La Couronne de Cuivre

Le gamin écouta sans broncher. S'il était toujours ébranlé, s'il était inquiet à l'idée de ce qui l'attendait, il n'en laissait rien paraître. Il cherchait à tout prix à préserver les apparences, et cela lui demandait probablement d'énormes efforts. Il y parvenait, pourtant, et sans doute cela contribuait-il à le rassurer. Cercle vertueux...
Ou vicieux.
-On voit bien que vous ne connaissez rien à la marine... lâcha-t-il, dédaigneux. J'y étais traité comme n'importe quel marin : c'est la seule façon de faire un bon apprentissage. Mais soit, ce n'est pas la question. Pour vous répondre une énième fois... En quatre mots comme en cent : allez vous faire foutre. Je préfère encore affronter la sorcière que devoir supporter un instant de plus vos mensonges et vos fourberies.

Astrée secoua la tête.
- Je n'ai jamais dit que tu était traité différemment des autres... Du moins en apparence. Juste que les autres savaient très bien qui tu étais, et que ça changeait bien des choses... Mais soit. Tu ne veux pas de mon aide, alors va te faire voir, toi aussi. Je sais que je ne devrais pas te laisser ici, que s'il t'arrive quelque chose ta mère ne me pardonnera jamais. Mais je sais aussi que tu vas être exécuté si tu t'obstine ainsi, et j'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour te sortir de là. Je ne sais pas quoi faire d'autre... et de toute façon tu ne veux pas que je tente quoi que ce soit, et plus j'essaie, plus tu t'obstine. Alors puisque tu y tiens tant... assume tes erreurs et ta stupidité seul ! Je ne peux que te prometter d'être là, ensuite, pour tenter de recoller les morceaux... S'il y en a encore.
Elle se tourna vers la vieille femme.
- Et, non, je ne veux pas aller à l'étage. J'ai besoin d'être seule, et de prendre l'air dehors !
Et elle se dirigea vers la porte, décidée à la claquer pour extérioriser sa colère.

Avec douceur mais fermeté, l'elfe la retint par le bras.
-Je risque d'en avoir pour un long moment, et il ne vaut mieux pas que vous restiez dehors... Les sentinelles pourraient trouver cela étonnant. Montez plutôt : à l'étage, vous pourrez dormir. Je vous donnerai de quoi. Et en attendant que les plantes fassent effet, vous pourrez aller prendre l'air sur la terrasse encore au-dessus. La vue y est magnifique, et la brise généralement revigorante.

Astrée se sentait à la fois en colère et au bord des larmes, excédée... et lâche. Mélange étrange d'émotions qui la conduisaient au bord de l'implosion.
Elle hésita, regarda la vieille.
- Je n'ai pas le droit de l'abandonner... Je n'ai pas le droit...
Elle se tourna vers Léo.
- Léo... j'ai trop peur de ce qu'elle peut décider de te faire. Mais je n'arrive à rien, avec toi... Et si tu continues comme ça, ils vont t'exécuter. Et ce sera ma faute parce que j'ai échoué à te protéger, à te convaincre.
Elle n'arrivait plus à réfléchir, à savoir ce qui était mieux pour Léo. Elle n'arrivait pas à quitter la pièce...
- Ecoute... Je ne t'abandonnerai pas. On va affronter la suite...ensemble. D'accord ? Et je les empêcherai de te tuer...
La vieille ne l'autoriserait pas, elle le savait. Mais Léo avait besoin de se sentir soutenu, certainement, même s'il le cachait... Si seulement cela pouvait suffire à le convaincre de sa bonne foi...

