La Couronne de Cuivre

Sage, ce ne l'était sûrement pas. Mais on pouvait espérer que les elfes en fuite avaient autre chose à faire qu'à revenir sur leurs pas pour eux, d'autant que cette fois-ci ils devaient être déjà à bonne distance. Au vu de l'état de Mornagest, Lothringen se décida à prendre le risque.

"Je vais essayer de creuser un peu plus, de ne prendre que du bois bien mort, de disperser la fumée..."

Programme qu'il suivit à la lettre. Les trois volatiles qu'il avait à faire cuire n'étaient pas d'un très gros volume, heureusement. Lothringen les pluma et les vida, avant de les enfiler sur une broche de fortune suspendue entre deux grosses pierres. Ne restait plus qu'à faire des braises, retourner de temps à autres, et surveiller le volume de fumée...

La volaille commençait à cuire doucement, et l'odeur qui se répandait provoqua des crampes encore plus vicieuses au ventre du guerrier, mais qui pouvait désormais compter sur un bon repas pour se remettre un peu d'aplomb. Il guettait, bien qu'il savait que Lothringen y veillait, l'apparition éventuelle d'une fumée trop épaisse. Mais celle-ci se dissipait rapidement, et le vent léger leur donnait un coup de pouce.

"Je ne sais pas ce que je ferais, sans toi... je te dois encore la vie", murmura-t-il doucement à l'adresse du semi-drow. Il n'osait plus faire le compte de toutes les fois où Lothringen lui avait sauvé la mise. Sur une petite dizaine de jours, le nombre devait être impressionant.

Il s'était redressé du mieux qu'il le pouvait. Sa côte fêlée ne l'y aidait pas grandement, et il aurait sans doute du mal à manger en toute tranquillité. Mais il était en vie... c'était le plus important, finalement.

Sans Lothringen, Mornagest aurait sans doute agonisé fort longuement en ce même endroit, avant de mourir d'épuisement ou d'infection. Mais, comme, sans Lothringen, il ne se serait jamais trouvé en ce coin d'Helonna...

"Tu parles. J'aurais dû faire un peu plus attention avant de choisir cette région. A croire que les endroits tout à fait calmes n'existent pas... Enfin... Tu as sans doute pris la meilleure décision. Qui sait ce qu'ils t'auraient fait, ces elfes..."

Comme la cuisson s'achevait, le semi-drow retira la broche du feu, qu'il étouffa sous les mottes de terre. Un fumet délicieux commençait de chatouiller son propre estomac. Après tout, lui aussi était à jeun depuis le matin.

Il sourit, se radoucissant un peu. Ils allaient trouver quelqu'un pour guérir Mornagest et ce ne serait bientôt plus que le souvenir d'une mésaventure de plus. En attendant, il y avait de la volaille au menu.

Saisissant le bon morceau de canard que Lothringen lui tendait, il s'impatienta un moment à tenter de décortiquer grossièrement la pièce de volaille, mais, n'y parvenant point, il se décida à manger le tout sans discrimination, excepté les os et les cartilages, tout de même. La viande était tendre et rouge, et il avait l'impression de n'avoir jamais pris de repas aussi délicieux.

Il but également quelques gorgées d'eau. Le vin était à économiser ; ils n'auraient guère l'occasion d'en trouver à nouveau avant un moment, et cela pourrait lui être utile s'il venait à souffrir encore.

"Succulent... le risque valait le coup, en tout cas", commenta-t-il en acceptant volontiers sa part de perdrix, qu'il ne tarda guère à engloutir. Il se sentait mieux, nettement mieux, même s'il était loin d'être guéri. Cependant, il pourrait supporter un effort, et pourquoi pas un vol...

"Je pense que ça devrait aller... j'espère. Je crois."

Le semi-drow hocha tristement la tête, tout en avalant une figue sèche en guise de dessert.

"Nous allons être forcés de marquer une pause. Il faut que je remémorise mes sorts, pour ces deux métamorphoses..."

Afin de pouvoir pister le groupe des ravisseurs, il venait en effet d'utiliser la seule qu'il avait en mémoire. C'était le désavantage des mages, que de devoir si souvent s'arrêter pour se remettre en mémoire le sort dont ils avaient besoin...

