La Couronne de Cuivre

Quête: Le mange-pierre

Compte-rendu d'une entrevue survenue en l'an de grâce 1380 CV entre le conseiller à la diplomatie Lothringen Quen Suo'can et la chef de guilde Elissa Keens, maîtresse de la Vierge d'Argent
- extrait du journal intime de sire Gerdold, secrétaire particulier du conseiller, retranscrit ici pour l'édification des générations futures -

Aujourd'hui s'est présentée devant nous la moinesse Elissa Keens, maîtresse de la Vierge d'Argent, qui demandait audience privée auprès du conseiller.

La suite s'est déroulée dans le bureau de ce dernier, mais j'entendais très bien leurs voix derrière la porte.

- Bien le bonjour, conseiller! Hé... Je vois que vous avez un nouveau bureau tout neuf...
- Un peu grâce à vous d'ailleurs... C'est un plaisir de vous revoir, Elissa; vous vous faites rare au palais. Que me vaut l'honneur de cette visite impromptue? Une nouvelle petite dague explosive à examiner, peut-être? Une infiltration drow dans les sous-sols?*
- Rien de tout cela. Aujourd'hui je me contente de vous faire la chronique des exploits d'Althea. Suite...

Il y eut un éclat de rire à tendance sarcastique.

- Alors ça y est, vous vous y êtes prise vous aussi! Il ne suffisait plus de Titoeil, voici Elissa Keens reconvertie en mère poule! Ah, mais il ne faudrait pas que ça m'arrive. Vous savez, les dernières fois que j'ai reçu des nouvelles d'Althea, de préférence bien en retard sur les événements, c'étaient des lettres m'annonçant qu'elle était partie tuer son père à Melandis, ou bien délivrer son fiancé en pleine coeur de la guerre civile luménienne, malgré sa grossesse, mais de ne pas m'inquiéter, surtout, et que si elle ne m'avait pas prévenu plus tôt c'était de crainte de ma réaction. Je pense bien! Je n'ai pas vraiment le temps de courir après chacune de ses sottises, et penser qu'elle cherche à ce point la fausse couche me mine un peu. Alors, si vous avez une nouvelle révélation dans ce genre, dépêchez-vous de me la faire, que ça ne nous gâche pas la journée...
- Ben... C'est dans le même style, oué. En plus drôle... Vous connaissez Corwin Balder?
- Le guérisseur des pauvres?
- Oui, celui dont la maison reprend les fondations de l'ancien temple. Hé bien, on lui a volé sa statue cette nuit, et il s'est mis en tête de la retrouver...
- ... et Althea l'accompagne dans sa chasse aux vieilles pierres helmites?

Il y eut un double éclat de rire à tendance sarcastique.

- Je ne sais pas pourquoi, mais elle a déboulé à la guilde en réclamant des chevaux pour partir sur la piste des voleurs. Ces derniers lui avaient demandé une enquête sur l'histoire de cette statue un peu avant...
- Je vois... Elle en est au combientième mois? Huitième, non?
- A vue de courbe, je dirais que c'est pas loin.
- ça commence à bien faire, ne trouvez-vous pas? Vous allez me donner toutes les informations que vous avez sur les fuyards et les poursuivants, et je vais... m'en mêler...
- Ah! Je savais bien que je m'adressais à la bonne personne.

La suite, je n'ai pas pu l'entendre, car le garde de faction revenait des latrines et commençait de me regarder d'un oeil délateur.

* Cf. quête "Entre ombre et lumière"

Comme il l'avait prévu la veille, Grégoire quitta son nouveau chez lui en milieu de matinée et, accompagné de trois gardes - dont leur capitaine - il prit la direction du Palais des Murmures. Il aurait préféré s'y rendre seul mais, encore une fois, il se retrouvait prisonnier du protocole. Au moins avait-il réussi à négocier suffisamment pour ne pas embarquer toute la garde d'honneur...
Parvenu à l'une des portes du parc entourant l'édifice, il se fit reconnaître des factionnaires et sollicita une entrevue avec le conseiller Lothringen, espérant que celui-ci était présent et qu'il aurait l'opportunité de le recevoir.

Lothringen était à son bureau, où il trouvait toujours à faire quand il devait attendre une visite d'importance. Impressionnant était l'amas de dossiers qui attendaient sagement son retour pour se trouver traités. Ses services étaient assez frileux, quand il s'agissait de prendre une décision sans lui: et ils en étaient du reste bien inspirés.

Le conseiller accepta de recevoir l'ambassadeur lumenien, mais les gardes d'escorte durent stationner à l'extérieur du bâtiment. On conduisit alors Grégoire à travers des salons feutrés, jusqu'à un escalier qui menait à l'étage au bureau qu'occupait le semi-drow. C'était une vaste rotonde, éclairée par trois hautes fenêtres aux vitraux d'albâtre qui tamisaient fortement la lumière. Des velums complétaient le dispositif: Lothringen avait les yeux fragiles en plein jour.
A part cela, un grand bureau de bois, des bibliothèques emplies de dossiers: son atelier et sa bibliothèque de mage demeuraient invisibles aux visiteurs, étant annexes de ses appartements.

