La Couronne de Cuivre

" Et bien c'est parfait comme ça. La luminosité est meilleure en début de matinée ou en milieu d'après-midi. Mais si tu préfères un autre horaire ça n'est pas grave, tu me diras; de toute façon, je serai là toute la journée : vous viendrez me chercher quand vous aurez du temps..."

Tout en bavardant, l'artiste, concentrée, peignait, touche par touche, reculant parfois pour mieux juger de l'ensemble, modifiant une couleur ou un tracé.
L'après-midi avançait, lentement -très lentement. Sylvia avait beau être là, la présence de Riniel ne leur laissait pas la liberté de discuter autant qu'ils l'auraient souhaité : ils étaient contraints d'en rester à des sujets superficiels. Riniel parla un moment sculpture avec Kasumi, mais la plupart du temps, elle restait silencieuse, concentrée sur son oeuvre.
Vers le milieu d'après-midi, elle décréta une pause, les invitant à nouveau à déguster quelques biscuits accompagnés de thé ou d'alcool selon leur préférence. Kasumi put dégourdir ses muscles un peu endolori, et changer de position lorsqu'il revint s'asseoir. Du reste, elle ne l'obligeait pas à l'immobilité complète... sauf lorsqu'elle décrétait subitement qu'il ne devait plus bouger, auquel cas la position devait être maintenue de longues minutes.
" Bon... je travaille maintenant sur les expressions du visage... Je vais t'en demander plusieurs pour choisir ce qui convient le mieux : essaie de t'imaginer dans la situation et de refléter le sentiment que je te demande. D'abord, je veux que ton visage reflète la stupéfaction la plus complète, pendant quelques minutes. Puis l'émerveillement. Ensuite, une sorte d'adoration. Puis... je dirais un visage farouche, concentré et déterminé. Est-ce que tu t'en sens capable ?

Le moins que l'on puisse dire était que l'exercice ne lui était pas coutumier... Etre acteur n'avait jamais été une des compétences principales des rôdeurs et il chercha aussitôt Sylvia du regard en quête de conseils. Après tout, il était probable que la rôdeuse soit passé par cet exercice quelques jours plus tôt... Une inspiration lui venant, il interrogea sa tente mais sans quitter sa compagne des yeux :

- Suis-je tenu de prendre ces expressions dans cet ordre ? Parce que je que je suis plus inspiré par l'émerveillement et l'adoration pour commencer !

Il adressa un clin d'œil mutin à la jeune femme comme s'il était besoin de préciser quelle était la source de ces sentiments.

Sa tante prit sa remarque très au sérieux, sans paraître se soucier de son échange de regards avec Sylvia.
" L'ordre n'a pas vraiment d'importance... mais si ça peut t'aider, imagine une situation. Par exemple, pour la stupéfaction, imagine que tu te trouves face à Sylvia à un moment et un endroit où tu ne t'y attendais absolument pas. Tu es complètement stupéfait... puis émerveillé qu'elle ait eu la même idée que toi au même moment. Pour l'adoration, je pense que tu n'as pas besoin de mise en situation... Pour le côté farouche et déterminé, imagine qu'elle est blessée et que tu dois défendre sa vie contre une horde d'asabis féroces... Enfin, ce sont des exemples bien sûr, mais si tu les vis dans ta tête, alors ton visage les reflétera."

C'était plus ou moins ce à quoi il avait pensé mais il fouilla dans ses souvenirs pour trouver les situations qui lui parlaient le plus. Pour la stupéfaction, il se remémora un épisode de leur jeune vie d'adultes où il était allé se baigner à la rivière, complètement nu. Sylvia s'était alors approché dans son dos et sans un bruit avant de se manifester brusquement... Il avait été tellement stupéfait que son cœur avait manqué plusieurs battements et avait mis plusieurs minutes à retrouver un rythme normal. Bien sûr, il était loin de se douter, à l'époque, que ce jeu n'avait pas été aussi innocent qu'il le lui avait paru alors.

