[Lieu] Une petite place discrète

[Mornagest]

[Quête : l'enlèvement d'Alréac]

"Cause toujours !", cracha l'homme en continuant. Il n'était qu'à quelques mouvements de la lame. Qu'aurait-il à perdre ? Son âme était déjà entre les mains de Cyric. Se laisser prendre par ces manants ne le sauverait pas, au contraire. Il aurait le sentiment d'avoir trahi les siens... et tout, plutôt que cela. Ils avaient fait ensemble serment d'allégeance envers le dieu fou, et il n'allait pas y contrevenir...

D'un dernier douloureux mouvement, il empoigna la garde de la lamelune, et ressentit aussitôt une brûlure au niveau de la paume, qui se propagea à une vitesse affolante dans tout son bras droit, puis l'ensemble de son corps. Il gémit, d'abord faiblement, puis se mit à hurler, sentant ses membres se consumer de l'intérieur, tandis que sa vision se brouillait, laissant la place à des flammes, pareilles à celles de l'enfer. Y était-il ?

Il rendit l'âme quelques instants plus tard, sous l'effet de la chaleur, malgré son apparence extérieure tout à fait normal, excepté ses horribles contorsions sous la douleur insoutenable. Les dieux seuls savaient désormais où son âme reposait. Si elle reposait...

[Ravestha]

[Quête : l'enlèvement d'Alréac]

Ravestha jura comme un balor en rage lorsqu'il vit son ennemi lâcher un dernier râle avant de cesser de se contorsionner sous la douleur. Il s'approcha et écarta le corps du fanatique d'un coup de pied et récupéra sa lamelune. Mais un bruit lui fit tourner la tête : le fanatique que Vergil avait atteint au côté avec son projectile magique n'avait pas été tué et venait de faire tomber sa propre dague au sol. Il tenait à peine debout et ses gestes étaient imprécis. Le Grand Emissaire l'avait complètement oublié et l'espoir renaquit.

Immédiatement les deux Manostiens accoururent vers lui, Ravestha envoyant valser la dague au sol d'un coup de pied pour prévenir une nouvelle tentative de suicide. Attrapant l'homme au cou avec sa main valide, il le plaqua contre le mur pour le forcer à rester debout puis approcha son visage de celui de son ennemi. L'agressivité dont faisait preuve le dirigeant n'était pas seulement due à l'urgence de la situation mais aussi à sa haine pour tous les bâtards qui servaient Cyric. Il ne formula que cette simple question :

"Où est Alréac ?!"

[Mornagest]

[Quête : l'enlèvement d'Alréac]

L'archer grimaça sous la poigne de Ravestha, puis le fixa un moment sans répondre. Visiblement, il ne savait pas de quoi le manostien voulait parler.

"Qui ?"

Il n'était peut-être pas dans la confidence...

hrp : oui, c'est court, mais bon...

[Ravestha]

[Quête : l'enlèvement d'Alréac]

Le regard du fanatique lui avait montré qu'il ne savait visiblement pas de quoi il parlait. Peut-être que l'elèvement était tenu secret même pour certains des assassins. Toujours est-il qu'il devait changer de stratégie. S'il fallait qu'il remonte les échelons de la hiérarchie des Lames Noires les uns après les autres, il le ferait.

Sans défaire aucunement sa prise, Ravestha lui posa une autre question.

"Où est-ce que les rats de votre espèce se terrent ici à Melandis ? Réponds !"

Il avait joint le geste à la parole. Il avait resserré son emprise pendant la dernière interjection.

[Mornagest]

[Quête : l'enlèvement d'Alréac]

Il pouvait à peine respirer, désormais.

"Argl... Je... Nous étions tous pré... sents, ce soir... mais... argl... serrez moins fort !"

Son visage devint cramoisi. Il essayait de déserrer l'emprise de Ravestha, qui lui tenait le cou d'une façon peu amène.

