La Couronne de Cuivre

-Je sais bien, Alby ! Mais tu ne pas nier qu'il existe une possibilité pour qu'un ou deux monstres passent au travers des mailles du filet et nous assaillent à l'improviste... D'accord, les chances sont infimes. Néanmoins, elles existent, et les garder à l'esprit rajoute du piment à l'aventure !
-Un vrai gosse, souffla Giovanni, amusé.
-Je suis sûr qu'à ma place, tu envisagerais les choses exactement de la même façon !
-Pas sûr : les morts-vivants sont quand même incroyablement laids et leur vue risquerait de choquer ma sensibilité artistique...

" Je pensais que les Sunites répugnaient à s'exposer aux miasmes et autres déjections que trimballent les morts-vivants. Mais suis-je bête... Avec ton armure flamboyante, tu ne risques pas grand chose..."
Il sourit.
" Bon, je vais me préparer. Je te retrouve en bas... Tâche de ne pas être en retard."
Le gratifiant d'un clin d'oeil, il abandonna la petite assemblée et regagna ses appartements. Dès qu'il aurait enfilé sa cotte de mailles et déniché sa masse, il se rendrait au point de rendez-vous.

-Je me fais fort d'être là-bas avant toi ! Avant lui ! lança le clerc avant que son ami ne se fut trop éloigné.
Et de fait, quand Albérich rallia le point de rendez vous - avant que le délai imparti ne se soit écoulé -, Thibault s'y trouvait déjà. Il était pimpant, évidemment.
-Si, dans ta gestion des apprentis, tu en trouves un qui a toujours rêvé de nettoyer des armures, envoie-le moi : c'est un travail incroyable de garder tout ça dans un état de propreté digne de ce nom ! Hum, d'ailleurs, si je puis me permettre, c'est loin d'être parfait en ce qui te concerne : ta cotte de mailles a une ternissure ici. Et ici. Et là.

" Sûrement. Et je m'en moque complètement, je dois dire." répartit Albérich avec un sourire contrit.
Il haussa les épaules.
" Je sais, je sais, ternissure dit rouille dit trou dit moins de protection dit mort certaine."
Il sourit de plus belle.
" Mais maintenant que j'ai retrouvé mes pouvoirs, je répare ça d'un claquement de doigts... Alors bon..."

-Alby, non seulement Lathandre n'est guère favorable à la résurrection mais, de surcroit, on ne peut s'auto-ressusciter, fit le Sunite, sentencieux. Ah, mais tu parlais sans doute juste de ta cotte... Je ne sais pas pourquoi mais, bizarrement, je ne t'imagine pas gaspiller l'énergie de ton dieu pour de telles fadaises...
Il regarda autour de lui, poussa ce qui ressemblait beaucoup à un soupir d'aise.
-Et nous voilà, toi et moi, discutant armures, nous apprêtant à explorer une antique cité emplie de monstres effroyables et de trésors fabuleux... L'aurions nous cru, si on nous l'avait dit il y a ne serait-ce que six mois ?

" Je dois dire que... Non. Il y a six mois, j'aidais aux récoltes dans les champs de la Vallée du Nirvana... Il faisait grand soleil, chaud, lumineux... du moins au dehors."
Il sourit. Hubert était en retard.
" Alors je ne l'aurais pas cru, non. J'ai toujours du mal à y croire maintenant, en vérité. Je ferais peut-être mieux de céder ma place à Gabriel..."

-Impossible : s'il prenait ta place, il n'y aurait plus personne pour veiller sur nos petits sauvageons. Tu es donc coincé, tiens-toi le pour dit !
Il lui tapa sur l'épaule.
-Mais allez, je suis sûr que ce sera amusant ! Et puis, quand même, ça n'est pas rien de participer à la résurrection d'une ville oubliée ! Si nous nous y prenons bien, quand reviendra la belle saison, quand le soleil estival brillera de mille feux, elle aura retrouvé une partie de sa splendeur d'antan et, surtout, sera redevenue un lieu où il fait bon vivre...

" Oh, je n'en doute pas... Si pas cette année, la suivante... Cette cité est abandonnée depuis des siècles, nous pouvons bien lui offrir quelques années..."
Il sourit.
" D'autant que tu as sûrement appris qu'un gros contingent sunite allait nous rejoindre dans peu de temps, depuis Grand Estuaire. Vous avez bien fait ça, apparemment. Et c'est une chance : vu la taille des lieux, des bras supplémentaires ne seront pas de trop."