Il tira de son sac son livre de sorts, le rouvrant à la page adéquate. Ce n'étaient pas les mots de pouvoir qu'il révisait, en réalité ; mais la magie nécessitait d'être en quelque sorte préparée afin de pouvoir se libérer d'une incantation simple. Enfin, simple, façon de parler. Quelquefois, ils enviait les ensorceleurs, les sorciers, pour qui tout paraissait si naturel...

"Puisque tu ne souhaites pas dormir, je vais essayer de ne pas être trop long..."

"Prends ton temps... c'est important, de ne pas se précipiter, en magie, je suppose."

Vu ses connaissances pratiquement inexistantes, il n'aurait su évaluer le temps nécessaire pour revoir les mécanismes d'un sortilège de cet acabit. Il resta silencieux, soucieux de ne pas troubler Lothringen dans ses révisions.

Et son esprit se mit à se promener un peu partout, dans toutes les directions. En fait, cela l'apaisait, pour une fois. Il songeait moins à la douleur, et c'était une bonne chose. Il songeait à ce qui s'était passé ce matin, puis voulut rapidement passer à autre chose, craignant d'encore ressasser inutilement des pensées par trop déprimantes.

Il se rappela qu'il n'avait plus d'arme. Son épée s'était envolée, elle aussi... il n'aurait plus qu'à en faire faire une autre, de retour à Melandis. Et en attendant, bah, il ne pouvait de toute façon pas combattre.

Ses songes se faisaient plus confus, petit à petit... il ferma les yeux, puis les rouvrit un instant, pour se rendre compte que Lothringen n'avait pas bougé depuis tout à l'heure. Il essaya de ne pas s'endormir. Peine perdue...

Lorsqu'il s'éveilla, la lumière paraissait froide et faible, et il comprit que Lothringen l'avait laissé dormir jusqu'au matin, préférant le laisser profiter de son sommeil. Le semi-drow s'était adossé à un tronc d'arbre, les yeux clos, une hache sur les genoux, et paraissait dormir aussi – mais il ouvrit les yeux dès que le guerrier se mit à remuer. Après tout, ce délai supplémentaire n'était peut-être pas une mauvaise chose ; Lothringen était plus à l'aise avec ses révisions de sorts lorsqu'elles étaient suivies d'un repos.

Il avait passé la nuit à réviser ses sorts, veiller sur son compagnon et souhaiter d'être déjà au matin, pour mettre un terme au problème épineux que leur posaient ses fractures. Il regrettait un peu d'avoir dû abandonner de la sorte leur campement, et d'avoir trouvé l'occasion d'avoir des problèmes jusqu'en un endroit si reculé. Et le souvenir de la matinée l'avait rendu un peu mélancolique, comme s'il ne savait où tout cela pouvait mener...

Le réveil de Mornagest le tirait heureusement de ses rêveries plus ou moins maussades. Il sourit franchement.

"Vu comme tu as dormi, j'espère que tu as fait le plein de forces..."

Il rougit malgré lui. Il avait mésestimé son état, et, il devait bien le reconnaître, cela lui avait fait beaucoup de bien, de dormir l'équivalent d'une nuit presque complète.

"Je suis désolé, je ne comptais pas m'endormir, et puis... je me suis laissé surprendre."

Sa jambe lui faisait moins mal... jusqu'à ce qu'il tentât de la remuer un brin. Il grimaça, fermant les yeux. Il restait à espérer qu'en vol, cela ne lui poserait pas trop de soucis, et qu'il pourrait suivre le rythme...

"On fera avec ça... l'atterrissage risque d'être mouvementé, d'autant que je n'ai pas tellement l'habitude de voler..."

Ils auraient sans doute à parcourir une bonne distance avant de trouver un village ou un bourg disposant d'un prêtre suffisamment doué pour le soigner de façon plus efficace. Tiendrait-il le coup ? Il n'avait guère le choix, à vrai dire...

"Comment te sens-tu ?" s'enquit-il.

Lothringen réprima une grimace. Il n'avait réellement dormi que quelques heures, et la constante crainte d'être surpris l'avait empêché de céder tout à fait au sommeil. De sorte que son repos avait été à l'image de ce dernier : superficiel.

