La Couronne de Cuivre

Angèle sourit de nouveau.

"Vous êtes d'excellent conseil. Je vais tout de même récupérer cette lettre. Et je serai en effet ravie de visiter l'académie une fois prochaine. Pour ce qui est du reste, j'avoue que votre aide me sera fort précieuse."

Il lui restait donc à récupérer la lettre et les bagages en espérant qu'on ne lui pose pas trop de questions sur Malo.

Le garde s'avéra tout à fait prévenant à cet égard, démontrant que vouer un culte au savoir et à sa préservation ne prédisposait pas automatiquement ses clercs à se montrer trop curieux. Il se proposa même d'aller lui-même récupérer la lettre d'introduction en laissant la paladine récupérer ses affaires et ils se rejoignirent à la sortie alors même que Wilhem réapparaissait sur le perron. Il jeta un œil aux bagages avant de poser une question à la paladine :

- Vous vous en allez déjà, Malo et vous ?

Angèle remercia le garde pour sa diligence et sa gentillesse et hocha la tête avec un petit sourire.

"Nous effectuons à peine un saut de puce. Nous logeons chez le Professeur Maloran. C'est la personne pour qui nous sommes venus à Cojum. Si vous le voulez, nous vous tiendrons au courant de nos prochaines recherches. Dans tous les cas, votre aide nous a été infiniment précieuse et je vous en remercie également."

Vraisemblablement, Wilhem ne connaissait pas Malo sinon, il l'aurait sans doute identifié au premier coup d'oeil. Et il n'était pas obligé de savoir que Malo et le professeur étaient la même personne.

Même si elle avait remarqué le manège du collègue, elle accepta. Si elle pouvait s'éviter deux voyages sous la pluie battante, c'était toujours bon à prendre. Chacun des sacs pesait lourds et elle se sentait lasse. Son organisme avait récupéré depuis "l'accident" mais elle n'avait jamais eu une force phénoménale. Elle n'était pas non plus habituée au grand air ni de vaquer dans des villes qu'elle ne connaissait pas en compagnie de parfaits inconnus.

Elle salua Wilhem en retour avant de partir avec le garde. Sur le chemin, elle lui demanda à tout hasard.

"Sauriez-vous où se trouve l'atelier de vitraux d'Amélie Malone ?"

C'était une simple question de curiosité.

Le garde réfléchit à la question à laquelle il ne devait pas s'attendre et se creusa les méninges quelques instants avant de répondre :

- Ce nom m'est familier. Il me semble que Malone est le nom de l'artisan que nous avons employé l'année passée pour rénover les vitraux de notre chapelle. Mais je ne savais pas qu'il s'agissait d'un femme. Quant à son atelier, je ne peux malheureusement pas vous aider mais sans doute notre grand-prêtre saurait vous renseigner.

Sur ces entrefaites, ils arrivaient déjà à proximité de l'immeuble où logeait le professeur.

Quelque part, elle était fière pour Amélie. Car si c'était son père qui s'était chargé de la rénovation, la jeune barde l'avait sans doute aidé. Que le temple d'Oghma ait fait appel à eux était signe qu'on appréciait grandement la qualité de leur travail. Elle s'arrêta devant l'immeuble de Malo.

"Voila, c'est ici. Je vous remercie une nouvelle fois pour votre aide. Vous m'avez été d'un grand secours. Je n'aurai jamais réussi à porter tous ces bagages toute seule."

Angèle retint un sourire amusé en voyant le soldat s'enfuir en courant. Amélie aurait beaucoup ri si elle avait vu l'effet qu'elle avait produit. Mais quelque part, ce n'était pas si drôle ... Elle était intimidante. Morgan en plaisantait gentiment, elle n'en riait jamais. Bien sûr, parfois, cela aidait. Elle avait eu de la chance que Moïra et surtout Soren puissent voir qu'il y avait quelqu'un derrière sa glaciale coquille. Elle pensa à Chandara. Elle aussi imposait le respect mais de manière différente. Son charisme était certain mais il venait surtout de sa bonhomie, de ses yeux vifs et de son sourire. Peut-être fallait-il qu'elle en prenne de la graine et décide de s'ouvrir un peu plus aux autres ...

Elle laissa tira les deux sacs à l'intérieur de l'immeuble, monta le premier et laissa le deuxième devant l'escalier. Elle trouva Malo captivé par sa lecture mais ne s'en formalisa pas. Cela lui arrivait très souvent, à elle aussi, que ce soit pour du droit ou de l'astronomie. Elle se dépécha d'aller chercher le deuxième sac qu'elle posa à coté du premier.

