[Bâtiment] L'orphelinat du seigneur Artwin

[Galathée]

Quête : L’invasion des ombres.

La rôdeuse nota la gêne de son homologue et s’en voulut d’en être la cause. En même temps, leur amitié était trop récente, et voilée par l’échange de la veille, pour qu’elle puisse lui parler franchement. Elle n’avait jamais été du genre à s’épancher, et avait vécu avec elle-même depuis des années. Il ne pouvait pas s’en offusquer, et s’il s’en offusquait, que faire ? Elle sauta cependant sur l’occasion qu’il lui présentait.
« Hmm... Je pense que ce dont j’ai le plus besoin, ce sont simplement des informations sur la situation... Sur les intentions de la résistance... Sur l'état de la ville. Et si tu entends parler d’Althéa... »
Elle faillit ajouter quelque chose, se ravisa, mais Victor embraya, comme s'il avait lu dans ses pensées. Il ne leva cependant pas les yeux, caressant son chaton avec application, comme un étrange palliatif.
« Si jamais tu sais... Si tu trouves mon papa... » dit-il simplement.
Puis tout son corps se tendit alors qu’il refoulait quelque chose, des larmes, de la colère, du désespoir. Galathée lui enserra l’épaule d’un bras protecteur et dévia la conversation, consciente que Kasumi avait compris ce que l’enfant lui demandait sans le dire réellement, et qu’il n’était pas nécessaire de s’y attarder.
« Et un clerc. S’il en reste debout. Je pense que ce jeune homme aimerait gambader au plus vite. »
Victor passa un poing rageur sur ses yeux, avala sa salive, et releva un regard humide sur le rôdeur, esquissant un sourire courageux.
« C’est pour le chat. » se justifia-t-il. « Ce serait mieux pour le chat si je savais marcher. »

[Kasumi]

[Quête : l’invasion des ombres]

Le rôdeur s’était attendu à la requête d’informations formulée par Galathée. Les réfugiés du quartier sud étaient maintenus à l’abri de la bataille. Cela supposait aussi de ne pas clamer à tout bout de champ que celle-ci continuait d’avoir lieu à quelques centaines de mètres de leur sanctuaire. Kasumi lui-même était désireux de se tenir au courant des derniers évènements entrepris dans le quartier ouest. Ses échanges avec le seigneur Artwin ne lui apportait malheureusement pas toutes les réponses. Mais ce qui intéressait avant tout Galathée comme Victor était des nouvelles de leurs proches. La rôdeuse s'inquiétait à rason pour son ami qui avait participé aux combats de l'avant-veille et le petit avait besoin de savoir ce qu’il était advenu du corps de son père pour entamer son deuil. Quelle pitié qu’il doive le faire à cet âge ! Le demi-elfe se promettait d’enquêter à ce sujet et de faire également un détour par le quartier d’habitation pour vérifier que les morts avaient reçu une sépulture appropriée. La requête du petit garçon n’était pas si anodine. Celui-ci avait avant tout besoin de sa liberté pour jouer avec les enfants de son âge et retrouver peu à peu une vie aussi normale qu’elle pouvait l’être pour un orphelin de huit ans. Il ne partagea pas ces sombres réflexions avec ses amis et se contenta de répondre avec gentillesse :

- Oui, je ferai mon possible. Et si tu as été sage, tu auras le droit à une histoire ce soir.

Alors qu’il s’apprêtait à tourner les talons, Victor lui répondit avec un brin d’angoisse dans la voix :

- Tu feras attention, hein ?

- Oui, ne t’inquiète pas. Et veille bien sur Galathée ! Qu’elle prenne bien ses remèdes, cette fois-ci, ajouta-t-il, taquin, pour bien montrer que pour lui, l’incident de la veille ne devait plus ternir leur amitié. Puis il récupéra ses armes et entreprit la traversée de la ville en quête d'informations sur la situation.

[Taliesin]

[Quête : l’invasion des ombres]

Galathée était dans le potager lorsqu’un serviteur vint la trouver. Après le départ de Kasumi, elle avait aidé Victor à dénicher un peu de lait pour son chaton, puis avait déjeuner en sa compagnie avant de le remettre, sans qu’il proteste beaucoup, aux bons soins de Bertrand. Elle avait ensuite erré un peu partout dans la maison, aidant quiconque en avait besoin pour les diverses taches domestiques – et elles étaient nombreuses – que requerraient la bonne marche de la maison du seigneur Artwin.

Lorsqu’elle avait proposé ses services à madame Ogg, celle-ci lui avait d’abord conseillé d’aller prendre un peu de repos « Vous avez les traits tirés, ma belle ! » avant de céder à son insistance et de l’envoyer ramasser des plantes aromatiues dans le jardin.

Un bouquet de menthe à la main, la rôdeuse écouta, perplexe, le serviteur lui annoncer qu’un nain et une vieille dame avaient demandé à la voir. Pour les faire patienter pendant qu’on la retrouvait, on les avait envoyés dans le petit salon du premier étage. Galathée remercia le messager, alla porter sa récolte aux cuisines puis s’engagea dans l’escalier, se demandant ce que pouvait signifier cette nouvelle visite et, surtout, si elle n’apporterait pas la nouvelle d’une énième catastrophe.

Quant Galathée poussa la porte du petit salon, l’étrange couple, jusqu’ici occupé à regarder par les hautes fenêtres, se tourna vers elle. Le nain la gratifia d’une courbette, et la vieille femme – une demi elfe aux traits harmonieux et à la crinière d’un blanc immaculé – lui sourit amicalement.

-Bonjour, dit-elle en s’avançant. Et merci d’avoir accepté de nous rencontrer. Nous sommes désolés de venir vous importuner ainsi, mais veuillez croire que nous ne l’aurions pas fait sans une bonne raison... Je me nomme Charis, et voici Lorghar. Nous ferons en sorte de vous importuner le moins possible. Cependant, il se peut que la discussion prenne tout de même un certain temps et qu’elle soit... difficile. Nous ferions donc mieux de nous installer confortablement.

Nerveuse, la rôdeuse prit place sur le divan, tandis que ses deux visiteurs s’asseyaient sur des fauteuils, en face d’elle.