[Vergil]

[Quête : l'enlèvement d'Alréac]

Vergil s'approcha du prisonnier en cour d'interogatoire et appuya le Grand Conseiller en placant la lame de son arme juste en dessous de l'entrejambe. Les prisoniers devenaient generalement tres cooperatifs quant on faisait ca.

"Tu as fortement interet a nous dire ou se trouve les autres membres de votre pathetique association ou alors une eternite de tourment dans les enfers sera une simple gene.... compare a dix minutes avec moi."

[Mornagest]

[Quête : l'enlèvement d'Alréac]

Se dégageant quelque peu de l'étreinte d'acier de Ravestha, l'homme bredouilla :

"Je... vous l'ai dit, nous étions tous présents ce soir. Je... j'ignore qui est cet Alréac. Je ne connais pas les noms de nos victimes..."

Un semi-aveu, une information incomplète. Mais c'était mieux que rien, pour l'instant.

[Ravestha]

[Quête : l'enlèvement d'Alréac]

Il était clair que son ennemi ne savait rien sur Alréac. En revanche Ravestha était persuadé que le fanatique leur cachait la vérité sur le moyen de trouver les autres.

"Vous êtes tous des serviteurs du Soleil Noir, vous avez forcément un endroit où vous vous retrouvez. Un lieu de culte discret, un bâtiment où vous récupérez vos ordres. Je veux tout savoir sur les moyens de retrouver les autres Lames Noires."

Il donna un coup de genou peu violent dans le flanc blessé de son ennemi.

"Et je n'ai pas de temps à perdre en semi-vérités..."

[Mornagest]

[Quête : l'enlèvement d'Alréac]

Il gémit, serrant les dents. Puis il cracha ces informations, conscient qu'il ne gagnerait rien à espérer que ces hommes le tuent.

"Ecoutez... nous ne sommes qu'un petit groupe. Nous avons... une cache, dans laquelle nous enfermions nos prisonniers. Peut-être votre Alrack s'y trouve, j'en sais rien, moi ! Seul le chef savait... je vous jure que c'est la vérité !"

[Ravestha]

[Quête : l'enlèvement d'Alréac]

Il comprit que son ennemi n'en savait sans doute pas plus. Continuer l'interrogatoire ne le mènerait sans doute pas plus loin, si ce n'est à affaiblir encore son ennemi. A présent, ils tenaient une piste, assez maigre certes, mais elle existait tout de même.

"Où est-elle ? Je veux connaître son emplacement exact. Et vous n'avez pas intérêt à mentir, puisque vous allez nous accompagner."

Il ne pourrait ainsi se soustraire à un nouvel entretien si jamais il leur avait menti. Entretien qui serait sans doute encore plus désagréable que celui là.

[Mornagest]

[Quête : l'enlèvement d'Alréac]

Il grimaça quelque peu. Il aurait voulu être n'importe où ailleurs qu'ici, pour l'instant. Cyric ne leur pardonnerait pas d'avoir échoué face à cette bande d'empotés de gardes et de magiciens du dimanche...

"C'est pas très loin..." Il capitulait. "Dans les bas-quartiers."

[Ravestha]

[Quête : l'enlèvement d'Alréac]

Ravestha lâcha son étreinte, permettant au fanatique de respirer convenablement. Pendant que Vergil restait près de lui, Ravestha alla chercher la dague qu'il avait écarté d'un coup de pied. Lorsqu'il revint, il attrapa l'homme par le bras et l'obligea à avancer. La dague était pointé vers le flanc de leur prisonnier.

"Vous allez nous y conduire. Et pas de bêtises, car vous risqueriez de souffrir. Et naturellement hors de question pour nous de vous tuer... Vous m'avez bien compris ?"

[Mornagest]

[Quête : l'enlèvement d'Alréac]

Avec une expression mauvaise sur le visage, l'homme ne put qu'acquiescer. Ces hommes ne le tueraient pas, même s'il tentait de s'évader. La mort ne lui était plus accessible. Tout ça parce qu'il n'avait pas eu le temps de s'implanter cette fausse dent en bouche... le hasard faisait parfois très mal les choses.