"Voila, nos affaires sont ici. Et nous avons également une lettre de recommandation du Grand Lieur. Elle pourra sûrement nous être utile."

Mine de rien, elle jeta un coup d'oeil aux livres de Malo, à la recherche de lectures potentielles.

Elle avait cette fois retenu son attention et il esquissa un sourire en voyant les deux sacs :

- Eh bien, on peut dire que vous n'avez pas chômé, Angèle ! Tous nos bagages déjà là, une lettre qui sera très certainement utile pour la suite. Oui, vous êtes très efficace ! Méfiez-vous ou je risque de vous proposer un poste permanent pour m'aider dans mes recherches !

Il abandonna son livre l'espace d'un instant pour s'approcher de sa bibliothèque et ajouter :

- Mais prenez maintenant le temps de vous réchauffer : il fait vraiment un temps exécrable. Même si je dois avouer que j'ai toujours aimé lire à la fenêtre en regardant la pluie au dehors.

L'étagère était bien achalandée et les lectures de Malo traitaient de différents sujets même s'il semblait avoir une préférence pour les ouvrages traitant de géographie, de survie et de mystères anciens. Pas vraiment étonnant pour quelqu'un exerçant sa profession... Parmi les autres, un ouvrage traitant d'astronomie attira cependant le regard de la paladine.

"Est-ce je peux vous emprunter celui-là ?", dit-elle en tendant spontanément la main sur le traité d'astronomie.

Une fois qu'elle avait récupéré une lecture qui l'intéressait, plus rien ou presque n'existait autour d'elle. Elle pouvait lire des heures sans interruption, jusqu'à en oublier de manger ou en avoir mal à la tête. Malo était plongé dans ses propres recherches. Peut-être pouvait-elle avoir les siennes. Et avec un peu de chance, ce fameux traité d'astronomie parlerait-il des Lunepierre. Après tout, n'était-ce pas un télescope qu'elle avait vu dessiné sur la page de garde ?

Entre la couverture nuageuse et le soir commençant à tomber doucement, il fit bientôt presque trop sombre pour lire et les deux passionnés s’en rendirent compte à peu près en même temps. Un coup d’œil au travers de la fenêtre suffit à leur apprendre qu’ils avaient non seulement sauté le repas de midi mais qu’ils en feraient de même avec celui du soir s’ils ne prenaient pas le temps d’une petite pause.

- Je crois qu’on devrait s’interrompre là, Angèle ! Est-ce que vous accepteriez une invitation à dîner ? J’ai trouvé de quoi rembourser ma dette à cet égard !

Allons ... Le temps avait-il passé si vite ? Oui, en toute vraisemblance et elle ne s'en était pas rendu compte. Elle commençait à avoir très faim et était à la limite de la migraine carabinée. Malo voulait l'inviter à dîner. Elle ne s'en formalisa pas. Après tout, n'allaient-ils pas devoir coopérer durant les prochains jours ? Elle hocha la tête avec un sourire.

"Vous ne me devez rien. Mais j'accepte volontiers. J'avoue que je commence à avoir très faim. Les livres sont une nourriture de l'esprit mais nous savons tous les deux qu'ils ne nourrissent pas vraiment. Du moins pas au sens où nous l'entendons."

Elle pensa à Amélie, sans doute occupée à dîner à Manost. Elle espéra qu'elle emmènerait Marvin au Loyal Paladin au moins une fois. La cuisine de Titoeil valait le détour.

Malo referma son livre et lui adressa un sourire ravi avant de se diriger vers sa penderie pour y prendre un manteau très seyant qu'elle ne lui avait pas vu porter jusqu'ici. Evidemment, avec la découverte de son appartement, il allait à nouveau pouvoir avoir accès à sa propre garde-robe.

Les deux jeunes gens n'eurent pas à aller bien loin avant que le jeune homme ne désigne une enseigne qui ne payait pas vraiment de mine : après une courte volée de marches, ils pénétrèrent dans une pièce au plafond voûté ressemblant à s'y méprendre à une cave quoique très propre et décorée avec sobriété mais un goût certain. L'établissement ne comptait en tout et pour tout que deux tables pouvant accueillir chacune quatre convives au maximum.

- Ne te fies pas au décor : si ma mémoire est bonne, c'est ici qu'on mange le meilleur cassoulet de la ville. Ou peut-être le pire, mes souvenir sont parfois encore flous !

Le sourire qu'il arborait montrait bien qu'il plaisantait...

Angèle avait regardé Malo s'habiller et reprendre ses marques. Le Professeur Maloran avait l'air d'être un jeune homme élégant et elle espéra ne pas trop dépareiller avec sa tenue. C'était pour elle une question de respect.