-Nous ne nous sommes jamais rencontrés, mais... Nous avons une connaissance commune, visiblement, reprit la vieille femme sans perdre de temps. Alors, j’irai droit au but : nous avons appris que vous aviez rencontré celui qu’on nomme le Monstre à au moins deux reprises. Et que vous aviez survécu, ce qui est, semble-t-il, assez rare. Nous savons également que vous êtes allée visiter la demeure du juge Kanter, ce matin. Vous êtes la seule à l’avoir fait, en dehors de nous et des gardes qui ont découvert le massacre.

La vieille femme braqua ses yeux sur ceux de la rôdeuse, comme si elle voulait la sonder. Son sourire avait disparu, laissant la place à une expression dure et décidée.

-Nous aimerions donc savoir quels sont vos rapports avec ce « Monstre ». Que savez-vous de lui ? De ce qu’il est ? De ce qu’il a été ? Que lui voulez-vous ?

[Galathée]

Quête: L'invasion des ombres.

Galathée les dévisagea avec incrédulité. L’abord était pour le moins direct. Un instant, elle pensa les rembarrer, mais se ravisa, hésita.
« Je pourrais vous retourner la question. » dit-elle simplement. « Je ne sais rien de ce que le Monstre est aujourd’hui, de s'il est mort, vivant, ou autre chose encore. Ce que je sais de ce qu’il était hier... pas grand chose. Nous nous sommes côtoyés pendant quelques temps, à Manost, il y a... il y a une éternité. A l’époque, je pense que nous étions amis... »
Elle releva les yeux, ne rencontra que la glace des prunelles de la demi-elfe et reporta son regard vers le jardin, souriant pour elle-même.
« Ou peut-être pas. C’est difficile à dire, le temps transforme les choses, la mémoire est défaillante. Surtout la mémoire humaine, sans doute. Mais j’aime à le penser. »
Un instant, elle ferma les paupières et une vague violente de nostalgie assassine vint la frapper au ventre. Elle ne broncha cependant pas, refusant de se laisser surprendre par des inconnus dont les motivations lui étaient étrangères.
« Ce que je lui veux aujourd’hui... plus rien. » murmura-t-elle enfin. « J’ai appris qu’il était ici en arrivant à Luménis, j’ai cru pouvoir faire quelque chose et... je me suis trompée, voilà tout. Si d’autres veulent mettre fin à ses exactions, qu’ils agissent, mais ce n’est pas moi qui m’en chargerai, quelles que soient les atrocités qu’il a commises. »
Elle rouvrit les yeux, les posa sur les visiteurs, sans frémir.
" Cela répond-il à vos questions indiscrètes ?"

[Taliesin]

[Quête : l’invasion des ombres]

L’expression de la vieille femme s’était quelque peu adoucie lorsqu’elle se tourna vers son compagnon. Celui-ci hocha la tête, visiblement soulagé.

-Oui, vous y avez répondu, en partie tout du moins, dit Charis en faisant de nouveau face à la rôdeuse. Je suis désolée de m’être montrée si brutale. Nous avions réfléchi, hier à la manière de vous aborder, et je vous assure qu’elle était sensiblement plus courtoise. Mais les événements de la nuit ont changé la donne, et nous devions impérativement savoir dans quel état d’esprit vous vous trouviez avant de vous dire quoi que ce soit.
-Cela fait quelque temps déjà que Nwalk et ses sbires réfléchissent à un moyen de mettre un terme à ses exactions, enchaîna Lorghar. Mais depuis le massacre, nombre des vôtres estiment également que ce pourrait être une bonne idée. Certains, au contraire, aimeraient que le Monstre continue à martyriser les Morféens… Mais une fois la cité libérée, ils n’hésiteront pas à lancer la chasse pour l’exécuter. Il est par trop gênant.
-Nous voulons aussi interrompre ses méfaits, reprit la demi-elfe, mais pas dans le sens où on l’entend généralement. Tout comme vous, nous étions des amis de Taliesin. Nous l’avons connu à Mélandis, où il nous a libérés. Nous l’avons suivi à travers le désert, et jusqu’en cette cité que nous pensions propice à démarrer une nouvelle vie. Mais Nwalk en a décidé autrement. Grâce aux précautions prises par le barde, nous avons réussi à fuir le jour du coup d’état, et nous avons gagné Manost pour y quérir des secours. Nous savions Taliesin aux mains de l’ennemi… Mais nous n’aurions jamais imaginé ce qui nous attendait, à notre retour.
-Nous espérions que vous pourriez nous en apprendre davantage sur sa nature. Nous ne pouvons nous résoudre à le laisser massacrer impunément des innocents, ni à le laisser se faire tuer par des bras vengeurs. Celui que nous avons côtoyé des mois durant ne mérite pas une telle fin. Je puis vous l’assurer. De même que je puis vous assurer que vous étiez bien son amie : il nous a parlé de vous, ainsi que des rares personnes avec qui il s’est lié, à Manost. D'ailleurs, il a un temps songé à conduire les réfugiés mélandiens en la cité bénie… Mais Luménis lui avait accordé de l’aide, aussi mince fût-elle ; C’est ce qui l’a décidé à venir ici. On sait ce qu'il est advenu... Enfin, ce qui est fait est fait, Nous n'avons plus de prises sur le passé, mais le futur reste, au moins en partie, ouvert. C'est pour cela que nous sommes venus vous voir. Acceptez-vous d'en entendre davantage ? Nous comprendrions que vous refusiez, cependant. Vu les circonstances, ce serait même plutôt logique.

[Galathée]

Quête: L'invasion des ombres.

Le revirement de ses interlocuteurs rasséréna la rôdeuse, et les paroles de la demi-elfe l’émurent malgré elle. Elle se savait mauvaise juge de caractères, mais dans la situation présente, il ne lui restait pas grand chose à perdre.
« Je voudrais... J’aimerais vous apporter mon aide... d’une manière ou d’une autre, mais... Je ne vois pas ce que je pourrais faire... » commença-t-elle. « Je ne sais même pas ce qu’il reste de lui dans cette carcasse. Mais je vous rejoins dans l’idée qu’il faut y mettre un terme, d’une manière ou d’une autre, et vite. Même s’il ne s’agit que de le traquer pour l’abattre. »
Sa voix se brisa sur ce dernier mot et elle releva des yeux étrangement secs sur les visiteurs.
« A moins que vous ne sachiez des choses que j’ignore à son sujet. »

[Taliesin]

[Quête : l’invasion des ombres]

La vieille femme soupira.

