ne prenons pas de risques. »
Il ouvrit la fenêtre et laissa entrer l’hiver. Le feu, attisé par le brusque courant d’air, rougeoya avec plus de fureur. L’ancien clerc se tourna vers le vieil homme.
« Heureusement, nous avons reçu double dose de couvertures. Nous survivrons. »
Puis il retourna s’asseoir près du feu.

A la lueur des flammes, l'ancien aubemestre put noter la surprise du vieil homme. Pourtant, il ne protesta pas, se contentant de déposer une nouvelle couverture sur Bastien, avant de s'emmitoufler lui-même. Puis d'attendre, à l'instar d'Albérich.
Les minutes passèrent ; le froid s'intensifia. Mais s'il y avait fort à parier qu'un oiseau s'était tenu sur le rebord de la fenêtre quelques instants plus tôt, il parut de plus en plus évident qu'il n'était plus dans les parages. En dehors des frimas hivernaux, seuls leur parvenaient du dehors les voix des sentinelles, le bruit de leur pas sur le mur d'enceinte, l'éclat fugace, parfois, des torches qu'ils portaient.
Et, bientôt, la grisaille qui précède l'aube.

Cette fois, ce fut le Luménien qui descendit quérir le petit déjeuner. Il était parmi les premiers à atteindre la salle à manger et fut servit rapidement, ce qui lui permit de remonter pour sustenter ses compagnons de chambrée. Bastien s’était levé et arborait effectivement une jolie ecchymose sur le front, ainsi qu’une autre sur l’épaule. Albérich les couvrit d’un baume gras, cicatrisant, puis il fallut que les deux hommes inventent une histoire plausible pour expliquer ces marques. Ils convinrent, un peu à contrecœur, de raconter, si on leur posait la question, que César avait trébuché en le transportant du fauteuil à son lit. Ils décidèrent aussi de refermer la fenêtre en leur absence. Autant ne pas tenter le diable, ou le corbeau, lorsque Blanche serait seule avec l’enfant.
Ensuite, Albérich partit, promettant de repasser régulièrement, sous divers prétextes. Il fit exprès d’oublier un paquet de bandes propres près de son lit, histoire d’avoir une première excuse. Il emporta avec lui l’épée remise par Herbert. Au cours de ses ruminations matinales, il s’était convaincu de la remettre à Hodor, et c’est donc chez le forgeron qu’il porta ses pas en premier lieu.

Malgré l'heure matinale, celui-ci était déjà en plein travail, s'occupant cette fois d'une longue épée qui nécessitait d'être retrempée. Il ne leva pas tout de suite les yeux à l'entrée d'Albérich, concentré sur sa tâche - et, peut-être aussi, redoutant de se voir immédiatement attribuer un surcroît de labeur s'il le faisait.
Pourtant, il finit par se redresser, et sa mine revêche devint bien plus affable sitôt qu'il eut reconnu son visiteur.
-Heureux de vous voir, messire, dit-il, souriant. J'ai appris que vous étiez notre nouveau guérisseur à demeure... Êtes-vous venu pour m'apporter, via quelque décoction, le soutien moral dont j'ai grandement besoin pour accomplir dignement mon office ?

« S’il vous en faut, je peux vous dégoter quelque chose. Et si vous souffrez de crampes, de courbatures ou d’ampoules, n’hésitez vraiment pas à me demander. Il suffit parfois de presque rien pour retaper un organisme souffrant. »
Il sourit.
« Mais je ne suis pas venu pour ça. »
Il sortit l’épée de son emballage de toile.
« On m’a offert cette lame, pendant mon voyage, et je serais bien incapable de m’en servir. Je me suis dit qu’en ces temps troublés, elle pourrait peut-être servir à quelqu’un, donc je vous l’apporte. »

Hodor prit l'arme et l'examina avec attention.
-C'est une excellente lame... dit-il enfin. Pas forgée d'hier, et souvent utilisée ; mais un bon entretien, et il n'y paraîtrait plus. Vous êtes certain de vouloir vous séparer d'un tel objet ? Celui qui vous l'a offert ne s'est pas moqué de vous... Et, à franchement parler, nous disposons d'armes en suffisance, même si elles ne sont pas toutes de cette qualité.

« Oh. » fit-il simplement. « Si vous n’en avez pas besoin, ma foi… »
Il se fendit d’un léger sourire, un peu mélancolique.
« Hier, j’étais persuadé que ça n’avait aucune importance, que de toute façon… Les loups ne tarderaient pas à se repaître de ma carcasse… Aujourd’hui… Bon. Je vais la garder. Je suis désolé de vous avoir pris votre temps pour rien… »

-Ne soyez pas désolé ! protesta Hodor en lui rendant l'épée. C'était un plaisir de vous croiser. Un peu de distraction au milieu de tout le travail qu'on me donne. Quant à votre geste, il était louable : une si bonne lame peut toujours être utile. Mais je trouverais ça dommage que vous vous sépariez d'elle... Surtout si c'est parce que vous pensez mourir sous peu.
Il lui tapa sur l'épaule, familier.
-Si d'aventure ce genre d'idée vous traversait à nouveau l'esprit, passez me voir. Je me ferai un plaisir de vous rappeler vos exploits, au cercle de pierre... Ensuite, vous me direz qui de vous ou des loups doit réellement craindre l'autre...

Albérich eut un sourire léger.
« Je me souviens surtout que j’aurais été dévoré tout cru si une compagnie de cavaliers n’avait pas débarqué pour nous sauver la vie. Sans vouloir minimiser vos prouesses, bien sûr. »
Il prit ensuite congé d’Hodor et remonta à sa chambre pour y abandonner l’épée. Il était finalement soulagé de ne pas avoir eu à s’en séparer. Si jamais les lames venaient à manquer, le forgeron pourrait toujours le lui faire savoir.
César n’était pas encore parti, mais il avait revêtu une tenue propice aux leçons qu’il devait dispenser. Albérich lui trouva fière allure, le lui dit, puis retourna à ses patients du jour. Il avait davantage de temps devant lui, ce jour-là, car il avait pallié aux urgences la veille. De plus, il ne restait plus grand monde dans les couloirs et il put donc se consacrer tranquillement aux quelques cas qu’il rencontra. Il y avait heureusement de grandes provisions de simples dans la chambre d’Eloi, de quoi tenir plusieurs semaines, pour autant que tous les Combelupins n’attrapent pas la même maladie en même temps. Pour l’heure, il n’y avait toujours aucun signe inquiétant.
En milieu de matinée, comme promis, il retourna à la chambre, pour y récupérer des pansements, et surtout, affronter Blanche.

Il trouva la jeune femme assise au coin du feu., dans le fauteuil faisant face à celui sur lequel était installé Bastien. Occupée à repriser un drap, elle se leva cependant à l'entrée de l'ancien aubemestre, déposa son ouvrage et se fendit d'une révérence.
-Messire... murmura-t-elle.
Albérich se souvenait bien d'elle, à présent. Et force lui était de constater que, comme la précédente fois où il l'avait vue, elle paraissait aussi jolie qu'intimidée.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Combeloup

Quête : Brumes

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Re : [Lieu] Combeloup

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