Le trio se mit en marche, tandis que les mercenaires survivants à l'assaut étaient retourné dans la villa de leur employeur afin de lui faire un rapport détaillé de la situation.

[Bran]

Quittant la ruelle sordide, le mage se retrouve au sein d’une artère plus fréquentée, nettement plus bruyante. Rabattant par réflexe son capuchon sur les yeux, il traverse prudemment la chaussée. Enjambant une flaque de vomi, et son propriétaire qui y croupit, détachant de ses vêtements les mains de catins aux faces peinturlurées et aspergées d’un parfum au rabais pour dissimuler saleté et maladies, le mage se fraye un passage. Le diablotin s’étant mis à faire du surplace, Bran l’attrape par le col, pressé de quitter cette faune pour gagner la relative tranquillité des hauts quartiers.

Des arbres dénudés entourent une petite place déserte sur laquelle gargouille une fontaine.

Bran sort un vieux morceau de savon qu’il dépose sur la margelle. D’un doigt il agite l’eau stagnante, remuant la vase en suspension. N’étant plus à ça près, le mage bataille pour délacer le haut de sa tunique. Faisant mousser le savon au creux de ses mains, il se frotte le visage et les bras, des gouttelettes d’eau mêlées de sang dilué mouchetant le sol à ses pieds. Il s’asperge la nuque, se débarrassant du filet de sang séché lui ayant coulé de l’oreille jusque dans le cou.

Soupirant à fendre l’âme, le mage s’affale sur un banc, les mains croisées derrière la tête.

"Ma vie est un désastre."

Le diablotin tourne vers lui une mine dégoûtée.

"Branie, tu me fais pitié."

Avec un léger rire, le mage s’étend sur la pierre froide, se tortillant pour trouver une position acceptable. Rasséréné à l’idée qu’il ne lui reste que quelques heures à passer dans ce trou puant, le mage se met à siffloter doucement. Une moitié du visage baigné de rayons de lune, il se laisser aller à rêvasser, presque détendu.

Secouant la tête, jetant un coup d’œil suspicieux aux alentours, le diablotin vient finalement se poser sur le dossier fissuré du banc, ses ailes disproportionnées rabattues sur le dos, crachotant de petits nuages de souffre dans l’air frais de cette fin de nuit.

[Mornagest]

Une ombre sortit de parmi ses semblables et s'approcha en silence du magicien allongé sur la pierre. Le familier ne semblait pas l'avoir remarqué, mais gronda lorsqu'il sentit l'individu arriver à la hauteur de Bran, dont les rêveries le laissaient quelque peu extérieur à la réalité.

Entièrement couverte d'une cape et d'un capuchon rouge sombre, l'étrange personnage secoua simplement l'épaule du magicien afin de le tirer de ses songes, qui l'avaient laissé avec un sourire béat affiché sur ses lèvres gercées par le froid nocturne.

"Réveille-toi, homme. J'ai à te parler."

La voix était celle d'une femme, calme et posée, sans sonorités agressives.

[Bran]

Le soupir qu’exsudent les poumons du mage vire à la brume givrée sitôt sorti de ses lèvres.

"Mes songes avaient pourtant pris une tournure agréable."

Avec des gargouillis infâmes, la fontaine peine à ne pas se laisser figer par le gel. Son silence soudain donne à penser qu’elle a fini par renoncer. Après un coup d’œil inexpressif au diablotin, qui hausse les ailes d’un air gêné, le mage redresse son corps courbaturé, son sang s’engouffrant à nouveau avec plaisir dans ses membres dépliés.

La dague qui s’est lovée dans la paume gauche de Bran gratte maintenant une moisissure sur le banc, entre ses cuisses écartées. Absorbé dans sa tâche, ne relevant pas la tête, le mage adresse à l’intruse encapuchonnée un vague geste de la main, signe qu’elle a son attention.