-Sur ce qu’il était autrefois, peut-être. Nous sommes tous deux originaires de la même cité que lui, même si nous étions trop jeunes, au moment de sa destruction, pour en garder des souvenirs précis. Nous l’avons cependant connu plus longtemps que vous. Un an, environ, depuis notre rencontre à Mélandis… Mais de ce qu’il est devenu ajourd’hui, nous ignorons presque tout. Nous ne l’avons jamais vu, et nous ne pouvons nous baser que sur quelques témoignages… Il a été emprisonné par Nwalk après sa prise de pouvoir. Plus personne n’en a entendu parlé jusqu’à ces dernières semaines où il a commencé à hanter le quartier ouest. Nwalk en avait probablement terminé avec lui et fait jeter son corps dans le grand charnier qui se trouvait là-bas. Tout le monde semble s’accorder sur le fait que c’est un non mort, et nous n’avons aucun élément permettant d’en douter. Nous avons cependant appris qu’il vous avait croisée à au moins deux reprises. La première fois pendant le massacre. Il vous aurait aidé, si nous en croyons les vagues rumeurs entendues parmi certains rescapés logés dans le quartier sud. La seconde, avant hier, après son duel interrompu avec Nwalk. Il aurait tenté de vous tuer, avant de renoncer et de disparaître. Cela nous a paru être un signe encourageant. S’il n’a pas pu vous tuer, c’est qu’il vous a reconnue. C’est qu’il reste peut-être en lui quelque chose de l’homme que nous connaissions. Si nous pouvions jouer sur cela… sur ses vagues souvenirs… Qui sait si nous ne pourrions pas le ramener à la raison…

[Galathée]

Quête: L'invasion des ombres.

Ainsi, ils étaient originaires de la cité perdue dont Taliesin lui avait parlé autrefois. Leur existence devait avoir été peu enviable, et elle n'osait imaginer ce que Mélandis leur avait réservé.
Le Prophète Gris, songea-t-elle.
« Mais vous partez du principe qu’il est vivant... Vous ne voudriez pas qu’il puisse... s’il était... Et je ne sais pas réellement répondre à votre question. Il m’a très certainement reconnue, les deux fois. Mais je ne sais pas ce que ça veut dire... La seconde fois, je ne pense pas qu’il m’ait épargnée parce qu’il a eu une hésitation... Simplement, il était temps pour eux de déguerpir, et sa proie... sa proie reste Morféa. »
Elle secoua la tête, une grimace sur les traits.
" Mais s'il est vivant et fou... Comment... Il est dangereux, très dangereux..."
Elle les dévisagea.
" Comment comptez-vous vous y prendre ?"

[Taliesin]

[Quête : l’invasion des ombres]

-Nous ne partons pas du principe qu’il est vivant, répondit le nain. Cela paraît fort peu probable : Nwalk ne l’aurait jamais laissé en vie. Il est certainement revenu d’entre les morts pour se venger de son bourreau. Cependant, s’il vous a reconnue.. Peut-être, au moins, pourrons-nous lui apporter la paix.
-Je ne voudrais pas préjuger, intervint la vieille femme, mais les marques, sur votre cou, laissent supposer qu’il avait presque réussi à vous tuer. Terminer son sinistre travail ne lui aurait pris qu’un isntant, sans doute… Pourquoi, dès lors, avoir déguerpi ? Il n’était pas à une minute près…
-Quant à la manière dont nous comptons nous y prendre… Raviver ses souvenirs, lui rappeler ce qu’il était, nous ne voyons que cela. Et nous ne pouvons nous en charger nous mêmes.
-Oui, confirma la demi-elfe devant la mine stupéfaite de Galathée. Nous ne sommes pas, et de loin, les mieux placés pour cela. Nous étions ses amis, mais nous l’avons connu dans des circonstances troublées. S’il nous revoit, il songera à la cité perdue. Au massacres de Mélandis… Au coup d’état de Nwalk… Et il n’en ressentira que plus de haine, de culpabilité, de désespoir... Vous êtes liée à des souvenirs plus heureux. Son séjour à Manost, même s’il ne fut pas sans incidents, lui offrit cependant quelque répit. S’il n’y avait eu sa mission, sans doute s’y serait-il attardé. Vous pourriez, bien plus aisément que nous, réveiller des images d’une époque révolue. D’une époque où il n’était pas encore le Prophète Gris.

[Galathée]

Quête: L'invasion des ombres.

Galathée resta silencieuse, pétrifiée par cette déclaration.
« Moi ? Mais je... Comment pourrais-je... Je ne sais même pas... Je ne peux pas... »
Elle s’interrompit.
« Je ne suis pas sûre de... d’avoir le courage de retourner au devant de Taliesin... »
Prononcer son nom lui laissa un goût étrange dans la bouche.
« Je l’ai déjà fait et j’ai failli y rester. Je ne suis pas de taille contre lui. Je ne pourrais pas lui faire de mal et... et lui... »
Elle avait fait l’expérience de cette haine pure, de ce regard sans aménité, de cette violence à fleur de peau. Et elle sentait son corps se révulser à l’idée de devoir lui faire face à nouveau. Un frisson l’ébranla de la tête aux pieds, sans qu’elle puisse rien y faire. Puis les images de la chambre des Kanter lui revinrent et elle se leva brutalement, courut à la fenêtre qu’elle ouvrit grand. Deux profondes inspirations dissipèrent son malaise, provisoirement.
« Et j’ai promis à un orphelin de veiller sur lui. Je ne veux pas le trahir en allant me faire bêtement tuer... Taliesin était un homme bon, de son vivant, je n’en doute pas et il mérite... il mérite sûrement... Mais courir après des chimères, des lueurs d’espoir... Cela m’a déjà trop coûté. Je suis désolée. »
Elle songea au sergent Desmoulins, à son incrédulité lorsque la lame de l’ennemi l’avait frappée, à son initiative ridicule, cause de tout ce chaos.
« Je suis désolée. » répéta-t-elle.

[Taliesin]

[Quête : l’invasion des ombres]

Charis et Lorghar observèrent la rôdeuse. Leur gêne était flagrante, quoi qu’ils fissent effort pour la dissimuler.

