La Couronne de Cuivre

Deux certitudes et une foultitude d'inconnues parmi lesquelles la façon dont elle allait pouvoir sauver sa peau. Déjà, ils ne lui enlèveraient pas le collier et voulaient "casser du drow", c'était déjà un bon début. Pour le reste ... Peut être valait il mieux qu'ils sortent des tunnels après tout. Elle avait encore un moyen de prolonger sa vie un petit peu.

"Par ici"

Elle conduisit le groupe à travers des ramifications labyrinthiques et puantes où ils leur arriva de patauger dans la fange jusqu'aux genoux. Ils passèrent un temps incertain qui leur parut une éternité dans les méandres. Puis, peu à peu, le sol redevint de la terre meuble et devant eux se dessinèrent les contours d'une porte.

Ils la suivaient sans mot dire, prenant garde aux bruits qui pouvaient paraître suspects, mais, en dehors de leurs propres pas et du ruissellement léger et lointain d'un peu d'eau, à peine répercuté sur les parois du boyau, rien ne venait troubler la quiétude des lieux, excepté la peur sourde et animale d'être enfermé sous terre, sans certitude de pouvoir s'en aller. Trouble silencieux mais bel et bien présent...

Arrivés devant cette porte, les trois hommes la jaugèrent d'un œil soupçonneux.

"Où mène-t-elle ?" demanda le type masqué. "Plus d'acte héroïque et... inopportun, j'espère, Althéa ?"

Althéa secoua la tête. Quoi qu'il se passe, elle ne tenterait plus rien, du moins pas maintenant. Les menaces avaient fini par porter leur fruit, elle n'avait plus aucun courage.

"La porte donne sur une rue passante à coté des quais. Mais si nous sortons tous ensemble, nous risquons d'éveiller les soupçons"

Elle disait vrai. Ce qu'elle n'avait pas dit, c'est que la Vierge d'Argent se trouvait à proximité. Il suffisait que l'un de ses membres passe et la croise et Elissa serait alertée.

Le masqué répliqua :

"Je vais passer devant, discrètement. Pas de faux mouvement... une lame glisse si facilement, vous savez ?"

Il examina un petit instant la poignée de la porte, s'assurant peu ou prou qu'aucun vil mécanisme ne l'attendait pour lui faire choir une lourde pierre sur le crâne, ou le réduire instantanément en une infâme bouillie sanguinolente suite au déclenchement d'un sortilège cataclysmique. Mais, fort de son inexpérience, l'homme ne remarqua rien de particulier, excepté la rouille qui rendait l'ouverture de ladite porte un rien difficile.

Derrière, la rue, calme, nocturne, et vide de tout passant. Pas d'embuscade, pas de prêtres de Helm en attente d'un trio de malfaiteurs à punir pour leurs ignobles pensées...

Personne dans la rue à cette heure entre chien et loup. Personne susceptible de lui venir en aide quoi qu'il se passe. Mais Elissa veillait tard et c'était sur elle que reposait son mince espoir.

Les odeurs étaient chargées de saumure et de varech. On entendait le ressac. Mais la mer n'était pas de suite à portée de vue. Ainsi, les hommes n'avaient aucun moyen de se repérer dans la ville.

Malheureusement, la jeune femme avait omis la possibilité que les hommes connaissassent la cité...

"On n'est pas loin de la Vierge d'Argent... filons vite fait. On risque de tomber sur des mercenaires... qui la connaissent", cracha l'homme à la voix haut perchée.

Ils la poussèrent de force dans une rue de traverse, plus discrète, et se terrèrent sous un porche sinistre.

"Bon. On est sorti. Tant pis pour c'foutu carnet... je pense qu'on pourra pas l'avoir.
- Surtout guidé par une fille aussi tête brûlée... Althéa, vous avez eu de la chance que mes camarades ne vous tuent pas. Nous... opérerons autrement."

Il retira le collier en cuir qui maintenait la bretteuse sous leurs ordres, puis souffla :

"Dommage que vous soyez si crédule. Ce collier n'est autre qu'un collier de chien, sans plus de pouvoirs... maintenant, filez.
- Nan, pas question. Elle nous a trop pourri la vie. Je vais la buter.
- Écoutez", repris le masqué, "on s'était mis d'accord..."
- Mais cette pute s'est foutu de nous depuis le début ! Et c'était pas prévu. Et on devait pouvoir massacrer ce foutu oreilles pointues. Je vais m'venger sur elle.
- Il n'en est pas question !" protesta l'autre. Il posa la main sur la garde de son épée, tandis que le castra pointait sa lame vers le visage terrorisé d'Althéa, immobilisée par la grande brute. Il voulut dégainer, mais la dague de l'autre fila comme l'éclair, et le sang se mit à dégoutter de la gorge du masqué, qui tomba au sol sans un bruit. Le voile qui le cachait se souleva, et Althéa faillit hurler. Elle reconnut l'un des paladins de l'Ordre du Cœur Radieux, qu'elle avait croisé lors de sa nuit passée après l'attentat contre Lothringen et l'ambassadeur mélandien*. Elle voulut s'enfuir, mais la brute la tenait toujours plus fermement, et plaqua une main sur sa bouche.