[Mornagest]

Ignorant le fait que le mage ne la regardait pas lorsqu'elle lui parla, la femme poursuivit alors :

"J'ai suivi ton arrivée à Melandis. Intéressant... tu as des projets... curieux, et du potentiel magique qui peut s'avérer être très puissant. Une arme à double tranchant, cependant, contre toi-même. Des êtres maléfiques rôdent, ici, et pourraient s'approprier tes pouvoirs afin de les utiliser dans de noirs desseins. Peut-être cela t'attire-t-il, mais tu ne risques rien d'autre que la mort, à plus ou moins courte échéance, en acceptant ce fait..."

Elle parlait lentement, afin de s'assurer que Bran assimilait bien ce qu'elle lui expliquait. Il avait l'air si dissipé...

"Bien entendu, rien ne t'empêche d'accepter... cependant, je te propose autre chose, si cela t'intéresse."

[Bran]

Une moue amusée tord a présent ouvertement la bouche du mage, alors qu’il laisse s’écouler les paroles de l’importune. En un tic familier, ses doigts ont repris leur tambourinement incessant. Autour d’eux, les arbres squelettiques frottent leur ramure en un crissement monotone. La silhouette même de la femme semble aspirer à elle toutes les ombres rampantes de la petite place.

"Parle toujours femme, mais il en faudra plus pour m’alarmer ou me convaincre."

Bran s’étant fait une vocation de ne jamais être surpris, les pseudo connaissances de la créature sur son humble personne glissent sur lui sans trouver beaucoup de prises. Le mage a besoin de plus de données. Et il saura faire preuve de patience pour les obtenir, dusse t’il rester à se geler les fesses en écoutant une ombre lui sortir le grand jeu.

[Mornagest]

Elle sourit, mais Bran ne put que le deviner sous son capuchon sombre comme la nuit. Elle poursuivit donc :

"C'est assez simple. Du potentiel magique, ce n'est pas ce qui court les rues, même à Melandis, la cité du Chaos... car il s'agit bien d'entropie, n'est-ce pas ? Je ne cherche pas à t'effrayer. Si tu avais peur, je ne pourrais que te mépriser. Mais sache simplement que d'aucuns puisent dans le potentiel des autres afin d'améliorer le leur... provoquant ainsi la mort du magicien "vampirisé". Peut-être est-ce ce que tu cherches, mais j'en doute. Un suicide serait préférable, car moins douloureux. Cela dit, tu peux également choisir d'être parmi les forts, et améliorer ton potentiel. Pour toi-même, ou pour d'autres qui sauront te récompenser pour tes efforts. En entrant à l'école..."

Un nouveau sourire. École... le terme était plutôt étrange, mais malgré les épreuves rudes et parfois mortelles, l'école de magie de Melandis en était réellement une ; elle permettait aux magiciens opiniâtres d'accéder aux plus hauts niveaux d'arts arcaniques. Entre autres.

[Bran]

Le jeune homme se renverse en arrière avec un sifflement. Voilà qu’on tente de le recruter. Il regarde la femme d’un œil neuf. Ça remet les choses en perspective. Le mage n’a pas manqué montrer les dents au terme honni. Une école ! De magie ! Ici, à Melandis. Des rumeurs d’épreuves perfides finissant en joyeux étripage sanglant entre étudiants viennent lui titiller la mémoire. Se retrouver placé sous la coupe de mages sadiques prêts à vous transformer en ragondin au moindre bâillement mal dissimulé, non vraiment, c’est…

"C’est d’accord."

En réponse au discret sourire de la femme, les lèvres enflées du mage se pincent en une légère grimace. Bran incline la tête et la regarde par en dessous, toujours suspicieux.

"Votre offre n’est pas gratuite, il y a forcément une contrepartie. Et si elle n’est pas financière, alors quoi, des années de service aux ordres de l’école ? Qu’attendez-vous de moi, mis à part l’exploitation de mon potentiel, une fidélité totale à votre organisation ?"

Le mage darde des yeux méfiants sur la femme. Son identité réelle commence à le tracasser. Il faut encore qu’elle prouve ses dires.