-Vous n’avez pas à être désolée,fit le nain.Nous ne savions pas, pour l’orphelin. Si nous avions eu connaissance de ce fait, nous ne serions pas venus vous imposer cela…De plus, nous sommes très conscients de ce que vous avez vécu, et de ce qu’a pu provoquer chez vous la vision du massacre de la famille Kanter. Nous sommes passés chez eux peu de temps après vous, et ce que nous avons vu nous a regourné les sangs. Ayant passé des décennies à Mélandis, nous sommes coutumiers de ce genre d’horreurs. Mais c’est tout autre chose quant elles sont commises par un ami. Si vous l’aviez vu, dans la cité du Chaos, ou dans le désert… Ou même ici, à Luménis… Il a tout fait pour protéger les plus faibles d’entre les réfugiés, toujours, et cela ne lui a pas valu que des amitiés… Découvrir qu’il est désormais capable des mêmes atrocités que nos tortionnaires…
-Mais c’est justement pour cela qu’il faut intervenir, l’interrompit la vieille femme. Si rien n’est fait, il recommencera… La prochaine fois pourrait être pire encore. Jusqu’ici, il s’était contenté de s’en prendre à des soldats. Je sais qu’il veut terrifier les alliés de Nwalk pour les pousser à l’abandonner, mais… Mais je ne peux m’empêcher de m’interroger. Peut-être recourt-il à de telles extrémités pour tuer la compassion, les souvenirs que vous avez fait renaître en lui. Ils le gênent dans sa quête désespéré de vengeance. Il ne veut sans doute plus s’encombrer de remords, oublier ce qu’il a été. Je n'ose le dire, mais... Qui sait s'il ne tentera pas de vous retrouver... Pour vous faire disparaître, faire disparaître ce passé qu'il sent ressurgir...

[Galathée]

Quête: L'invasion des ombres.

Galathée laissa les mots s’imprimer dans son esprit, sans rien dire. Une partie d’elle-même avait envie de s’emporter, de les envoyer au Diable, de les maudire de venir une fois de plus briser un équilibre précaire qu’elle peinait à maintenir en elle-même. Mais l’autre partie d’elle-même n’était en rien surprise, comme si elle s’était doutée que les choses ne pouvaient tourner autrement, qu’elle ne pouvait avoir affronté le monstre sans en déchaîner l’ire. Dévastée, la rôdeuse resta immobile, tentant de faire le vide, d’examiner froidement la suite des opérations. Fuir était une possibilité. Quitter la ville immédiatement, aller loin, très loin, pour protéger sa vie, et celle de Victor. En même temps, la vieille demi-elfe avait sournoisement insinué qu’elle pourrait être responsable en partie de la tuerie de la veille. Ils n’avaient pas l’intention de la laisser s’échapper. Si seulement les parents Desmoulins avaient survécu, le sacrifice aurait été si simple, si évident...

« Très bien. » dit-elle simplement. « Que me suggérez-vous ? »

[Taliesin]

[Quête : l’invasion des ombres]

Charis soupira.

-C’est bien là le problème. Nous savons ce qu’il faut faire… mais comment le faire, nous l’ignorons. Localiser le monstre ne sera pas aisé, même s’il semble que son repaire se situe dans le quartier ouest. Une fois débusqué, il faudra songer à le capturer. La violence est exclue : nous ne savons pas ce qu’il est exactement, ni de quelles forces il dispose. Quant à lui parler alors qu’il est encore libre de ses mouvements… Cela confine au suicide.
-Nous avons néanmoins appris qu’il avait des alliés, fit Lorghar. Ils doivent parcourir la ville, l’informer des dernières nouvelles, lui dire l’endroit le plus adéquat pour frapper. Parvenir à mettre la main sur l’un d’entre eux pourrait être une bonne idée… Mais je crains qu’attraper les serviteurs soit tout aussi malaisé que d’attraper le maître.
-Une autre possibilité serait de l’attirer en un lieu précis. Mais comment, je n'en ai pas la moindre idée, intervint Charis. Nous pouvons vous aider à y réfléchir, mais en dehors de cela, nous ne pourrons pas vous être très utiles... A part, peut-être, en vous donnant ce que nous avons sauvé.

A la surprise de Galathée, le nain sauta de son fauteuil et sortit du salon. La jeune femme interrogea Charis du regard, mais celle-ci demeura indéchiffrable.

Lorghar reparut quelques minutes plus tard, porteur d’un sac de voyage usé et d’un grand paquet enveloppé de toile.

-Ce sont les affaires de Taliesin, expliqua-t-il en les déposant près du divan. Le jour du coup d’état, il les avait laissés dans l’entrepôt où étaient logés les réfugiés les plus faibles : enfants, vieillards, malades… Il avait insisté pour que nous y demeurions également, prétextant qu’il fallait veiller sur eux. Mais il pressentait que quelque chose n’allait pas et voulait seulement nous mettre à l’abri.. Nous les avons emportés avec nous, pour éviter qu'elles ne tombent entre les mains de Nwalk..
-Nous n’y avons pas touché, ajouté la demi-elfe. Mais peut-être y trouverez vous des éléments propres à le réveiller… A lui rappeler ce qu’il était.

[Galathée]

Quête: L'invasion des ombres.

Galathée regarda les objets sans savoir quoi en faire. Elle se sentait incroyablement indiscrète de les avoir en sa possession. En même temps, si quelqu’un avait trouvé son propre sac et l’avait ouvert, il n’aurait rien découvert de bien intéressant. Mais Taliesin était, avait été, un artiste, et cela rendait les choses d’autant plus troublantes.
Elle acquiesça, les lèvres pincées et leva les yeux sur l’étrange tandem, dont les mines graves soulignaient l’urgence de la situation. Pour la première fois, elle remarqua les traces d’affliction sur leur visage. Cela devait être terrible pour eux, d’avoir perdu un ami, un protecteur, quelqu’un qui leur avait tant donné. Et de se penser impuissants à l’aider. Elle fut touchée par leur peine, qu’ils muselaient eux aussi du mieux qu’ils pouvaient.
« Puis-je... Je pense que j’ai besoin d’un peu de temps pour... avaler tout ceci. Et réfléchir... à mon prochain mouvement... Ne me dites pas que le temps presse... Je le sais. »
La demi-elfe se contenta d’acquiescer.
« Est-il un endroit où je puisse vous joindre, vous trouver ? »

[Taliesin]

[Quête : l’invasion des ombres]

Les deux autres se levèrent de leurs fauteuils.

-Nous avons pris une chambre à la taverne de la Bienveillance. Nous tenterons de rassembler d’autres informations sur Taliesin… mais nous serons facilement joignables là-bas, dans tous les cas.
-Nous ne saurons jamais assez vous remercier pour ce que vous vous apprêtez à faire, enchaîna Lorghar, solennel. Taliesin avait des ennemis... mais il savait aussi s'entourer de gens bien.