Le semi-drow invita le lumenien à prendre un siège. Un domestique apporta des rafraîchissements, qu'il mit à disposition sur une desserte.

Lothringen saisit un verre, et se rassit, dévisageant de temps à autres son visiteur. Comme après tout c'était Lumenis qui avait pris l'initiative de cette visite, il préférait laisser son interlocuteur orienter la conversation.

Il se contenta donc de demander des nouvelles des absents.

"Avant que nous n'abordions les sujets qui font l'objet de votre visite, je souhaite vous demander quelles nouvelles vous auriez à me donner de dame Dunhallym, dont la disparition nous a laissés fort désemparés, ainsi que du sire Agrippa, lui aussi envoyé jadis en mission ici? "

Nouvelles demandées à titre diplomatique, mais personnel aussi. Dunhallym lui avait fait grande impression, et Agrippa... il pensait à Althea.

Grégoire réfléchit un instant.
-Je n'ai malheureusement guère de nouvelles à vous donner. Dame Dunhallym a disparu dans le désert alors qu'elle regagnait Hélonna et n'a plus donné signe de vie. Quant à Messire Agrippa, je ne sais rien de lui depuis qu'il s'est retiré de toute responsabilité.
Il porta son verre et but une gorgée, avant d'enchaîner.-A mon tour, j'aimerais beaucoup savoir comment se porte le Grand Emissaire de Helm, que j'ai eu l'honneur de cotoyer directement au cours de la guerre civile.

Lothringen hocha la tête. Il n'était pas surpris de ces nouvelles qui dataient, mais peut-être un peu du peu d'empressement des lumeniens à rechercher leurs disparus.

"Le Grand Emissaire s'est éclipsé pendant assez longtemps sans que nul ne sache où il s'était rendu. Depuis son retour, ce n'est plus le même homme. Renfermé, morne. Mais sa santé n'est pas en cause..."

Ravestha était-il allé à Melandis tenter de délivrer le Grand Prêtre capturé par les cyriciens, se sentait-il responsable de l'échec de sa tentative ? C'était la version des services secrets, mais Lothringen s'était bien gardé d'aller en chercher confirmation auprès du Grand Emissaire. Si cette mésaventure pouvait dégoûter Ravestha pour un temps de partir en excursion individuelle à Melandis, comme il l'avait fait un peu trop souvent ces derniers temps... hé bien, Manost et lui-même en dormiraient plus tranquilles. Après tout, Melandis l'avait déjà tué par le passé, mais le semi-elfe semblait n'en avoir cure...

Plus inquiétante était la lente transformation de Ravestha. Cette propension qu'il semblait avoir à partir sur des coups de tête, à déserter sa position, à... faire n'importe quoi, en somme. Sa foi en Helm vacillait-elle ? peut-être... Et ce n'était pas sans inquiéter Lothringen, qui se sentait lui-même sur le départ, prêt à partir pour une autre existence... Qu'adviendrait-il alors de la cité, s'il faillait à son tour ?

Ces réflexions, il ne pouvait les faire à voix haute, mais Grégoire put surprendre son air préoccupé.

L'ambassadeur, qui n'avait pas quitté Lothringen des yeux, inclina gravement la tête.
-Vous m'en voyez navré. J'ai, personnellement, beaucoup de respect et de sympathie pour messire Ravestha, et c'est également le cas de nombre de mes concitoyens. Je ne peux qu'espérer que cette... fatigue ne soit que passagère et qu'il redevienne avant peu l'homme que j'ai eu la joie de connaître.
Sa préoccupation était sincère. C'était le Grand Emissaire en personne qui avait conduit le contingent manostien à Luménis, et il n'avait pas ménagé ses efforts pour aider sa résistance. Grégoire, qui l'avait rencontré à de nombreuses reprises à cette période, pensait que c'était l'un de ses principaux alliés à Manost,, quelqu'un susceptible d'aider au renforcement des liens entre les deux cités. Savoir qu'il n'allait pas bien n'était pas une bonne nouvelle.

Le conseiller se surprit à sourire.

"Oh, Rav... Messire Ravestha en a vu bien d'autres, et je ne doute pas qu'il ne finisse par rebondir."

Le semi-elfe avait été mort et il était revenu fantôme. Il avait été fantôme et il avait retrouvé chair. Il reviendrait de son dépit, oui, sans doute... mais différent, peut-être.

"Vous ne pourrez cependant pas le rencontrer d'ici quelques temps. Il est actuellement en train d'inspecter les garnisons de la Tour de Vigie."

Un moyen comme un autre d'échapper aux questions et autres responsabilités, et Lothringen n'était pas dupe. Le semi-drow reporta son attention sur son visiteur. De lui, il savait extrêmement peu de choses. Un héros de la guerre civile, membre du gouvernement provisoire... Ravestha en aurait su davantage, et c'était sans doute avec cet ancien compagnon d'arme que l'émissaire aurait préféré traiter.