Thibault s'empourpra.
-Je... Hum...
Il se racla la gorge.
-J'y suis peut-être allé un peu fort en demandant de l'aide... Il faut dire que ce que j'avais appris avait de quoi m'inquiéter...
Déjà, il retrouvait une partie de son allant.
-Mais je suis content si vous prenez ça comme une bonne nouvelle. C'en est une, d'ailleurs. D'autant qu'honnêtement, je ne pense pas que vous ayez à craindre d'être submergés par les Sunites : les Tymorans ont dû bouger aussi en constatant que nous le faisions. Des Lathandrites également, sans doute. Sans compter les gens qui ont entendu des rumeurs sur la Communauté un peu trop tardivement...

" Beaucoup de gens ont répondu à votre... ton appel, apparemment. J'espère juste qu'ils n'ont pas peur de se salir les mains. Je sais, tu diras que ce sont des préjugés sur les Sunites, mais tu dois bien avouer que parmi vos fidèles, il y a aussi des gens qui n'ont pas grande connaissance des... turpitudes de l'existence. Ce ne sont sans doute pas ceux-là qui ont décidé de traverser les Landes, d'accord, mais tout de même... Si ce sont seulement des artistes... et je sais que nous avons besoin d'artistes... ça ne nourrira pas le peuple."

-Qui a besoin de nourritures terrestres quand il y a abondance de nourriture spirituelle ? Mais ne t'en fais point : ne viendront pas que des artistes. Viendront également des tailleurs, des coiffeurs, des parfumeurs, des bijoutiers, des masseurs...
Il croisa les bras.
-Cette ville va être un paradis.

" Je ne crois pas que l'or ou le savon se mangent..." dit le Luménien d'un air songeur.
Hubert venait d'arriver, des soldats dans son sillage. Il jeta un coup d'oeil circulaire sur l'assemblée, puis se pencha sur un document qu'il avait pris avec lui.
" Je crois que le signal du départ ne va plus tarder..."

-Zut, pile au moment où je m'apprêtais à t'annoncer que, pour vous assurer des renforts, j'ai également fait jouer mes contacts chez les Sharessiens... Bon, en même temps, il vaut peut-être mieux que tu n'en saches rien.
Son sourire innocent disparut tandis qu'il adoptait une attitude martiale.
-Allez, plus qu'à entendre les consignes du chef et l'aventure nous ouvrira tout grand les bras !

Hubert tâcha de ne prêter qu'une attention distraite aux clercs et s'éclaircit la gorge. Il n'avait pas de consignes particulières à donner au groupe, sinon les mêmes que la veille et l'avant-veille. Pour le reste, il avait l'intention de reprendre l'exploration exactement où Etienne l'avait laissée l'après-midi précédent, à la bâtisse près. Il ne s'attendait pas à faire d'extraordinaires découvertes, ni à rencontrer beaucoup de créatures, car Ezéchiel et ses hommes les avaient précédés à l'extérieur, mais dès que les chevaux et les retardataires les eurent rejoints, il prit la tête de leur petit groupe et mit le cap sur les tunnels, direction la rue et les ruines...

Si, durant le trajet, Hubert put légitimement se demander si son groupe était dans l'état d'esprit adéquat pour la mission qu'il s'apprêtait à accomplir - tout le monde semblait d'humeur légère, les conversations allaient bon train et le joyeux badinage de Thibault n'arrangeait rien à l'affaire -, il fut rassuré sitôt qu'ils débouchèrent à l'air libre : les bavardages s'interrompirent, les mines se firent concentrées, les yeux se mirent à scruter le décor... Il faut dire que l'ambiance n'incitait guère à la décontraction : la neige tombait drue, le vent hurlait dans les rues désertes, les ouvertures des façades béaient, obscures...
J'ai fichtrement envie de m'imaginer cet endroit tel qu'il sera bientôt : des lumières aux fenêtres, des éclats de voix, des passants se pressant pour échapper à la bise... souffla le Sunite à l'oreille de son ami. Tout de suite, ça paraîtrait moins sinistre.
Il s’emmitoufla dans les larges replis de sa cape.
-D'un autre côté, ça ne serait sans doute pas très prudent. Mieux vaut voir ces lieux tels qu'ils sont encore : cela ne peut qu'inciter à demeurer sur ses gardes.