-Mouais. En fait, vous voulez en voudriez de manquer le spectacle... souffla-t-il d'une voix un peu sourde.
Quant à la vieille femme, elle secouait la tête.
-Vous ne pouvez rester. Il ne doit pouvoir se raccrocher à rien, sinon, cela me forcerait à être encore plus radicale. Et puis... Vous m'interrompriez, forcément. Ce qui serait désastreux. Non, vous devez sortir et nous laisser seuls. Je vous l'ai dit : j'ai bon espoir de le sauver malgré lui. J'ai attentivement écouté son discours, analysé ses réactions. Il y a... des moyens de l'atteindre.
-

Astrée, elle, regardait Léo.
- Tiens... je croyais que tu ne voulais pas que je reste... Et là, j'ai comme l'impression que ça t'arrange que je propose de rester avec toi. N'essaie pas de le nier, ça s'entend dans le ton de ta voix. Mais il faut choisir, mon grand. Si je reste... il faut que tu acceptes de m'écouter. Parce que je te connais, si je laisse notre hôte agir, le fait que je sois spectatrice de la scène va t'inciter à durcir encore plus ta position, et donc ça va dégénérer, et j'ai très peur de ce qu'elle peut te faire. Donc, si je reste... tu acceptes de faire un effort.

Le gamin grimaça brièvement, puis se para à nouveau du dédain le plus total.
-Vous entendez ce que vous voulez entendre et, comme toujours, vous réinterprétez la réalité à votre façon, sinon affabulez complètement. Ah, ça vous ferait tellement plaisir que j'éprouve pour vous autre chose que de la haine et du mépris ! Vous aimeriez tellement que je tienne à votre compagnie... ou que je me repose sur vous ! Tout ça pour mieux me tromper, me pousser à trahir, évidemment ! Pour pouvoir me faire encore plus souffrir... Et bien, une nouvelle fois, je suis au regret de devoir vous décevoir : je ne ferai pas le moindre effort et s'il y a bien une chose que je désire en l'instant, c'est que vous débarrassiez le plancher.

Astrée grimaça, puis haussa les épaules.
- Si tel est ton souhait... alors je te laisse assumer seul les conséquences de ton obstination. Si je reste, tu vas aggraver ton cas et courir droit à la peine de mort... La seule chance que tu aies de t'en sortir, c'est que cette femme réussisse là où j'ai échoué. Et j'espère qu'il n'y aura rien d'irrémédiable... Je ferai ce que je peux ensuite pour toi, quoi que tu puisses penser... Et je vous préviens, ajouta-t-elle en se tournant vers l'elfe, que si vous lui faites du mal gratuitement, je vous le ferai regretter.
Elle se détourna, et, le pas lourd, se dirigea vers l'escalier. Elle avait échoué. Il ne restait plus qu'à espérer, envers et contre tout, que l'issue de la situation ne soit pas trop dramatique.

-Mon seul et unique but est de le sauver, répondit posément la vieille femme. Ainsi que je le disais à l'instant, son discours et son attitude m'ont fourni, comme ils vous ont fourni, nombre de pistes pour agir et briser cet orgueil confinant à la folie dans lequel il se drape pour des raisons que j'ignore encore, quoi que j'en soupçonne certaines. Mais, contrairement à vous... J'aurais la force d'aller jusqu'au bout, de faire ce qui doit être fait. C'est sa vie dont il est question : le laisser persister, le laisser se condamner, ce serait un gâchis sans nom.
Elle secoua la tête.
-Je vous monte de quoi dormir dans quelques instants.
Sans plus un mot, elle fit quelques pas, s'agenouilla, s'affaira a allumer un brasero. Compte tenu de la moiteur ambiante, les flammes ne seraient pas utilisées pour leur simple chaleur.

Astrée avança encore d'un pas. Hésita... Regarda la vieille allumer le feu. Et demanda, d'une voix blanche:

- Vous... vous voulez faire quoi, avec ce feu ?

Elle la dévisagea sans ciller.
-Ce qui doit être fait. Ni plus, ni moins. Montez, à présent : vous m'avez délégué cette tâche, vous devez assumer votre choix et n'avez donc plus rien à faire ici. Quand vous vous réveillerez, tout sera réglé.
Elle se détourna, se concentra à nouveau sur le brasero qui se mit à rougeoyer intensément. Puis, fouillant dans sa poche, l'amazone en tira une dague à la lame effilée.