Le castra s'approcha d'elle en souriant d'une façon atroce. Jouant avec sa dague, il déchira le chemisier de la jeune fille.

"On va pas s'priver d'un peu d'bon temps, pas vrai ?"

* voir Rapports diplomatiques

Un des paladins du Coeur radieux. "Massacrer ce foutu oreilles pointues". Et le collier n'était qu'un leurre. Pourquoi ne s'en était elle pas aperçu plus tôt ? Avec cette certitude, elle se serait cachée dans les ombres et aurait faussé compagnie à ses bourreaux. Maintenant ...
Ils voulaient se venger de Lothringen et c'était elle qui allait prendre à sa place.

Elle sentit la morsure du fer sur sa chair. Elle essaya encore de se dégager d'un mouvement mais la brute raffermit encore sa prise.

Alors, elle ne bougea plus. Qu'ils attendent ses larmes, ses cris, ses supplications ... Elle ne dirait rien et ne bougerait pas. Morte avant son heure. Qu'ils prennent d'elle ce qu'ils voudraient ce n'était plus son corps.

Ensuite ...

Pardon Leodacya, je crois que tu ne me reverras plus. Ou peut être dans des bribes de rêves.

Elle tendit ses pensées vers elle.

L'homme passa brutalement sa main rugueuse sur la peau dénudée de la jeune fille, qui réprima un frisson de dégoût tant bien que mal. Il arborait un sourire vaguement sadique, tout en ayant, dans les yeux, une lueur intéressée. Ses doigts martyrisaient la poitrine d'Althéa, et il s'apprêtait à la dénuder plus avant, quand son sourire se mua en un rictus horrifié. Ses mains cessèrent de progresser, ses doigts se crispèrent brusquement, puis devinrent flasques. Si la jeune femme avait ouvert les yeux, elle aurait crié en voyant un filet de sang épais couler de la bouche de l'homme, dont les yeux morts regardaient fixement un point au-dessus des cheveux d'Althéa. Il s'écroula sans un cri, et elle ouvrit les paupières.

La grande brute essuyait soigneusement sa lame sur la tunique de sa victime, pour la rengainer ensuite. Il fit un vague signe à Althéa, de se refaire une décence, et parla pour la première fois :

"Assassin, ouais. Violeur, plutôt crever. Ce fils de pute savait pas qu'ma sœur a subi ça. Qu'il pourrisse."

Il cracha sur le corps de l'homme, puis poursuivit :

"Bon. Mais j'ai un semi-drow à tuer, par contre. On va pas y passer la nuit, j'espère ?"

Le cauchemar continuait. Chaque fois qu'elle pensait s'en dépêtrer, elle ne faisait que s'y enfoncer plus avant.

Secouée de frissons incontrôlables, transie par le froid elle serra ses bras autour de sa poitrine nue, et bardée d'ecchymoses qui commençaient déjà à apparaître. On avait voulu la violer, la tuer ... On l'avait dénudée. Et si la brute n'était pas intervenue, elle sera encore là, étendue sur les pavés. Et ... Elle tenta de chasser l'indicible qui s'imposait insidieusement à son esprit. Impossible ... Elle sentait presque l'haleine de l'homme sur son visage pendant qu'il, chaque souffle, chaque torsion de son corps même imaginaire la révulsait. Elle inspira doucement en essayant de reprendre pied. La vision, elle le savait hanterait chaque nuit de ses pires cauchemars. L'horreur. Elle l'accompagnerait sûrement jusque dans la mort. Elle se sentait salie, humiliée, révulsée.

Il fallait qu'elle s'habille et pour cela, elle n'avait guère le choix. Plus de manteau, plus de chemise. Ne lui restait plus qu'à dépouiller le cadavre. Un frisson de dégoût glacé la parcourut des pieds à la tête et elle serra les dents pour s'empêcher de vomir. L'espace d'un instant, elle faillit larder la chair morte de coups de pieds, lui cracher dessus, lui déchirer son visage pour n'en faire qu'une bouillie sanglante pour le bannir de son souvenir. Mais le bibendum ne lui laisserait pas le temps. Il fallait qu'elle s'habille.