Le Grand Emissaire aurait manifesté spontanément plus de sympathie pour les lumeniens... et pourtant, ce n'aurait été que de façade ; ses vues politiques ne divergeaient globalement qu'assez peu de celles de Lothringen. Ils étaient d'accord sur le fond, et les différences que l'on aurait pu constater dans l'ordre de leurs priorités n'avaient d'origines qu'affectives.

"En tant que second membre d'un Conseil bicéphale, je n'ai heureusement pas besoin de son aval pour prendre des décisions souveraines. Bien. Si nous en venions au fait, Messire?"

Grégoire acquiesça.
-Fort bien... En premier lieu, je voudrais préciser que ma présence ici n'est liée à aucune demande, à aucune requête particulière. Elle vise juste à reprendre des rapports diplomatiques constants et normaux entre états somme toute voisins.
Il lorgna un instant son verre, puis reprit..
-Pour que cela soit possible, il me semble important que nous exposions tous deux les positions de nos cités respectives. Il sera toujours temps, après cela, d'envisager la nature et l'intensité de nos relations. Je vais commencer, si vous le voulez bien...
L'ambassadeur sourit tristement et enchaîna :
-Par le passé, les relations de Manost et de Luménis ont été plutôt instantes, allant de la sympathie à l'hostilité, de l'entente au conflit. Ces dernières années, elles ont été, pour ainsi dire, inexistantes. D'ailleurs, comme vous le savez, la demande d'aide que vous avez reçue après le coup d'état de Morféa Nwalk n'émanait pas de nos autorités légitimes, mais était une démarche personnelle initiée par des non-luméniens, des amis de ce Taliesin à la suite duquel le Tyran a pu s'introduire en nos murs. Lorsque le contingent mené par messire Ravestha a débarqué... Et bien, je ne dirigeais pas encore la Résistance, à ce moment là, mais tout l'état-major a été pour le moins pris au dépourvu : nous n'attendions pas d'aide de la Citée Bénie, pour la simple raison que nous n'en avions pas demandé, et que nous ignorions la démarche entreprise par les suivants du "Prophète gris".
Grégoire se tut un instant, pour ne pas assommer Lohtringen par un flot continu de paroles, et ne recommença à parler qu'un moment plus tard.
-Nous fumes donc surpris... mais heureux. C'était pour le moins inespéré, et nous avons bien évidemment accueilli comme il se devait cette aide qui nous fut d'un secours indéniable. Aujourd'hui, le souvenir de ce secours ne s'est pas dissipé, et peu importe qu'il n'ait pas été demandé officiellement. Les Luméniens éprouvent désormais de la sympathie pour les vôtres, de même que notre gouvernement. Et, comme je vous le disais, nous aimerions profiter de cet événement et du climat de sympathie qu'il a suscité chez nous pour inaugurer une nouvelle ère dans les rapports entre nos deux cités. Voilà, pour l'heure, la position du gouvernement luménien.

Lothringen avait écouté avec attention. Le passé, oui... on ne pouvait pas le balayer d'un revers de main. La population ne le comprendrait pas. Si deux cents volontaires avaient bien voulu suivre le Grand Emissaire, la majorité des civils, de l'armée et du clergé avait surtout réagi par un haussement d'épaules, craignant même que le gouvernement de Nwalk ne finisse par porter la guerre jusqu'à Manost.

"Jadis, lors d'un précédent conflit intérieur, Manost n'a pas répondu à un appel à l'aide, et je comprends que votre gouvernement n'ait pas voulu subir l'humiliation d'un second refus. Jadis, durant la guerre de Shar, et l'événement n'est pas assez ancien pour que les témoins de cette époque ne arpentent plus nos rues, jadis, Lumenis a porté les armes contre nous... Pour un malentendu, des soupçons mal placés, une sottise qu'une discussion sereine aurait suffi à dissiper. Et que la demande d'assistance n'ait pas émané de vos autorités n'en est qu'une preuve supplémentaire: nous avons appris à ne pas compter les uns sur les autres, et à nous ignorer."

Le semi-drow ressongea à ses principales entreprises, ces derniers temps. La normalisation des rapports avec Melandis, l'attention qu'il portait aux cités franches... Une approche exclusivement continentale du problème. Faute d'interlocuteur à Helonna.

"Notre gouvernement a considéré que vous vous désintéressiez du continent, et notre politique, depuis quelques temps déjà, ne tient plus compte des Lumeniens. Nous vous avons assisté parce que c'était notre devoir, parce qu'une tyrannie surpuissante nous suffit dans ce coin-là du monde. Mais nous ne sommes pas amnésiques..."

Il releva les yeux et sourit. Il se devait de rappeler ces événements, pour que l'ambassadeur ne se fasse pas d'illusions sur les difficultés de sa mission; mais au fond de lui, il était plutôt heureux de pouvoir reprendre des relations plus saines avec leur voisin lumenien.

"Pour ma part, je pense que beaucoup de désagréments et de morts inutiles auraient pu être évités, de part et d'autre, si les relations diplomatiques avaient été maintenues, et c'est pourquoi j'accueille très favorablement votre initiative."