Puis ils prirent congé. Charis salua Galathée et quitta la pièce. Le nain lui emboîta le pas, hésita, posa une main amicale sur le bras de Galathée, puis s’en fut à pas pressés, laissant la rôdeuse seule avec ses réflexions.

[Galathée]

Quête: L'invasion des ombres.

Galathée les regarda sortir, et lorsque la porte se ferma, elle se sentit envahie d’un grand vide, d'un sentiment de solitude absolue, teinté de détresse. Elle n’avait aucune idée de la chose à faire, aucune idée de vers où tourner ses pas ou son regard. Trouver le monstre. Maîtriser le monstre. Sauver le monstre. Elle ne leur avait même pas demandé ce qu’elle devait faire s’il s’avérait qu’il était devenu une créature démoniaque sans plus aucune trace de l’elfe d’autrefois, tout juste une vague empreinte pervertie. Improviser.

Pour conjurer son trouble, elle se pencha sur les deux objets qu’avaient laissés la demi-elfe et son compagnon. La forme du paquet de toile trahissait la harpe du barde, et Galathée n’eut pas besoin d’en écarter les pans pour revoir l’instrument. Il était protégé, le resterait. Mais c’était un objet précieux et elle se souvenait qu’il avait une valeur sentimentale certaine pour Taliesin. Elle laissa son doigt courir sur la courbe de bois, au travers du tissu, devina les cordes, perçut la présence d’un second objet, un arc apparemment, emballé dans une seconde poche de toile à l’intérieur de la première. Galathée n’avait jamais investi les objets d’une valeur sentimentale. Il ne lui restait d’ailleurs rien de son enfance, rien du passé, même plus son hibou, et tout ce qu’elle avait pu glaner au cours de ses pérégrinations sur Dorrandin avait été perdu lors de ses déboires avec les esclavagistes. De la vertèbre de gobelin au bâton de feu. Elle fut donc prise au dépourvu par l’émotion qui la saisit, et songea au pouvoir de ces simples morceaux de bois, à un pouvoir qui pouvait peut-être dépasser celui des mots ou des visages.

Un peu rassérénée, elle passa en revue les alliés potentiels dans cette croisade insensée et n’en vit qu’une. Il était hors de question d’y impliquer Kasumi, dont la droiture constituerait un handicap immanquable. De plus, il fallait quelqu’un pour se charger de Victor au cas où les choses tourneraient mal et le rôdeur était tout indiqué pour endosser ce rôle. Le conseiller manostien, qu’elle avait entraperçu à plusieurs reprises, était à proscrire pour les mêmes raisons, sans parler du chef de la résistance, qui avait manifesté de manière claire l’importance de placer la raison avant le coeur. Or cette affaire devait se régler à l’abri des lois, des questions de bien et de mal, de justice et de culpabilité. La seule valeur propre à guider ses pas était fugitive et fragile, venait de son ventre et de sa poitrine, en dépit de tout ce que pouvait lui crier son esprit. Et la seule et unique personne présente à Luménis qui pourrait comprendre cette démarche, c’était Althéa.
Pourtant, la dernière chose que la rôdeuse avait envie de faire, c’était de mettre son amie en danger. Mais elle ne pouvait pas aller au devant du Monstre seule. Il n’y avait pas d’autres solutions : Althéa avait beaucoup partagé avec Taliesin, lors de leur séjour à Manost, ils se connaissaient avant même que Galathée n’entre dans leur vie respective. Son rôle était potentiellement déterminant, et la rôdeuse savait, sentait, qu’elle ne refuserait pas d’aider un ami dans le besoin. Où qu’il se trouve. Où qu’erre son âme.

Regonflée par cette perspective, elle se décida à soulever le sac de voyage, et combattant un sentiment accru de violer l’intimité de son ancien ami, l’ouvrit, poussée par l’urgence et la nécessité.

[Taliesin]

[Quête : l’invasion des ombres]

Les aléas de l’aller retour entre Luménis et Manost n’avaient pu réduire totalement à néant l’ordre méticuleux avec lequel était rangé le contenu du sac. Soigneusement pliés, la rôdeuse en retira des vêtements aux coupes simples et aux couleurs discrètes, parmi lesquels détonnait une tenue d’apparat que l’elfe n’avait jamais revêtu durant les quelques semaines où ils s’étaient côtoyés. Au contraire de la cotte de mailles qu’elle trouva ensuite. Elle n’eut pas besoin d’en retirer le tissu protecteur pour se souvenir de l’armure, portée par l’elfe tout au long de leur expédition à la recherche de la Relique. Autre vestige de cette aventure : les bracelets de cuir, récompense accordée par la Citée Bénie après son issue heureuse de la mission.

Le fond du sac rassemblait des objets hétéroclites. Ecuelle, couverts et gourde, compagnons fidèles des voyageurs aux longs cours. Deux pipes de bois au long tuyau et une tabatière toute simple qui contenait encore quelques feuilles du tabac que l’elfe prisait tant. Des livres, aussi : recueils de contes pour la plupart, mais également un journal manuscrit. Celui-là même que Taliesin avait si souvent étudié, pendant la dernière période de son séjour manostien.

Venaient enfin les papiers personnels du barde. Des cahiers couvert de sa fine écriture rassemblaient ses compositions diverses. Galathée découvrit ensuite des lettres. Elle hésita, mal à l’aise, avant d’oser leur jeter un coup d’œil. Datées de près d’un siècle, elles apportaient les nouvelles d’une famille de forestiers humains. La famille adoptive de Taliesin, celle qui l’avait recueilli puis élevé comme l’un des siens, avant que l’elfe qui deviendrait son maître ne vienne à s’arrêter dans leur chaumière isolée…

[Galathée]

Quête: L'invasion des ombres.

Galathée replaça précautionneusement toutes les affaires du barde dans son sac, tentant de respecter le rangement initial (ce qui n’était pas son fort). Ensuite, elle quitta le petit salon, emportant son butin dans les étages, jusqu’à la chambrette où elle s’était réfugiée avec Victor. Elle déposa le tout sur son lit, puis en profita pour chercher des draps de rechange dans les armoires et effacer toute trace de la mésaventure nocturne de celui que tôt ou tard elle devrait appeler « fils ».
Quel mot étrange.