Restait à savoir si c'était cela que le bibendum attendait d'elle. Elle ne voulait pas risquer une gifle qui l'enverrait par terre, quelques mètres plus loin. Elle se pencha sur le cadavre en disant.

"Il n'y a pas tant de passages que ça pour accéder au palais des murmures. La citadelle de la lame d'Argent est bien protégée. A vrai dire, nous avons deux options : les tunnels ou les toits"

Et avec les deux, sans le collier, elle avait une chance de s'en sortir.

Se tenant les pouces dans la ceinture, l'homme regardait tranquillement Althéa se revêtir tout en tremblotant - dégoût ou froid ? il n'aurait su le dire mais s'en fichait comme d'une guigne, à vrai dire. Il écouta la voleuse parler. Les toits, assez peu pour lui. Il n'était pas d'une agilité extrême. Les tunnels ne le tentaient qu'à moitié, mais il n'aurait guère le choix, en réalité. Passer par la porte d'entrée du palais des murmures semblait quelque peu loufoque...

"Va pour les tunnels. Sans prêtres... sinon, je vous tord le cou jusqu'à ce que votre tête se dévisse."

Et, au vu de sa musculature plutôt imposante, il valait mieux ne pas prendre cette menace à la légère ; il aurait pu la mettre à exécution sans le moindre problème.

Althéa avait hoché la tête. Ce n'étaient pas les toits mais dans le dédale, elle avait peut être une chance. Il y avait des endroits où une personne normale avait toutes les peines du monde à se faufiler et encore en se baissant et se contorsionnant. Alors, un colosse ... Sans le collier, sans la menace des dagues, elle pouvait semer son adversaire.

Ensuite, elle aviserait. Elle si dirigea sans manifester d'émotion vers la porte. Presque aussitôt, ils furent submergés par l'obscurité humide des tunnels.

L'odeur fétide leur submergea à nouveau les narines. Les égouts passaient non loin, et on entendait le murmure de l'eau sale dévaler les tunnels humides du réseau souterrain censé purger Manost de sa fange. L'homme dû se baisser pour passer le porche, mais put se redresser une fois à l'intérieur. À la lueur de la torche, ils progressaient lentement, prenant garde à ne pas glisser sur les dalles moussues et traîtresses. Se rompre le cou dans un endroit aussi répugnant constituait la dernière des choses qu'ils désiraient, l'un et l'autre.

"Pas de faux-pas... ni de fuite désespérée", l'avertit l'homme, juste derrière Althéa. Il n'aurait qu'à tendre le bras...

Hrp : je te laisse imaginer notre itinéraire là-dessous

Elle avançait doucement, comptant chacun de ses pas. Là, au bout d'un couloir, il y avait un passage étroit. Très étroit dans lequel seule une petite personne maigrichonne pouvait passer. Or, il se trouvait qu'elle était une petite personne maigrichonne. Jusqu'à présent, elle avait toujours pesté contre sa petite taille, contre ses os saillants et le poids qu'elle n'arrivait pas à prendre. Aujourd'hui, le tout lui apparaissait comme une bénédiction. Ensuite, il lui faudrait ramper dans la fange durant un long moment, mais elle pourrait s'en sortir.

Restait à prendre de la distance. Pour cela, elle avait une idée. En même temps que la chemise, elle avait ramassé une petite dague sur le cadavre. Elle l'avait cachée dans la manche de la chemise trop grande pour elle. Encore un pas, deux. Bientôt, il risquait de voir la petite entrée du tunnel. Elle devait agir et vite.

Deux, trois ... maintenant. Sans réfléchir, elle se retourna et lança la dague aussi fort qu'elle pouvait. L'homme l'évita en jurant. Elle se jeta en avant. Elle sentit ses mains attraper ses cheveux. Elle tira de toutes ses forces, abandonnant une grande mèche. Elle plongea dans l'étroit boyau et se mit à ramper frénétiquement. L'homme l'attrapa par le pied, elle lui abandonna sa botte. Comme elle s'y attendait, son grand corps musculeux l'empêchait de passer. Elle rampa encore pour être sûre d'être à sa portée. Ses mains, ses coudes et ses genoux râpaient douloureusement les parrois du tunnel. Elle sentit même son pantalon se déchirer de part en part, mais elle n'en avait cure. Une fois qu'elle fut assez loin, elle se cacha dans les ombres et resta sans un bruit. Hors d'atteinte, elle reprit son souffle.

Elle écouta un à un les bruits dans le tunnel. L'homme s'était immobilisé. Elle continua encore et encore jusqu'à ce qu'elle put se redresser. Puis, doucement, elle se remit debout. Sa tête lui tourna. En se tenant au mur, elle parvint à sortir du souterrain. Ses pas approximatifs la portèrent vers la demeure de Corwin.

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