Grégoire se carra dans son fauteuil.
-Et bien, je suis heureux de constater la proximité de nos positions. Ni vous ni moi n'ignorons le poids du passé, les difficultés à venir, mais je me réjouis que, malgré cela, nous puissions envisager quelque chose de constructif et de profitable à nos deux cités. C'est une base de travail des plus encourageantes, et un premier pas d'effectué... Bien sûr, la route est encore longue, mais nous avons tout notre temps. A ce propos... Désirez-vous que nous allions plus loin aujourd'hui, ou préférez-vous que nous poursuivions une autre fois ? Je ne voudrais pas abuser de votre disponibilité.

Le semi-drow hocha la tête, amusé, tout en posant son verre désormais vide. Lumenis venait juste en seconde position dans la liste des interlocuteurs les plus importants qu'il pourrait avoir à recevoir, et l'ambassadeur ne pouvait l'ignorer. Leur entrevue n'avait guère duré mais il était déjà à vouloir la suspendre. Pour conclure leur première rencontre sur une note positive, sans doute... Pour un homme qui n'avait jamais eu de formation de diplomate, c'était plutôt habile.

"Prenez votre temps, commandant. Ce qui est défait depuis tant d'années ne se reconstruira pas en un jour. La défiance accumulée ne se soufflera pas en un jour... Visitez la ville, si vous voulez: je demanderai à un de nos officiers de vous servir de guide. Prenez le temps de comprendre comment elle respire, ce qu'elle attend.

Pour ma part, sauf imprévu, vous me trouverez ici tous les matins pour les dix jours à venir. Il désigna d'un geste large les piles de dossiers menaçant ruine de part et d'autre des battants de la porte. Comme vous pouvez le voir, j'ai des parasites à traiter, mais ils ont une fâcheuse tendance à se régénérer à mesure."

Grégoire leva les yeux au ciel puis se fendit d'une mimique compatissante.
-Ah, la paperasse;.. J'en ai soupé toute ma vie, mais jamais autant que lorsque je dirigeais le gouvernement provisoire... J'ai rarement connu chose plus déprimante et décourageante qu'un tas de dossiers en attente. On n'a même pas le réconfort du travail accompli quand on en a fini, parce qu'on sait très bien que, sous peu, une nouvelle cargaison sera chargée sur notre bureau... Je vous souhaite donc sincèrement bon courage.
Il se leva.
-Merci pour cette discussion, et pour votre conseil. Je compte bien me familiariser avec Manost. Peut-être découvrirais-je certaines attentes, certains besoins que ma cité serait en état de combler, notamment d'un point de vue commercial.

Hum... D'un point de vue commercial ? Ennuis à l'horizon. Lothringen s'était plutôt attendu à voir les Lumeniens rechercher une alliance militaire, compte tenu du contexte: leur armée venait de prouver son peu de valeur et de fiabilité, et les derniers événements le peu de garantie que leur offrait leur insularité... Mais il aurait dû s'y attendre. Après les accords d'Ysté, les lumeniens devaient redouter l'isolement ; difficile d'envisager un trafic commercial uniquement concentré sur la liaison maritime avec la côte des Epées.

Lothringen se leva pour saluer son visiteur sur le départ, et se mit à sourire à son tour.

"Je vous souhaite donc bonne chasse. Je gage que vous n'aurez pas beaucoup de peine à faire parler nos marchands... Mais prenez garde, ça ne s'arrête jamais."

D'ailleurs, il louait sa charge de lui épargner le plus souvent d'avoir à affronter les doléances des uns et des autres, car il parlait en connaissance de cause : ça ne s'arrêtait jamais. Si les accords avec Melandis avaient permis de combler la plupart des lacunes en matière première, notamment en minerais et réactifs magiques, on n'avait jamais à creuser très profond pour dénicher des mécontents.

Grégoire sourit.
-Visiblement, les marchands sont les mêmes des deux côtés du détroit... Intarissables et jamais content. Mais parler avec eux est utile : il y a toujours quelque chose à apprendre au milieu de la litanie des récriminations...
Il s'inclina puis prit congé. Il allait rentrer à l'ambassade : la cuisinière, heureuse de disposer de ressources nouvelles pour préparer ses repas, avait dû passer la matinée au marché et mitonner un véritable banquet. Il se devrait d'y faire honneur... Pour la suite, on verrait bien de quoi serait faite la journée.

Ses documents sous le bras, sa garde protocolaire autour de lui, Grégoire survint d'un bon pas de l'ambassade. Comme la fois précédente, il s'arrêta près de l'une des entrées du parc et, après avoir salué les gardes, s'enquit de l'éventuelle disponibilité du conseiller Lothringen. Il n'avait pas chômé au cours des heures précédentes, ni la veille, et il pensait connaître assez bien son dossier pour soutenir des discussions acharnées.

Le garde auquel il s'était adressé, apparemment un peu novice, se mit à balbutier d'un air embarrassé.

"Le conseiller est au palais, mais il me semble qu'il est en train de déjeuner avec..."