Comme on songe au loup, il point le bout de son nez, la porte s’ouvrit sur Bertrand et son cavalier. Le jeune homme déposa précautionneusement Victor sur une chaise, puis s’excusa d’une révérence, sans desserrer les lèvres sur son sourire ravi. La rôdeuse se demanda si en réalité, il n’était pas simple d’esprit, tant son enthousiasme semblait déplacé. Puis elle baissa les yeux et croisa le regard soupçonneux de l’enfant.
« Tu as eu de la visite. » fit-il.
Galathée s’assit sur le lit, en face de lui, et ne chercha pas à se défiler.
« Oui, deux personnes sont venues me voir, en effet. »
« Que se passe-t-il ? »
« Ces gens... étaient des amis du Monstre. D’anciens amis, du temps où il n’était pas encore ce qu’il est aujourd’hui. Ils pensent que le Monstre a besoin d’aide, et que je peux... ou que je dois... intervenir pour empêcher de nouveaux massacres... Que... parce que nous nous sommes connus à une époque où rien de ceci n’existait encore, je peux le ramener à la raison. »
Victor ne dit rien, grimaça une seconde comme il assimilait les choses.
« Qu’est-ce que tu vas faire ? » demanda-t-il finalement.
La rôdeuse le regarda droit dans les yeux.
« Que ferais-tu à ma place ? » l’interrogea-t-elle.
Ce n’était pourtant pas réellement une question.

[Taliesin]

[Quête : l’invasion des ombres]

Victor se tortilla sur sa chaise, mal à l’aide.

-Je ne sais pas, dit-il. Si c’était mon ami, peut-être que…

Son regard se porta un instant sur les paquets posés sur le lit. Lorsqu’il revint sur la rôdeuse, il avait changé. La perplexité avait cédé la place à de la tristesse, de la déception. Et de la colère, aussi.

-Mais tu te fiches de ma réponse, pas vrai ? Tu as déjà décidé, toi. Tu vas y aller. Tu veux juste que je dise que je ferai pareil, comme ça, je pourrais plus te dire que je suis pas d’accord.

Il baissa la tête, comme pour dissimuler l’expression de son visage aux yeux de Galathée, et poursuivit.

-Tu regardais dans le vide et maintenant tu pars. Je le savais. J’ai été tro bête de croire que tu resterais.

[Galathée]

Quête: L'invasion des ombres.

« Je ne pars pas définitivement. J'ai juste une tâche à accomplir. » fit-elle simplement. « Et j’aimerais trouver un moyen de rendre les choses plus faciles pour toi, mais je ne peux pas. »
Elle se força à ne pas le quitter des yeux.
« Je n’ai pas l’intention de prendre de risques inconsidérés. Si je le peux, je n’en prendrai aucun. Mais... si je ne vais pas au devant du Monstre, nous ne serons jamais tranquilles. Il me hantera sans cesse... et les personnes que tu as vues pensent qu’il pourrait avoir de mauvaises intentions à mon égard... Je dois le trouver avant qu'il ne vienne me chercher. »

[Taliesin]

[Quête : l’invasion des ombres]

Le gamin releva la tête et lui lança un regard de défi.

-Si le monstre te cherchait pour te faire du mal, il t’en aurait fait quand il nous a trouvés dans l’impasse. Au lieu de ça, il nous a aidés. Mais c’est un monstre, il tue plein de gens, et si tu vas le chercher dans sa cachette, il t’attaquera peut-être. Mon grand-père, il disait que lea animaux attaquent les gens que quand… que quand ils se sentent bloqués, qu’ils peuvent plus fuir. C'est peut-être pareil avec le monstre.

Il frissonna, croisa les bras pour se donner de la contenance, mais s’obstina à ne pas croiser le regard de la rôdeuse.

-Mais ça sert à rien de discuter, hein ? Tu es comme mon papa : il parlait tout le temps de ce qu'il devait faire, de son devoir. C’est pour ça qu’il est retourné se battre. Et que tu vas y retourner aussi. Et pendant que les gens se battent pour leur devoir, ben y en a qui attendent et qui ont peur. Mais moi, je veux plus. J’ai déjà trop attendu. Alors je viens avec toi. Tu vas dire que c'est dangereux, que je suis trop petit, mais je m'en fiche : je veux pas rester tout seul a attendre, à pas savoir ce qui se passe. C'est trop dur, tu comprends ?

[Galathée]

Quête: L'invasion des ombres.

« Il n’en est pas question, Victor. » dit Galathée dans un soupir. « Tu n’es pas en état de m’accompagner et je ne veux pas prendre le moindre risque. La meilleure chose que tu puisses faire pour m’aider est de rester ici, en sécurité. Je reviendrai vite, et nous pourrons passer à autre chose. Mais t’emmener est vraiment la dernière chose... J’aurai besoin de n’être concentrée que sur ce que j’ai à faire. »
Elle secoua la tête.
« Je sais que c’est dur de rester derrière, mais je ne veux pas que tu aies peur. Je ne prendrai pas de réels risques, des amis viendront avec moi... Victor, je n'ai pas envie d'aller au devant de Taliesin. Si je le pouvais, je n'irais pas. Mais... Il est des choses qui doivent être faites, et ce n'est pas simplement une question de devoir. C'est une question de survie. Si je fais ce que j'ai à faire, nous serons libres, toi et moi. Si je ne le fais pas, si tu viens avec moi, les choses pourraient... »
La rôdeuse se leva, eut un geste d'impuissance.
" Ne m'oblige pas à t'imposer les choses."

[Taliesin]

[Quête : l’invasion des ombres]

Victor serra les poings.

-Fais pas comme si j’avais le choix. Tu sais que c’est pas vrai.

Il se mordit les lèvres et tenta de refouler les larmes qui menaçaient d’inonder son petit visage crispé.

-Tu parles exactement comme mon papa. Les choses qui doivent être faites… Tout pareil que lui. Et je sais que c’est vrai. Je n’aurais pas dû te demander de t’occuper de moi, c’était égoïste. Je sais que si tu le fais pas, tu seras pas libre, comme tu dis. Alors vas-y. Je te souhaite bonne chance.

Il grimaça et, cette fois, plongea son regard humide droit dans celui de la rôdeuse.

