La Couronne de Cuivre

-Juste une dame qui a commis des actes répréhensibles et qu'on conduit à Luménis pour qu'elle y soit juéer, expliqua-t-il. Aucun mystère là-dedans... Et l'officier ne voulait pas recourir à des moyens trop rudes pour l'empêcher de faire du bruit toute la nuit, c'est pour ça qu'il est venu me voir.
Normalement, avec des éléments si peu étranges, la curiosité de Victor devrait vite s'atténuer...

" Ah." dit Victor, déçu.
Il haussa les épaules.
" Note, je savais que c'était rien qu'un être humain, hein. Je l'avais dit."
Il resta silencieux une seconde, puis son expression malicieuse revint.
" Elle a fait quoi ? Tu sais ?"

Décidément...
-Elle aurait commis des meurtres, répondit-il. Mais à présent, tu en connais autant que moi à ce sujet et... le reste ne nous regarde pas.
Il avait parlé sans rudesse mais espérait bien que cette fois, le gosse accepterait de passer à un autre sujet.

" Moi je crois que je vais aller dormir, intervint alors Baptiste. Enfin... Lire sur mon lit. Mais vous ne devez pas monter pour autant. Je suis juste... plus fatigué que je ne le croyais."
Il haussa les épaules, embarrassé.
" Moi je crois que je vais aller bavarder avec le mage, dit Victor. Ou avec les soldats. Si j'ai la permission, bien sûr."

Il haussa les épaules.
-Du moment que tu leur demandes si tu ne les déranges pas et que tu acceptes de t'en aller s'il te le disent, ma foi...
Il se tourna vers Baptiste.
-Reste juste un instant, si tu veux bien.
Il voulait s'assurer que le petit garçon n'était pas trop mal à l'aise à cause de cette histoire de prisonnière.

L'injonction du barde laissa Baptiste pétrifié, tandis que Victor partait à l'aventure vers les tables voisines.
" J'ai fait quelque chose de mal ?" demanda le gamin, une fois son frère à bonne distance.

Il ne chercha pas à dissimuler sa surprise.
-Mais pas du tout, voyons... fit-il.
Comment pouvait-il croire une telle chose ?
-Non, c'est juste que le fait que tu veuilles si vite monter m'a un peu interpellé. Alors voilà, je voulais savoir si... Toute cette histoire ne t'avait pas mis trop mal à l'aise.

" Bah... Ça ira, je crois. C'est pas grave. C'est sûr que... savoir qu'il y a... quelqu'un de dangereux juste sous ma fenêtre... Mais ce n'est pas comme si c'était la première fois, hein ? J'ai survécu au Temple de Baine, après tout."
Il eut un sourire brave, tempéré d'une petite crispation autour des yeux, puis se détourna une seconde.
" Mais je crois que je serai mieux dans ma chambre."

Il fut tenté de lui serrer l'épaule mais préféré n'en rien faire, pour ne pas le fragiliser.
-Je peux t'assurer qu'elle est entravée, que le chariot est solide... Tu n'as pas à t'en faire, dit-il toutefois, rassurant. Sans compter qu'il y a tout un contingent de soldats dans les parages et... que je suis là, aussi.
Il lui sourit.
-Mais is ça ne va pas, n'hésite pas à venir me trouver, d'accord ?

" Ça ira. Je n'ai pas vraiment peur. C'est juste... un peu crispant, c'est tout."
Il haussa les épaules.
" Mais voilà, j'ai juste besoin... d'un peu de..."
Il fit un geste des deux mains, comme une boule entre ses paumes.
" Un cocon."
Il rougit, embarrassé.
" Mais je dormirai sûrement quand vous monterez."

-L'important est que tu fasses en sorte de te sentir bien. Pour le reste, tu es libre, mon grand.
Il lui sourit à nouveau.
-Bonne lecture !
Quant à lui, il allait s'attarder un moment dans la salle commune, ne serait-ce que pour garder un œil sur Victor.

Victor avait déjà quitté la table du jeune mage — sans doute s'était-il fait plus ou moins éconduire, et tournait désormais autour des soldats. Ceux-ci avaient repéré son manège et ne paraissaient pas offusqués, plutôt amusés, même. Certains disputaient une partie de dés, et ils finirent par l'inviter à leur table, ce que le gosse accepta avec enthousiasme. L'officier regarda en direction de Taliesin, comme pour s'assurer que la chose était permise.