Elle le suivit dans les rues de Cojum et eut un moment d'appréhension en voyant l'enseigne de la taverne. Dans quel genre de bouge Malo l'entraînait-il ? Sa première impression fut heureusement démentie par la propreté du lieu. L'endroit avait un petit coté intimiste et elle supposa que peu le connaissaient. Malo risquait-il de tomber sur quelques connaissances ?

Elle se rendit compte que le jeune homme la tutoyait et ne s'en formalisa pas plus que cela. Par contre, elle n'était pas sûre de pouvoir en faire autant. Elle avait mis plusieurs jours avant de tutoyer Morgan. Pour ce qui était du menu, elle se méfiait des cassoulets pour les effets qu'ils produisaient. Bien sûr, si elle mangeait peu comme à l'inaccoutumée et pas trop vite, elle ne risquerait rien.

"J'espère qu'à la fin du repas, vous ne vous souviendrez pas que vous avez été malade après avoir mangé ici.", dit-elle avec un petit sourire en coin.

Malo esquissa une mimique plutôt comique, les mains de part et d'autre du visage et en prenant un air concentré parfaitement factice avant de répondre d'un ton facétieux :

- Mmh, j'ai beau essayer mais je ne me souviens pas ! Je crois que nous voilà obligé de tenter l'aventure ! Mais j'ai confiance en ton courage de paladine. D'autant que tu n'es pas censée pouvoir tomber malade, n'est-ce pas ?

Une voix offusquée se fit entendre juste à côté de lui et il sursauta de surprise :

- Je rêve où le grand professeur Maloran se met à dénigrer la qualité de ma cuisine ?

La voix appartenait à une femme grisonnante et légèrement enveloppée mais qui avait certainement été jolie dans son genre dans ses belles années. Présentement, elle croisait les bras sur sa poitrine généreuse mais son air sévère n'atteignait pas ses yeux rieurs.

Malo était décidément facétieux et il n'avait toujours pas renoncé au tutoiement. Elle n'en était pas spécialement offusquée mais il ne fallait pas qu'il lui en veuille de ne pas lui rendre la pareille. Elle ne le connaissait pas vraiment.

Elle sursauta et se tourna vers la nouvelle venue, la propriétaire de la taverne ou tout du moins la cuisinière pour ce qu'elle avait entendu. Et la dame semblait connaître Malo et l'apprécier tout autant. Il allait peut-être être difficile de donner le change sur son amnésie. Pour le moment, elle sourit poliment avant de dire.

"Bonjour."

A Malo de se dépatouiller avec ses bêtises.

Et son hôte fit à nouveau la preuve de son sens de la répartie en répondant avec un grand naturel :

[color=#afeee]- Voyons, tante Berthia ! Jamais je n'oserais dénigrer ta fabuleuse cuisine ! Je me languis de pouvoir à nouveau y goûter depuis que je suis de retour en ville ![/color]

La femme esquissa une grimace mais Angèle surprit tout de même un clin d'œil à son adresse avant que cette dernière ne lui réponde :

- Bonsoir mademoiselle ! Je vous souhaite bien du courage avec ce phénomène là !

Malo répondit d'un ton offusqué :

[color=#afeee]- Là c'est toi qui me dénigre ![/color]

Le vil ! A tout les coups, il l'avait emmenée ici en connaissance de cause, sachant vraisemblablement qui il allait retrouver. Ce qui était bon signe, c'est que ses souvenirs revenaient à toute vitesse. Pour un peu, Angèle en aurait souri. Mais la tante de Malo lui souhaitait bonne chance avec lui ... Elle ne savait pas vraiment ce que cela signifiait mais cela l'inquiétait un peu tout de même. Elle espéra qu'il n'y ait pas de quiproquos. Elle ne connaissait pas le jeune homme auparavant. Il était gentil, drôle, intelligent, aimait les étoiles et les livres mais elle n'en savait rien d'autre. Bien sûr, elle aurait pu dire la même chose de Soren mais le sunite restait et resterait une exception - magnifique - mais une exception tout de même. Elle répondit à la vieille dame.

"Ne vous en faites pas pour moi. Je connais le remède pour qu'il se tienne tranquille. Un bon livre et il ne bouge plus."

Une petite vengeance à sa mesure.

La tenancière éclata de rire, trouvant un Malo penaud mais bon perdant :

- Aha ! Je vois que vous avez beaucoup de répartie ! Vous me plaisez bien mademoiselle ! Et pour la peine, je vous apporte mon meilleur cassoulet : vous m'en direz des nouvelles !

Avant que l'un ou l'autre ait pu répondre, la dame âgé s'esquivait, les laissant tous deux en tête à tête.