Quand Riniel lui en eut donné le signal, il songea à cette soirée dans sa cabane où il avait senti le désir que cette femme éprouvait pour lui, où leurs lèvres s'étaient frôlées pour la première fois, où chacun avait compris que l'autre éprouvait les mêmes sentiments. Son visage dériva tout naturellement vers l'adoration quand son esprit reforma ce qu'il avait éprouvé quand ils s'étaient dénudés l'un l'autre et s'étaient partagés dans un cocon d'intimité et de douceur. Il dut néanmoins tempérer ses sensations pour ne pas se laisser dériver vers le désir : le moment n'était pas venu. Imaginer Sylvia en grand danger était un expiatoire efficace pour l'occasion et il prit une mine résolue à la sauver des griffes de ses ennemis.

Il observa que Riniel ne peignait pas directement les expressions qu'il composait. Elle avait pris un petit calepin et se contentait d'esquisses au crayon à mine de graphite, croquant ses traits au fur et à mesure que son expression changeait. Elle paraissait en tout cas tout à fait satisfaite de ses tentatives pour maîtriser son expression. Sylvia se prêta au jeu en se plaçant face à lui lorsqu'il s'agissait de feindre l'émerveillement ou l'adoration, histoire de l'aider... ou de lui compliquer la tâche peut-être. Riniel lui demanda d'afficher ensuite une expression de surprise émerveillée, qu'il n'eût pas de mal à simuler.
Puis, silencieuse, elle se remit à peindre, concentrée, jetant des coups d’œils aux quelques traits tracés sur son calepin. Elle ne regardait presque plus le rôdeur, et finit, au bout d'une demi-heure encore, par lever la séance de pose.
" Je crois que je n'ai plus besoin de toi pour le moment. Je vais affiner un peu, puis laisser mûrir jusqu'à demain... Tu me diras à quel moment de la journée tu es disponible , j'en ai pour deux heures je pense...
- Ou trois...", glissa Sylvia, levant les yeux au ciel.
On était déjà la fin de l'après-midi, et les deux rôdeurs, finalement, n'avaient absolument rien fait de leur journée.

Kasumi ne s'était toujours pas décidé sur le meilleur moment de la journée pour achever sa participation au projet de Riniel : le matin imposait de se priver d'une petite grasse matinée - d'autant plus nécessaire que la fête organisée par son frère pouvait se finir tardivement - et il était probable qu'il n'ait pas tout à fait la tête à tenir la pose à seulement quelques heures de son rendez-vous avec le commandant. A l'inverse, il n'était pas du tout certain qu'il aurait encore l'opportunité de le faire l'après-midi ou qu'il soit, là encore, dans la bonne disposition d'esprit pour rester immobile pendant deux ou trois heures. Décidément, ce rendez-vous menaçait de lui gâcher son séjour !

Mais à chaque jour suffisait sa peine et il tendit sa main à Sylvia avant de l'entraîner hors de l'atelier et de déclarer joyeusement :

- Alors, tu veux sortir un peu ? En tous cas je ne te dirai pas à quoi j'ai pensé pendant la séance de pose, même sous la torture !

Ou peut-être qu'il n'attendait que cela au contraire...

" Oh, mais je sais très bien à quoi tu as pensé !, rétorqua Sylvia. Je lis dans tes yeux à livre ouvert..."
C'était peut-être un peu présomptueux de sa part, d'autant qu'elle ne paraissait pas vouloir préciser ce qu'elle avait soi-disant lu dans les pensées de Kasumi. Peut-être était-ce un moyen de le pousser à en dire plus...
Tandis qu'ils descendaient -enfin- l'escalier, elle ajouta d'un ton joyeux.
" Je suis en tout cas capable de deviner les moments où tu pensais à moi... et même, je suis prête à parier que tu m'as imaginée nue lorsqu'il fallait modifier ton expression... Enfin, j'espère que ça n'était pas à une autre femme ! Celle que tu as connue sur Hélonna par exemple..."