Astrée devint toute blanche. Elle tenta de se dire que l'elfe bluffait, qu'elle voulait juste faire peur à Léo... Oui, mais s'il s'obstinait ?
- Vous n'allez quand même pas.... ?
Elle se précipita vers le mousse, l'attrapa par le col et se mit à le secouer comme un prunier.
- Léo ! Réagis, bon sang ! Tu vois ce qu'elle prépare ? Tu vois ce qu'elle va faire ? C'est ça que tu veux ? Réfléchis vite, parce qu'une fois que ce sera fait... tu ne pourras plus rien y changer et tu devras vivre toute ta vie avec !

De fait, le gamin avait vu ce que préparait l'elfe. Il avait même gardé les yeux rivés sur elle, ne s'en était détourné que lorsque Astrée s'était saisie de lui. La rôdeuse entrevit de la franche inquiétude dans son regard. Mais, déjà, il se reprenait, recomposait son masque de détermination, de bravade flamboyante.
-Je vous ai déjà dit d'aller vous faire foutre ! gronda-t-il. Je ne suis pas un enfant peureux, je vous l'ai répété et rerépété des dizaines de fois. Je suis un homme ! Un homme de Luménis ! Un marin, de surcroît ! Je ferai face quoi qu'il advienne ! Et vous vous leurrez en croyant que ses tortures, quelles qu'elles soient, m'affecteront, que je devrai vivre avec. Elle aura beau m'infliger les pires souffrances, je ne cèderai pas, je ne ferai pas ce qu'elle veut de moi, je ne trahirai pas ma cité ! Et je mourrai dans l'honneur et la loyauté. Je vous montrerai, à vous, à elle, à toutes les autres, quelle est la force d'un homme véritable, quelle est la force d'un Luménien. Je vous prouverai ma supériorité sur vous autres créatures maudites, si promptes à flancher, à trahir, à renier votre parole !

- Ah oui ? gronda Astrée. Un homme, tu dis ? Moi j'ai l'impression qu'on va bientôt te surnommer Léa, quand elle aura fait ce qu'elle a à faire. Quant à la marine, ça m'étonnerait qu'ils veuillent encore de toi une fois qu'on te les auras coupées, vu ce que tu m'en as dit. Enfin, c'est ps grave, tu pourras toujours te recycler chez les choeurs Lathandrites. Tu y feras merveille avec ta nouvelle voix. Mais puisque tout ça t'es égal... Vas-y, montre-nous ce que tu tiens tant à cacher, montre ta petite zigounette à cette femme et regarde-là bien, pour la dernière fois...
Elle maintint Léo le plus fermement possible, subissant sans broncher les coups de pieds qu'il lui assénait en se débattant, et entreprit de lui oter brutalement ses chausses. Et ricana.
- Oh, je comprends pourquoi tu tiens tant à la cacher, et que ça te soit égal de la perdre. Un si petit machin. J'ai dû surestimer ton âge en te voyant grimper si adroitement aux mats... Tu as encore le zizi d'un tout petit garçon !
En fait, elle n'avait absolument aucune notion de la taille de la chose en question chez un enfant de son âge, n'ayant au ni frère, ni garçon. Mais elle le savait particulièrement sensible sur la question, et était prête à tenter n'importe quoi.

L'assaut fut si soudain, si imprévisible que Léo fut totalement pris au dépourvu. Néanmoins, dès qu'il comprit ce que la rôdeuse avait en tête, il se battit comme un beau diable, la harcela de coups violents. Il était plus fort qu'il n'en avait l'air, et il fallut à Astrée un bon moment avant de pouvoir parvenir à ses fins. Mais, décidée, inébranlable, elle y parvint.
Léo s'immobilisa alors complètement, le regard rivé sur ses chausses gisant sur le sol, inaccessibles. La situation, les mots de la jeune femme le firent pâlir, puis rougir comme une pivoine. Il se mit même à trembler.
Pourtant, contre toute attente, il puisa à nouveau dans ses ressources chancelantes. De sa main libre, il déplaça les pans de sa chemise pour se dissimuler, puis il releva sur Astrée un regard où brillait toujours, quoi que moindre, une flamme de défi.
-Je savais que vous pensiez qu'à ça, que vous vous intéressiez qu'à ça... Mais vous vous êtes assez rincée l'œil pour aujourd'hui. Je l'ai déjà dit, vous êtes pas à mon goût. Et je sais que vous mentez. S'il était comme vous le dites, vous voudriez pas tellement le revoir ! Maintenant, fichez le camp. Je dois affronter mon destin, et je le ferai dignement. En homme que je suis.
Il avait du cran : il avait presque réussi à faire paraître sa voix assurée et déterminée. Presque.