La neige. Albérich avait depuis longtemps perdu tout attrait pour sa magnificence immaculée. Elle était sinistre, meurtrière, glaciale, et avait accompagné les pires instants de son existence. Mais il s'en sentait désormais protégé, nourri par le feu de Lathandre, à l'intérieur de lui-même. Thibault avait raison, cependant : il fallait demeurer sur ses gardes, d'autant que le vent étouffait tous les sons autour d'eux.
Hubert était vigilant, lui aussi, et il organisa les équipes comme l'avant-veille, répartissant les jeteurs de sorts dans deux groupes différents, Albérich d'un côté, Thibault de l'autre, et demeurant dans la rue avec un troisième groupe tandis qu'ils fouillaient les maisons voisines. Avec ce temps pourri, compléter la carte tiendrait de l'impossible, à moins qu'ils n'installent rapidement un semblant de QG à l'intérieur d'une des villas décrépites.

C'est ce qu'ils firent, l'établissant dans la première demeure qu'ils visitèrent et qui, comme celles explorées précédemment, ne révéla rien de bien intéressant. Mais au moins permettait-elle à leur cartographe d'avancer son plan et à ceux qui venaient lui transmettre des informations de s'abriter un moment des frimas. Étaient de même abrités les groupes menant les fouilles : ils s'en trouvaient fort aise, contrairement aux malheureux devant demeurer dehors, dans la tourmente qui ne faisait qu'empirer...
-Hubert ?
Thibault, qui venait de sortir d'une bâtisse avec ses compagnons, s'était approché du paladin.
-J'ai amené du café ee Maztica. M'autorisez-vous à prendre quelques minutes pour en préparer ? Je pense que cela ferait du bien à tout le monde. A vous et à votre groupe en particulier.

" Bien sûr." dit le paladin, conscient de résister bien mieux au froid que toutes les personnes qui l'accompagnaient.
Il ne trouvait pas la température agréable, loin de là, mais pas douloureuse non plus. Il était juste agacé par le flot constant des flocons qui obscurcissaient son horizon. Mais la neige devait gêner tout autant les squelettes, du moins l'espérait-il.
" Tout le monde mérite bien une pause, de toute façon." ajouta-t-il.

L'expédition alla donc s'abriter dans son quartier général improvisé et, à voir l'empressement avec lequel ses camarades allaient se mettre à couvert, Hubert prit pleinement conscience du fait qu'ils étaient frigorifiés, bien qu'aucun d'entre eux n'ait émis la moindre protestation. Si l'hiver les avait globalement épargnés jusqu'ici, il semblait désireux, ce matin-là, de se rappeler à leur bon souvenir.
-Tenez, fit Thibault, quelques minutes plus tard, en lui apportant une tasse fumante. J'imagine que vous connaissez déjà mais si ça n'est pas le cas, vous m'en direz des nouvelles. Non seulement c'est délicieux mais, de surcroit, ça vous donne un coup de fouet ! Quand j'étais grand prêtre, je ne carburais qu'au café : ça compensait mon manque de sommeil. Enfin, en partie.

Hubert accepta la tasse avec un sourire reconnaissant.
" Ça me rend généralement un peu trop nerveux si j'en bois plus d'une tasse, mais ce n'est pas de refus, là maintenant."
Il huma le breuvage brûlant.
" Nous autres Lathandrites nous satisfaisons généralement de l'énergie dont nous gratifie Lathandre. Mais nous sommes aussi rarement des oiseaux de nuit."

-Normal, vu les heures auxquelles vous vous levez ! S'il y a bien une chose qui m'aurait empêché d'être Lathandrite, c'est celle-là... Bon, en même temps, je dis ça mais quand il le faut, je sais me lever tôt.
Le Sunite sourit puis, après s'être excusé, poursuivit sa distribution de café.
-Hubert a un système de chauffage dans son armure ? souffla-t-il bientôt à Albérich en lui tendant une tasse. Tout le monde claque des dents sauf notre cartographe et lui !

Albérich profitait avec félicité du breuvage délicieux que leur avait miraculeusement préparé Thibault.
" Pour le cartographe, je n'en sais rien, mais pour Hubert..."
Il hésita une seconde, incertain. Peut-être le paladin n'avait-il pas envie que la chose soit connue de tous... Mais le Sunite n'était pas exactement n'importe qui, c'était un ami proche, et Hubert ne lui avait pas non plus demandé de ne rien en dire. Il baissa la voix.
" Entre nous... C'est un aasimar. Je pense que ça explique la résistance aux frimas. Je ne suis pas spécialiste dans ces questions."

-Un aasimar ?!
Il coula un regard en direction du paladin.
-Pourtant, sa peau, ses cheveux, ses yeux m'ont l'air normaux... Alors a-t-il des écailles ? Ou des plumes ? J'ai bien connu un aasimar, il y a quelques années. C'est en les découvrant sur ses épaules que j'ai compris qu'il n'était pas tout à fait humain...