Il lui sourit et acquiesça, pour bien lui montrer que tout était pour le mieux.
Et tout en bourrant sa pipe, il se fit la réflexion que Victor était décidément très sociable... Pas craintif pour deux sous, aussi, et avec un certain culot qui faisait mouche. Du moins, la plupart du temps.
Il se demanda, un instant, s'il n'allait pas lui aussi se mêler aux soldat. Il renonça, cependant : il n'allait pas tout le temps être sur le dos de ses fils...

La soirée se déroula donc tranquillement. L'aubergiste servit un petit alcool maison aux voyageurs du coche — les soldats refusèrent — puis les plus âgés des deux hommes se retira. Le mage s'était approché de l'âtre et continuait à lire et répéter avec concentration, malgré l'heure tardive. Plusieurs des soldats étaient montés se coucher, deux d'entre eux sortirent dans la cour, il en restait quatre qui devisèrent encore un moment avec Victor, avant que le gamin ne revienne vers Taliesin.
" Ils viennent de Togoria, fit-il en reprenant sa place. Tu devrais aller leur parler et leur demander s'ils connaissent ton village. Moi j'ai oublié son nom. Valprofond ?"

(color=#FFFF66]-Vauxgrisants. Mais tu as raison, je vais aller leur parler.[/color]
L'instant suivant il se levait et rejoignait les soldats attardés.
-Bonsoir, messieurs. Mon fils me dit que vous venez de Togoria. Comme je dois me rendre dans une petite localité de la vallée du Nirvana et que je n'ai pour l'heure pas trouvé de carte assez précise... Peut-être seriez-vous d'accord pour me donner quelques renseignements ?

" Bien sûr." dit l'officier en lui indiquant le siège voisin du sien.
Les trois autres soldats se tournèrent vers le barde, Victor les rejoignit, une pêche à la main, qu'il avait dénichée quelque part.
" En quoi pouvons-nous vous aider, maître barde ?"

Une pèche au milieu de toutes ces poires ? Il savait se débrouiller !
-Nous devons nous rendre dans un petit village en bordure de la Lorien : Vauxgrisants, expliqua-t-il. Pour l'heure, hormis que la route la plus directe passe par Togoria, je ne sais pas exactement où il se trouve.
Et si c'était vraiment un petit village, sans doute les soldats l'ignoreraient-ils également.

" Vauxgrisants. Ça me dit quelque chose, fit l'officier. Mais là, comme ça..."
Les autres soldats parurent circonspects, puis le plus jeune, qui ne devait pas avoir vingt-cinq ans, eut un sourire embarrassé.
" C'est parce que vous pensez à la Vauxgrisants-Champsdor, mon capitaine."
L'officier sourit à son tour.
" C'est vrai. C'est une bière de temple. Brassée au sanctuaire de Champsdor. Une des meilleures de la région.
— Champsdor, c'est le chef-lieu de la Vallée Fertile. C'est à cinq ou six lieues au nord de la Sylvestre. En bordure de la Lorien, intervint un vétéran grisonnant, la moustache hirsute.
— On ne vous a pas menti, dans ce cas. A Togoria, vous devrez soit emprunter une barge sur la Sylvestre, soit prendre la route d'Anarion. C'est une région magnifique."

Quelle dommage que Baptiste ne soit pas là ! Ses notes auraient été bien utiles... Néanmoins, l'elfe ne manquait pas de mémoire.
-Une barge sur la Sylvestre ou la route d'Anarion : merci pour le renseignement, fit-il. Et je garde également à l'esprit le conseil concernant la bière...
Il sourit.
-On m'avait effectivement vanté les beautés de la région. Je suis heureux d'apprendre qu'on m'avait dit vrai.

" Ce n'est pas très sauvage, cela dit, au sein de la zone en elle-même, reprit le vétéran. Mais la Lorien est à quelques pas, si vous cherchez davantage de... nature."
L'officier lui décocha un regard offusqué, signe sans doute qu'il estimait que l'homme exagérait dans ses supputations. Le vétéran eut un sourire gêné.
" Il vous faudra probablement trois ou quatre jours pour atteindre Edhoras... Certains coches font le trajet sans s'y arrêter, cela dit, mais c'est plus cher. Ensuite trois ou quatre de plus pour Togoria, en fonction du terrain... Vous devriez atteindre votre objectif dans une veille environ. Enfin... Peut-être un peu plus. Le temps est encore très incertain dans la Trouée pendant Kythorn, et avec le solstice estival, il va y avoir beaucoup de mouvement sur les routes... du coup, c'est vite beaucoup de boue et les chariots s'enlisent... Comptez douze-treize jours."

Tant que ça ?!
-Bah, nous ne sommes pas pressés, dit-il néanmoins.
Même si le retour serait probablement plus court, il se rendait compte qu'il avait sous-évalué la durée totale du voyage - mais sans doute tout le monde l'avait-elle sous-évaluée, parfois à dessein pour ne pas le dissuader de l'entreprendre. Il faudrait tabler sur un bon mois et demi d'absence...

Deux des soldats se levèrent et leur souhaitèrent la bonne nuit. Victor paraissait toujours bien réveillé, sans doute à cause de sa journée oisive dans le coche.
" Est-ce indiscret de vous demander ce que vous allez faire dans cette contrée ? demanda alors l'officier. J'imagine que vous avez été... invité par une personnalité locale ? "

Il hésita, ne sachant pas à quel point la découverte des ruines avait été ébruitée...
-Un de mes amis, clerc au temple de Milil d'Eredhun, m'a proposé d'étudier certaines curiosités de la région, dit-il finalement. Mais comme il est du genre à ménager ses effets, je n'en sais pas beaucoup plus. Cependant, la vallée du Nirvana étant réputée magnifique... Le voyage a déjà de l'intérêt en lui-même.

" C'est sûr que la région est idéale pour qui aime fureter et en découvrir les mystères." dit l'officier avec un sourire.
Son expression redevint plus sérieuse.
" Soyez prudent, cependant. C'est un endroit où différentes races entrent en contact... et souvent en conflit. Certains sites sont extrêmement sacrés pour des espèces dont on ignore parfois jusqu'à l'existence."
Il s'adoucit.
" Enfin, vous êtes évidemment bien placé pour le savoir et je ne doute pas que vous serez respectueux des traditions de chacun."

-On n'est jamais à l'abri d'une maladresse, même lorsqu'on est très bien intentionné, admit-il. Mais en avoir conscience incite à encore plus de prudence. Et puis...
Il eut un mouvement de tête en direction de Victor.
-Comme mes fils m'accompagnent, je n'ai vraiment pas envie que cette excursion soit émaillée du moindre incident.

L'officier sourit.
" Je crois que les gens du coin pourront vous renseigner sur les peuplades qui vivent à proximité et vous alerter en cas de site particulièrement à risque. Dans le même temps, votre nature incitera fatalement les êtres sylvestres ou champêtres à plus de tolérance. La cohabitation avec les humains est difficile, mais pas avec les elfes. Je pense que vous serez bien reçu partout."
Il jeta un oeil vers Victor.
" La présence de vos fils les décontenanceront davantage."
Son sourire s'élargit.
" Surtout toi, jeune Victor. Il ne faudra pas commettre d'impair !
— Moi ?! Jamais !"

Taliesin rit.
-Vous l'avez bien cerné, messire.
Il se fit plus sérieux.
-Je pense cependant que la plupart des êtres et des peuples font preuve d'indulgence face aux enfants. Mais Victor sera prudent.

" Je n'en doute pas, dit l'officier avec indulgence. Pour le reste, Togoria est encore très humaine, et je suis en garnison dans une petite ville de l'est de la Vallée. Je ne connais donc pas du tout les abords de la forêt et leurs créatures. Je ne doute pas que vous soyez armé pour gérer au mieux vos futures rencontres."
Il s'interrompit un instant et fouilla dans une besace, posée à côté de lui, avant d'en sortir une petite bourse.
" Tant que nous y sommes, vu que nous partirons très tôt demain et que nous ne nous recroiserons sans doute pas... Voici pour votre aide, tout à l'heure."

Il s'était bien gardé d'aborder à nouveau ce sujet, espérant que l'officier l'aurait oublié. Mais ce n'était pas le cas et quoiqu'il se sente toujours aussi embarrassé à l'idée d'être payé pour si peu de choses, il se souvenait de la réaction de l'homme lorsqu'il avait fait mine de décliner et... ne protesta donc pas davantage.
-Merci beaucoup, dit-il simplement.

" C'est normal."
Il se leva.
" Je vous souhaite la bonne nuit, maître barde, et à toi, jeune Victor. Profitez bien de la Vallée."
Puis, sur une inclinaison polie du buste, il prit congé et gagna les étages.
" Tout de suite, comme si j'allais faire des bêtises..." grommela Victor une fois qu'il eut disparu.

La Couronne de Cuivre

[Quête] Sur les routes...