"Ce rendez-vous est fini", coupa son collègue, en reportant son regard de l'entrée du bâtiment sur le nouveau venu. "Voilà justement son dernier visiteur qui s'en va."

Son visiteur ? Un homme étrange, vêtu de peaux de bête et de cuir bouilli, à l'air revêche et défiant. Quand il passa la porte, il prit précaution de passer à distance maximale des gardes, et de Grégoire aussi bien.

"Je vais prévenir messire Lothringen."

Quelques instants plus tard, le garde revint inviter le luménien à entrer.

Peu après, le diplomate entrait dans le bureau du conseiller à la diplomatie. Chassant ses interrogations quant à l'identité de l'étrange visiteur croisé un peu plus tôt, Il salua courtoisement le dignitaire, déposa ses documents sur la table, puis lui tendit un coffret de bois précieux.
-Ne voyez point là une tentative de corruption, messire, mais il est d'usage de remettre, lorsqu'on entre en fonction en tant qu'ambassadeur, des présents aux autorités de l'état auprès duquel on est mandaté, en gage de bonne amitié... Ceci provient de la réserve personnelle du conseiller Théobald Longuehune, et il espère que vous l'apprécierez autant qu'il l'apprécie... Un bon cru, semble-t-il, même si mes connaissances en la matière sont des plus lacunaires, je dois l'avouer. Le coffret contenait une bouteille poussiéreuse, à l'étiquette jaunie par les ans. Du rhum, selon toute apparence. De près de cent ans d'âge, et d'une destination aussi exotique que lointaine.

Lothringen sourit. La réputation manostienne de goût prononcé pour le bon vin avait donc encore quelques beaux jours devant elle, en dépit d'un assagissement sensible de la population, ces derniers temps. Pour sa part, il ne répondait que très imparfaitement aux critères d'exigence de sa cité ; une complexion délicate lui avait appris à se défier de l'alcool, et sa brève carrière de soldat à se contenter de la bière. Néanmoins, après avoir séjourné un temps indéterminé dans le cellier du palais, cette bouteille trouverait certainement son usage... Sans doute pour fêter quelque accord nouveau.

Tout en acceptant le boîtier, le conseiller s'inclina brièvement.

"Voilà un cadeau qui rendra justice aux plus persistantes rumeurs, à ce que je vois. Remerciez le conseiller Longuehune de ma part pour sa prévenance. La plupart de mes interlocuteurs n'ont pas moitié tant d'égards..."

Litote.

"Mais prenez donc un siège, je vous prie. Qu'est-ce qui vous amène?"

Grégoire s'assit comme on l'y invitait.
-Et bien, ainsi que je vous en avais annoncé le projet, je me suis entretenu avec certains commerçants de votre cité, et il s'avère qu'il existerait peut-être des opportunités que Luménis pourrait saisir. cependant, avant d'aller plus loin, et afin de ne pas commettre d'impair, j'aurais besoin de savoir si les accords que vous avez signés avec Mélandis excluent la possibilité d'échanges marchands avec d'autres Etats. Ah, et je me dois de préciser que je n'ai pris aucun engagement auprès de mes contacts, qu'il ne s'agissait là que d'une démarche de pure prospection à titre informatif.

Lothringen posa la bouteille sur un recoin de son bureau et prit place à son tour.

"Non, les accord commerciaux avec Melandis ne prévoyaient aucune clause d'exclusivité. Nous raisonnions au niveau du continent, et il y a bien longtemps que les sphères d'influence sur les cités "libres" de Dorrandin sont durablement établies entre nos deux états."

Cela signifiait-il pour autant qu'un rapprochement entre Manost et Lumenis serait bien vu, en l'état actuel des relations lumeno-mélandiennes ? Sans doute pas. Mais, d'un autre côté, les relations entre Manost et Melandis n'étaient pas et n'avaient pas vocation à se fonder sur la confiance, mais sur un pragmatisme bien compris. Les accords d'Ysté tiendraient tant qu'ils feraient l'avantage des deux parties. C'était plus à cela que Lothringen devait veiller, qu'au ménagement des amour-propres...

"Néanmoins, je ne vous cacherai pas que je verrais d'un mauvais œil toute entreprise tendant à réduire le profit que Manost ou Melandis peuvent tirer de ces mêmes accords. A mes yeux, il s'agit d'un peu plus que de commerce, voyez-vous."

Son regard devenait trop incisif, et il le détourna avant de se laisser rattraper par l'embarras. Il tenait personnellement beaucoup à ces accords, et pas seulement parce qu'ils lui permettaient d'avoir un prétexte tout trouvé pour retrouver Mornagest quand il le souhaitait – cette situation-là ne durerait guère, si tout allait bien, s'ils réussissaient leur départ... Non, il y tenait parce qu'il pensait que c'était la meilleure façon d'apaiser les tensions ancestrales qui régnaient entre les deux états rivaux du continent, d'accroître leur interdépendance et de rendre plus difficiles ces guerres inutiles qui par le passé avaient coûté si cher en matériel, en destructions et en vies humaines.