Son sourire ravi se figea un peu à cette dernière remarque et son expression se fit sérieuse tandis qu'il lui attrapait les deux mains et la regardait droit dans les yeux avant de chuchoter d'un ton doux :

- Non, c'était bien à toi que je pensais... Crois-moi : tu es désormais la seule femme que j'aime imaginer nue ! Et de loin la plus belle qu'il m'ait été donné d'admirer.

Et pour montrer à quel point il était sincère, il l'attira tendrement à lui pour déposer un baiser sur ses lèvres, peu soucieux qu'ils se trouvent dans le couloir où un membre de sa famille pouvait apparaître à tout instant.

Elle lui rendit son baiser avec une expression ravie. Sans doute n'avait-elle cherché qu'une simple confirmation de ce qu'elle savait déjà... ou un baiser, qu'elle avait obtenu. Et qu'elle prolongea longuement, suscitant des émois qu'il n'était ni le lieu, ni l'heure de laisser s'exprimer. Les bonnes odeurs émanant de la cuisine rappelaient qu'un banquet se préparait pour ce soir... et que le soir approchait dangereusement vite.
Il leur restait toutefois le temps de sortir prendre l'air, et c'est vers le jardin que Sylvia entraîna le rôdeur. il put constater qu'elle avait parfaitement pris ses marques dans la maison, et qu'elle avait déjà ses habitudes, ses arbres préférés, le banc sur lequel elle avait dû s'asseoir maintes fois et vers lequel elle l'entraîna pour un nouveau baiser, un peu plus à l'abri des regards indiscrets.

Kasumi ne bouda pas son plaisir de pouvoir enfin prendre l'air et aussi de se retrouver seul à seule avec Sylvia pour partager un petit moment d'intimité. Il la laissa le guider en notant ses préférences et en se réjouissant de l'aisance avec laquelle elle avait trouvé ses marques dans cette maison étrangère pour elle. Quand ils furent installés sur le banc, il attrapa sa main juste pour le plaisir de la tenir dans la sienne et lui décocha l'un de ses plus beaux sourires. Il appréciait ce moment de calme avant la tempête que représenterait la fête et choisit de ne pas briser le silence si reposant pendant plusieurs minutes. Toutefois, une idée lui traversant subitement l'esprit, il le rompit d'une voix faussement inquiète. Son sourire en coin démentait pourtant qu'il puisse juger ce sujet comme primordial :

- Tu crois que Tilmandil s'attend à ce que je me change ? On ne sait jamais : peut-être a-t-il invité des elfes sur lesquels il faudrait que je fasse bonne impression ! Pour toi, c'est différent : quelle que soit ta tenue, tu auras toujours l'air d'une adorable déesse mais moi je dois faire des efforts !

Sa tirade, destinée de toute évidence à faire rougir la rôdeuse, atteint son but. Sylvia s'empourpra, bafouilla, s'embrouilla dans des dénégations inaudibles. Elle finit par répondre qu'il était toujours beau quoi qu'il fasse, mais que tout de même, compte tenu des circonstances, il serait bon de se mettre sur son trente et un. C'est en tout cas ce qu'elle avait prévu, apparemment.
Cela dit, Kasumi avait déjà revêtu ses plus beaux atours de rôdeur pour poser. Il n'avait certainement pas de costume d'apparat dans ses bagages, ni le temps d'en trouver un avant le dîner. Il avait donc le choix entre rester tel qu'il était ou aller quémander quelque chose de mieux à son frère ou à son père.

Kasumi était aussi ravi qu'attendri par l'émoi que ses compliments pouvaient provoquer chez sa compagne ce qui ne pouvait que l'encourager à renouveler l'expérience. Plus tard cependant... Mais quoiqu'il ait pu en dire, il avait secrètement espéré voir Sylvia se mettre en tenue élégante pour l'occasion. Cette intention de la part de sa compagne acheva de le décider de faire lui-même un effort :

- Tu veux bien m'excuser encore un instant, ma douce ? Je crois que je vais demander à mon père ou à mon frère s'ils n'auraient pas des vêtements à ma taille à me prêter. Ce n'est pas gagné cela dit... J'aurais du les prévenir avant.

Sylvia le laissa aller seul exposer sa requête, préférant l'attendre dans le jardin et garder la surprise pour le soir. Il leur restait probablement une petite heure avant de devoir s'habiller, et elle voulait respirer un peu l'air du dehors.
Son frère accueillit la demande avec un sourire un brin moqueur. Il était plus fluet que lui, mais il avait une garde-robe fournie, et, en fouillant un peu, il parvint à lui proposer des chausses de velours et une tunique richement brodée, ainsi qu'un surcot, en velours également. L'ensemble, dans les tons rouge sombre, or et crème, était parfait pour une soirée habillée, mais plus voyant et ornementé que Kasumi n'en avait l'habitude. L'essayage parut grandement amuser Tilmandil, qui, hilare, le complimenta néanmoins sur le résultat obtenu.
Son père, également consulté, lui proposa un costume beaucoup plus sobre, dans des tons vert-gris, avec moins de broderies et de dorures, et une coupe plus droite. Les deux costumes lui allaient parfaitement, bien sûr, et ils plairaient certainement à Sylvia.

Kasumi ne voulait décevoir ni l'un ni l'autre de ses parents mais il devait bien choisir entre leurs deux propositions. Il allait faire le choix qui correspondait le plus à son image et à ses gouts habituels et opter pour le costume de son père mais il changea néanmoins d'avis au moment de quitter la chambre de son frère. Finalement, il devait bien avouer qu'il avait aimé la tenue flamboyante et que l'idée de surprendre toute l'assistance - Sylvia la première - avait fait son chemin. En définitive, il remercia Tilmandil et Elryndel pour leur aide précieuse avant de déclarer d'un ton un brin désolé à ce dernier qu'il ne porterait pas la tenue qu'il lui avait proposée même s'il l'adorait mais que ce n'était que partie remise.

Lui aussi était bien décidé à ne montrer le résultat qu'au dernier moment aussi demanda-t-il à Tilmandil s'il pouvait laisser cette tenue de côté pour quand il viendrait se changer. Pour l'heure, il avait bien l'intention de retourner au jardin pour profiter des dernières minutes de calme et d'air frais.

Sylvia l'attendait là où il l'avait laissée. Elle avait fermé les yeux et laissait le soleil baigner son visage, détendue, plongée dans ses pensées. Vif-Argent l'avait rejointe. Perché sur une branche basse tout près du banc, il poussa un cri en apercevant Kasumi, ce qui eut pour effet immédiat de tirer Sylvia de ses songes.
" Alors, tu as trouvé ton bonheur ? Hum... laisse-moi deviner... Quelque chose dans les tons verts et bruns ?"
Elle lui sourit, et eût subitement une grimace inquiète.
" Ne me dis pas que c'est déjà l'heure d'aller se changer ? Je n'ai pas eu ma dose de lumière aujourd'hui..."

Le demi-elfe s'inquiéta subitement d'avoir pu faire le mauvais choix. Mais le sourire bienveillant de Sylvia et ses inquiétudes reléguèrent ses doutes au second plan. Il s'installa calmement à côté d'elle sur le banc et s'empressa de la rassurer :

- Non, ne t'en fais pas : la réception ne commence pas avant au moins quarante minutes. Nous avons donc encore un moment pour profiter de cette charmante fin d'après-midi.

Il se demanda tout de même s'il ne devait pas l'avertir qu'il avait opté pour quelque chose de différent mais se décida à lui laisser la pleine et entière surprise ne serait-ce que parce qu'elle vaudrait certainement le coup d'œil.