" A part sa résistance au froid, je n'ai rien noté de particulier, non... mais je ne me suis pas non plus amusé à examiner son anatomie... Il est plutôt pudique, en général, je ne crois pas qu'il apprécierait beaucoup que je lui cherche des plumes. Cela dit, quand j'ai soigné son épaule, il y a peu, je n'ai pas vu l'ombre d'une plume... Les écailles, ce sont les tieffelins, non ? Te connaissant, je ne serais qu'à moitié surpris que ce soit de ce genre de créature de l'ombre que tu te sois rapproché..."
Il eut un sourire un peu malicieux.
" Mais tu ne peux pas nier qu'Hubert dégage quelque chose. Les aasimars sont comme ça, non ? Des espèces de forces du bien, un peu... lumineuses. Même s'il a une apparence humaine, je trouve qu'on sent qu'il émane quelque chose de lui. Tu me diras que ça pourrait n'être que son aura de paladin. Peut-être aussi."

Le Sunite avait plusieurs fois froncé les sourcils en écoutant son ami et, quand celui-ci eut terminé de parler, il lui jeta un regard aussi pénétrant qu'indéchiffrable avant de s'intéresser à nouveau à Hubert.
-Quelque chose émane de lui, oui... lâcha-t-il d'un ton neutre.
Il revint à Albérich.
-Et bien, tu t'es dégotté un sacré garde du corps ! Les aasimars, ça ne courre pas les rues... Je poserai des questions de-ci, de-là, pour voir si, d'aventure, quelqu'un de plus curieux que toi n'aurait pas remarqué quelques particularités anatomiques. Oh, et au passage : si, certains aasimars ont des écailles. Ceux qui descendent de couatls ou de lillends.

" Je ne suis pas très calé en créatures célestes, je dois dire. Les problèmes d'ici bas m'ont toujours plus intéressé : je te croirai donc sur parole ! Mais j'y pense : il voit dans le noir, aussi. Il ne s'agit pas de plumes, mais c'est un autre signe. Et puis il peut lancer des sortilèges qu'il n'a pas appris. Je pense qu'il est passablement déstabilisé par cette ascendance, je te remercierais donc de ne pas lui en parler... et de te faire discret si tu joues les enquêteurs... Il viendra bien un jour où il te connaîtra suffisamment bien pour t'en parler lui-même, mais pour l'heure... Je ne voudrais pas le froisser. Ou plutôt que tu le froisses."

Thibault semblait avoir l'esprit ailleurs.
-Des sorts qu'il n'a pas appris... Je savais qu'ils pouvaient faire de la lumière comme toi et moi le pouvons mais en dehors de ça...
Il secoua la tête.
-Bon, en même temps, je suis loin de tout savoir les concernant. Mais oui, je sais qu'ils voient dans le noir. Un avantage dont j'ai toujours rêvé de bénéficier. Décidément, il y en a qui ont de la chance...
Il poussa un léger soupir puis afficha son habituel sourire.
-Enfin bref. L'important, c'est que tu ne dois pas t'inquiéter : je ne suis pas du genre à forcer les autres à révéler leurs secrets et je n'ai aucune envie de le froisser. Alors il n'est pas impossible qu'au final, je ne pose aucune question, ni à lui ni à qui que ce soit d'autre.

" Je ne sais pas si c'est un secret, en fait... Mais il a déjà l'air d'avoir du mal à l'avaler, alors j'imagine qu'il serait un peu dépité si la chose devenait sujet de conversation parmi les colons... Même si ce serait sans doute de nature à effrayer nos ennemis et à rassurer nos alliés, je suppose."
Il sourit.
" Tu crois que notre cartographe est un aasimar aussi, ou bien il a mis une veste supplémentaire, simplement ?"

-Je penche plutôt pour la seconde hypothèse. Sans compter que lui n'a pas à affronter la neige et le blizzard...
Il frissonna, comme s'il était frigorifié à la seule idée d'y retourner. Ce qui ne l'empêcha pourtant pas d'ajouter :
-Allez, n'abusons pas de la pause que nous a généreusement accordé Hubert : finissons nos tasses et remettons-nous au travail. Je propose que celui qui ne trouve ni monstre ni trésor écope d'un gage.

" Je ne joue pas à ce jeu-là : je n'ai jamais aucune idée de gage et je me casse la tête en vain... D'autant que nous risquons de rentrer bredouilles l'un comme l'autre... Gelés, mais bredouilles."
Il se leva et s'étira longuement, puis vida sa tasse et la reposa parmi les autres. Décochant un salut à Thibault, puis un sourire à Hubert, il retourna à son exploration, sur les traces de son équipage.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue