La Couronne de Cuivre

Astrée fut la plus rapide à réagir. Voyant que Taliesin était encore au sol, occupé à compter ses côtes cassées sans doute, elle se mit à courir à toute vitesse en direction de la piscine. Il fallait à tout prix empêcher Victor de se noyer.
Elle plongea donc tête baissée dans ce qui faut autrefois une boisson quasi divine, hélas transformée par le tertre en un magma infâme, terreux, imbuvable.
Elle faillit avaler une goulée mais la recracha immédiatement : ça avait un goût de... de tertre en décomposition. De monstre puant. De terre et de végétaux fermentés. Bref, c'était immonde, et c'est sans doute ce qui sauva Victor de la noyade. Il fut incapable d'en avaler une seule gorgée. Astrée se dit que ce goût infect n'était pas une si mauvaise chose : cela leur évitait à tous les deux de replonger à nouveau dans un coma éthylique profond. Mais tout de même... Quel gâchis !
Il se débattait comme un beau diable quand Astrée arriva, et elle eut toutes les peines du monde à le convaincre de rester immobile. Il faillit l'étrangler en s'accrochant à son cou, il coulèrent plus d'une fois, mais ils finirent par regagner la berge. Sains et saufs. Dégoulinants de cidre vaseux et herbeux. Avec une odeur à faire fuir une goule.
- Ca va ? demanda Astrée au héros du jour. Question stupide : le gosse souriait béatement.
- Ca va. Son sourire s'agrandit. Tu as vu ? J'ai réussi ! J'ai réussi ! Je suis un héros ! Taliesin va être obligé de me respecter maintenant, je vais pouvoir m'habiller comme je veux, chanter les chansons que j'aime, comme tout à l'heure, et p't'être même qu'il me donnera son, armure. Et je deviendrai un grand chevalier pourfendeur de dragons ! Un dragon, c'est pas beaucoup plus gros qu'un tertre, non ?

Il se précipita ensuite vers Taliesin pour lui faire partager son enthousiasme et ses projets de grandeur. Astrée, jetant un coup d'oeil à ses vêtements trempés, se dit pour sa part que le plus urgent, avant de rejoindre les autres équipes, avant de prendre la tête de Nils et de brûler son corps, avant même de rejoindre Taliesin et Victor, c'était de trouver un peu d'eau pour un brin de toilette. Laissant ses compagnons à l'émotion des retrouvailles, elle s'éclipsa quelques minutes, se dirigea vers un petit ruisseau non loin.

Elle revint au bout de plusieurs longues minutes vers le barde et son presque-fils, propre et changée... encore une fois. Incroyable le nombre de vêtements qu'il faut penser à emmener pour une telle aventure !

Constatant qu'Astrée volait au secours de Victor, Taliesin, encore tout chamboulé, songea à remettre un peu d'ordre dans son squelette en train de partir en morceaux et s'administra autant de sorts de soins qu'il le put. Considérablement ragaillardi, il accueillit avec effusion son héroïque presque fils, et n'hésita pas à le serrer contre lui malgré ses côtes encore douloureuses et l'état lamentable - et dégoulinant - dans lequel était le gamin.
Il le remercia pour son aide immense, l'assura qu'il l'avait toujours respecté mais que, désormais, il lui vouait un respect... immense, lui promit qu'il pourrait porter les habits qu'il voudrait, même s'ils étaient imm...
Et mince. Les habits !
Victor devait se changer pour la énième fois; Le problème, c'était que le barde ne pensait plus rien avoir en réserve dans son sac. Le gamin n'étant pas une fille, il ne ressentait pas le besoin - contrairement à Astrée ! -de se trimballer avec une garde-robe complète. En la circonstance, c'était un désastreux désavantage...
L'elfe réfléchit, se creusa désespérément les méninges... Et se souvint tout à coup des vêtements qu'il avait vu pendus à un fil, près de la ferme... C'était lon d'être parfait, Victor allait pousser de hauts cris, mais ce serait mieux que rien. Quoi que le môme semblait avoir pris goût au rien.
Ils s'éclipsèrent donc à leur tour, et revinrent un bon quart d'heure plus tard. Victor était propre comme un sous neuf et arborait de charmantes sandalettes couleur crème, ainsi qu'une robe assort...
-C'EST PAS UNE ROBE ! s'offusqua le garçonnet, tant pour répondre aux propos désobligeants du narrateur qu'au regard éberlué de la rôdeuse. C'est une... une... Une TUNIQUE ! Comme en portaient les héros de l'antiquité ! Et si elle a des fleurs et des dentelles, et bien... heu... Ce sont des signes ésotériques remontant à la civilisation paléo-minoenne ! Comme en portaient les héros ! Parce que je suis un héros et pas une PETITE FILLE qui porte une ROBE ! NON MAIS ! Et si vous en doutez, je vous prouve TOUT DE SUITE le contraire !

Astrée souriait d'un air narquois, mais préféra ne pas contredire la fillette... heu, je veux dire le jeune garçon, le héros, leur sauveur à tous : Victor - et non pas Victoria, honte à ceux qui oseraient le penser. Très mignon, au demeurant, dans sa ravissante robe crème...

Elle se tourna vers Taliesin :
- Je crois qu'il est grand temps d'en finir avec cette histoire... Dites-moi, avant que le Genius Loci s'en prenne à nous, tu as eu le temps de déterrer la tête, non? On pourrait peut-être faire enfin brûler ce corps alors ? Ou est-ce que tu préfères d'abord recontacter Nils pour lui expliquer ce qui s'est passé ? Il faut se dépêcher avant que le génius loci se réveille à nouveau...

Victor ne put manquer de remarquer le sourire et l'air narquois d'Astrée et se renfrogna d'une manière spectaculaire. Taliesin avait remarqué aussi la chose et, posant une main réconfortante sur l'épaule du petit garçon pour l'apaiser, il adressa à la rôdeuse un regard lourd de réprobation. Pourtant, il n'aborda pas le sujet à voix haute et se contenta de répondre à sa question.
-M'est avis que l'esprit de Nils a assisté à tout ce qui s'est produit... Dès lors, mieux vaut incinérer son corps et sa tête pour lui offrir le repos éternel, d'autant que nous devons être en retard et qu'il ne vaut mieux pas laisser au Genius Loci le temps de rassembler à novueau ses forces...
Joignant le geste à la parole, il alla pêcher dans le trou qu'il avait creusé la tête du malheureux sacrifié et se hâta de la déposer sur le début de bûcher construit un peu plus tôt par Astrée. Quant à Victor, ignorant crânement la jeune femme, il se mit en devoir de continuer à rassembler du bois.

Ils construisirent donc un bûcher, et y déposèrent la tête en putréfaction. Il leur fallut encore décrocher de son crucifix le corps étêté qui se révéla démantibulé et grouillant de vermine sous ses vêtements en loques. Tout cela puait joyeusement la charogne. Et encore, je vous épargne les grimaces de Victorine.

En bref, il fallut bien mettre le feu à l'ensemble, ce qui n'alla pas sans mal ni sans grognement car la plus grande partie du bois était vert et humide. Leur escorte de volatiles, corbeaux, corneilles, etc, se posa prudemment au sol autour d'eux tandis qu'une fumée dense gagnait les altitudes. Quelques oiseaux s'agitaient, battaient de l'aile. La rôdeuse comprit qu'ils s'inquiétaient du genius loci : le tronc d'arbre recommençait d'émettre une sorte de rayonnement, comme s'il rassemblait à nouveau ses forces...

Peut-être était-il temps de s'en aller comme un prince ?

Taliesin, touché par une pensée qui avait un je-ne-sais-quoi d'extérieur - mais d'une pertinence et d'une prudence indéniables, il devait bien l'avouer - se tourna vers ses compagnons. Il nota aussitôt l'expression morose, maussade, mortellement vexée de Victor. Le gamin avait, pour la deuxième fois en peu de temps, perçu dans l'éther impalpable de vilaines variations sur son prénom, lesquelles mettaient gravement en cause l'authenticité de son chromosome Y et le forçaient à imaginer d'impressionnantes démonstrations pour couper court aux rumeurs déjà naissantes. Sentant le danger qui couvait, prêt à exploser, le barde lui posa la main sur l'épaule et, doucement, l'entraîna vers la route.
-Venez, Astrée. Quelque chose - quelqu'un ? - me dit qu'il serait fort approprié de nous esquiver et de nous en aller, d'un pas gaillard et décidé, apporter notre trouvaille à madame Brindacier. Après tout, nous n'avons plus rien à faire ici ! Nous avons contenté les oiseaux en détruisant l'épouventail, apaisé Nils en brûlant sa dépouille mortelle... Notre tâche est accomplie ! Reste à nous diriger vers la suivante.

Astrée acquiesça.
- Oui, nous avons fini. Et les autres doivent nous attendre...
Les autres... Quelle tête feraient-ils en constatant que le bûcheron s'était transformé en elfe et le demi-dieu en... petite fille ?
Elle tenta de se rappeler ce qui les attendait. Cela paraissait tellement lointain. Il y avait... Un vieillard (magicien), un enfant (de choeur), un prêtre de Mélandis et une espèce d'elfe. Ils avaient certainement terminé depuis longtemps la course. Ils allaient arriver bons derniers, tout ça à cause d'un épouvantail. Ils avaient perdu...
Bon, puisqu'ils avaient perdu, rien ne pressait. Ils pouvaient prendre leur temps, faire plus ample connaissance... Sauf... sauf que la souche recommençait à bourdonner. Non, finalement, mieux valait ne pas traîner, Taliesin avait raison.
- J'arrive, lança-t-elle d'un ton déterminé au barde. Juste une dernière chose.
Une maigre tentative pour achever la mission que Nils leur avait confié... Elle griffonna deux-trois mots sur un bout de papier qu'elle plia en quatre et confia aux bons soins d'un corbeau. Avec pour mission de l'emporter jusqu'à la mère de Nils. En espérant qu'il la trouve avec les maigres indications qu'elle lui avait données...

Puis elle rejoignit ses compagnons, et le trio prit d'un pas joyeux (sauf Victor, horriblement vexé) le chemin du retour. Avec le précieux oeuf dans leur sac...

HRP : Talie, je te laisse poster là-bas ?

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