-Mais moi, je t’attendrai pas. J’ai attendu mon papa, j’ai attendu ma maman, et ils sont pas revenus. Pourquoi toi, tu reviendrais ? Eux aussi ils savaient se battre. Ils ont fait les choses qui devaient être faites, et ils sont morts. Alors je t’attendrai pas. Je peux pas. On… On va faire comme si ce qu’on a dit cette nuit c’était pour de rire. Comme ça, tu pourras te concentrer que sur ton Monstre, tu auras pas de soucis à te faire avec moi.

Il parut vouloir descendre de sa chaise, se rappela sa jambe cassée et une expression d’impuissance totale se peignit sur ses traits.

-Ramène moi vers Bertrand, s’il te plait. Je resterai avec les autres enfants. Et…

Il hésita, serra les dents, et lâcha ce qu’il avait sur le cœur, avec une espéce de détermination désespérée qui frappa la rôdeuse de plein fouet.

-Et ne reviens pas me chercher. Parce que je sais que tu devras repartir pour faire les choses qui doivent être faites, encore et encore. Comme mon papa. Bertrand, madame Ogg... Eux aussi ils font ça. Mais ils partent pas, parce qu’il y a aussi des choses à faire ici.

[Galathée]

Quête: L'invasion des ombres.

Galathée resta muette une seconde, pensa nier, mais ne le fit pas. Il avait raison. Depuis le début, elle avait eu le sentiment de ne pas être à la hauteur, de ne pas mériter la confiance de cet enfant, de se lancer à l’aveugle dans quelque chose qui la dépassait. Bouleversé par les derniers événements, il s’était accroché à elle comme à un rocher en pleine mer, mais lorsque les choses se tasseraient, il réaliserait que cette première impulsion avait été malavisée. En réalité, il s’en était rendu compte. Elle ne pouvait pas être ce qu’il voulait, ce dont il avait besoin. Elle n’en avait pas la carrure, pas la force, la fiabilité. Elle avait involontairement profité de sa vulnérabilité en l’encourageant à se reposer sur elle.

Elle aurait voulu lui dire qu’elle allait agir pour lui, aussi, mais c’était un mensonge. La poursuite de Taliesin était une affaire purement personnelle, purement égoïste. Victor voyait clair dans son jeu, et elle ne pouvait que s’incliner. Un instant, elle avait presque pu imaginer ce que serait la vie avec l’enfant. Elle avait presque cru que ce serait une expérience merveilleuse.

Sans rien ajouter, elle alla vers lui et le souleva dans ses bras. Il était léger comme une plume, et sa fragilité, son impuissance, l’émurent à nouveau. Elle se détesta de l’abandonner, mais c’était la meilleure chose à faire, la seule, d’ailleurs. Elle ne pouvait pas lui imposer de souffrir parce qu’elle avait sa propre croisade à mener.

Ils quittèrent la chambre sans se regarder, elle sentait tout juste son petit corps animé de frissons intermittents, cramponné à son épaule, et elle eut l’impression qu’il pleurait. Ou peut-être pas. Ou de rage. Elle le porta jusqu’aux cuisines, où Bertrand l’accueillit avec effusion, sans rien noter d’anormal. Galathée et Victor échangèrent un regard douloureux, mais l’enfant le fuit rapidement. La rôdeuse lui serra doucement le bras, chargeant ce geste de tout ce qu’elle pouvait, mais elle ne se sentait pas la force de lui parler, de lui dire quoi que ce soit.

Sur un geste de Victor, Bertrand s’esquiva, et le duo quitta les cuisines sans un regard en arrière. Galathée eut l’impression qu’un poids énorme lui tombait sur les épaules, mais elle resta stoïque. Madame Ogg lui jeta un coup d’oeil inquiet, sans pour autant intervenir. La rôdeuse hésita une seconde à lui toucher un mot de Victor, mais se ravisa. Sire Artwin avait le confort de ses pensionnaires à coeur, et l’orphelin serait sans aucun doute pris en charge par une personne bienveillante. Les Luméniens avaient prouvé qu’ils étaient capables de se soutenir, de s’entraider, elle n’avait pas à douter de leur bienveillance. Si ça se trouvait, Sire Artwin adopterait une partie des enfants, il avait une si grande maison pour lui tout seul et semblait revivre dans toute cette activité. La pensée la fit sourire. Qu’espérer de mieux pour Victor. Sa place était parmi les siens, elle l’avait toujours su.

La rôdeuse regagna la chambre, rassembla ses affaires, celles de Taliesin et sortit de la maison, puis du domaine sans rien dire. Elle ne dit à personne où elle allait, ni combien de temps elle comptait être absente. Après tout, elle avait l’intention de revenir vite et vivante. Pour le reste, cela ne regardait qu’elle.

[Taliesin]

[Quête : l’invasion des ombres]

L’après-midi touchait à sa fin lorsque Kasumi gagna enfin la demeure du seigneur Artwin. Il n’avait eu aucun mal à dénicher le clerc occupé à soigner les victimes des escarmouches qui avaient émaillé la libération du quartier est. Mais, si celui-ci avait bien compris sa demande et compati à la détresse de Victor, il n’avait pu dans l’instant y remédier. La majorité des servants de Lathandre avaient été massacrés lors du coup d’Etat, ou bien jetés en prison. Ceux encore en mesure d’agir étaient rassemblés sur les quais militaires, au chevet des blessés et des mourants, et il était seul, ici, à officier. Il avait donc fort à faire. Cependant, il promit de venir soigner Victor sitôt son devoir accompli, et proposa au rôdeur de le seconder, ce que celui-ci accepta bien volontiers.

Ils passèrent donc des heures à panser des plaies, écouter les dernières paroles des mourants, soulager autant qu’ils le purent toutes les détresses. Enfin arriva le moment où fut fait tout ce qui avait pu l’être, et le clerc fourbu suivit Kasumi jusqu’à la maison du vieux seigneur.

[Kasumi]

[Quête : l’invasion des ombres]

Convaincre l’unique clerc du quartier sud de le suivre pour soigner la jambe de Victor n’avait pas été aisé. Celui-ci était débordé de travail avec les soldats qui avaient participé à la reconquête de la zone noble. Le clerc ne pouvait pas quitter ses patients pour aller en soigner un seul dont la vie n’était pas en danger. Le rôdeur fut ravi d’accepter de l’aider en échange, se sentant doublement utile à la cause de Luménis et envers le petit garçon qui devrait malgré tout attendre quelques heures de plus.