Astrée secoua la tête.
- Léo... Tu n'es pas un homme. Tu es juste un gosse qui va pas tarder à pisser de trouille. Et j'en ai rien à faire de ton petit bout, je me dis juste qu'il va se retrouver bien seul... Et que la virilité que tu rêves tant d'avoir, ben tu l'auras jamais. Tout ça parce que tu laisses ton entêtement prendre le dessus. Tu crois que ta mère va te préférer en fille ? Enfin, fille... tu ne seras peut-être ni un garçon, ni une fille, quelque chose entre les deux. En tout cas, tu ne deviendras pas l'homme que tu rêves d'être. Ni marin, ni soldat. Clerc, peut-être. C'est bien dommage.
Elle écarta d'autorité le pan de la chemise.
- Pourquoi tu cherches à cacher une si petite chose ? Ca me dépasse. De toute façon, tu n'auras bientôt plus rien à cacher. Et aucune fille ne pourra plus jamais espérer le voir. Regarde bien la lame qui rougit. Pense à ce qu'elle va faire... Regarde bien tes... tes attributs virils, comme on dit, pour la dernière fois. Non, pas la peine de les cacher, ils sont condamnés de toute façon. Oh, je peux encore m'interposer, mais si c'est pour que tu t'entêtes à nouveau, ça ne servira à rien, sauf à te conduire à l'échafaud. Ou bien je peux partir... Mais je suis ta seule chance d'échapper à ça, et de reprendre le cours de ta vie. A toi de voir si tu veux vivre en homme... ou souffrir comme un porc qu'on égorge.

Le gamin se démena tant et si bien qu'il parvint à se dissimuler à nouveau.
-Je vous ai dit que vous vous étiez assez rincé l'œil ! siffla-t-il. Et arrêtez vos mensonges, je vous ai aussi dit que ça ne prenait pas, avec moi ! Le reste non plus ça prend pas. Vos bêtises sur l'avenir, là. Quoi qu'elle m'inflige, quoi que vous m'infligiez, je tiendrai bon, et vous serez contraintes de me tuer !
Il la défiait encore. Mais, plus que jamais, il était ébranlé. Peut-être même au bord de la rupture.

Astrée eut un ricanement amer.
- Te tuer... Oh, je ne crois pas que ce soit son objectif. Je crois plutôt qu'elles vont te forcer à vivre ensuite, privé de tout espoir de devenir un jour viril. Juste pour que tu comprennes que la virilité, ça n'est qu'un mot, et que ça ne sert à rien, et qu'on peut parfaitement vivre sans. oh, bien sûr, ce n'est pas la vie dont tu rêvais. Mais puisque ça t'es égal... Pourquoi donc caches-tu ça ? De toute façon, tu n'auras bientôt plus rien... Et puisque tu parles d'affronter bravement ce qui t'attend, commence donc par ne plus te cacher !
A nouveau, elle avait ôté le pan de chemise qui masquait son entre-jambe. Un peu plus violemment cette fois. Tellement qu'elle déchira un lambeau de la chemise.
Elle s'en voulait de martyriser ainsi le pauvre gosse. Si seulement ça pouvait le faire craquer, pour éviter le pire... Mais peut-être que ça ne serait suffisant, peut-être que craquer ne suffirait pas, peut-être qu'il se reprendrait ensuite et que tout ça n'aurait servi à rien. Et, certainement, il la hairait. Mais il fallait bien qu'elle tente quelque chose...
- Oulà, ma parole... tu vas te pisser dessus...
Ce qui était sans doute faux. Mais déstabilisant.