" Hum... Profiter... de quelle manière ? questionna-t-elle avec un sourire mutin. Parce que j'ai bien quelques idées, mais ce n'est pas le lieu idéal..."
Elle rit, joyeusement.
" Et voilà, tu imagines tout de suite des choses... Qu'est-ce qui te fait croire que je ne pensais pas simplement à un bon bain chaud, ou bien à un concours de tir ? Mais non, tout de suite tu penses au lit ! Tu es incorrigible !"
Ce qui ne l'empêcha pas de l'embrasser passionnément sans lui laisser le temps de protester... mais elle se redressa brusquement, aux aguets, en entendant des bruits de pas un peu plus loin. Ils n'étaient pas tout à fait seuls dans le jardin.

Il devait bien reconnaître que cette femme était diablement douée pour le faire marcher mais qu'il était bien incapable de lui en vouloir pour ses taquineries - bien au contraire même ! Les bruits qui approchaient constituaient néanmoins une diversion parfaite qui lui permit de se reprendre et de trouver quoi répondre en chuchotant à son oreille :

- Mais voyons ma chérie : ta seule présence me fait profiter de la vie !

A nouveau, il atteignit son objectif : la faire rougir.
Les pas qu'ils avaient entendu s'éloignaient désormais : peut-être l'intrus avait-il deviné qui était présent et désirait-il leur laisser un peu d'intimité.
Vif-Argent, de son côté, s'envola pour se poser sur l'épaule de sa maîtresse, comme s'il voulait marquer son territoire. Elle l'en chassa d'un geste affectueux, puis se contenta de se blottir contre son compagnon, alanguie.
" C'est dingue... On a passé toute la journée assis et je me sens aussi fatiguée que si on avait fait une partie de chasse. Je n'ai qu'une envie, paresser dans tes bras jusqu'à ce que cette fichue soirée soit terminée...", soupira-t-elle. Tu crois que ça va être long ? Je ne connais rien aux habitudes elfiques, et Tilmandil ne veut rien dire..."

Kasumi ne demandait pas mieux que passer le reste de la soirée - sinon plus - sur ce banc avec Sylvia blottie contre son épaule. Il l'attira à lui pour qu'elle puisse poser confortablement sa tête sur son épaule tout en caressant distraitement ces cheveux d'un roux flamboyant qui le fascinaient toujours autant même après tant d'années.

- C'est épuisant de ne rien faire : marcher en forêt me ressource, moi aussi ! Mais je n'ai aucune objection à ta proposition. A moins que tu ne préfères tout de même danser un peu pendant la soirée. Moi, je pense en avoir envie ! Peu importe tous ces elfes que je rendrai jaloux et qui n'auront d'yeux que pour la plus belle invitée du bal !

D'un commun accord, ils se contentèrent donc de se prélasser sur le banc, tendrement enlacés, se laissant bercer par les chants des oiseaux et le souffle du vent dans les feuillages, juste au-dessus.
Vif-Argent avait repris sa place et les surveillait d'un œil qu'il aurait volontiers qualifié de jaloux. Mais nul intrus ne vint les déranger. A l'intérieur de la maison, cependant, ils entendaient qu'on s'affairait. Bruits de chaises et de tables qu'on installe, tintement de verres et de porcelaines qui s'entrechoquent, bruits de voix également. L'heure de la réception approchait, et il était grand temps pour eux d'aller se préparer. Il leur semblait même entendre d'ici les bruits de la salle d'eau prise d'assaut.

Kasumi - pour sa part - ne jugeait pas qu'un passage par la salle d'eau le concernant s'imposait sinon il l'aurait anticipé. Non, il n'avait qu'à se rendre dans la chambre de Tilmandil, enfiler sa tenue et remettre un peu d'ordre dans sa coiffure, sans doute en nouant ses cheveux. Le tout ne lui prendrait pas plus de dix minutes mais peut-être Sylvia avait-elle prévu de passer un peu plus de temps aussi se proposa-t-il de l'accompagner à l'étage immédiatement.