Il y tenait. Au risque de paraître tiède à l'initiative luménienne.

"Cela dit, les accords d'Ysté concernaient essentiellement des échanges de matières premières ; il y a bien des secteurs marchands pour lesquels le trafic entre Melandis et Manost est à peu près nul, et sur ces activités-là, nous nous montrerons beaucoup plus réceptifs."

Grégoire acquiesça vivement.
-C'est pourquoi, messire, je me suis permis de mener mes investigations dans des domaines non couverts par ces accords... Il ne s'agit point là d'une enquête systématique. Plutôt d'une première prise d'information, de contact, mais elle fut intéressante et, je le crois, a montré qu'il existerait certaines opportunités intéressantes pour nos deux Etats. De petites opportunités, mais si quelque chose doit être entrepris, mieux vaut que cela soit d'abord limité. On ne reforge pas des liens en un claquement de doigts, comme vous l'avez déjà dit lors de notre précédent entretien...
Il se carra dans son fauteuil.
-J'ai donc mis au jour deux pistes potentielles. Une niche très particulière, marginale, que j'évoquerai tout à l'heure, si vous le voulez bien. Mais, surtout, une possibilité de commerce d'assez bonne envergure, dans le domaine des tissus. Si mes informations sont exactes, vos tisserands fabriquent surtout des produits d'usage courant, utilitaires, et pour les tissus plus fins, plus travaillés, il vous faut les chercher ailleurs, notamment à Eauprofonde. Or Hélonna serait en mesure de vous fournir des marchandises sinon équivalentes, du moins de fort bonne qualité. Luménis est une démocratie, mais la vieille noblesse n'a pas renoncé à tous ses fastes. Ni les riches marchands à imiter les extravagances de ladite noblesse. De plus, les elfes sont nombreux sur notre île, et leur goût pour les belles choses n'est plus à démontrer. De ce fait, face à cette importante clientèle, une production locale s'est depuis longtemps développée, à Luménis, dans les cités dépendant de son autorité, ainsi que dans les communautés elfes éparpillées sur Hélonna. Soieries, brocards, fourrures, dentelles, nos étals sont bien fournis. Et nos magasins se remplissent d'autant plus vite que la guerre civile a laissé des traces et, qu'en période de reconstruction, on va à l'essentiel plutôt qu'au superflu.
Le diplomate sourit.
-Ceux de vos marchands qui importent des produits d'Eauprofonde sont pris d'assaut lors de leurs rares livraisons et s'ils avaient plus à vendre, ils ne s'en priveraient pas. Ils ne sont pas prêts à renoncer à leurs importations, certes, mais élargir leur offre est une perspective qui ne serait pas sans les séduire. Dans ce domaine, Hélonna pourrait les satisfaire avec des livraisons fréquentes,, vu sa proximité géographique, abondantes, au regard de nos capacités de production, et surtout à des prix compétitifs : le détroit est sûr, et la flotte luménienne tient les pirates à l'écart. Guère de risques de pertes, donc. Pas de surcoût en assurances diverses...

Le moins que l'on puisse dire, c'est que le commandant Grégoire connaissait son dossier ; il avait réfléchi à la question, préparé ses arguments, et en cela, il disposait d'un avantage indéniable sur Lothringen, qui découvrait ses intentions au fur et à mesure. Pour preuve : la veille encore, le semi-drow s'était plus attendu à se voir proposer une alliance militaire qu'un rééquilibrage économique en réaction aux accords d'Ysté...

Mais il faisait avec, et en dépit de ses réticences initiales la modestie des ambitions de l'ambassadeur lui donnait peu de raisons de se braquer. Le conseiller était au courant de la difficulté qu'il y avait à Manost à se procurer des tissus un tant soit peu élégants : les prix exorbitants et les trop rares navettes des navires d'importation étaient une réalité quotidienne pour tous les notables de la cité. Melandis avait peu à fournir, en la matière ; son exubérante noblesse avait un appétit bien plus vorace que l'intelligentsia manostienne, détournant beaucoup des navires féeruniens par les sommes indécentes qu'elle était prête à consacrer à ses frais de représentation.

Le pour et le contre était vite pesé. Diversifier les sources d'approvisionnement serait en l'occurrence à l'avantage des clients autant que de leurs fournisseurs, qui ne parvenaient guère à satisfaire la demande. Seuls les tisserands et fabricants de laine ou de lin bon marché perdraient sans doute une partie de leur clientèle captive. Mais il s'agissait somme toute d'un marché de demi-luxe, et la majorité de la population leur resterait fidèle... Ils s'en remettraient.

Après avoir pris quelques instants de réflexion, Lothringen sourit.

"Vos analyses sont justes et laissent peu de prise à la critique.... A vrai dire, vous n'avez pas besoin de ma bénédiction pour conclure des accords ponctuels avec des revendeurs manostiens ; je vous l'accorde néanmoins. Sur ce marché des tissus, Eauprofonde a plus de chance de s'en offusquer que les autorités manostiennes, car leurs marchands amassent actuellement un joli tas d'or à chaque rotation.