Intérieurement, Léo n'en menait certainement pas large. La perspective de ne pas être exécuté, plus encore que le reste, sembla l'affecter, et il ne put s'empêcher de jeter un regard furtif en direction de l'elfe.
Les derniers mots d'Astrée le firent cependant réagir. Il se tortilla pour, à nouveau, se dissimuler du mieux qu'il put. Puis, serrant les dents, il se composa une attitude franchement provocante.
-Me pisser dessus ? Je voudrais bien voir ça, étant donné que je n'ai pas bu depuis... oh, longtemps. Pour le reste, je serai bien évidemment exécuté, puisque j'aurais refusé de trahir, de me soumettre. Ces tarées ne pourront prendre le risque de garder en vie un ennemi aussi valeureux que moi... Ah, et en parlant de valeur : je sais bien que, malgré vos railleries, mon corps exerce sur vous un attrait démesuré : il n'y a qu'à voir comme vous cherchez à me dévoiler. Malheureusement, vos espoirs resteront vains. J'ai partagé le lit de bien des catins, et je puis vous dire qu'elles étaient au septième ciel. Malheureusement, étant donné qu'une guenon lépreuse me ferait plus d'effet que vous... Rien n'est envisageable.
Il lui adressa un sourire moqueur. Il avait encore la force de se montrer bravache, mais l'on sentait que cela lui coûtait des efforts de plus en plus grands. Et les apparences n'étaient plus aussi trompeuses que quelques minutes auparavant.

Astrée soupira.
- Léo, tu t'enfonces.. Et tu as de la chance qu'on ne soit pas avec une des toutes jeunes elfes qui étaient là tout à l'heure, elles t'auraient peut-être demandé une démonstration, et se seraient bien moquées de toi ! Mais inutile d'imaginer que je puisse éprouver le moindre attrait pour toi ! Moi, tu vois, je ne couche pas avec les gamins. Et de toute façon, plus personne ne voudra de toi après ce qu'elle va te faire. Et donc... Tu ne connaîtras jamais le fameux septième ciel ! Parce que c'est pas la peine de me raconter des bobards : les putes ne couchent pas avec les enfants. Oh, ça a dû te frustrer de te faire virer de tous les bordels où tes compagnons de marine passaient leurs soirées... Et dire que tu n'y mettras jamais les pieds, désormais, tout ça à cause de ton stupide entêtement. Mais bon, c'est ton choix. Alors, finissons-en, enlève ta chemise, qu'elle voit clair et ne coupe pas plus que nécessaire. C'est vrai que c'est tellement petit qu'il va falloir qu'elle soit précise... Ah, il paraît que ça fait vraiment très très mal... et qu'après on grossit, comme un chapon, sans parler de la voix. Mais ça, tu le sais déjà. Et ça change la personnalité, aussi. L'avantage, finalement, c'est que tu deviendras un gros bonhomme tout calme, tout gentil, qui ne fera de mal à personne, et qui sera nettement plus enclin à admettre que les hommes et les femmes sont égaux. Ca t'enlèvera d'un coup tout ton entêtement hargneux.
Elle secoua la tête.
- Je me demande bien comment je vais expliquer à ta mère que tu as volontairement choisi de te faire couper les bijoux de famille.... Mais bon, peut-être qu'elle appréciera le changement, qui sait ?

Il lui jeta un regard furibond.
-Je ne rentrerai pas, lâcha-t-il, buté. Je vous l'ai dit mais vous êtes apparemment trop bête pour comprendre. Vos copines les folles veulent ma soumission : elles ne l'auront pas. Alors, elles n'auront d'autre choix que de me tuer. Et quoi qu'elles m'aient fait avant, je mourrai avec honneur. En homme. Parce que j'en suis un, que ça vous plaise ou non. Que vous soyez aveugle ou non. Mais vous voulez juste me vexer, voilà tout... Me laisserai pas prendre, je sais ce qu'il en est. Et pour ce qui est d'enlever ma chemise... Vous savez quoi ? Allez crever la gueule ouverte. Je ne ferai rien de ce que vous me demandez. Je crois l'avoir déjà dit, non ? Et essayer de m'obliger. Cette fois, vous m'aurez pas par surprise.