Une fois leur tâche accomplie, Kasumi et le clerc franchirent le portail du manoir Artwin tout en devisant paisiblement. Le clerc était de bonne compagnie mais il maudissait les combats qui faisaient toujours plus de victimes, plus qu’il n’en pourrait jamais soigner quand bien même il n’était pas déjà trop tard pour un bon nombre de soldats.

A l’intérieur, le demi-elfe n’eut aucun mal à trouver Madame Ogg qui saurait le renseigner sur l’endroit où attendait Victor. Il la salua courtoisement et la gratifia d’un sourire amical avant de le lui demander :

- Ce clerc a gentiment accepté de s’occuper de la jambe cassée du petit Victor. Sauriez-vous m’indiquer où nous pourrions le trouver ainsi que Dame Galathée ?

[Taliesin]

[Quête : l’invasion des ombres]

La mine avenante de la grosse femme se creusa de rides inquiètes.

-Dame Galathée n’est pas ici. Elle est partie en début d’après-midi. Quant à Victor, il refuse de voir qui que ce soit. Il a demandé à Bertrand de le ramener dans sa chambre et refuse d’en sortir, même pour les repas. J’ignore ce qui c’est passé exactement avec sa mère, mais je crois qu’il a besoin d’être seul. Alors je ne sais pas si c’est une trè bonne idée de le déranger… Il est fragile, ce petit. Il en a tellement vu ! Ils en ont tous tellement vu...

[Kasumi]

[Quête : l’invasion des ombres]

Le demi-elfe cilla à la mention du départ de Galathée et de l’état de mutisme de Victor. La rôdeuse avait refusé sa proposition de prendre un peu l’air en ville mais l’excuse qu’elle avait donnée était fausse comme il le craignait déjà. Manifestement, ses erreurs de la veille n’étaient pas oubliées. Il éprouva un pincement au cœur à cette idée mais la chassa bien vite. Il ne connaissait pas la jeune femme mais elle lui avait semblé indépendante et prompte à participer aux évènements lors des quelques jours qu’il avait passé en sa compagnie. Il songea avec inquiétude que Galathée s’était peut être précipitée vers une nouvelle croisade qui la mettrait en danger. Le fait qu’elle ait laissé Victor et que celui-ci se soit replié sur lui-même en réaction n’étaient peut être pas étrangers.

Le rôdeur adressa un regard inquiet au clerc qui l’accompagnait. Peut être Victor accepterait de voir un étranger venu le soigner. Il doutait néanmoins que sa propre compagnie soit appréciée. Il manifesta ses inquiétudes à Madame Ogg, avec un air contrit :

- Ces enfants ont vu des choses qu’aucun soldat ne devrait voir et ont perdu plus qu’il est humainement supportable. Victor a perdu ses deux parents et sans doute une bonne part de son innocence. Nous ne pouvons malheureusement pas changer cela. Nous ne pouvons que nous consacrer à compenser leurs pertes de la meilleure manière dont il nous est à chacun possible de donner. Vous êtes une femme d’une grande bonté tout comme le Seigneur Artwin. Vous apportez bien plus à vos compatriotes que je ne pourrais en être capable. Peut être Victor acceptera de voir ce clerc. Je m’en voudrais de l’avoir fait venir pour rien…et je pense rester ici cette nuit au cas où Victor demanderait après moi. Mais je demeurerai caché pour ne pas l’embarrasser s’il sort de sa chambre dans une autre intention.

[Taliesin]

[Quête : l’invasion des ombres]

A la mention de la mort des deux parents de Victor, l’incompréhension se lut sur le visage de madame Ogg. Elle ne releva pas, cependant, car Kasumi poursuivait son discours. Elle opina finalement du chef.

-Je conduirai le clerc au petit. Peut-être la perspective d’avoir à nouveau ses deux jambes le réconfortera quelque peu, même si j’en doute. Quant à vous… Vous êtes libre de rester ici, si vous vous en tenez à votre proposition de ne lui parler que s’il vient à vous.

Elle fit signe au clerc de la suivre et le mena vers l’escalier. Dix minutes plus tard, ils étaient de retour.

-Le petit c’est laissé faire, dit-elle. Mais, comme je le craignais, cela ne l’a réjouit en rien… Il n’a même pas essayé de se lever.

Le clerc haussa les épaules en signe d'impuissance.

-En tout cas, j’ai fait tout ce que je pouvais pour lui… Il boitera un peu jusqu’à demain, mais, bientôt, il n’y paraîtra plus.

[Kasumi]

[Quête : l’invasion des ombres]

Kasumi avait attendu anxieusement le retour de Madame Ogg et du fidèle de Lathandre. Manifestement, la cuisinière ne voyait pas d’un œil très favorable sa présence en ce lieu. Il constituait sans doute un danger pour ses protégés, au même titre que chaque soldat. Les hommes en arme rappelaient peut être aux réfugiés les évènements sanglants de l’avant-veille et des derniers mois. Les opposants de Morféa étaient considérés d’un bon œil mais seulement s’ils ne franchissaient pas le seuil de la porte et tenaient éloignés les soudards du tyran. Le rôdeur avait bien conscience que la seule présence d’opposants au régime pouvait attirer l’ennemi plutôt que le repousser. Il s’efforçait donc de paraître le moins possible ce qu’il était mais le port de son armure de cuir lui donnait malgré tout une allure martiale.

Lorsque Madame Ogg revint avec des nouvelles de Victor, le rôdeur s’adressa d’abord au clerc d’un ton reconnaissant :

- Je vous remercie d’avoir accepté de nous aider. Je ne manquerai pas de venir vous aider à nouveau si j’en ai l’occasion. Qu’il soit dit que Lathandre et ses suivants nous rendent l’espoir par leur dévouement envers le peuple de Luménis.

Le rôdeur accompagne sa tirade d’une poignée de main chaleureuse avant de poursuivre à l’intention de Madame Ogg, sur un ton plus attristé :

- Victor semble être un petit garçon plein de courage mais vous avez raison, ma présence ne peut que lui nuire. Vous veillerez bien sur lui, n’est-ce pas ? Si je peux vous aider de quelque manière que ce soit en retour, je m’en ferai un plaisir mais, en attendant, je ferais peut être mieux de ne pas me montrer ici si vous voulez bien m’indiquer un endroit où attendre. Je me contenterai d’un débarras ou d’une place dans l’écurie si vous voulez bien me prêter une couverture.