- Les étoiles m'ont révélé à quoi vous pensez, Angèle, affirma le jeune homme avec aplomb.

Angèle sourit un tantinet amusée. Malo était repassé au vouvoiement ce qui la sécurisait un peu malgré tout.

"Dites toujours ? A quoi donc suis-je en train de penser ?"

Elle espéra que la portion qu'allait leur servir la tante du jeune homme ne serait pas trop démesurée. Elle espéra surtout n'être pas obligée de trop en manger sinon, il lui faudrait au moins une semaine à s'en remettre. Et ils avaient besoin d'être opérationnels.

Le jeune homme fit mine de se concentrer et leva le nez vers la voûte en pierre de taille du petit restaurant pour mimer une hypothétique connexion avec les étoiles puis il reporta son regard sur la paladine et déclara avec un petit sourire en coin :

- Je ne fais que des hypothèses basées sur mes observations bien entendu, et tout scientifique qui se respecte saura se remettre en cause s’il fait une erreur… Je pense donc que vous pensez que je vous ai attiré sciemment chez un membre de ma famille pour être bien certain que vous mangerez copieusement par politesse alors que nous nous connaissons encore à peine. Sachez donc que je me suis souvenu de l’identité de la tenancière quand je suis entré ici.

Fichtre, mais c'est qu'il insistait ! Angèle était convaincue que la réplique aurait fait rire Amélie. Oui, elle ne mangeait pas beaucoup mais ce n'était pas la peine d'en faire tout un plat - justement, d'ailleurs ! En même temps, elle appréciait son sens de l'humour à toute épreuves. Durant leur périple, elle ne risquait pas de s'ennuyer. Elle dit avec un petit sourire.

"Je vois que votre connexion avec les étoiles fonctionne plutôt bien même si ce n'était pas tout à fait à quoi je pensais. J'ai peur en effet de me retrouver avec une quantité astronomique dans mon assiette. Je compte sur vous pour m'aider un peu."

Elle n'aurait jamais le coup de fourchette de son amie.

Le sourire de Malo s'élargit à nouveau alors qu'il répondait d'un ton parfaitement ingénu :

- D'accord : je ne dirai rien à votre amie qui m'a demandé de veiller à ce que vous mangiez à votre faim du moment que vous ne me faites pas mentir !

Avant qu'Angèle n'ait pu répondre, la tante de Malo revenait avec un plateau chargé de deux assiettes, d'un pichet de vin local et d'une demi-miche de pain. Les assiettes semblaient copieuses mais tout de même assez raisonnable pour ne pas décourager d'emblée la paladine.

Elle n'était peut-être pas obligée de tout manger. Malo qui connaissait son appétit l'aiderait sûrement à finir discrètement son assiette. En attendant, il fallait bien qu'elle goûte. Elle remercia la tante du jeune homme sans rien laisser paraître.

"Hé bien. Il ne me reste qu'à vous souhaiter un bon appétit."

Malo n'avait pas menti, le cassoulet était délicieux. Cela faisait une éternité qu'elle n'en avait pas goûté des aussi bons. Et si elle ne venait pas à bout de son assiette, elle savourerait chaque bouchée.

"C'est un vrai régal.", dit-elle au bout d'un moment.

Le jeune-homme lui sourit et l'état de sa propre assiette laissait entendre qu'il partageait son opinion ou peut-être - moins probable mais sait-on jamais - qu'il avait été affamé au temple d'Ilmater.

- Même si ce restaurant n'appartenait pas à ma tante, je crois qu'il me plairait bien. Je n'ai jamais été très à l'aise en public et cette atmosphère plutôt intime me convient bien. C'est peut-être ça qui m'a décidé à explorer de vieilles ruines abandonnées depuis des millénaires par leurs derniers occupants, qui sait !

Angèle sourit. Quelque part, Malo lui ressemblait. Il avait bien sûr un coté exubérant, fanfaron et charmeur qui - loin de lui déplaire - n'était peut-être qu'une façade. Elle dit doucement.

"Il y a différentes manières de se cacher des autres. Certains s'enferment pendant des jours avec des livres de droit et ne sortent de chez eux que pour aller plaider devant un tribunal là où assurément ils auront l'impression d'être utiles à leur prochain et d'avoir des choses à dire."

Elle regarda le jeune homme interdite. Venait-elle vraiment de se confier ainsi ? Elle rougit jusqu'aux oreilles, consciente d'en avoir trop dit.

Malo lui jeta un regard attendri en retour et répondit avec sincérité :

- Cela ne peut pas être votre cas Angèle : vous savez vous rendre utile de bien des façons et vous avez énormément de choses à dire ailleurs que dans un tribunal !