Astrée eut un rire moqueur.
- Ah, quel grand héros tu fais! Tu dis que tu vas affronter dignement ton destin et tu te planques comme un lâche. Tu as la trouille de montrer ton zizi ! Tu préfère attendre qu'on t'arrache de force la chemise que de l'enlever toi-même. Tu as les jetons, quoi ! Remarque, je comprends, à ta place j'aurais la trouille. Et tu peux m'insulter tant que tu veux, ça ne changera rien à la réalité de ce qui t'attend. Et inutile d'en rejeter la faute sur moi, j'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour t'éviter ça, mais tu n'as rien voulu entendre. Soit. Et bien assume, mais vas-y franchement, avance vers cette femme tout nu, pour qu'elle fasse ce qu'elle a à faire ! Vas-y, j'attends de voir le grand héros en action ! Que je puisse raconter à ta mère et ton grand-père avec quel bravoure tu as décidé de ne plus être un homme ! Ils seront sans doute fiers de voir comme ton entêtement stupide t'entraîne à faire n'importe quoi... Vas-y, enlève-là, cette chemise, si tu es un homme !
Cette comédie l'épuisait. Il fallait qu'il craque, et vite ! D'autant que s'il s'obstinait à se laisser couper les bijoux de famille... Elle se demandait bien comment elle allait pouvoir réagir.

Piqué au vif, rubicond, le mousse porta aussitôt les mains au col de sa chemise, dont il défit le premier bouton. Il se ravisa cependant bien vite, et jeta un regard noir à la rôdeuse.
-C'est un piège, vous essayez de m'avoir, articula-t-il comme s'il tentait de s'en convaincre en l'énonçant. Vous vous servez de l'honneur et du courage pour m'obliger à me jeter dans vos filets. Vous êtes si méprisable, si mauvaise, si dénaturée que, pour parvenir à vos fins, vous n'hésitez pas à avilir les valeurs les plus nobles. Malheureusement pour vous, je ne suis pas un crétin : l'honneur et le courage, c'est affronter son destin sans faillir, sans tenter de s'y soustraire. Ce n'est pas se prêter au jeu de ses bourreaux, leur faciliter la tâche et se torturer soi-même. Ça, ce serait de la stupidité, ce serait déshonorable, ce serait fouler aux pieds les valeurs de ma cité. Or, j'ai déjà manqué à l'honneur en une occasion. Cela ne se reproduira plus jamais. Plus jamais, vous m'entendez ? Alors faites ce que vous avez à faire, mais ne comptez pas sur moi pour vous aider. Je tiendrai bon, je résisterai. Je serai digne de mon nom, de mon drapeau, de ma cité.
Il tremblait légèrement, et si son regard brillait à nouveau, Astrée avait la vague impression qu'il doutait, qu'il essayait, par ses mots, de baliser un chemin qu'il peinait désormais à suivre. Etait-ce étonnant ? Il avait tenu bon bien plus longtemps qu'elle ne l'aurait cru... Et ce qui l'avait poussé le poussait encore. La fatigue et les épreuves, toutefois, avaient prélevé leur dû.

Astrée secoua la tête.
- C'est bien ce qui me semblait, tu es un lâche. Ah, pour parler, tu sais faire, pour sortir de grands mots dont je ne suis pas sûre que tu saisisse le sens et les implications, tu es doué. Mais pour les actes... On repassera! Et je ne vois pas de quel piège tu parles. Tu as décidé de t'obstiner à nier le fait que les femmes puissent être égales des hommes, et il est clair que cette femme, pour te faire changer d'avis, veut t'ôter tes attributs masculins pour faire de toi une sorte de femelette, histoire que tu ne puisses plus te prétendre supérieur aux femmes. Je ne t'ai tendu aucun piège, c'est toi qui dit des énormités et qui va devoir les assumer. Moi, j'ai tout fait pour t'éviter ça. Mais voilà, au lieu d'assumer crânement, tu préfères te planquer. Et après tu vas vouloir donner des leçons de bravoure alors que t'es même pas capable d'ôter ta chemise, tu as trop les jetons de te trouver nu devant deux femmes.
Pour le pousser dans ses retranchements, elle tenta de défaire un bouton supplémentaire de sa chemise.
- Et j'oubliais, quand donc as-tu manqué à l'honneur ? A part aujourd'hui où tu refuses à tes aînées le respect que tu leur dois ? Ou tu te planques parce que tu as trop peur de ce qui va t'arriver ? Tu es indigne de ta cité et de ton nom, quoi que tu dises, car tu sacrifie une mission importante simplement pour ne pas admettre que tu as peut-être tort. Tu préfères mourir que de reconnaître tes torts. Tu confonds l'orgueil et la vanité avec l'honneur. Tu es indigne de l'éducation que tu as reçue. J'ai honte d'avoir pris ta défense, vraiment, tu ne valais pas la peine que je me démène pour sauver ta peau. Ou alors... prouve-moi que j'ai tort ! Prouve-moi que tu as assez de maturité pour pouvoir être considéré comme un homme !