[Mornagest]

Elle se détendit imperceptiblement. La partie n'était pas gagnée d'avance, mais elle avait apparemment réussi à attirer son attention. C'était de bon augure pour la suite.

"Votre paiement ? Question légitime... rien n'est gratuit, surtout ici... sauf qu'en fait, si... les talents que vous pouvez apporter à l'école se suffisent à eux-mêmes. Comprenez bien que n'importe quel imbécile n'entre pas là sans condition ; il faut avoir des aptitudes bien trempées avant de pouvoir prétendre y entrer... mais je vous expliquerai tout cela plus tard, si cela vous intéresse. Sachez simplement que ce n'est pas un piège... vous serez lié à l'école, mais libre d'en partir quand bon vous semblera. À la seule condition d'également quitter la cité. Les concurrents sont très mal vus..."

Sa voix s'était faite plus douce, d'une douceur qui cachait de males intentions à l'encontre de celui qui braverait la menace. Nul doute qu'il s'en était déjà trouvé par le passé pour prendre ce risque inconsidéré.

[Bran]

Normal, quoi de plus normal. Cette façon de voir les choses lui est somme toute familière. Des talents apportés à l’école. A l’écoute des gloussements du diablotin, Bran ne doute pas qu’à cet instant précis leur trottent dans la tête les mêmes souvenirs de mutations incontrôlées dévastant le troisième étage de la tour de son vieux fou de maître. Bon sang, et dire qu’il venait tout juste de se débarrasser de l’autre antiquité. Pour ce que ça lui a réussi. Rien qu’à l’idée de reprendre la route, les plantes de pied du mage crient désespoir. Libre de partir quand bon vous semblera. Vraiment ?

"Possible que je sois intéressé."

Il lui semble cracher ces mots. Tant qu’il conserve sa pleine liberté de mouvement, pourquoi ne pas tenter l’expérience. En ce qui le concerne la cause est entendue. Se dessoudant du banc, Bran fait quelques pas sur la place pour se dérouiller les jambes avant de se retourner vers l’encapuchonnée, le regard un peu éteint, passant machinalement la main dans ses cheveux ébouriffés.

[Mornagest]

"Ravie de voir que vous prenez la bonne décision", répondit-elle avec une courtoisie non feinte. Elle n'avait pas manqué de comprendre que Bran avait pesé le pour et le contre, en quelques instants, mais cela ne lui posait aucun problème de conscience. Après tout, son destin le regardait, et s'il était suffisamment ambitieux et prudent, il pourrait devenir un magicien. Un vrai.

"Venez, ne traînons pas ici à cette heure. Les gardes rôdent parfois, autant éviter un incident avec les autorités."

Elle lui fit signe de la suivre et ils se mirent en marche vers l'école du Nécronomicon, dans l'air frais de la nuit qui s'avançait petit à petit.

[Kededric]

En provenance du Luménien Noyé

Somme toute, cet endroit n'était pas très loin de son lieu de résidence favori ; à peine quelques minutes en marchant tranquillement. Mais l'endroit n'était pas très fréquenté : c'était presque un cul-de-sac, et seules des venelles permettaient d'y accéder ou d'en partir. Au beau milieu de cette confluence de sentiers, une place à peine plus large qu'une rue classique, et pas plus longue. Cependant, elle offrait, outre quelques habitations crasseuses, deux enseignes à l'aspect un peu moins délabré. Maison close ? Barbier ? Marchand de grains ? Le promeneur égaré pouvait se poser la question, car, de l'extérieur, il n'y avait aucun moyen sûr de connaître la nature précise de ces négoces. Les seules fenêtres dont étaient dotées les façades étaient opaques à cause de la poussière et du verre dépoli.