"Je n'ai pas très bien dormi, mais ça ira. Mes sorts sont prêts. Autant partir maintenant, je pense. Je suggère de retourner sur la côte, nous avons de bonnes chances de trouver un port en la longeant. Cette région d'Helonna n'a pas la réputation d'être tout à fait sauvage, il y a beaucoup de trafic avec Féerune... Une chance pour nous."

Il ramassa à la hâte les divers ustensiles qu'ils avaient employés la veille, et rentra le tout dans son sac.Restait à lancer le fameux sortilège.

"Il faudrait que tu te redresses un peu... Dis-moi quand tu es prêt."

Il lui fit signe de la tête, et entreprit de se redresser, ce qui lui arracha plusieurs grognements, quelques jurons bien sentis, et une expression constante de quelqu'un qui souffre sans retenue. Mais il parvint à se maintenir debout, en s'appuyant à un tronc. Le sang circulait plus intensément dans ses jambes, qui fourmillaient curieusement. Le pansement de fortune semblait tenir, mais il devait être prudent afin de ne pas le déloger de là. Sans quoi, il en serait quitte pour de nouveaux saignements...

"Voilà... je m'en remets entre tes mains", finit-il par dire. Leurs affaires étaient rassemblées dans leurs sacs. Ils pouvaient quitter les lieux.

"Je n'ai plus souvenir précis de la géographie des lieux, mais je pense qu'en allant vers le nord, on devrait rencontrer assez rapidement quelques bourgades. Lumenis n'est pas SI loin..." Tout était relatif, évidemment.

Le semi-drow voulait bien le croire ; Mornagest avait déjà mis le pied à Lumenis, ce qui n'était pas son cas. Il prit son inspiration avant de se lancer dans son incantation. Il maîtrisait bien ce sort, mais ne l'appréciait guère : la métamorphose animale ou monstrueuse était dangereuse, car à demeurer trop longtemps dans ce corps étranger, on en acquérait un peu la façon d'être, de désirer, de ressentir le monde... et c'était assez perturbant.

Quand il eut fini d'articuler la fastidieuse litanie des mots de pouvoir, il vit le guerrier se réduire à vue d'œil jusqu'aux dimensions assez restreintes d'un petit oiseau de proie ; Lothringen avait choisi le faucon. Cela lui fit un effet assez étrange que de voir un tel volatile en lieu et place de son compagnon. En tout cas, l'oiseau avait une patte folle, et lui jeta un regard agacé en le voyant sourire : c'était bien lui.

"A mon tour..."

Et ainsi fut fait.

Deux ailes, deux serres, toute une épaisseur de plumes et quasiment pas de chair : décidément... Il se dandina difficilement jusqu'à un rocher, afin de leur trouver une aire de décollage.

Le guerrier/faucon peina à le suivre. Il aurait peut-être eu moins de mal sous forme humaine, mais il était trop tard, et ce n'était pas plus certain que cela. Il grimaça intérieurement, ne pouvant afficher sur son bec le rictus douloureux qu'il aurait normalement arboré.

Lothringen se hissa sur un rocher, quelques pas plus loin. Une infinité de pas plus loin... avec difficulté et maladresse, due à sa nouvelle forme, et son état lamentable, Mornagest parvint à le rejoindre au bout de plusieurs essais infructueux. Le semi-drow entendait presque le guerrier jurer à chacun de ses échecs.

Enfin, ils purent s'élancer, et commencer à voler, prendre de l'altitude. Ils dépassèrent la cîme des arbres en quelques coups d'ailes, puis s'élevèrent, dominant le monde sous eux. Le spectacle était à couper le souffle, et Mornagest pouvait d'autant mieux en profiter qu'il ne ressentait aucune gêne au niveau de son système digestif, probablement hérité de sa forme aviaire. Seule sa patte était souffreteuse, et, n'étant pas repliée, il était quelque peu déséquilibré, ce qui l'obligeait à pousser un peu pour suivre Lothringen.

Ils atteignirent rapidement la côte et suivirent le cimeterre de sable le long de la mer, qui se mua régulièrement en pierres, ou en forêt s'achevant abruptement à la falaise. Un bien beau voyage, somme toute.

Vers Aigues-Douces

La Couronne de Cuivre

[Rp] L'inattendu : De vieux tréteaux dans la clairière

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