Le mousse se démena pour l'empêcher de parvenir à ses fins.
-Ne parlez pas de cette mission ! lança-t-il, plus véhément que jamais. Vous êtes indigne d'en parler. Indigne ! Vous aviez dès le départ l'idée de nous trahir. Et si vous ne l'aviez pas, vous avez été trop heureuse se trouver ces démentes dégénérées et de pouvoir vous allier à elles en sachant qu'elles ne vous feraient rien ! La mission vous a jamais importé ! Et vous savez très bien qu'en nous alliant à elles, nous nous allions avec les mages ! Vous êtes une ordure d'opportuniste mercenaire qui ne pense qu'à son intérêt, qui se fiche que les mages soient libérés et sèment la terreur de par le monde ! En fait, je suis même sûr que vous étiez du genre à servir Nwalk, durant la guerre civile ! Vous deviez même être une saleté de Garde Rouge ! Y a rien qu'à voir comme vous êtes sadique, perverse et cruelle pour s'en persuader ! Alors parlez pas de cette mission. N'en parlez plus jamais. Vous ferez tout pour qu'elle échoue, et vous le savez. Vous avez déjà commencé à le faire en vous alliant aux servantes impies de nos ennemis mortels ! Comptez pas sur moi pour vous suivre ! Jamais ! Je suivrai le chemin de l'honneur, désormais, quoi qu'il m'en coûte ! Je sais ce que c'est, fauter, et je sais ce qu'est la rédemption ! Vous, votre existence immonde n'est qu'une série de trahisons, de coups fourrés et de mauvaises actions !

La gifle partit. Violente. Sans prévenir.

- Là, tu dépasses les bornes.
Elle haussa le ton.
- J'exige des excuses pour les insultes que tu viens de débiter. J'en ai ras-le-bol d'entendre ce ramassis de stupidité que tu sors simplement pour ne pas reconnaître ton erreur. Ah, et pour ta gouverne, je n'étais pas sur Hélonna pendant la guerre civile, et je ne sais pas ce qu'est un garde rouge. Si tu n'avais pas un grand-père très bien, et si ton père ne m'avait pas expressément demandé de veiller sur toi, il y a longtemps que je t'aurais laissé aux bons soins de cette dame, j'ai l'impression que c'est tout ce que tu mérites. Mais là, ç'en est trop. Jamais je n'ai toléré qu'on m'insulte de la sorte, surtout venant d'un petit morveux comme toi. J'exige des excuses, et tout de suite.

Cette gifle là parut l'ébranler bien davantage que la précédente. Peut-être Astrée avait-elle frappé plus fort, à moins que ses forces à lui n'aient décru de manière considérable. Quoi qu'il en soit, il garda longtemps la main posée sur sa joue, et battit des paupières à plusieurs reprises.
Il ne craqua pas, pourtant. Pas encore. Et il reprit en criant presque, comme s'il ne voyait de salut que dans la fuite en avant, que dans la démesure.
-Et vous ferez quoi, si je vous présente pas d'excuses ? Vous me torturerez ? Ah ah ! Ce serait pas très différent de ce que vous faites à présent... De toute façon, jamais je ne vous ferai d'excuses. Je ne ferai jamais d'excuses à une traîtresse. Je regrette juste que nous ne soyons pas tombés sur les hommes de ces harpies. Eux, au moins, auraient été loyaux, nous auraient aidé à combattre les mages. Et vous auraient donné le châtiment que vous méritez. Je ne m'étonne pas qu'ils se soient révoltés contre ces femmes : elles sont monstrueuses, comme vous l'êtes. Je ne m'étonne pas non plus que leurs fils se soient révoltés : si elles les traitaient comme vous me traitez... D'ailleurs, à ce propos : je suis sûr qu'en réalité, pour votre fi...
Il s'interrompit brutalement. Ses derniers mots avaient été prononcés sur un ton assassin, mais il avait été incapable d'aller plus loin. Il blêmit, battit des paupières, recommença à parler après plusieurs secondes, sur un ton qui se voulait virulent sans vraiment parvenir à l'être.
-D'ailleurs, je suis sûr qu'ils gagneront. Et qu'ils vous puniront. Avant qu'ils en aient fini avec vous, vous aurez supplié mon âme un millier de fois pour qu'elle pardonne vos crimes à mon encontre.