- Rassure-toi, je vais me changer ailleurs : je ne voudrais perturber tes préparatifs. Et puis j'ai laissé mes vêtements chez Tilmandil...

Une façon de laisser planer le mystère et d'annoncer une surprise. Il savait combien la rôdeuse les appréciait.

" Tu seras sûrement prêt avant moi. Tu connais la réputation des femmes ! Et de toute façon, moi aussi je me change ailleurs. Chez ta tante..."

La chambre de Tilmandil était déserte -il y avait fort à parier qu'il monopolisait la salle d'eau depuis un certain temps, à moins qu'il ne soit en train de préparer ailleurs l'animation de la soirée.. Il put donc se changer sans être dérangé le moins du monde. Il fut bien évidemment prêt le premier. En bas, on mettait la dernière main aux préparatifs, et il entendait les voix de son père et de Galawen, distribuant les consignes peut-être. Tilmandil était on-ne-savait où, et Sylvia, probablement encore auprès de Riniel.

Kasumi était tout à fait ravi que Sylvia ait développé un lien de complicité avec sa tante et cela laissait entrevoir qu'elle avait véritablement l'intention de faire grande impression à cette soirée.

Tant qu'il fut concentré sur ses propres préparatifs, il ne poussa pas plus loin sa réflexion mais, malgré un soin tout particulier mis à s'apprêter, il fut rapidement prêt à rejoindre les invités. Peut-être un peu trop tôt. Dès lors qu'il se trouva dans le couloir, il se demanda s'il devait attendre la rôdeuse pour faire son apparition en même temps qu'elle. C'était tentant même si cela supposait d'attendre dans le couloir, désœuvré. Il hésita quelques instants avant de renoncer : cela donnerait plus de poids à l'entrée en scène de Sylvia et, pour sa part, il préférait aller prendre le pouls de la fête avant que tous les invités ne soient arrivés. Une manière de s'intégrer en douceur voire de donner un coup de main aux éventuels derniers préparatifs.

Comme Tilmandil l'avait annoncé, la fête n'était pas une immense réception. Deux grandes tables avaient été dressées pour l'occasion, chacune pouvant accueillir un peu moins de vingt personnes. Des noms, artistiquement calligraphiés sur du parchemin, étaient disposés à chacune des places. Tout semblait prêt, et l'aide de Kasumi fut diplomatiquement refusée par la jeune servante qui mettait la dernière touche à la décoration.
Il eût largement le temps, en revanche, de déambuler pour lire les noms des invités. Il vérifia qu'il était à côté de Sylvia, bien sûr. En face d'elle, et à côté de son vis-à-vis, se trouvaient deux personnes dont le nom féminin lui était totalement inconnu : Iris et Neril. A côté de Sylvia se trouvait en revanche un nom connu : Tilmandil. Kasumi, lui, voisinait avec une certaine Arial qu'il ne connaissait pas, et en face de lui se trouvait un homme dont le nom le fit brusquement sursauter : Geoffrey Bartholeon-Malister.

Près de quarante personnes ! Ce n'était tout de même pas rien surtout quand on était aussi peu habitué aux fêtes mondaines que lui. Ce premier constat inquiétant étant effectué, il avait cherché à savoir qui était ceux qu'il allait être amené à côtoyer directement, les personnes avec lesquelles il serait le plus susceptible d'échanger au cours de la soirée. La première chose qu'il avait cherché à vérifier - qu'il était placé à côté de Sylvia et que cette dernière était positionnée à côté de quelqu'un avec qui elle était à l'aise - l'avait un peu rasséréné avant qu'il ne s'intéresse au reste des membres qui les entourerait. La plupart des noms lui était inconnus mais, quand il tomba sur l'étiquette qui faisait face à sa place, il n'en crut pas ses yeux. Comment était-ce possible ? Il se força à fermer puis à rouvrir les yeux mais le nom qu'il lisait n'avait pas subitement changé.