Quel est ce second marché qui a retenu votre attention ?"

Grégoire soupira intérieurement. Il n'avait pas vraiment douté d'obtenir l'accord de Lothringen, mais tout de même, il était content d'en être assuré, désormais. C'était un petit pas. Un tout petit pas. Mais il avait appris à ne pas voir trop grand trop vite. A partir de peu, puis à progresser, à élargir, à construire...
-Oh, pour le coup, c'est vraiment quelque chose de minime, une niche très particulière ! fit-il. Cela entre probablement dans le cadre des accords pour lesquels vous venez de me dispenser de demander votre bénédiction, mais... Je préfère la transparence. En fait, un forgeron officiant sur le marché arrondit ses fins de mois en pratiquant la revente d'objets magiques. Il se fournit auprès des aventuriers, la plupart du temps. Or, Luménis est assez bien dotée en ce qui concerne ce genre d'artefacts. Ainsi, si ce vendeur ne peut satisfaire sa clientèle avec ce que lui donnent ses fournisseurs habituels, il pourrait se tourner vers nous et jouer les intermédiaires. Cela ne concernerait que quelques transactions par mois, j'imagine... Mais ce ne serait pas inintéressant...

Lothringen fronça brièvement les sourcils.

"Vous devez parler d'Enghist Fierabras, je suppose ?"

Il hocha la tête devant la mine étonnée de son interlocuteur.

"Oui, je surveille toujours son stock, au cas où il trouverait quelque chose d'intéressant, parchemin rare, artefact utile pour un guerrier-mage... Mais, à vrai dire, je lui ai plus souvent revendu des artefacts orphelins que je n'ai eu l'occasion de me fournir chez lui."

Il parut alors se souvenir de la raison pour laquelle ils parlaient de ce forgeron.

"Je ne suis pas le seul à être à l'affût de ce genre d'articles, bien sûr. Vous devez savoir aussi que ce marché est assez concurrentiel, en dépit du déficit d'offres... Mais j'ai l'impression que vous avez déjà bien cerné le problème."

Il s'interrompit là, laissant en suspension une question muette: était-ce là tout ce dont le luménien désirait lui parler ?

Grégoire acquiesça.
-Nous verrons ce que cela donne : peut-être le marché ne sera-t-il pas viable, mais je crois que cela vaut la peine d'être tenté. Ceci dit, je ne vous cache pas que j'ai plus d'espoirs concernant nos exportations de tissus. Mais c'est normal : c'est une opportunité de plus grande envergure, elle peut en préfigurer d'autres, selon les résultats qu'elle donnera...
Il sourit.
-Et bien, je crois que nous avons évoqué toutes les affaires qui m'amenaient aujourd'hui, et je suis heureux que nous ayons pu trouver un terrain d'entente. Je ne vais pas abuser plus longtemps de votre patience...

Lothringen raccompagna son invité à la porte et lui souhaita bonne chance dans ses démarches. Il lui assura qu'il appréciait son souci de transparence, et que s'il voulait, le commandant pouvait revenir quand bon lui semblerait. Serait-ce par curiosité de découvrir le goût de la bouteille de rhum qu'il venait de lui offrir.

Après le retrait du lumenien, Lothringen demeura quelques instants songeur. Le commandant Grégoire était un diplomate tout ce qu'il y avait de plus diplomate. Il avait perdu l'habitude.

Et en un sens, il était heureux de voir les relations avec Lumenis tendre à se normaliser quelque peu. Cela rendrait à son successeur la tâche plus facile, et lui donnait moins l'impression de déserter...

Après sa rencontre avec Guiguemar d'Aulfray, au Siège de l'Ordre du Coeur Radieux, Grégoire avait fait un crochet par l'ambassade où il était demeuré deux heures, le temps de se restaurer, de réfléchir à sa conversation et de mettre de l'ordre dans ses pensées. Puis il avait pris la direction du Palais des Murmures. Le conseiller Lothringen ne manquerait pas de s'étonner de son assiduité, mais les causes de sa visite étaient des plus sérieuses. L'ambassadeur tenait à faire les choses bien, en toute clarté, sans qu'on pût l'accuser, à aucun moment, d'avoir joué double jeu, de s'être immiscé dans ce qui ne le regardait pas. Si le conseiller refusait qu'il participe au "conclave", il s'inclinerait. Sinon, et bien... Il se rendrait à la cérémonie qui promettait d'être riche d'enseignements.

Grégoire commençait à être un habitué du Palais, et les gardes à le reconnaître sans devoir lui poser de questions sur l'identité de la personne qu'il venait rencontrer. Ils firent néanmoins patienter le luménien dans les salons du rez-de-chaussée, pendant que l'un d'eux montait prévenir le conseiller, pour l'heure retiré dans ses appartements. L'estafette trouva en effet le semi-drow allongé sur son lit, les yeux clos, en train de goûter une pause de midi bien méritée - et en réalité, de rebrasser les affaires en cours.