L'un de ces deux commerces intéressait Kededric au plus haut point. Un des marchands qui occupait les lieux pouvait disposer d'informations... dont il souhaitait prendre connaissance. Évidemment, comme toujours, les interrogatoires souffraient toujours du même défaut : comment savoir que la victime disait bien la vérité ? La magie pouvait bien des choses, mais il n'en disposait plus pour l'instant, et même avec elle, il ne maîtrisait pas suffisamment la divination pour s'assurer de la véracité des aveux sous la torture. Il devrait se fier à son instinct et sa connaissance approfondie de la nature humaine pour séparer le bon grain de l'ivraie.

Mais d'abord, entrer... et agir. La porte grinça, et termina sa course en frottant contre les carrelages usés rouge sombre. À l'intérieur, une odeur de poussière douceâtre envahissait les narines. Des étagères disposées dans un joyeux fatras regorgeaient d'ouvrages probablement sans intérêt historique ou occulte ; plutôt des récits soi-disant héroïques dont les bardes se régalaient à les déclamer à qui mieux-mieux devant des dames potelées en mal de sensations fortes, leur mari s'étant rangé des armes et du devoir conjugal depuis belle lurette.

Dédaignant cette marchandise douteuse, l'assassin progressa parmi les rayons fatigués pour atteindre le comptoir. Pour l'instant, pas âme qui vivait. Aucun bruit... pourtant, son entrée n'avait pas pu passer inaperçue. Kededric s'arrêta quelques secondes, et écouta. Pas de conversation dans l'arrière-boutique, pas de pas à l'étage, pas de mouvement... étrange. Il posa la main sur la garde de sa rapière, presque inconsciemment. Que risquait-il ? L'excès de confiance. Il ne souhaitait pas se voir pris au dépourvu pour avoir considéré cette affaire comme trop facile. Il devait y avoir plusieurs personnes, ici... suffisamment pour s'inquiéter de ce silence persistant.

Contournant le comptoir en chêne lustré par les âges, Kededric faillit trébucher sur une forme indistincte dissimulée derrière le meuble. Un corps, évidemment. Pas d'uniforme, vêtements quelconques, âge moyen ; un client malchanceux, sans doute. Une entaille marron horizontale lui traversait la gorge. Il avait dû être déplacé là, car il n'y avait pas beaucoup de sang autour de lui. Probablement pour éviter qu'on ne le vît d'un coup d'œil depuis l'extérieur.

Kededric pénétra dans la première pièce de l'arrière-boutique. Trois autres cadavres étaient présents, dont deux étaient équipés comme des gardes du corps. Ils avaient dû mourir rapidement, avec des coups portés au cœur. En revanche, le marchand avec lequel il aurait souhaité deviser courtoisement était moins présentable. L'interrogatoire vicieux était une technique utilisé par d'autres, bien évidemment. Mais... pourquoi lui avoir écorché tout le visage ? Cela ne rendait pas la victime très belle. Et puis, cela prenait beaucoup de temps...

L'assassin essaya d'estimer depuis combien de temps tout ce petit monde se reposait ici. Plusieurs heures, au moins, car le sang était sec, et les corps à peine tièdes, et encore. Si peu de clients venaient ici ? Ou alors, certains étaient venus et n'avaient rien vu, puis s'en étaient allés sans se poser davantage de questions... peu importait, au fond : il avait perdu une source d'informations potentielle pour avoir trop traîné, et Kededric commençait à se demander s'il n'était pas bon pour la retraite. Tant d'erreurs et d'échecs en si peu de temps, c'était frustrant. Et puis... qui ? Pourquoi ? Le hasard n'était sûrement pour rien dans le meurtre du bouquiniste. Il devait certainement s'être fait des ennemis à Melandis, avec des activités aussi tangentes que les siennes, mais sa mort juste avant qu'il ne vînt le voir tombait trop à propos pour n'être qu'une coïncidence. Il était donc suivi... ou surveillé. Et il n'aimait pas cela.

Pour l'heure, il n'avait plus rien à faire ici. Il contint sa brève envie de frapper le cadavre méconnaissable du marchand, mais la colère n'était pas dans ses habitudes.

La minute d'après, Kededric repartait vers le port. Il avait envie de se saouler, maintenant. Oublier, ne fut-ce qu'une soirée...

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