Il ne savait pas exactement comment réagir cette surprise, son cœur étant partagé entre une certaine euphorie à l'idée de revoir un ami d'enfance et un sentiment de panique à l'idée de ce qu'ils pourraient bien échanger, de l'idée qu'ils avaient pu changé l'un et l'autre au point de ne pas savoir quoi se dire... Nerveux, il se redressa et balaya la salle du regard, s'attendant à y trouver Geoffrey en train de l'observer.

Mais Geoffray ne s'y trouvait pas. Tilmandil, en revanche, fit son apparition, et Kasumi remarqua que leurs tenues étaient presque assorties. Tilmandil portait en effet un pourpoint de velours rouge, plus vif que celui de son demi-frère, sur une chemise crème, tous deux brodés d'or. Cela rendait encore plus évident leur ressemblance physique.
Le barde vint à la rencontre du rôdeur, tout sourires. Il semblait parfaitement détendu.
" Tu es magnifique dans cette tenue... je te l'ai déjà dit, je sais ! J'espère que ça plaira à Sylvia, en tout cas. Et je vois que tu as fait le tour des noms de ceux qui t'entourent... Bon, tu dois connaître ce Geoffray, à ce qu'il parait. A côté de lui, Iris, c'est sa compagne. Les autres... et bien je te les présenterai lorsqu'ils seront là !"

A n'en pas douter, le choix de tenue de Tilmandil n'avait rien d'anodin et il était quelque part touché par son geste, quoiqu'y ait pu le motiver. Son demi-frère semblait en effet désireux de faire savoir à tous leur lien de parenté ce qui ne pouvait que rendre Kasumi assuré de son affection réciproque.

Impulsivement, il donna une accolade au barde qui lui avait paru si différents et même antinomique de lui lors de leur première rencontre et dans les jours qui avaient suivi. Pour expliquer son geste, le rôdeur répondit d'un ton reconnaissant :

- Merci, c'est une magnifique surprise que tu aies invité Geoffrey. Je dois cependant reconnaître avoir un peu le trac...

" Ne t'en fais pas : il doit l'avoir autant que toi, même s'il est sûrement un peu plus habitué aux mondanités, puisqu'il est diplomate... mais grand-mère dit qu'il est plutôt sympathique, il lui a paru facile à aborder. Donc tout va bien se passer..."
Sylvia choisit ce moment-là pour faire son apparition. Elle avait relevé ses cheveux, soigneusement domptés, en un élégant chignon, et portait une tenue sobre et élégante. Elle avait choisi une robe de velours d'un vert très clair, qui à chacun de ses mouvements se marbrait de reflets bleutés. Un collier de perles noires ornait son cou, et une large ceinture noire et or soulignait sa taille.
Il la vit parcourir la salle du regard, depuis l'escalier, le cherchant visiblement. Son regard s'arrêta sur Tilmandil, à la tenue plus voyante, et elle l'aperçut l'instant d'après. Ses yeux reflétèrent une profonde stupéfaction, puis un large sourire approbateur illumina son visage tandis qu'elle descendait l'escalier à grandes enjambées -absolument pas compatibles avec la coupe de sa robe : elle manqua trébucher.

Les paroles de Tilmandil s'envolèrent et se perdirent dans les nuages dès que Sylvia fit son apparition dans l'escalier. Kasumi écarquilla les yeux de façon visible et ne sut plus où les poser pour tenter de ne rien manquer de la vision magnifique qui lui était donné de contempler. Même dans ses rêves les plus fous, il n'aurait pu envisager que la jeune-femme puisse être aussi élégante. S'il la trouvait divinement belle habituellement, il n'avait plus de mot pour la décrire à présent. Du reste, il aurait été bien incapable d'en prononcer puisqu'il avait gardé la bouche bée de stupéfaction. Son sourire d'approbation avait en outre figé son cœur au moment où il avait compris que c'était à lui qu'il s'adressait.

La Couronne de Cuivre

[Everaska] Quête: Racines