La nouvelle d'une visite du commandant Grégoire surprenait un peu Lothringen, mais à y bien réfléchir, il savait pourquoi ce dernier était venu : l'ambassadeur avait été sollicité pour la réunion du lendemain. En revanche, que lui voulait-il ? Etait-il venu chercher un complément d'information, son accord explicite, ou vérifier à quel point les différentes instances manostiennes communiquaient entre elles ? Jusqu'ici Grégoire lui avait plutôt fait bonne impression, mais à quel point pouvait-on lui faire confiance... Lothringen n'accordait pas la sienne trop aisément.

Après avoir rajusté ses vêtements, le semi-drow descendit au rez-de-chaussée accueillir son hôte. Après les politesses d'usage, il l'invita à s'asseoir dans l'un des larges fauteuils du salon, y prit place lui-même, et se mit à sourire.

"Je vous écoute."

-Et bien, conseiller, fit Grégoire sans ambages, vous me voyez, tel que je suis, revenant presque tout droit d'un entretien avec sire Guiguemar d'Aulfray, Il m'a fait porter une lettre, à l'aube, m'informant que j'avais été choisi pour participer au... "conclave" destiné à choisir un nouveau grand prêtre. Vous comprendrez sans mal que cette nouvelle m'a quelque peu surpris, et je suis donc allé rencontrer le haut-prélat, comme il m'y invitait. pour obtenir davantage de précisions...
Il s'interrompit un instant puis sourit.
-Bref, j'ai obtenu assez d'informations pour éclairer au moins en partie ma lanterne. Mais avant de donner une réponse définitive au sire d'Aulfray, j'ai jugé nécessaire de venir vous en toucher un mot. Je n'ai certainement pas envie de donner l'impression de me mêler de ce qui ne me regarde pas, de m'imiscer dans les affaires internes de Manost, de jouer les intrigants. Et, si je ne vois personnellement pas vraiment d'inconvénient à servir de garant à cette cérémonie, il se peut que vous pensiez autrement... Dans tous les cas, je me rangerai à votre avis et agirai de la manière que vous estimerez la plus appropriée.

Lothringen marqua un temps avant de répondre.

"Donc, si je vous suis bien, vous vous demandez si à Manost la main gauche ignore ce que fait la main droite... Vous avez raison de vous poser la question, remarquez. Personne n'ignore que l'église helmite et moi-même avont des rapports conflictuels. Il en est qui me traiteront en traître jusqu'à la fin des temps, et sire Guiguemar est assurément de ceux-là."

Il étouffa un soupir. Il avait beau avoir l'habitude, il ne s'y ferait jamais vraiment... Le prix à payer d'une conversion qui s'était imposée à lui comme une évidence : il n'avait pas vraiment "choisi".

"J'imagine que l'entrevue a été du genre pénible, avec un Haut-Prélat fort disposé à vous en dire le strict minimum, sur des airs de mystère. Ne lui en portez pas rancune. La situation est compliquée pour tout le monde, mais particulièrement pour lui. Il est actuellement en charge de ce problème sans être celui qu'on attend, et les clercs n'auront de cesse de le lui rappeler. Le Cœur Radieux et l'Eglise helmite sont en effet des instances autonomes, et la seule personne habilitée à prendre des décisions sur un problème électif interne, en principe, c'est le Grand Emissaire. Bien sûr, sire Guiguemar a reçu les pleins pouvoirs de ce dernier, mais cela ne remplace pas tout..."

La vérité, c'était que le Grand Emissaire refusait catégoriquement d'entendre parler de la succession d'Alréac Poingvaillant. L'explication officielle est que ce dernier avait été un trop bon ami à lui pour que le dirigeant parvienne à accepter si tôt l'idée de le remplacer. L'explication plus officieuse était sans doute que Ravestha devait se sentir en partie responsable de la mort d'Alréac, et qu'il n'avait pas envie de se le faire rappeler trop souvent... Stratégie de fuite, et les subordonnés géraient comme ils pouvaient.

"En bref, il n'est libre ni de ses paroles, ni de ses actes, et rien ne déplaît plus aux helmites que de devoir mêler des non croyants à leurs problèmes. Et la crise actuelle, vous l'aurez compris, est profonde... Tenez, c'est au point que je serai présent moi-même à cette réunion au temple, afin de représenter le conseil. Pourtant, je connais assez sire Guiguemar pour savoir qu'il ferait volontiers l'aller simple jusqu'à Graëlon à genoux pour pouvoir se dispenser de ma présence... Quant à moi, je ferais volontiers le retour sur les mains pour être certain de le voir obtenir gain de cause."

Il sourit faiblement. Retourner au temple de Helm était toujours un exercice pénible. Bien qu'il n'éprouve aucun remord, une sorte de nostalgie le prenait quelquefois de cette époque où il était entièrement en phase avec les manostiens - un temps où tout était plus simple...

"Nous vivons une époque bien étrange... Tout cela pour vous dire que je suis l'affaire de près, et que je vous autorise d'autant plus à assister au conclave que j'ai moi-même suggéré certains des noms de ses garants."

La Couronne de Cuivre

[Bâtiment] Le Palais des Murmures

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