Déjà, Astrée se reprochait intérieurement de ne pas avoir gardé son sang-froid face aux provocations du mousse, et regrettait sa gifle - enfin, presque, car après tout cela semblait l'avoir ébranlé. Mais d'avoir extériorisé brutalement sa colère l'avait en partie évacué. Elle fallait qu'elle se calme. ce n'était qu'un gosse, un petit morveux qui racontait n'importe quoi pour la blesser.

L'allusion à sa fille faillit la faire à nouveau sortir de ses gonds, mais il semblait avoir perçu qu'il ne fallait pas évoquer ça, puisqu'il se reprit. Quoique... Non, cela ne tenait pas debout, il cherchait à la blesser, il n'aurait pas évité ce sujet, au contraire.

La dernière accusation lui fit froncer un sourcil. Encore une accusation gratuite, certes, mais...
- Mais Léo, de quels crimes parles-tu ? Depuis un moment, j'ai presque l'impression que tu me prends pour quelqu'un d'autre : tu parles de tout ce que je t'ai fait subir, mais qu'ai-je fait à part t'engueuler, te secouer comme un prunier, et te gifler ? Tu es sûr... que tu vas bien ? Et c'est quoi, cette histoire de faute et de rédemption ? Je ne comprends rien à tes accusations... à part le fait que visiblement tu cherches à dire n'importe quoi pour me mettre hors de moi. Pourquoi ?

-Ça ne vous regarde pas... souffla-t-il.
Puis, plus fort, comme il avait rassemblé assez de courage pour se donner un peu plus d'allant :
-Ça ne vous regarde pas. Vous ne comprendriez pas, de toute façon. Vous en êtes incapable, parce que vous êtes une femme et que ces choses là sont... trop compliquées. Quant à vos crimes, ils sont légion ! Depuis que mon père m'a confié à vous, vous avez saisi toutes les occasions de vous moquer de moi. Et je ne compte plus les fois où vous m'avez giflé... Et vous cherchez à m'humilier avec une insistance presque... démoniaque. Mais ça n'a pas d'importance. Faites ce que vous voulez. Je suis au-dessus de ça. J'ai supporté vos actes avec honneur : je les supporterai encore. Lathandre m'accueillera, et je pourrai contempler de là-haut la suite de vos agissements. En priant pour que vous soyez châtiée. Mais... Je n'en doute pas. Il y a une justice, en ce monde.

- Tu te trompes de divinité, si tu ne penses qu'à la vengeance et au châtiment, fit remarquer Astrée.
Mais... Le gosse lui cachait quelque chose. De peut-être grave. Ou peut-être qu'elle se faisait des idées, peut-être qu'il racontait n'importe quoi...
Elle prit le garçon par l'épaule, le tenant fermement.
- Oui, je t'ai giflé trois fois, parce que l'avais cherché, fit-elle,calmement. Mais je n'ai pas cherché à t'humilier l'autre soir, je ne te savais pas si susceptible sur le sujet. Et... là n'est pas la question.
Elle tenta de lui relever le menton pour le regarder dans les yeux.
- Léo... Qu'est-ce qui ne me regarde pas ? C'est quoi, cette histoire de rédemption, de faute ? De crime ? De qui parles-tu ? Ou de quoi ?

La Couronne de Cuivre

[Quête : Tel est pris qui croyait prendre] Groupe 2 - Astrée

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